Chapitre 2 Pathologie Veineuse Chronique
Épidémiologie et Pathogénie des Maladies Veineuses Chroniques des Membres Inférieurs
Les maladies veineuses chroniques des membres inférieurs représentent un large spectre de manifestations cliniques. Si l’on met de côté les malformations veineuses, on peut les diviser en trois syndromes distincts bien que souvent associés : varices, troubles trophiques veineux, et symptômes veineux ou syndrome des jambes lourdes [1].
Épidémiologie et pathogénie des varices
Les varices sont définies comme des veines sous-cutanées palpables et dilatées, de diamètre habituellement supérieur à 3 mm [2]. Cela exclut les veines intradermiques visibles et les télangiectasies qui n’ont d’ailleurs pas les mêmes caractéristiques épidémiologiques [3].
La prévalence des varices est élevée dans la population générale des pays industrialisés, touchant 30 à 60 % des sujets selon les études (tableau 2-1) [4 – 10, 1]. Les troncs saphènes ou leurs affluents de premier ordre sont atteints dans environ la moitié des cas [1, 5]. Les deux membres inférieurs sont également affectés [1, 7].
L’âge est le premier facteur de risque des varices qui sont exceptionnelles chez l’enfant, et augmentent de manière linéaire chez l’adulte, atteignant une prévalence d’environ 20 % à 30 ans, 40 % à 50 ans et 60 % à 70 ans [11].
La prédominance féminine, importante dans les séries cliniques sans doute liée à un biais de sélection est beaucoup moins nette dans la population générale, et principalement liée chez la femme à un début plus précoce en rapport avec les grossesses. Il faut même noter que pour les varices tronculaires, la plupart des études ne trouvent pas de différence notable entre homme et femme (tableau 2-1) [1, 5, 7, 10].
L’existence d’un facteur familial évoquée depuis longtemps a été démontrée par des études cas-témoins [12]. Mais ce n’est qu’en 2005 qu’une large étude de jumeaux (2 060 paires de sexe féminin) réalisée en Angleterre [13] a observé un taux de concordance pour les varices significativement supérieur pour les paires de jumelles homozygotes (67 %) comparativement aux hétérozygotes (45 %), démontrant que le facteur familial ne peut se résumer à une « hérédité d’habitudes », et qu’il existe bien un facteur génétique. Cependant, il reste qu’un tiers des paires de jumelles homozygotes étaient discordantes, ce qui montre que tout n’est pas génétique, et que les facteurs d’environnement associés jouent également un rôle important.
L’importance des facteurs d’environnement avait été antérieurement objectivée par des comparaisons géographiques, notamment dans le Pacifique Sud, montrant l’influence du mode de vie lié à la civilisation industrielle (tableau 2-1, [6]). Les diverses explications avancées (alimentation pauvre en fibres, surpoids, chaussage, position au travail) ont fait l’objet de résultats contradictoires entre les différentes études. L’élément le plus consistant retrouvé est l’augmentation de la prévalence des varices chez les femmes obèses (IMC > 30 kg/m2), mais il n’en est pas de même chez l’homme [14], et l’explication de la maladie de civilisation que constituent les varices reste à trouver. Par ailleurs, les grossesses exercent un rôle favorisant pour la survenue de varices [11, 14]. L’influence des antécédents de thrombose veineuse profonde reste difficile à évaluer au plan épidémiologique car les études manquent de puissance sur ce point [14], mais leur contribution est de toute façon faible au regard de la prévalence des varices.
Les télangiectasies intradermiques ont fait l’objet de peu d’études épidémiologiques. En fait, une des principales difficultés tient à la définition du seuil pathologique : à partir de 40 ans, il est difficile de trouver un sujet dont l’examen cutané des membres inférieurs ne décèle aucune dilatation veinulaire dermique. Ainsi dans l’étude d’Edimbourg [3], 79 % des hommes et 88 % des femmes en étaient porteurs. Les télangiectasies des cuisses sont plus fréquentes que celles des jambes ou du cou-de-pied, ces dernières pouvant participer à la constitution de la couronne phlébectasique de la cheville, annonciatrice de troubles trophiques [3]; les autres localisations n’ont pas de valeur pronostique.
Facteurs pariétaux et hémodynamiques interagissent :
Troubles trophiques cutanés
Les lésions cutanées d’origine veineuse (dermite pigmentée, dermite eczématiforme, hypodermite scléreuse, atrophie blanche et ulcères) surviennent surtout chez le sujet âgé. Leur prévalence globale dans la population générale (tableau 2-2) varie selon les études de 3 à 6 % [1, 4, 9, 10] et atteint 8 % à 9 % si l’on prend en compte les couronnes phlébectasiques du cou-de-pied [5, 7].
La prévalence des ulcères, actifs ou cicatrisés, avoisine 1 %, dont environ les trois quarts sont d’origine veineuse; ils sont rares avant 60 ans, mais touchent plus de 5 % des sujets de plus de 60 ans [1, 5, 7, 10].
La prédominance féminine notée autrefois n’est plus retrouvée dans les études récentes qui ajustent pour l’âge (tableau 2-2) [1, 4, 5, 7, 9–10] :
D’un point de vue pathogénique, il est remarquable que les troubles trophiques veineux s’accompagnent constamment d’une microangiopathie cutanée [16] qui en constitue le mécanisme central. Cette microangiopathie comporte de nombreuses composantes fonctionnelles et structurelles (tableau 2-3) [16], dont l’élément principal est une raréfaction des boucles capillaires du derme sous-papillaire quantifiable en capillaroscopie. En réaction, les capillaires résiduels se dilatent et s’allongent, décrivant des tortuosités et des circonvolutions jusqu’à donner parfois une image de peloton glomérulaire [17]. Leur fonctionnement hémodynamique est anormal, avec des arrêts circulatoires pouvant atteindre plusieurs minutes et ils présentent aussi des troubles de la perméabilité [17]. La gravité dépend directement du degré de raréfaction des capillaires comme en témoigne une parfaite corrélation entre densité capillaire et la pression partielle d’oxygène transcutanée [18]. Le déficit microcirculatoire nutritionnel est le mécanisme principal de l’ulcère de jambe, et la microangiopathie veineuse est un bon facteur prédictif de la gravité clinique de la maladie [18].
Hémodynamiques | Élévation du débit sanguin cutané Hétérogénéité des débits capillaires Occlusions rhéologiques transitoires Altération du réflexe veino-artériolaire Altération de la vasomotion |
Fonctionnelles | Hypoxie tissulaire Hyperperméabilité capillaire |
Structurelles | Raréfaction capillaire Néogenèse capillaire Dépôts de fibrine péricapillaires Halos de micro-œdème papillaire Microangiopathie lymphatique |
Rhéologiques | Élévation de l’hématocrite local Élévation du fibrinogène Hyperagrégation érythrocytaire |
Biologie cellulaire | Déficit de production de NO endothélial Priming (pré-activation) leucocytaire Excès d’adhérence leucocyte – endothélium Activation leucocytaire |
D’autres facteurs jouent au moins un rôle adjuvant, mais leur contribution est encore mal connue. Il s’agit en particulier des altérations du système lymphatique, siège d’une microangiopathie sévère, avec perméabilité excessive, reflux et destruction des canalicules dermiques superficiel, responsable dans les formes sévères d’authentiques lymphœdèmes secondaires localisés [20]. Diverses altérations fonctionnelles des nerfs périphériques ont également été décrites, qui pourraient expliquer certaines anomalies vasomotrices, mais aussi une vulnérabilité aux traumatismes locaux favorisant les ulcères [16].
Symptômes veineux
Les symptômes veineux constituent une gêne fonctionnelle dont le type est difficile à décrire par les patients. Ceux-ci insistent le plus souvent sur la sensation de jambes lourdes ou de jambes enflées, parfois sur des « impatiences » ou des crampes; plus rarement sont mentionnées une sensation de chaleur excessive qui peut faire évoquer une érythermalgie à minima ou des douleurs sur les trajets veineux (phlébalgies). Les circonstances de survenue, l’influence de la station debout prolongée et de la chaleur ambiante, ainsi que l’amélioration à la marche, sont les caractéristiques les plus évocatrices [21].
Les symptômes sont fréquemment mais non exclusivement associés aux varices. Ainsi, dans l’étude bâloise portant sur les employés de l’industrie chimique, 64 % des sujets ayant des varices se plaignaient des jambes, mais également 54 % des sujets sans varices [22]. L’étude écossaise [23] a révélé les multiples dénominations des symptômes usuellement attribués à la pathologie veineuse dans la culture britannique et leur prévalence élevée, de 9 à 54 % pour chacun d’entre eux pris isolément; le lien avec les varices n’était significatif que pour les sensations de lourdeur, de douleurs sourdes (aching) et de prurit (tableau 2-4).
Ils sont d’autant plus fréquents que la maladie veineuse est sévère, et presque tous les patients atteints de troubles trophiques s’en plaignent. Toutefois, le lien avec l’âge n’est pas retrouvé dans toutes les études [1], alors que la prédominance féminine est constamment retrouvée [1, [22–25] et parfois la station debout prolongée [1, 14]. Les symptômes veineux constituent aussi un syndrome relativement indépendant des varices et des troubles trophiques veineux, a priori sans valeur pronostique particulière.
Conclusions
Les progrès réalisés ces dernières années dans la compréhension de la genèse des troubles trophiques cutanés d’origine veineuse sont importants, bien que de nombreux points restent à éclaircir avant d’en exploiter toutes les conséquences thérapeutiques. Il n’en va pas de même pour la pathogénie des varices ni pour les mécanismes des symptômes veineux, qui restent mal expliqués. Dans ce domaine, l’épidémiologie nous offre la meilleure voie de progrès, par la mise en évidence de facteurs de risque. Cette approche doit cependant être perfectionnée par l’utilisation de méthodes d’exploration non vulnérantes de la physiologie veineuse et microcirculatoire, combinées avec des méthodes d’échantillonnage fondées sur la population générale, et surtout par un suivi longitudinal permettant d’éclaircir une histoire naturelle encore imprécise.
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