14: Désordres oculomoteurs neurogènes et myogènes

CHAPITRE 14


Désordres oculomoteurs neurogènes et myogènes




Troubles oculomoteurs supranucléaires


F. Oger-Lavenant


Les troubles oculomoteurs supranucléaires, encore appelés syndromes ou paralysies supranucléaires ou paralysies de fonction ou paralysies oculomotrices centrales, sont dus à une atteinte des voies contrôlant la motricité conjuguée, c’est-à-dire des voies supranucléaires du système oculomoteur efférent. Les lésions supranucléaires affectent presque toujours les deux yeux simultanément. Aussi la diplopie est-elle le plus souvent absente du tableau clinique, ce qui retarde le diagnostic lorsque le tableau oculomoteur est le premier signe de l’atteinte neurologique.


La motricité conjuguée comprend donc les mouvements de version mais l’oculomotricité centrale concerne également la fixation oculaire, le réflexe vestibulo-oculaire et le nystagmus optocinétique. Il est habituel de joindre à la motricité conjuguée la motricité disconjuguée, c’est-à-dire les mouvements de vergence, car ils sont supranucléaires.


Les voies supranucléaires comprennent toutes les régions prémotrices et motrices des cortex frontal et pariétal, le cervelet, les ganglions de la base, les colliculus supérieurs, le thalamus ainsi que des centres du tronc cérébral (formation réticulée pontique paramédiane, intégrateurs neuronaux) et les noyaux vestibulaires.


En pratique, les atteintes le plus fréquemment rencontrées par l’ophtalmologiste sont celles du tronc cérébral où tous les circuits issus des zones suscitées convergent et se trouvent rassemblés. Nous verrons également les atteintes hémisphériques les plus fréquentes.


Nous verrons donc successivement l’examen pratique des mouvements oculaires, les syndromes oculomoteurs du tronc cérébral et, conjointement, leur localisation anatomique, et nous terminerons par les atteintes hémisphériques.





image ÉTUDE CLINIQUE DE L’OCULOMOTRICITÉ


L’examen de l’oculomotricité centrale [40] (fig. 14-1) étudie la fixation oculaire, les saccades, les mouvements de poursuite, la convergence, le réflexe vestibulo-oculaire et le nystagmus optocinétique. Chaque mouvement est géré par une voie spécifique ; leur action finale est de maintenir la position des deux yeux sur une cible d’intérêt et d’assurer des mouvements appropriés sur des zones d’intérêt.



Les mouvements oculomoteurs comprennent les mouvements rapides représentés par les saccades et la phase rapide du nystagmus optocinétique, les mouvements lents représentés par la poursuite et le réflexe oculocéphalique et la convergence (cf. chapitre 21).




SACCADES


Les saccades ont pour but de placer rapidement la fovéa sur une cible d’intérêt, ce sont des mouvements balistiques qui ne peuvent pas être modifiés après leur initiation.


Les saccades peuvent être volontaires, automatiques d’origine sensorielle (attraction visuelle ou auditive) ou réflexes d’origine vestibulaire ou constituer la phase rapide des nystagmus.


L’examen des saccades est le point de départ de l’examen oculomoteur et porte essentiellement sur les saccades volontaires. On demande au sujet de bouger rapidement son regard entre deux cibles visuelles. Les saccades sont étudiées dans les quatre directions (haut, bas, versions droite et gauche). On apprécie leur latence, leur vitesse, leur conjugaison, leur amplitude (donc leur précision : hypométrie ou hypermétrie) et la fixation excentrée.


Quand l’examen des saccades est réalisé de façon rigoureuse, il est le plus souvent normal. L’étude de la poursuite est sans valeur localisatrice réelle et très vulnérable à des circonstances non neurologiques. Elle est inutile.


Si dans une des phases de l’examen une anomalie est relevée, on doit alors tester les réflexes oculocéphaliques (cf. infra) ; dans le cas d’une atteinte des saccades d’adduction, la convergence sera à son tour évaluée.





VERGENCE


Les mouvements oculaires de vergence orientent les yeux en direction opposée, permettant ainsi le maintien d’une cible visuelle sur la fovéa alors que la cible s’approche du sujet. Le substrat neuronal de la vergence est imparfaitement connu chez l’homme car cette fonction implique la vision binoculaire, l’accommodation qui stimule la convergence et réciproquement, ainsi que le jeu pupillaire (triade accommodation, convergence, myosis).


Physiologiquement, nous effectuons des vergences de refixation qui ne sont pas toutes médio-nasales — passage d’une cible en vision de loin à une cible en vision de près et souvent axial droit ou gauche — et non des vergences guidées, qui s’épuisent rapidement même chez un sujet normal.


L’examen doit donc faire fixer un optotype en vision de loin puis des lettres ou un dessin avec des détails précis en vision de près.






image ATTEINTES OCULOMOTRICES DU TRONC CÉRÉBRAL


Les atteintes oculomotrices du tronc cérébral [60] concernent les mouvements conjugués latéraux ou les mouvements verticaux. Les atteintes permettent le plus souvent de situer le niveau de la lésion : ainsi, on peut préciser au neuroradiologue les zones à explorer en priorité.


Nous avons volontairement séparé les atteintes centrales monoculaires fréquemment isolées au début et les atteintes binoculaires rapidement associées à des troubles neurologiques extraoculaires.



ATTEINTES MONOCULAIRES


En raison de leur caractère unilatéral le plus souvent (au moins au début), ces pathologies sont vues en premier par l’ophtalmologiste ou l’orthoptiste.



Ophtalmoplégie internucléaire

L’atteinte la plus fréquente est l’ophtalmoplégie internucléaire (fig. 14-3 et 14-4) caractérisée par l’atteinte isolée de l’adduction lors des mouvements latéraux, la convergence étant respectée quand la lésion n’atteint pas les pédoncules cérébraux : le patient se plaint soit d’une gêne lors des saccades horizontales dans les formes débutantes soit d’une diplopie fugace dans les formes plus avancées. L’examen retrouve lors des mouvements horizontaux une lenteur d’adduction unilatérale ou bilatérale selon l’importance de la lésion, les yeux ne présentant pas de déviation horizontale en position primaire contrairement à une atteinte du noyau du III. Sur l’œil controlatéral au globe dont l’adduction est limitée, c’est-à-dire sur l’œil en abduction, on observe des secousses nystagmiques (nystagmus de Harris). L’ophtalmoplégie internucléaire peut être unilatérale ou bilatérale. Son étiologie chez un sujet jeune est en général une sclérose en plaques, alors que chez un sujet plus âgé les causes vasculaires ou tumorales prédominent. La lésion est située sur le faisceau longitudinal médian ipsilatéral au déficit d’adduction.





Syndrome « un et demi » de Fischer

Le syndrome « un et demi » (fig. 14-5) associe une paralysie de latéralité dans un sens et une paralysie de l’adduction dans l’autre sens : l’œil ipsilatéral à la lésion n’a plus de mouvements horizontaux et l’œil controlatéral n’effectue qu’un mouvement d’abduction. La lésion englobe le noyau du VI et le faisceau longitudinal médian. L’étiologie est vasculaire ou tumorale.




Paralysie dite « des deux élévateurs »

En règle générale, il s’agit d’un enfant adressé pour ptosis unilatéral chez lequel on découvre sur cet œil un déficit d’élévation à peu près identique en adduction et en abduction (fig. 14-6). Lorsque l’œil paralysé fixe, il se place en position primaire faisant disparaître le ptosis ou le réduisant considérablement, le ptosis étant dÛ à l’hypotropie du globe paralysé. Il existe une forme minime sans ptosis avec simplement un déficit unilatéral d’élévation. En fait, il s’agit vraisemblablement d’une atteinte congénitale du noyau du droit supérieur (controlatéral à l’œil atteint) qui est le principal élévateur de l’œil, l’oblique inférieur étant essentiellement extorseur et élévateur accessoire en adduction. Le signe de Charles Bell est présent, contrairement à une paralysie du III. Il s’agit donc d’une paralysie monoculaire de l’élévation.



Devant tout ptosis, un déficit d’élévation conduit à régler chirurgicalement en premier l’hypotropie et en second un éventuel ptosis résiduel, inverser cette séquence expose à une exposition cornéenne délétère.



TROUBLES DE L’OCULOMOTRICITÉ HORIZONTALE


Les paralysies centrales du regard horizontal indiquent une lésion au niveau de la protubérance ; les déviations horizontales du regard entraînant une position anormale de la tête impliquent des structures plus dispersées dans le système nerveux central.


La paralysie du regard horizontal comprend :



Quand cette atteinte intéresse les saccades et le réflexe oculocéphalique, il existe une lésion du noyau du VI ipsilatéral au déficit d’abduction. En fait, l’atteinte isolée est rare car la lésion inflammatoire ou vasculaire intéresse également les fibres radiculaires du nerf facial toutes proches, une paralysie faciale périphérique ipsilatérale est donc rapidement associée.


Quand il existe une atteinte bilatérale des noyaux du VI, la paralysie du regard horizontal est bilatérale. Le tableau se présente souvent en deux temps, une ophtalmoplégie internucléaire ouvrant le tableau clinique.



TROUBLES DE L’OCULOMOTRICITÉ VERTICALE


Les déficits de l’oculomotricité verticale impliquent des lésions bilatérales ou médianes du tronc cérébral. Quand l’oculomotricité horizontale est préservée, la lésion se situe au niveau du mésencéphale.





Syndromes de Parinaud

Sous ce terme, on regroupe les atteintes des saccades vers le haut et/ou le bas ; le réflexe oculocéphalique vertical est respecté dans tous les cas. La lésion se situe à la jonction méso-diencéphalique.


Lorsque la paralysie atteint simultanément le regard vers le haut et le bas ou uniquement le regard vers le bas, l’atteinte est bilatérale, comme dans la paralysie supranucléaire progressive (maladie de Steele-Richardson-Olszewski) où existe une dégénérescence des noyaux riFLM (noyaux rostraux interstitiels du faisceau longitudinal médian).


Quand la paralysie n’existe que vers le haut, l’atteinte est unilatérale au niveau ou près de la commissure postérieure. Ce tableau clinique, plus fréquent, témoigne de lacunes, de lésions inflammatoires ou tumorales. En raison de la situation de la lésion dans la partie haute du tronc cérébral, une paralysie du IV peut être associée.





image ATTEINTES OCULOMOTRICES DES HÉMISPHÈRES CÉRÉBRAUX


On observe une déviation conjuguée des yeux mais les réflexes oculocéphaliques sont conservés. Ces atteintes se rencontrant dans des phases aiguës sont en général du ressort du réanimateur ou du neurologue, elles témoignent de l’étendue des lésions hémisphériques et sont associées à des déficits sensitivomoteurs des membres en sens opposé. Mais on peut observer des déviations séquellaires des yeux responsables d’une position compensatrice de la tête, très inesthétique et éprouvante pour le patient, du côté de la paralysie de fonction. Il s’agit de séquelles soit neurochirurgicales soit infectieuses. Ces patients peuvent être grandement soulagés par une chirurgie oculomotrice de type Kestenbaum-Anderson. Si le patient a une déviation permanente des yeux vers la gauche, l’œil droit qui est en adduction dans l’orbite aura un renforcement du droit latéral et un affaiblissement du droit médial et l’œil gauche qui est en abduction dans l’orbite aura un renforcement du droit médial et un affaiblissement du droit latéral. Les quantités de chirurgie sont fonction de l’importance du torticolis.



APRAXIE OCULOMOTRICE


Les saccades et la poursuite horizontales sont absentes. Seul le réflexe oculocéphalique permet au patient d’explorer son environnement. En déplaçant sa tête latéralement, il entraîne le déplacement de ses globes oculaires.





ANOMALIES DE LA VERGENCE



Anomalies de la convergence

Elles se présentent soit sous forme de paralysie soit sous forme de spasme.


Lorsque le déficit de convergence est isolé, en règle il n’implique pas de pathologie grave sous-jacente mais, parfois, il peut précéder l’installation de signes témoins de lésions neurologiques graves.


Cliniquement, le patient se plaint de diplopie dans le regard de près. En cas de déficit neurologique, l’examen retrouve une difficulté de convergence, l’adduction étant normale, avec le respect de l’accommodation et du myosis dans la vision de près. Devant ce tableau, il faut rechercher un déficit d’élévation voire un nystagmus retractorius observé sur un patient examiné de profil.


Le spasme de convergence pathologique est le témoin d’une atteinte bilatérale mésencéphalique ou mésodiencéphalique et s’accompagne de myosis.



Anomalies de la divergence

Cliniquement, on observe une ésophorie associée à une diplopie en vision de loin.


Cette entité est controversée quant à un centre de la divergence, mais il semblerait davantage s’agir de réseaux neuronaux dispersés dans le tronc cérébral [61].





Paralysie du nerf oculomoteur (III)


Ch. Costet


Le nerf oculomoteur, ou III (ancien nerf moteur oculaire commun), innerve extrinsèquement les muscles droit supérieur, droit médial, droit inférieur, oblique inférieur, releveur de la paupière supérieure, et intrinsèquement par ses fibres parasympathiques, le sphincter de l’iris et le muscle ciliaire. La complexité de cette innervation explique les tableaux cliniques multiples des paralysies du nerf oculomoteur, paralysies oculomotrices les plus fréquentes après celles de la sixième paire crânienne. Un examen clinique initial soigneux doit permettre d’effectuer un diagnostic positif rapide et d’orienter les examens complémentaires : l’analyse de l’atteinte pupillaire est capitale pour rechercher un anévrysme de l’artère communicante postérieure, dont la rupture peut engager le pronostic vital.



image RAPPEL ANATOMIQUE


Le noyau du nerf oculomoteur (fig. 14-7), situé en position para-médiane au niveau du tegmentum mésencéphalique, est en réalité composé de plusieurs noyaux, chacun innervant un muscle propre [81]. Le noyau dorsal innerve le muscle droit inférieur, le noyau ventral le droit médial, le noyau intermédiaire l’oblique inférieur, le noyau médian le droit supérieur, le noyau caudal central le releveur de la paupière supérieure, et le noyau d’Edinger-Westphal assure l’innervation parasympathique. Chaque noyau est double et innerve son muscle ipsilatéralement, à deux exceptions près :




Ces particularités anatomiques expliquent l’aspect clinique spécifique des paralysies nucléaires du nerf oculomoteur.


Les fibres du III, issues de l’ensemble des noyaux d’un côté et du noyau médian controlatéral, se rassemblent pour émerger à la partie antérieure du tronc cérébral, au niveau de la fosse interpédonculaire.


À ce niveau, elles entrent en rapport avec le polygone de Willis, avec possibilité de compression anévrysmale. Après avoir traversé la citerne interpédonculaire, elles cheminent le long de la tente du cervelet et pénètrent le toit du sinus caverneux. Dans ce trajet, le nerf oculomoteur est accolé sous le lobe temporal, expliquant qu’il puisse être étiré ou comprimé en cas d’engagement temporal — mydriase due à la souffrance des fibres iridoconstrictives, les plus supérieures. Les fibres du nerf oculomoteur parcourent ensuite la partie latérale du sinus caverneux et se divisent en deux branches au niveau de la fente sphénoïdale avant de pénétrer dans l’orbite :




image DIAGNOSTIC CLINIQUE


La paralysie du nerf oculomoteur a des aspects cliniques multiples. L’examen séméiologique doit déterminer précisément le trouble oculomoteur (atteinte extrinsèque) et la présence d’une atteinte pupillaire (atteinte intrinsèque). La paralysie peut être complète ou partielle [47]. Des signes de régénération aberrante ou des paralysies d’autres paires crâniennes rendent parfois le tableau encore plus complexe.





PARALYSIE COMPLÈTE


Le patient se présente avec un ptosis complet, une exotropie de grand angle (conservation du tonus du muscle droit latéral), une hypotropie (préservation de la fonction d’abaissement du muscle oblique supérieur), une incyclotorsion (conservation du tonus de l’oblique supérieur) (fig. 14-8). L’analyse de la préservation de la fonction du muscle oblique supérieur peut nécessiter une étude des mouvements des vaisseaux conjonctivaux en biomicroscopie [23]. Il existe une paralysie de l’adduction (droit médial), de l’élévation (droit supérieur et oblique inférieur), de l’abaissement (droit inférieur).



Une atteinte intrinsèque associée se traduit par une mydriase aréflexique et une paralysie de l’accommodation.



PARALYSIE PARTIELLE


L’atteinte extrinsèque partielle peut correspondre soit à un déficit global modéré de tous les éléments oculomoteurs, soit à un déficit limité à quelques éléments.




L’atteinte intrinsèque éventuellement associée peut aller de la mydriase aréflexique à une simple anisocorie, que seul un examen soigneux du réflexe oculomoteur peut mettre en évidence.



SIGNES DE RÉGÉNÉRATION ABERRANTE


Une rétraction palpébrale supérieure lors des mouvements d’adduction ou d’abaissement du globe, un myosis paradoxal (vidéo 14-4) peuvent apparaître en période de récupération de la paralysie. Ces phénomènes sont particulièrement retrouvés dans les contextes traumatiques, compressifs ou chez l’enfant. Ils sont exceptionnels dans le cadre d’une paralysie étiquetée ischémique.image




PARALYSIE NUCLÉAIRE DU NERF OCULOMOTEUR


Des particularités anatomiques du noyau du nerf oculomoteur découle l’aspect clinique de son atteinte (vidéo 14-5) : paralysie complète du nerf oculomoteur du côté atteint, associée à une paralysie controlatérale de l’élévation (décussation seulement des fibres destinées au muscle droit supérieur), association possible unilatérale ou bilatérale d’un ptosis et/ou d’une mydriase (proximité des noyaux du releveur de la paupière supérieure et d’Edinger-Westphal).image



image DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE


La paralysie du nerf oculomoteur survient soit dans un contexte neurologique grave avec orientation diagnostique (cf. supra), soit de manière en apparence isolée. Dans ce cas, l’atteinte pupillaire et l’âge sont au cœur de la réflexion étiologique : il est fondamental de savoir diagnostiquer en urgence un anévrysme compressif, pouvant mettre en jeu le pronostic vital [38].



ÉLIMINER UNE COMPRESSION ANÉVRYSMALE


Les rapports anatomiques du nerf oculomoteur avec le polygone de Willis expliquent que le nerf soit particulièrement exposé à une compression par un anévrysme de la région : un anévrysme de l’artère communicante postérieure se manifeste dans près de la moitié des cas par une paralysie isolée du nerf oculomoteur. La fréquence de l’atteinte pupillaire (un tiers des cas) est due à la position superficielle, dorsomédiale, des fibres pupillomotrices au sein du nerf oculomoteur, ce qui les rend vulnérables à une compression dans l’espace sous-arachnoïdien.


La prise décisionnelle en urgence d’explorations neurovasculaires est aidée par la règle des cinq « P » (cf. encadré).




Des arbres décisionnels diagnostiques ont été proposés depuis 2002 dans la littérature [11, 12, 38] (fig. 14-10). Ils reposent sur deux critères principaux, l’atteinte pupillaire et l’âge du sujet.






AUTRES CAUSES


L’atteinte ischémique est, pour la plupart des auteurs [44, 65], la cause la plus fréquente de paralysie du nerf oculomoteur chez l’adulte, notamment sur terrain vasculaire (diabète, hypertension artérielle, tabagisme, sujet âgé). L’ischémie touche les vaisseaux nutritifs destinés à la partie centrale du tronc du nerf oculomoteur, porteuse des fibres motrices extrinsèques, et peut épargner les fibres pupillomotrices plus périphériques : il en résulte une paralysie volontiers complète extrinsèque, avec le plus souvent épargne pupillaire. La paralysie nucléaire du nerf oculomoteur est également le plus souvent d’origine vasculaire.


Le traumatisme est une deuxième cause fréquente de paralysie du nerf oculomoteur [34], tant chez l’adulte que chez l’enfant.


En l’absence d’autre cause, il faut savoir évoquer une fistule carotido-caverneuse.


Les compressions tumorales malignes (primitives ou métastatiques) et bénignes (méningiomes) sont moins fréquentes : le tableau est souvent indolore, plus progressif que celui de la compression anévrysmale. Une aggravation ou l’apparition d’innervations paradoxales chez un patient porteur d’une paralysie du nerf oculomoteur, initialement étiquetée ischémique, doivent pousser à revoir le diagnostic.


Les causes inflammatoires ou infectieuses, suspectées devant un tableau clinique particulier, relèvent d’un bilan spécifique (polyneuropathie de Guillain-Barré, méningite infectieuse, lymphomateuse ou carcinomateuse).


La migraine ophtalmoplégique est un diagnostic d’élimination, à ne poser qu’après un bilan neuroradiologique complet. Elle se manifeste le plus souvent par une ophtalmoplégie récidivante douloureuse, pouvant être précédée par un ptosis, et survenant généralement du même côté. L’âge moyen d’apparition est quinze ans, mais elle peut toucher l’enfant plus jeune ou l’adulte. Chez l’enfant, le principal diagnostic différentiel est la compression du nerf oculomoteur par une tumeur de la fosse postérieure.



image PARALYSIE CONGÉNITALE DU NERF OCULOMOTEUR


Rare, elle représente cependant plus d’un tiers des cas de paralysies du nerf oculomoteur chez l’enfant [50], devançant les causes traumatiques, infectieuses, tumorales et, exceptionnellement, vasculaires. Généralement unilatérale isolée, elle s’accompagne très fréquemment de signes de régénération aberrante (myosis, syncinésies palpébrales) (fig. 14-11 et vidéo 14-6).image



Les mécanismes impliqués sont multiples : traumatisme à la naissance (forceps), hypoxie néonatale, agénésie ou hypoplasie du nerf oculomoteur pouvant être mise en évidence en IRM à haute résolution [41].



image PRINCIPES DE PRISE EN CHARGE


La gestion d’une étiologie neurologique, si besoin en urgence (anévrysme), est bien entendu primordiale.


Sur le plan strabologique, la récupération spontanée d’une paralysie du nerf oculomoteur peut être très lente, avec possibilité de survenue de phénomènes de régénération aberrante, compliquant le tableau clinique. Elle est bonne sur terrain ischémique, plus difficile dans les suites d’un traumatisme ou d’une étiologie compressive.


Le traitement chirurgical ne sera à envisager qu’après la phase classique de prise en charge médicale (occlusion, prismes), associée si besoin à des injections de toxine botulique, après plusieurs mois de stabilité de l’état oculomoteur (au moins six à douze mois après le début de la paralysie).







Paralysie du nerf trochléaire (IV)


G. Klainguti, P.-F. Kaeser


Le IVe nerf crânien (nerf trochléaire) émerge sur la face dorsale du tronc cérébral, qu’il contourne après décussation (fig. 14-12). Cette particularité anatomique le rend particulièrement vulnérable. De toutes les paralysies oculomotrices, la paralysie du nerf trochléaire est la paralysie oculomotrice la plus fréquemment rencontrée par l’ophtalmologiste. Elle est pourtant souvent sous-diagnostiquée parce que les déficits moteurs qu’elle entraîne sont moins visibles que ceux que provoquent les autres paralysies oculomotrices. La paralysie du muscle oblique supérieur provoque une déviation verticale et torsionnelle avec diplopie et, à terme, une hyperfonction du muscle antagoniste direct, l’oblique inférieur. Elle s’exprime par des symptômes très différents selon qu’elle est modérée (parésie) ou marquée (paralysie), congénitale ou acquise, unilatérale ou bilatérale (tableau 14-I).





image MÉTHODES D’EXAMEN



TEST DE BIELSCHOWSKY-NAGEL


La positivité du test de Bielschowsky-Nagel d’inclinaison céphalique apporte la réponse pathognomonique [5, 56]. Le test repose sur la stimulation otolithique engendrée par l’inclinaison qui déclenche une innervation accrue des muscles incyclorotateurs, l’oblique supérieur et le droit supérieur. L’oblique supérieur n’étant pas en mesure de contrebalancer l’action verticale du droit supérieur, le globe oculaire se place en hypertropie. Parks a intégré ce test dans une batterie en trois temps qui permet, devant toute déviation verticale, d’identifier le muscle paré-tique [58].




VERRES DE MADDOX


Les verres de Maddox (fig. 14-13, a, b et c) permettent la mesure de la cyclotorsion en position primaire [36] sachant qu’une déviation en excyclotorsion de l’œil droit provoque pour le sujet la perception d’une inclinaison antihoraire de la ligne horizontale.



PAROI TANGENTIELLE DE HARMS


La paroi tangentielle de Harms [24, 70] (fig. 14-13e) repose sur le principe de la confusion et de la dissociation par un verre rouge sombre. Ce dispositif permet de mesurer simultanément, en degrés, les déviations horizontale, verticale et torsionnelle, à une distance de 2,5 ou 3 mètres. Les mesures sont effectuées dans toutes les directions du regard, les versions étant obtenues par déplacement contrôlé de la tête, l’axe de l’œil fixateur demeurant perpendiculaire à la paroi.




image COMMENT DIFFÉRENCIER LES PARALYSIES DU NERF TROCHLÉAIRE ?


Cf. tableau 14-I.




Paralysie congénitale

Présente dès la naissance (fig. 14-14), elle peut cependant demeurer compensée par la fusion verticale durant de nombreuses années et ne se révéler qu’à l’âge adulte. L’amplitude de fusion verticale, normalement comprise entre 3 Δ et 6 Δ, peut ici atteindre des valeurs de 10 Δ à 25 Δ [66], allant jusqu’à neutraliser le signe de Bielschowsky (fig. 14-14, c et d). La décompensation n’est pas soudaine mais apparaît progressivement, favorisée par la fatigue, l’approche de la presbytie, la pénombre, par la prise de médicaments psychotropes et, parfois, par un traumatisme mineur qui peut faire soupçonner à tort une parésie acquise. L’hyperfonction du muscle antagoniste direct, l’oblique inférieur, est toujours présente. La déviation verticale est fortement latéralisée dans la zone d’adduction de l’œil atteint, le patient adoptant un torticolis en rotation horizontale de la tête qui lui permet de fixer en abduction de l’œil parétique, dans un secteur où la déviation verticale est absente ou maîtrisée par la fusion. La déviation torsionnelle en excyclotorsion est uniformément présente dans toutes les directions du regard, mais elle joue un rôle subjectif mineur et la gêne principale est constituée par la déviation verticale.




Parésie récemment acquise, unilatérale

Elle se caractérise par une déviation verticale et torsionnelle dans le regard inférieur, la gêne principale se situant en adduction inférieure de l’œil parétique (fig. 14-15). Pour y remédier, le patient adopte un torticolis tridimensionnel qui privilégie le regard en haut et en abduction de l’œil atteint, menton abaissé, tête tournée et inclinée du côté opposé à la parésie. L’hyperfonction de l’oblique inférieur homolatéral fait défaut et le déficit moteur est peu visible à l’examen des versions. Le signe de Bielschowsky est présent et constant. La gêne est constituée par la déviation verticale et la déviation torsionnelle.




Parésie acquise bilatérale

La déviation verticale en position primaire est faible, voire nulle, et n’apparaît que dans les regards latéraux (fig. 14-16). En revanche, la déviation torsionnelle est très marquée, déjà présente en position primaire et augmentant fortement en regard inférieur, où les valeurs d’excyclotorsion peuvent atteindre 20°. L’incomitance en « V », très marquée, entraîne une ésotropie visible en regard inférieur. Le patient adopte une position de tête caractéristique menton abaissé, qui lui permet de fixer regard levé, où les déviations sont minimales. La gêne subjective est marquée dans toute situation qui exige le regard inférieur, lecture, descente des escaliers, par exemple. Le signe de Bielschowsky, s’il est recherché regard en bas, est présent lors de l’inclinaison de la tête sur chaque côté. Si la parésie est fortement asymétrique, il peut arriver que la parésie la plus forte masque la symptomatologie située du côté le plus faiblement atteint, celle-ci pouvant se révéler après le traitement chirurgical de la première. Cette situation appelée « parésie masquée » peut souvent être suspectée par la présence d’une forte excyclotorsion.




image ÉTIOLOGIE


Le nerf trochléaire peut être atteint au niveau de son noyau, dans l’espace sous-arachnoïdien, dans le sinus caverneux, dans l’orbite, et jusqu’à la jonction neuromusculaire [37].








image CONDUITE À TENIR ET TRAITEMENT


Toute paralysie du nerf trochléaire récemment apparue et non corrélée avec un traumatisme crânien doit être investiguée. La tension artérielle, la glycémie et la vitesse de sédimentation font partie des examens de routine, suivis du bilan neuroradiologique avec IRM cérébro-orbitaire.


La plupart des parésies acquises du IV s’améliorent ou même guérissent spontanément. Les parésies d’origine vasculaire, plus fréquentes en cas de diabète ou d’hypertension artérielle, ont une tendance à récupérer spontanément, de même que les parésies traumatiques si le nerf n’a pas été sectionné. Il arrive qu’une parésie bilatérale ne récupère que d’un côté, donnant au patient l’impression d’une aggravation lors de l’apparition de la déviation verticale en position primaire.


La place du traitement prismatique est très réduite en raison de la forte incomitance de la déviation verticale et de la torsion. La rééducation orthoptique ne repose sur aucune preuve scientifique et n’est pas indiquée.


L’injection de toxine botulique dans l’oblique inférieur homolatéral ou le droit inférieur controlatéral a été décrite [25] mais a l’inconvénient de ne fournir qu’un effet transitoire.


Le traitement chirurgical, très efficace, ne s’envisage que sur un tableau clinique stable, après un délai de douze mois. Il vise à réduire les déviations verticales et torsionnelles par affaiblissement de l’oblique inférieur, raccourcissement de l’oblique supérieur, ou combinaison des deux. L’affaiblissement du synergiste opposé, le droit inférieur, est également proposé [27, 33, 45, 64].





Paralysie du nerf abducens (VI)


A. Sauer, C. Speeg-Schatz


La paralysie du nerf abducens (VI) est la plus fréquente des paralysies oculomotrices. Le nerf abducens innerve un seul muscle oculomoteur : le droit latéral. La paralysie du nerf abducens entraîne un déficit ou une paralysie de l’abduction, à l’origine d’une diplopie binoculaire horizontale.





image DIAGNOSTIC CLINIQUE


La paralysie du nerf abducens se caractérise par une atteinte du muscle droit latéral, empêchant l’abduction de l’œil paralysé. Parallèlement, le muscle antagoniste, le droit médial, devient dominant et entraîne un strabisme paralytique convergent, ou ésotropie. Au verre rouge, la diplopie binoculaire est de type homonyme (non croisée) horizontale, augmentant dans le regard latéral du côté atteint et de loin. Un torticolis est retrouvé tête tournée du côté paralysé.


Le test de Lancaster est un test rouge-vert qui permet de faire le diagnostic de l’œil et des muscles paralysés et de reconnaître les hyperactions musculaires secondaires à la paralysie, Il consiste en un relevé graphique de l’oculomotricité dans les différentes positions du regard. L’œil paralysé a un cadre plus petit que la normale (par hypoaction du muscle paralysé), l’œil controlatéral a un cadre plus grand que la normale (par hyperaction de l’agoniste controlatéral suivant la loi de Hering). Ainsi, dans une paralysie du nerf abducens, le cadre sera plus petit dans le champ temporal de l’œil atteint par rapport au côté sain (fig. 14-17).



L’examen clinique sera complété par un examen neurologique complet comprenant une analyse systématique de l’ensemble des paires crâniennes et par un examen ophtalmologique, notamment un fond d’œil recherchant un œdème papillaire associé [12, 22, 72].



image FORMES CLINIQUES


On distingue habituellement les formes congénitales des formes acquises [12, 22, 72].


Les paralysies congénitales du nerf abducens sont rares, assez souvent bilatérales, et s’intègrent dans des formes syndromiques complexes. Les deux formes les plus classiques sont le syndrome de Möbius et le syndrome de Stilling-Duane [39].


Le syndrome de Möbius associe une diplégie faciale, une paralysie bilatérale de l’abduction et souvent des anomalies générales (malformations des extrémités, atteintes des dernières paires crâniennes, retard mental). Dans la majorité des cas, le syndrome de Möbius résulte d’anomalies vasculaires prénatales du tronc cérébral [48].


Le syndrome de Stilling-Duane est une atteinte congénitale du nerf abducens liée à une agénésie complète ou partielle du noyau et du tronc du nerf abducens, associée à une innervation aberrante du droit latéral par des fibres destinées au droit médial. Le tableau clinique comporte du même côté une paralysie de l’abduction et une rétraction du globe lors de l’adduction. La fente palpé-brale s’élargit lors de l’abduction en raison de la contraction des obliques. Elle se rétrécit en adduction par une rétraction du globe dans l’orbite liée à l’association de la co-contraction des deux droits horizontaux et de l’effet « corde de rappel » du droit latéral fibrosé.


Le syndrome de Stilling-Duane est habituellement décrit comme un syndrome de restriction (cf. infra) et un diagnostic différentiel des paralysies du nerf abducens, mais il est en fait une atteinte congénitale du nerf abducens. Il atteint plus souvent les filles et l’œil gauche. La majorité des cas sont sporadiques, mais des formes héréditaires sont rapportées dans la littérature et plusieurs mutations sont impliquées. Des anomalies associées sont présentes chez un quart des patients environ [28].



image ÉTIOLOGIE DES PARALYSIES DU NERF ABDUCENS


Chez l’enfant (vidéo 14-7), on évoquera principalement les causes congénitales, traumatiques et tumorales. image


Les principales causes chez l’adulte comprennent les maladies vasculaires, les traumatismes et les tumeurs.


Des atteintes isolées transitoires sont retrouvées aussi au cours des maladies infectieuses, fébriles et après vaccinations. Les hypertensions intracrâniennes primaires ou secondaires sont souvent responsables d’une paralysie du nerf abducens bilatérale car ce nerf présente un trajet long à la base du crâne, sensible aux variations de pression cérébrale. D’autres signes cliniques comme un œdème papillaire de stase bilatéral, des acouphènes et des éclipses visuelles sont alors souvent retrouvés.


Dans les atteintes nucléaires, on retrouve souvent une atteinte d’une ou plusieurs autres paires crâniennes et une paralysie de la latéralité du regard. Les causes sont principalement ischémiques, tumorales ou par démyélinisation.


L’atteinte du nerf abducens dans l’espace sous-arachnoïdien est dite « non localisatrice ». Des étiologies variées sont évoquées : inflammatoires (sclérose en plaques, lupus ou sarcoïdose), tumorales, traumatiques et infectieuses (maladie de Lyme, syphilis…).


Dans le sinus caverneux, la sémiologie est souvent plus riche, avec des associations à un syndrome de Claude Bernard-Horner homolatéral, une paralysie du III et/ou du IV ou une atteinte du trijumeau. Les causes sont diverses : tumorales, vasculaires (thromboses et anévrysmes de la carotide interne, fistules carotidocaverneuses), ischémiques (maladie de Horton et diabète), inflammatoires (sarcoïdose, tuberculose et syndrome de Tolosa-Hunt), infectieuses et traumatiques [12, 22, 72].




image CONDUITE À TENIR DEVANT UNE PARALYSIE ACQUISE DU NERF ABDUCENS


Chez l’enfant, les examens complémentaires doivent avant tout éliminer une tumeur intracrânienne. Une IRM cérébrale ou, à défaut, un scanner doit être pratiqué(e) dans les meilleurs délais. Si l’imagerie cérébrale est normale, une ponction lombaire à la recherche d’une cause infectieuse ou inflammatoire sera indiquée [12, 39, 72].


Chez l’adulte de moins de cinquante ans, en cas d’atteinte non traumatique isolée du nerf abducens, il est nécessaire de pratiquer un bilan neuroradiologique. S’il est négatif, des examens sanguins à la recherche d’un syndrome inflammatoire et une consultation neurologique avec ponction lombaire sont demandés [22, 26, 72].


Après cinquante ans, la maladie de Horton doit être recherchée (vitesse de sédimentation en urgence) et un bilan cardiovasculaire est réalisé afin d’éliminer les facteurs de risque, comme une hypertension artérielle ou un diabète. En dehors de ces causes, l’atteinte du nerf abducens isolée, le plus souvent d’origine vasculaire, se résout généralement en six à huit semaines et ne nécessite pas d’exploration supplémentaire. Il n’y a pas d’indication à un bilan neuroradiologique [22, 26, 72].


Les atteintes bilatérales imposent un bilan neuroradiologique. En cas de normalité, une ponction lombaire avec prise de pression à la recherche d’une hypertension intracrânienne est indiquée [72].

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May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 14: Désordres oculomoteurs neurogènes et myogènes

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