20: Armes chimiques

Chapitre 20 Armes chimiques



De nombreuses conventions internationales (Saint-Pertersbourg 18681, Bruxelles 18742, Genève 1925 et 19723, Paris 19934 [1]) auraient dû garantir la disparition et l’absence d’usage des armes chimiques dans le monde. Il n’en est rien et l’emploi militaire, et encore moins les agressions terroristes y recourant, ne sont aujourd’hui exclus. Les exemples ne sont pas rares : massacre de 2 000 Kurdes à Halabja, par l’Irak, en 1988 par des cocktails de vésicants et de neurotoxiques, attentat au sarin (organophosphoré) le 20 mars 1995 dans le métro de Tokyo, qui fit douze morts, 700 hospitalisés dont 200 sauveteurs et des milliers de sujets désemparés [2], prise d’otages tchétchènes au théâtre Dubrowska de Moscou en 2007, responsable de 120 morts et plus de 700 intoxiqués suite à l’emploi vraisemblable par les forces russes de carfentanil en aérosol (anesthésique vétérinaire éventuellement mélangé à un autre agent anesthésique volatil de type halothane ou isofurane), 10 000 fois plus puissant que la morphine au plan pharmacologique [3]… La majorité des armes chimiques est listée dans la convention d’interdiction de 1993 (pages 49 et suivantes [4]). Classiquement, ils se répartissent en :






Toxiques létaux


Les toxiques létaux sont des toxiques généraux : les neurotoxiques, les vésicants (et mycotoxines) et les suffocants et les toxiques intracellulaires généraux comprenant les dérivés cyanés, le chlorure de cyanogène, l’hydrogène arsénié et les fluorocarbones. Ces deux derniers groupes ne sont pas traités ici. Leur spécificité analytique est moindre et traité dans l’édition précédente de l’ouvrage.


Consacrer un chapitre dans cet ouvrage aux principaux représentants de ces classes de produits est donc justifié.


Comme dans les forces armées, il est nécessaire de concentrer l’attention sur les toxiques les plus redoutables (tableau 20.1) même si les produits concernés couvrent une toxicologie plus large souvent à l’intersection des domaines militaires, industriels et agricoles. Leur analyse doit donc s’adapter au contexte d’emploi. Cette intrication des domaines a conduit les spécialistes, tant militaires que de sécurité civile, et par suite les experts appelés à traiter ce type d’affaires à disposer des mêmes outils (CG, fast-CG, CL, UPLC®, nano-CL, électrophorèse capillaire, spectrométrie de masse [SM] dans toutes ses déclinaisons (single ion monitoring SIM, multiple reaction monitoring MRM, SM-SM, SMn, MALDI/TOF [Matrix-Assisted Laser Desorption, Ionization/Time of Fligh])… mais aussi spectrométries d’absorption et d’émission atomique, spectrométrie d’émission en plasma induit/spectrométrie d’émission atomique (ICP/AES) et ICP/SM, résonance magnétique nucléaire (RMN), optoacoustique et interrogation neutronique…) [1, 2, 510]. En réalité les problèmes analytiques que posent les armes chimiques sont à considérer selon qu’ils sont à résoudre sur un théâtre d’opération, une zone plus ou moins vaste d’attentat, un laboratoire mobile ou d’infrastructure arrière. Il ne sera fait état ici que de la « dosimétrie biologique » d’exposition aux agents chimiques en laboratoire spécialisé. L’expert y a recours pour quatre raisons principales : vérification de l’utilisation avérée ou de la simple allégation d’emploi lors d’un conflit armé, au décours d’un attentat suspect d’être chimique, dans le cadre des opérations de démantèlement de stocks et pour des inspections dans le cadre de la convention de 1993. Les difficultés techniques sont nombreuses et l’observation des signes cliniques présentés par les sujets intoxiqués est primordiale [611]. À Tokyo et Moscou, par exemple, en raison de l’ambiance, du stress, d’informations erronées diffusées à la radio ou en raison de la présence d’adultérants adjoints au toxique principal, les pistes de réflexion se sont égarées et ont retardé le diagnostic. À Tokyo, le sarin n’a été évoqué qu’à T +2 heures 30 au regard de l’effondrement des cholinestérases sanguines des intoxiqués mais la confirmation du laboratoire expert donnée à T +15 heures n’a pas pour autant modifié, dans certains hôpitaux, les traitements engagés contre les cyanures.



Les matrices utiles pour la détection sont les tissus, sièges initiaux de l’agression (peau, voies respiratoires), le système sanguin (sang total, plasma, sérum), l’urine et la salive, les plus faciles à collecter, ou parfois en post mortem, les organes de stockage (cheveux, foie, graisses). Par ailleurs, les délais qui séparent l’exposition des prélèvements conditionnent le choix de l’analyte à rechercher : en moyenne, les produits originels ne sont détectables que pendant quelques heures, les métabolites pendant quelques jours (produits d’hydrolyse, de condensation sur les fonctions S–H et d’oxydation). Il est enfin possible de recourir aux adduits covalents sur cibles biologiques notamment sur les protéines et l’ADN pendant quelques semaines voire plus longtemps [1214].


Si les problèmes analytiques ne sont généralement pas spécifiques, il convient toutefois de noter certaines particularités. Elles tiennent principalement à la variété des matrices analysées (du prélèvement biologique aux peintures, polymères, matrices plastiques, parties métalliques, sols, végétaux, air, etc.). Leur préparation doit particulièrement tenir compte de leur dangerosité potentielle (une goutte d’agent VX sur la peau peut tuer un homme) tout en assurant l’intégrité de l’échantillon en évitant tout risque de transfert du toxique à partir de ce prélèvement. Les techniques non intrusives sont évidemment privilégiées (RMN du proton ou découplée du P ou interrogation neutronique) mais souvent trop peu sensibles. Il faut donc recourir aux extractions LLE, SPE traditionnelles ou SPME [1015] mais souvent, il est nécessaire d’utiliser l’extraction en fluide pressurisé (ESP) (eau, acétone, méthanol, hexane à haute température maintenu liquide par haute pression) ou même en phase supercritique (EFS) qui présente une meilleure diffusion des solutés dans les solvants et des solvants dans la matrice. On utilise principalement le CO2 à 31 °C sous 72 bars pour les composés thermolabiles [6, 16, 17].



Neurotoxiques organophosphorés


Les organophosphorés sont les plus étudiés (figure 20.1) :






Ces toxiques, relativement faciles à produire, sont voisins de produits utilisés en agriculture comme pesticides (parathion, malathion, dichlorvos, méthomyle…) mais aussi en thérapeutique (échothiophosphate, métrifonate, cyclophosphamide…). Ils sont liquides ou facilement volatils à température ambiante, traversant facilement la plupart des matériaux habituels où ils s’adsorbent avant d’être libérés parfois durablement. Leur voie de pénétration est percutanée ou respiratoire.



Mécanisme d’action toxique


Les neurotoxiques inhibent la butyrylcholinestérase plasmatique et l’acétylcholinestérase érythrocytaire et tissulaire dont l’activité est indispensable au fonctionnement du système nerveux central et périphérique. Il s’ensuit un envahissement du cerveau par l’acétylcholine capable d’initier des crises convulsives qui, sans correction rapide, engendre d’autres types de neurotransmissions non cholinergiques notamment via le système inhibiteur GABAergique (par inefficacité du récepteur GABAA) et via le système des acides aminés excitateurs avec une libération massive de glutamate dans toutes les aires limbiques stimulant les récepteurs AMPA (acide alpha-amino-3 hydroxy-5 méthyl-4isoxazole-propionique) puis NMDA (N-méthyl-d-aspartate) de l’hippocampe qui entretiennent la crise convulsive et sont à l’origine de lésions neuronales mettant en jeu la pénétration importante d’ions Ca++ et des radicaux libres.


Au niveau périphérique, l’accumulation d’acétylcholine sur les récepteurs cholinergiques induit sur les récepteurs muscariniques, une stimulation des glandes, des muscles lisses et des nerfs crâniens, et son action sur les récepteurs nicotiniques stimule les muscles du squelette, les synapses ganglionnaires et les surrénales. Par la suite, au-delà d’un seuil de concentration du neuromédiateur, l’intensité de l’excitation conduit à l’arrêt de l’influx nerveux et à la paralysie des organes cibles.




Symptomatologie


Les symptômes de l’intoxication dépendent de l’organophosphoré en cause, de sa voie d’administration et sa dose [11]. Selon les toxiques et les concentrations inhalées ou absorbées, les impuretés des produits ou les milieux qui les contiennent, certains signes peuvent ne pas être présents et d’autres peuvent perturber l’analyse clinique. Lors de l’attentat de Tokyo par exemple, une tachycardie importante inhabituelle a pu être observée chez beaucoup d’intoxiqués qu’un traitement atropinique a quelque peu aggravé. En revanche, peu d’hypersécrétions bronchiques, de larmoiements, mictions ou défécations sont décrites [1]. Classiquement, les symptômes observés se situent entre les deux cas de figure suivants selon le caractère grave ou modeste de l’intoxication.


Une intoxication grave intervient en moins de 30 minutes et se caractérise par la paralysie rapide des centres respiratoires, blocage des plaques motrices des muscles de la cage thoracique (paralysie flasque), bronchospasme sévère, sécrétions profuses encombrant les voies aériennes supérieures, perte de conscience et surtout syndrome convulsif intense et prolongé causant des lésions cérébrales irréversibles (le soman est le plus neurotoxique provoquant des convulsions en quelques minutes).


L’activité des cholinestérases plasmatiques et érythrocytaires est diminuée de 70 à 80 %. Sans traitement l’intoxiqué meurt rapidement asphyxié en détresse ventilatoire.


Lors d’une intoxication modeste, les signes cliniques dominants sont un myosis serré avec douleur oculaire et frontale, sudation, pâleur voire cyanose, rhinorrhée voire bronchorrhée, respiration sifflante, dyspnée et toux. Font généralement suite une salivation abondante, des nausées accompagnées de vomissements et de douleurs abdominales et épigastriques (surtout en cas d’absorption digestive). Un larmoiement s’instaure. À ce stade, l’activité des cholinestérases érythrocytaires est encore normale. Apparaissent ensuite des mictions involontaires, une faiblesse musculaire avec tremblements, fasciculations, secousses musculaires puis paralysie flasque, inconscience, convulsions, puis une défaillance ventilatoire.



Métabolisme


Le métabolisme des organophosphorés donne des acides méthylphosphoniques alkylés présents dans le sang et l’urine. Les acides desalkylés ne sont présents qu’à l’état de traces (figure 20.2). Le dérivé correspondant au VX (EMPA, éthylméthylphosphonate) subit en plus, une S méthylation rapide en méthyl-thio-éthyl-diiso-propylamine. Lors de leur intrusion dans l’organisme, les organophosphorés forment de nombreux adduits avec l’hémoglobine, les protéines, les cholinestérases et l’ADN. Leur présence ainsi protégée du catabolisme permet de les détecter plus longtemps que les molécules natives ce qui est de plus en plus exploité en analytique diagnostique.




Toxicologie analytique


Méthode colorimétrique d’Ellman : méthode indirecte qui mesure la réduction de l’activité cholinestérasique du milieu analysé. Longtemps, la seule approche biologique possible de l’intoxication, elle n’est pas spécifique, n’a de sens que si la chute est significative (plus de 20 %), n’est pas corrélée à la gravité relative et n’identifie pas l’organophosphoré. Depuis, de nombreuses approches ont été proposées en considérant principalement dans le sang total, le plasma et les hématies, plus rarement le poumon, le cheveu ou la salive, d’abord les produits toxiques non métabolisés, puis les métabolites et enfin les adduits. D’excellentes revues historiques et techniques ont été publiées [18, 19].



Produits non métabolisés


Les produits non métabolisés, hormis dans les milieux environnementaux, leur détection n’est possible que sur des prélèvements très précoces car ils disparaissent rapidement du sang in vivo voire in vitro où ils continuent leur hydrolyse enzymatique, leur transformation et leur dégradation. On limite ces phénomènes par addition immédiate de tampon acétate pH 4 [19]. De nombreuses méthodes existent pour l’expérimentation animale en CG/SM et CG/NPD (détecteur azote phosphore) applicables aux acides méthylphosphoniques alkylés et à l’acide méthylphosphonique. Des méthodes sensibles en CG/SM-SM pour les traces de VX (LOD : 0,4 picogramme de VX sur colonne) après simple extraction du plasma dans l’hexane ont été publiées [20], de même en CL/SM-APCI pour séparer leurs énantiomères [21]. Une méthode entièrement automatisée en CG-NPD multidimensionnelle à l’aide d’une colonne chirale CP Cyclodex® B pour la séparation des énantiomères de sarin dans les prélèvements biologiques, utilisant un entraîneur, le néopentyl sarin atteint une LOD de 2,5 picogrammes par énantiomère [22]. Reiter et al. utilisent une méthode d’extraction SPE automatisée (rendement 85 %) et une CG/SM-ICN au moyen d’une colonne chirale de cyclodextrine (Gamma Dex®) pour détecter et séparer les énantiomères de Cyclosarin dans le sang hémolysé [23]. Ils obtiennent une LOD de 1 pg sur colonne pour GF(−) (suffisant pour détecter une dose létale) et 5 pg pour GF(+). Ces mêmes auteurs appliquent une méthode comparable en CL/SM pour les énantiomères du VX qu’ils détectent 12 heures après une intoxication létale chez le porc [24]. Tenberken et al. séparent avec des résultats comparables les énantiomères du Tabun en CG/SM-PCI (NH3) [25].



Produits métabolisés



Produits d’hydrolyse


Les produits d’hydrolyse sont des acides alkylméthylphosphoniques (RMPA) qui peuvent être recherchés. Ceux du tabun sont instables [19] mais de nombreux protocoles sont appliqués à ceux du sarin [12], du soman, du cyclosarin et du VX [26, 27]. Ils sont fondés en général sur une extraction SPE (C18, anionique, polymère), la préparation de dérivés pentafluorobenzylés avec le bromure de pentafluorobenzyle en milieu K2CO3 dans l’acétonitrile maintenus à 90 °C pendant 1 heure puis lavés sur fluorisil et analysés en CG/NICI-SM ou SM-SM. Cette méthode extrêmement sensible mise en œuvre sur un spectromètre magnétique hybride donne une sensibilité de quelques attogrammes sur des standards et de moins de 0,1 ng/mL sur des matrices biologiques. Un seuil de quantification de 0,5 à 1 ng est accessible sur un système analyseur à piège à ions (ion trap). L’EMPA provenant du VX est dix fois moins sensible.


Miki et al. en 1999 font une dérivation au moyen d’un catalyseur de transfert (tri n-butyl-méthylphosphonium) lié à un polymère. La méthode est compliquée mais ils obtiennent une limite de quantification (LOQ) de 0,06 ng/mL en CG/NICI-SM [28]. Les autres dérivations (méthylation et silylation) sont moins bonnes [28].


La chromatographie liquide est généralement moins sensible que la CG/SM pour les acides alkylméthylphosphoniques toutefois Noort et al. publient une méthode correcte en micro-CL/ES/SM-SM pour le soman. Ils mettent en évidence le 2-isopropyl méthyl phosphonate dans le sérum de patients. Ils réalisent d’abord une extraction classique LLE (isobutanol/toluène 1/1) puis séparent sur colonne CLHP échangeuse d’anions (microbore PRPX100). La phase mobile est le mélange solvant : acétonitrile 1, eau 1, acide formique 0,5 %. La limite de quantification obtenue est de 2 à 4 ng/mL [29]. L’utilisation de colonnes de chromatographie en phase normale à interaction hydrophile (HILIC) est plus favorable à la séparation de ce type de composés polaires que la phase inverse classique. Ces colonnes appliquées en CL/SM-SM en mode MRM, permettent de séparer en élution isocratique avec une LOD inférieure à 1 ng/mL, les métabolites du soman, du sarin, du cyclohexyl sarin, du VX voire du VX russe R-33 dans les urines (par exemple une LOD de 0,03 ng/mL pour l’acide pinacolyl méthyl-phosphonique). Avec cette technique entièrement automatisée, on peut traiter près de 4 000 échantillons en 24 heures en cas d’urgence de santé publique [30]. Evans et al. dosent les métabolites du sarin (IMPA, acide isopropylméthylphosphonique) et du cyclosarin (CMPA ou acide cyclohexylméthyl-phosphonique) qui correspondent à 70 % du toxique circulant, en CL-ESI-SM-TOF avec une LOD 2,5 ng/mL [31].




Produits d’addition


Les produits initiaux et d’hydrolyse sont rapidement éliminés de l’organisme. Il faut alors avoir recours aux produits d’addition soit en les isolant de leurs combinaisons, soit au sein de celles-ci.


Les organophosphorés inhibent les acétylcholinestérases (AChE) et les butyrylcholinestérases (BuChE) en formant des phosphoridates d’enzymes avec un groupement CH2OH de sérine de leurs sites actifs. Si la AChE est responsable de l’action neurotoxique, la BuChE semble n’être qu’un émonctoire stœchiométrique des organophosphorés. En revanche, cette dernière qui est plus abondante dans le plasma est la plus intéressante pour la détection des adduits. La réactivation spontanée de ces enzymes est très lente voire négligeable. Il s’ensuit qu’elles constituent des biomarqueurs spécifiques et de longue durée de l’exposition aux neurotoxiques en fonction du rythme de renouvellement de l’enzyme. Selon le cas, il est possible d’exploiter ces adduits pour détecter un organophosphoré particulier ou simplement une exposition à un quelconque organophosphoré (voire un quelconque inhibiteur des enzymes incluant, les pesticides organophosphorés et les carbamates).


D’autres adduits réalisés avec des protéines (albumine) sont également exploitables.



Réactivation par les fluorures


Polhuij et al. mesurent l’importance de l’inhibition de la butyryl cholinestérase en réactivant l’enzyme inactive (figure 20.4) par les fluorures (KF 6 M en tampon acétate pH 3,5), ce qui produit un phosphofluoridate qu’ils analysent en CG/SM après extraction [33]. Cette technique a été utilisée avec succès pour le sarin à Tokyo. Améliorée en 2004 pour le plasma et les hématies, cette technique atteint une LOD de 2 pg de sarin (GB) sur colonne [34]. Ce même principe est appliqué au VX-G (dérivé d’addition fluoré du VX : transition m/z = 144/99) dans le sérum [35], dans les hématies, le sang total et le plasma en CG/PCI (NH3)-SM-SM en mode MRM avec un LOD de 1 pg (sur colonne) et une LOQ à 5 pg. De cette manière l’exposition est détectable 27 jours [36]. Byers et al. détectent par une méthode voisine, des teneurs significatives de 2 à 4 ng/g d’hématies pour des expositions modestes au VX induisant des réductions d’activité cholinestérasique (AChE) inférieures à 10 % (exposition de 180 min à 89 μg/m3). Ils notent une bonne corrélation doses d’exposition/concentrations hématiques [37].



Malheureusement, cette technique s’applique moins bien aux organophosphorés qui entraînent le phénomène d’ « aging » des enzymes (soman, tabun) et interdisent leur réactivation. Cette inactivation provient de la phosphonylation de la sérine du site actif estérasique, la perte en quelques minutes du groupe pinacolylméthylphosphonique et de la déformation induite de la structure spatiale de l’enzyme. Toutefois en 2008, Holland et al. en CG/SM « haute résolution » obtiennent des résultats intéressants (LOD de 5,5 à 16,5 pg/mL) aussi bien avec le sarin, le cyclosarin, le VX, que le soman et le tabun en modifiant les conditions d’extraction (chauffage du sérum pendant une heure à 40 °C ce qui aiderait la réactivation du soman et du tabun et en utilisant un détecteur de masse haute résolution. Renner et al. [39] d’une part et Dabish et al. [40] d’autre part obtiennent en CG/PCI (NH3)-SM-SM, un rendement d’extraction de 93 % pour le soman (GD m/z : 200) par réactivation aux fluorures lors d’expositions à faibles doses inhibant l’AChE à moins de 25 % et pour des prélèvements précoces immédiatement traités (moins de 6 heures). Selon McGuire [36], la réactivation se ferait par déplacement à partir d’autres adduits notamment sur la tyrosine de l’albumine ou de carboxylestérases. La LOD du soman est de 5,65 pg sur colonne [39]. Enfin, la sensibilité de la méthode de réactivation par fluorure a été améliorée par l’emploi de la CG/SM-TOF [41] grâce à la possibilité d’injectats de 100 μl de plasma (LOQ : 70 pg/mL).



Isolement enzymatique


Une méthode compliquée proposée par Nagao et al. permet de s’affranchir du déplacement par les fluorures F. Le complexe acétylcholinestérase/sarin de la membrane des hématies est solubilisé par incubation avec de la trypsine, à 37 °C, pendant 24 heures. L’acide isopropylméthylphosphonique est alors traité par une phosphatase alcaline durant 48 heures. Les molécules résiduelles de grandes tailles sont ultrafiltrées. La solution aqueuse est évaporée à sec puis chromatographiée en CG/SM [42]. Pour réduire les difficultés analytiques et raccourcir les temps de préparation J. Carol Visser et al. [43] proposent une automatisation complète de la procédure et une détection en CL/SM-SM. Une variante de cette technique est adaptée à la recherche de tous les organophosphorés inscrits dans la liste OTAN des toxiques de guerre grâce à l’exploitation en MRM de 34 transitions [44].



Adduits organophosphorés/cholinestérases


Le pont covalent organophosphorés/BuChE est réalisé aux dépens de la sérine 198. Le peptide de neuf ou quatorze acides aminés qui la contient est isolé par digestion avec de la pepsine ou de la trypsine selon les auteurs. Doorn et al. [45] détectent en MALDI/TOF le peptide de l’enzyme inhibé par le malathion à partir d’une digestion trypsique de BuChE. Cette technique est alors prise comme modèle. L’isolement est réalisé par chromatographie d’affinité [46] ou en électrophorèse sur gel de polyacrylamide/dodécylsulfate [4649]. On isole un undécapeptide [49] ou un peptide de 22 acides aminés [50]. L’analyse peut se faire en CL/ES/SM-SM en ES/MALDI/TOF [47, 50], la solution matricielle est de l’acide α-cyano-4-hydroxy-cinnamique (CHCA) dans l’acétonitrile à 10 mg/L mélangée à égales proportions avec une solution d’acide trifluoroacétique (TFA à 0,1 % dans un mélange eau/acétonitrile (48/52vv). On injecte 1 μL de l’analyte à doser dans 1 μL de matrice et 1 μL de citrate d’ammonium millimolaire. Le témoin interne est un mélange angiotensine II/vasopressine. On opère 300 shuts laser. Les organophosphorés restent fixés pendant 5 à 16 jours. Les ions caractéristiques sont par exemple : MH+ = 3 008,6 (digestion trypsine/soman), MH+ = 876,3 (digestion pepsine/soman), MH+ = 916,4 (digestion pepsine/sarin). Une méthode générique [51] permet, à partir d’un nonapeptide isolé par digestion pepsique de la BuChE plasmatique humaine et chromatographie d’affinité en SPE/procaïnamide, de détecter une large palette de neurotoxiques. L’auteur traite les produits de digestion par Ba (OH)2 en présence d’un marqueur nucléophile, principalement le (2-(3-aminopropylamino) éthanol). Le nonapeptide marqué est facilement détectable en CL/SM-SM et témoigne alors de l’agression de la cholinestérase par un organophosphoré.



Adduits organophosphoré/albumine


Bin Li et al. ont mis au point en MALDI/TOF, une technique séduisante qui permet d’une part, d’individualiser certains peptides de l’albumine liant le sarin sur la tyrosine 411 notamment mais aussi le diisopropyl fluorophosphonate (DFP), le chlorpyriphos-oxon, le dichlorvos, et d’autre part, de quantifier des teneurs de l’ordre de 0,07 pmol d’adduit peptidique [52]. L’intérêt est la concentration disponible d’albumine comparativement à celle des cholinestérases (facteur 10 000). D’autres essais avec une large palette de neurotoxiques sont étudiés avec comme matrice, l’acide di-hydroxy-2,5-benzoïque et le CHCA. La méthode peut aussi être appliquée en triple quadripôle [53]. Ainsi John H. et al. mettent au point une méthode de détection multiple en MALDI-TOF/SM [54]. Les échantillons sont préparés comme précédemment par électrophorèse en gel de polyacrylamide/dodécyl sulfate et les peptides caractéristiques sont clivés par voie enzymatique au sein du gel par des endoprotéinases Gluc-C. La phosphorylation intéresse la tyrosine Y(411) : (Y(401) KFQNALLVRY(411)TKKVPQVSTPTLVE(425)), Y(148) et Y(150) : (I(142)ARRHPY(148)FY(150)APE(153) avec marquage simple ou double et Y(161) : (L(154)LFFAKRY(161)KAAFTE(167)). Cette technique permet un criblage large car cette phosphorylation se fait indifféremment avec : tabun, sarin, soman, cyclosarin, VX, VX chinois ou russe mais aussi avec chlorpyrifos-oxon, diisopropylfluorophosphate (DFP), éthyl-paraoxon (POE) et profénofos. L’analyse montre que la phosphorylation se fait préférentiellement sur le Y150 plutôt que Y148 et aucun phénomène « d’aging » n’est observé sur l’albumine et la durée possible de détection après exposition est de l’ordre du mois voire plus.



Vésicants


Les vésicants sont des agents variés provocant des lésions cutanées bulleuses ou « phlyctènes ». Ces lésions au niveau de l’appareil respiratoire sont à l’origine d’OAP. Ils possèdent en outre une toxicité générale. On distingue les lewisites et l’oxime de phosgène et, surtout, les ypérites, agents soufrés, ou « gaz moutarde », et agents azotés, ou moutardes à l’azote (dans ce groupe peuvent être associées certaines mycotoxines) (tableau 20.1) :







Lewisites


Les lewisites sont des arsines associant à des propriétés vésicantes, l’empoisonnement général à l’arsenic. C’est un liquide à odeur d’essence de géranium (s’il est impur) perceptible à partir de 20 mg · min · m−3 dans l’atmosphère alors que l’irritation qu’elle provoque survient dès la respiration de 8 mg · min · m−3. Elle est par ailleurs capable en mélange d’abaisser le point de fusion de l’ypérite qui ainsi est utilisable par basse température.







Ypérites


L’ypérite au soufre est un liquide huileux, incolore ou légèrement jaunâtre, d’odeur d’ail, d’oignon ou de moutarde et dont les vapeurs incolores sont d’autant plus concentrées dans l’atmosphère que la température est importante. Celles-ci sont plus denses que l’air et donc d’autant plus persistantes (peu biodégradable) que la température atmosphérique est basse. À 40 °C, elle résiste sans altération pendant 3 jours, à 10 °C, plus d’une semaine.


Très peu soluble dans l’eau, elle y reste sans transformation plusieurs jours (eau courante) à quelques mois (eau stagnante). En revanche, elle est soluble dans les solvants organiques et les graisses.


Les ypérites sont des molécules très stables qui, sous forme liquide ou à l’état de vapeurs, pénètrent par simple diffusion, rapidement (moins de 5 minutes) et insidieusement dans la peau et tous les matériaux usuels (vêtements ordinaires, cuir, gants chirurgicaux en latex, bois, peintures).


Parmi les ypérites à l’azote, également liquides à température ambiante et à odeur de poisson ou de savon (plus prononcée si impurs), seule l’HN3 fut d’emploi militaire crédible. Cette classe de produits est à la base de médicaments cytotoxiques (Alkéran®, Caryolysine®, Endoxan®).



Mécanisme d’action toxique


Toutes les cellules à division rapide (kératinocytes, muqueuses épithéliales, moelle osseuse et cellules parenchymateuses) subissent leur action alkylante bifonctionnelle entraînant des altérations profondes du cytosquelette cellulaire, des effets cytostatiques, mutagènes et cytotoxiques de type radiomimétiques avec des nécroses et des réactions inflammatoires douloureuses. Le mécanisme d’action, mal connu, passe par la formation d’un cation épisulfonium très réactif qui attaque les groupements thiols, aminés et carboxyliques principalement des protéines (l’hémoglobine, l’albumine…) ou réalise des composés d’addition (monoadduits ou diadduits) sur la guanine en position N7 (61 %) ou l’adénine en position N3 (16 %) des acides nucléiques [55]. En particulier pour les diadduits qui correspondent à 15 % des adduits d’ADN, des ponts covalents stables formés au sein d’un même brin d’ADN ou entre deux brins d’ADN [5556], inhibent la synthèse protéique et les mitoses. Ces modifications, associées à une réduction du glutathion intracellulaire et à une baisse du transport calcique, favorisent la dégradation des protéines, l’hydrolyse des phospholipides et la formation de cassures de l’ADN. Cela provoque une activation des poly(ADP-ribose) polymérases en particulier la PARP-1 impliquant la production de facteurs d’inflammation tels que les interleukines et cytokines comme l’interféron INFγ et d’endotoxines comme le TNFα (Tumor Necrosis Factor) médiés par le gène NF-κB. La Parp-1, indispensable à l’expression du gène médiateur central de la réponse immunitaire (NF-κB) multiplie par 100 son activité en présence de débris ou de distorsions d’ADN. Il s’ensuit une déplétion en NAD puis en ATP et l’inhibition de la glycolyse puis la libération de protéases (cyclo-oxygénase (COX2) et les iNOS (inductible Nitric Oxide Synthetases) principalement localisées dans les alvéoles pulmonaires et la MMP-9 (métalloprotéinase matricielle de type 9) prédominante dans l’épithélium bronchique) entraînant la cytolyse puis la nécrose cellulaire [57, 58]. Les phlyctènes sont dues à la digestion protéasique des jonctions dermoépidermiques, de l’infiltration de leucocytes et de la sécrétion de cytokines et de médiateurs de l’inflammation. La nécrose cutanée engendrée est plus de type toxidermie avec épidermolyse (syndrome de Lyell) que brûlure thermique.

Only gold members can continue reading. Log In or Register to continue

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Aug 19, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 20: Armes chimiques

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access