Chapitre 20. Les effets des médicaments sur les différents aspects des fonctions sexuelles
Les effets des médicaments psychiatriques sur la sexualité féminine222
Les antiaphrodisiaques228
Les dysfonctionnements sexuels permanents induits par les ISRS229
Appendice 20.1 : Questionnaire concernant le fonctionnement sexuel masculin230
Appendice 20.2 : Questionnaire concernant le fonctionnement sexuel feminin232
LES EFFETS DES MÉDICAMENTS SUR LA SEXUALITÉ MASCULINE
La puissance sexuelle
Le facteur principal qui détermine la puissance sexuelle est l’apport sanguin dans les corps caverneux de la verge. Celui-ci augmente durant l’activité sexuelle et produit une tumescence de la verge. Un gonflement similaire du clitoris chez la femme pourrait s’observer. Tout ce qui peut interférer avec ou stimuler ce mécanisme va respectivement compromettre ou améliorer la performance. C’est à ce niveau qu’agit le sildénafil (Viagra®), le traitement de l’impuissance masculine qui domine le marché actuellement.
Les systèmes sympathique et parasympathique
Les fonctions automatiques de notre corps sont contrôlées par deux systèmes : le sympathique et le parasympathique. Les catécholamines, adrénaline et noradrénaline, produites par les surrénales, activent le système sympathique via les récepteurs α et β.
L’augmentation ou la diminution du flux sanguin peut être obtenue en stimulant ou en bloquant divers récepteurs sur lesquels agit la noradrénaline, que ce soit au niveau du pénis, du vagin ou du cerveau [7, 8]. Le flux sanguin dans la verge est essentiellement contrôlé par ce système. Le système sympathique sera plutôt impliqué dans les réponses « psychogènes » telles que la lubrification et la tumescence en réponse à des stimuli sexuels.
La plupart des antidépresseurs tricycliques, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la noradrénaline (ISRS) tels que la réboxétine et certains antipsychotiques sont responsables de difficultés sexuelles par leur action agoniste sur ces récepteurs α1 qui réduit l’apport sanguin dans la verge par un effet vasoconstricteur. Ces problèmes peuvent être transitoires ou de longue durée tant chez les hommes que chez les femmes. Une éjaculation rétrograde peut aussi se produire par ce même mécanisme. L’incidence de ce problème avec les antipsychotiques est mal connue. Il a souvent été décrit avec la thioridazine lorsqu’elle était largement utilisée. L’impact sur la puissance sexuelle doit être distingué de celui qu’ont les antidépresseurs et les antipsychotiques sur la libido.
De nombreuses substances utilisées pour le contrôle de la pression sanguine, telles que la clonidine (agoniste α2 adrénergique), la guanéthidine et le méthyldopa, peuvent diminuer la production de noradrénaline et en conséquence réduire la vasodilatation des vaisseaux sanguins.
Les effets des produits actifs sur les récepteurs α-adrénergiques sont généralement contrecarrés par les substances actives sur les récepteurs β-adrénergiques. On pourrait dès lors s’attendre à ce que les bêtabloquants, tels que le propranolol, interfèrent avec la puissance sexuelle. C’est de fait ce que l’on peut observer, mais plutôt rarement, puisqu’il y a beaucoup plus de récepteurs β-adrénergiques que de récepteurs α-adrénergiques dans les tissus des organes sexuels.
L’action du système parasympathique est modulée par l’acétylcholine (ACh). Il est quant à lui responsable des réponses sexuelles involontaires, de l’augmentation et la diminution de la tumescence rythmique au cours de la journée et de la nuit.
Les antidépresseurs et les antipsychotiques peuvent donc affecter les aspects rythmiques et non rythmiques via leurs effets anticholinergiques.
Le rôle du système cholinergique dans la fonction érectile et les autres fonctions sexuelles est moins bien connu que celui des systèmes monoaminergiques. On a répertorié une série de cas de dysfonctionnements sexuels imputables à différents médicaments qui répondent favorablement à la prescription d’un agoniste cholinergique, le béthanéchol (Myocholine®). Ce produit semble également avoir un intérêt dans l’impuissance ou les difficultés d’érection causées par des atteintes de la colonne lombaire. Ceci serait dû au fait que les nerfs parasympathiques des régions sexuelles proviennent des régions sacrées de la moelle épinière. Le béthanéchol pourrait aussi résoudre les problèmes érectiles causés par les antidépresseurs ou les antipsychotiques.
D’un autre côté, les effets bénéfiques de ce produit nous amènent à considérer que les médicaments anticholinergiques, très utilisés en pratique, pourraient également produire des dysfonctionnements sexuels. Ils pourraient, en effet, être responsables d’un appauvrissement des sécrétions sexuelles produites durant l’excitation qui servent de lubrifiant chez l’homme comme chez la femme, ce qui rend le rapport sexuel moins confortable.
Une plus grande attention sur le rôle du système cholinergique s’impose d’autant plus que les inhibiteurs de la cholinestérase sont de plus en plus souvent prescrits pour améliorer les troubles cognitifs. Ces médicaments étaient auparavant prescrits chez des patients déments qui avaient peu l’occasion de décrire l’impact ressenti sur leurs fonctions sexuelles. Maintenant qu’ils sont prescrits sur une base expérimentale à un autre type de personnes, pour traiter les effets d’un traumatisme crânien par exemple, ces effets pourraient devenir plus apparents. Il semble à l’heure actuelle que des médicaments tels que le donézépil, la rivastigmine ou la galantamine pourraient également être utilisés dans le traitement de dysfonctionnements érectiles.
Les effets sur l’éjaculation et l’orgasme
Alors que les réponses érectiles dépendent principalement de l’action de la noradrénaline sur ces récepteurs, l’éjaculation et l’orgasme dépendent surtout des systèmes dopaminergique et sérotoninergique. Bien qu’ils ne soient pas directement responsables de l’érection, les effets négatifs sur ces systèmes peuvent, néanmoins, entraver les réponses érectiles et diminuer les réponses éjaculatoires et orgasmiques.
Le développement des ISRS et la prise de conscience des troubles sexuels qu’ils induisent ont participé à un regain d’intérêt pour ces questions et à une meilleure compréhension des différents mécanismes impliqués. En bref, la sérotonine inhibe le fonctionnement orgasmique. En pratique, les agonistes S^ tels que la buspirone ou la flibansérine, et les antagonistes S2, tels que la cyproheptadine et la yohimbine, facilitent l’orgasme, tandis que les antagonistes et les agonistes S2 comme le LSD le retardent. Il existe de nombreuses interactions entre les hormones sexuelles et la sérotonine dans ce domaine. Les hormones sexuelles produisent leurs effets par une action sur l’augmentation ou la diminution de la synthèse de la sérotonine tandis que la sérotonine, en retour, ne donne son plein effet que dans un milieu hormonal normal [4].
On estime actuellement que les ISRS et beaucoup d’autres antidépresseurs qui ont des effets sur la recapture de la sérotonine, tels que l’imipramine ou la clomipramine, sont responsables d’un dysfonctionnement éjaculatoire et orgasmique chez plus de 50 % des gens.
Mais d’un autre côté, si l’on en croit les arguments commerciaux des firmes pharmaceutiques, jusqu’à un tiers des hommes souffriraient d’éjaculation précoce qui pourrait être améliorée par la prise d’ISRS. Un ISRS à courte durée d’action, la dapoxétine, a été commercialisé uniquement pour cette indication. L’éjaculation précoce peut aussi être traitée par 10 mg de paroxétine ou 10 mg de clomipramine pris 1 à 2 h avant le rapport sexuel.
Un autre inconvénient des ISRS est le développement d’une hypoesthésie pénienne ou vaginale. Ceci entraînera un émoussement des sensations normales, ce qui peut inhiber la fonction éjaculatoire et orgasmique ou modifier la qualité des orgasmes.
La libido et les effets sur l’excitation
Les arguments qui plaident pour une telle répartition sont que la cocaïne, les stimulants et les agonistes dopaminergiques (la L-dopa, l’apomorphine, l’amantadine, le pergolide et la bromocriptine) qui, tous, potentialisent le système dopaminergique, augmentent la libido. À l’inverse, les produits qui bloquent les effets de la dopamine dans le cerveau, comme les antipsychotiques, altèrent le fonctionnement sexuel et diminuent la libido. Plus de 50 % des personnes qui prennent des antipsychotiques ressentiront de tels effets. La diminution de la libido semble dose-dépendante : plus la dose est importante, plus il y aura de répercussions sur le plan sexuel. Un antipsychotique, le benpéridol, a d’ailleurs été commercialisé pour gérer des problèmes d’excès de libido, d’excitation ou de puissance sexuelle, bien qu’il n’y ait aucun argument pour prétendre que ce produit ait des effets plus marqués ou plus ciblés sur la sexualité que les autres antipsychotiques.
Les effets des antagonistes de la dopamine sont complexes. Ils peuvent produire une action directe via le système dopaminergique, mais l’inhibition de ce système peut aussi causer une augmentation des taux de prolactine, ce qui va induire une aménorrhée, de la gynécomastie et une diminution de la libido. L’utilisation de la quétiapine, qui a des effets nettement moins marqués sur la prolactine, pourrait permettre de distinguer les contributions respectives de ces effets dopaminergiques directs et indirects sur les fonctions sexuelles.
Le rôle de la dopamine sur la libido et la puissance sexuelle explique l’ancien recours à l’apomorphine pour traiter ce type de problème. Cet agoniste de la dopamine a l’inconvénient de provoquer des nausées et des vomissements. Dans les années 1960, il était utilisé dans le but de « guérir » l’homosexualité. Le traitement consistait à exposer ces hommes à des images au contenu homosexuel tout en leur administrant de l’apomorphine pour induire des vomissements et un dégoût qui étaient censés réorienter le sujet vers l’hétérosexualité. Le traitement n’a jamais fonctionné, la vision du matériel exposé ayant plutôt tendance à augmenter le degré d’excitation homosexuelle. L’usage de ce produit a maintenant radicalement changé, puisqu’on l’utilise à petites doses pour augmenter la puissance sexuelle et la libido.
Les hormones sexuelles
Les hormones sexuelles sont un autre groupe de drogues ayant un effet sur la libido et parmi elles, en particulier, la testostérone. La testostérone augmente la libido tant chez les hommes que chez les femmes. Chez les femmes, ce sont les androgènes (les hormones sexuelles mâles) qui sont principalement responsables de la libido [5]. Les femmes sous pilule contraceptive peuvent ressentir une diminution de leur libido qui pourrait s’expliquer par un déséquilibre du rapport entre les estrogènes et les androgènes en défaveur des seconds. Ce rapport est le facteur déterminant principal, à la fois chez les hommes et chez les femmes, de l’incidence des effets indésirables des préparations hormonales. Les effets androgéniques peuvent inclure un intérêt et des initiatives excessives en matière de sexualité ou une masculinisation, une accentuation des caractéristiques sexuelles secondaires masculines telles que la pilosité faciale, par exemple. Depuis quelques décennies, la testostérone est utilisée pour augmenter la puissance sexuelle et la libido chez l’homme et depuis peu, cette pratique s’est étendue aux femmes.
D’autres hormones telles que les opiacés et donc la morphine, l’héroïne, la péthidine, etc. sont souvent associées à une chute de la libido. Néanmoins, l’utilisation isolée d’opiacés tels que la papavérine peut améliorer les performances sexuelles. On sait d’ailleurs qu’il y a des récepteurs à opiacés dans les tissus sexuels. Cette apparente contradiction s’explique probablement par l’effet particulier de l’usage chronique d’opiacés, qui mène à une dégradation générale de la santé et du statut nutritionnel. La chute de la libido ne serait donc pas due à un effet direct de ces produits mais secondaire. Elle serait causée par le déplacement des intérêts de la personne vers la prise d’opiacés et la sensation d’extinction des besoins (notamment sexuels) qu’apportent ces substances.
LES EFFETS DES MÉDICAMENTS PSYCHIATRIQUES SUR LA SEXUALITÉ FÉMININE
Les termes habituellement utilisés pour qualifier les troubles sexuels féminins furent longtemps la « dyspareunie » et l’« anorgasmie ». Ces termes ont été remplacés par le « trouble du désir sexuel hypoactif », le « trouble de l’excitation sexuelle », le « trouble de l’orgasme féminin » en parallèle avec les troubles sexuels masculins [5]. Les hommes et les femmes étant de ce fait supposés être pareils de ce point de vue.
Cependant, la médicalisation de ce qui est maintenant communément appelé le « dysfonctionnement sexuel féminin » (DSF) a été l’objet de critiques vives et d’ampleur croissante [9., 10., 11. and 12.]. De toute évidence, les firmes pharmaceutiques en collaboration avec des experts des milieux académiques ont vu un intérêt à la médicalisation de ce domaine. Des conférences de consensus sont organisées, dans lesquelles un point de vue unique est représenté. Des associations de patientes souffrant de DSF ont été créées de toutes pièces. Celles-ci ont alors exigé que des études soient réalisées afin de promouvoir une prise de conscience dans la sphère publique des aspects physiques de « cette nouvelle pathologie ». Il n’est pas rare de voir des articles dans la presse conseillant à des jeunes mères avec trois enfants en bas âge qui constatent une diminution de leur intérêt pour la sexualité de vérifier leur taux de testostérone. Les féministes et les sexologues ont été les premiers à s’opposer à cette médicalisation de la sexualité féminine. Au moment où un premier produit, l’Intrinsa® (de la testostérone à faible dose), vient de recevoir une autorisation de mise sur le marché pour les DSF, on peut encore se demander si la tentative de conquête de ce territoire ne risque pas de se transformer du point de vue de l’industrie pharmaceutique en un bourbier comparable à la retraite des armées napoléoniennes de Russie dans la plaine de la Bérézina.
De la même façon que chez les hommes, une série de mécanismes sont impliqués dans l’éjaculation et l’orgasme chez les femmes. Tandis que l’éjaculation en elle-même est un acte périphérique, elle est associée à un événement essentiellement central, l’orgasme. L’atteinte d’une fonction peut compromettre l’autre et il est difficile de séparer cette mécanique complexe des questions générales concernant la libido. Les médicaments qui diminuent la libido et la réponse tumescente pourraient également interférer avec l’orgasme et l’éjaculation [7, 8].
Malgré cette intrication, depuis l’extension de l’utilisation des ISRS, il est possible de distinguer plus nettement les fonctions érectile et orgasmique. L’effet le plus fréquent des ISRS sur le fonctionnement sexuel chez l’homme comme chez la femme est un retard de l’éjaculation. À côté de cela, il semble qu’il puisse y avoir également une modification de la qualité des orgasmes. Les estimations de la fréquence et de la sévérité avec laquelle ces effets se produisent sont variables, mais les données obtenues lors des essais cliniques suggèrent que plus de 80 % des individus qui prennent des ISRS ou de la clomipramine peuvent ressentir ce type de perturbations.
Lorsqu’ils sont utilisés à hautes doses, les ISRS et la clomipramine peuvent empêcher l’éjaculation chez l’homme et probablement également chez la femme, bien que cela soit moins apparent dans ce second cas. De même, de telles doses peuvent aussi être responsables d’anorgasmie chez la femme et peut-être chez l’homme, même si celui-ci n’en a pas toujours conscience.
Les anorgasmies induites par les médicaments sont améliorées par une série d’antagonistes sérotoninergiques 5HT2, comme la cyproheptadine ou le trazodone, et par la buspirone, un agoniste sérotoninergique 5HT1. Des orgasmes prématurés peuvent aussi affecter les femmes, mais l’étendue du problème est mal connue.
L’arrêt des ISRS peut à l’inverse provoquer des orgasmes spontanés incontrôlables alors que le traitement était prescrit pour une anorgasmie. Les orgasmes spontanés semblent plus fréquents que les éjaculations spontanées, mais dans des proportions qui restent inconnues. Ces orgasmes spontanés peuvent aussi être un effet indésirable du traitement en lui-même chez un faible pourcentage d’utilisateurs. Ces observations contradictoires s’expliquent sans doute par le fait que nous sommes tous fabriqués légèrement différemment. Le même phénomène est décrit, par exemple, chez les personnes qui prennent des bêtabloquants : 90 % d’entre elles auront une diminution de leur rythme cardiaque alors qu’une faible proportion verra au contraire son rythme s’accélérer. Cette augmentation des orgasmes spontanés liée aux ISRS est plus fréquente chez les femmes que chez les hommes, sans que l’on ne sache très bien pourquoi.
Concernant la perte de désir chez les femmes, on assiste à un recours croissant à la testostérone ou de l’apomorphine. Le patch à la testostérone (Intrinsa®) est actuellement disponible sur le marché européen depuis janvier 2007 avec l’indication du trouble du désir sexuel chez la femme ménopausée. Le choix de la testostérone peut sembler étrange, mais la testostérone endogène joue un rôle dans la médiation du désir sexuel chez la femme. Les dosages de la testostérone chez les femmes sont réalisés de plus en plus fréquemment, bien que les taux normaux de testostérone chez la femme soient incertains. Un tel traitement est parfois instauré uniquement en raison d’un taux supposé trop bas. Des doutes persistent quant aux risques que ces prescriptions font courir aux femmes. Des troubles endocriniens généraux tels que la masculinisation, l’hirsutisme et une raucité de la voix pourraient se produire, mais on ne sait pas si l’apparition de ceux-ci va dépendre du taux de testostérone de départ. La testostérone augmente aussi le désir chez l’homme.
La libido de la femme est soutenue par le désir qu’elle a d’un homme, mais aussi par le désir que suscite le fait d’être désirée. L’effet que la testostérone ou la modification de l’équilibre entre les estrogènes et les androgènes auront sur cette dernière composante reste inconnu.
L’augmentation de la libido et du désir induite par l’apomorphine constatée chez l’homme pourrait aussi exister chez la femme, mais cela n’a jamais été prouvé.