2: Organisation et fonctionnement du système de soins psychiatriques français


Organisation et fonctionnement du système de soins psychiatriques français




Historique



Le concept de « secteur »


Le système de soins psychiatriques français est organisé, depuis les années 1970, sur les bases d’une politique conçue immédiatement après la Seconde Guerre mondiale. Cette politique fut inspirée par une réflexion collective qui associa en mars 1945 l’ensemble des associations scientifiques françaises, réunies en « journées nationales » (Ayme, 1995). Elle attribua d’abord une fonction au système public de soins, en lui assignant des objectifs d’humanisation et de désinstitutionalisation. La prévention, la continuité des soins et le développement des soins ambulatoires furent érigés en principes directeurs. Cette organisation prit le nom de « secteur psychiatrique » (Loi n° 85-1468, 1985) : une population déterminée par son territoire de résidence était suivie par une même équipe pluriprofessionnelle de médecins, psychologues, infirmiers, assistants sociaux assurant aussi bien les soins hospitaliers que le suivi ambulatoire, en prévention comme en « postcure ». Une première fois formulée par une circulaire ministérielle du 15 mars 1960, cette organisation se déploya sur tout le territoire français entre 1975 et 1990, tant en psychiatrie d’adultes qu’en psychiatrie infantojuvénile. Elle constitue encore la base du maillage existant.



La psychiatrie privée


La psychiatrie libérale prit son essor en France à partir des années 1970. Elle fut pourvue par une génération beaucoup plus nombreuse que les décennies précédentes de psychiatres formés, après que la psychiatrie, comme discipline médicale enseignée, se fut détachée de la neurologie. Cette génération, dont la formation se fonda alors essentiellement de concepts psychodynamiques, s’installa en cabinet et assura principalement des suivis ambulatoires individuels, en se concentrant sur une pratique psychothérapique.


La psychiatrie libérale hospitalière connut un développement parallèle, mais moins prononcé, et plus hétérogène. Si elle investit significativement certaines régions (Sud-Ouest, Sud-Est, région parisienne), elle ne s’implanta en d’autres que faiblement.




L’État des lieux des années 2010


Actuellement, l’offre de soins psychiatriques connaît des évolutions contrastées, déterminées autant par l’évolution des techniques et des conceptions que par celle des budgets, qui sont devenus comme partout en Europe nettement plus contraints, et souvent en diminution en termes réels.



L’hospitalisation privée


C’est la partie de l’offre de soins qui a le moins évolué. Elle représente 20 % des lits installés [pour 25 % des patients hospitalisés sur une année (taux de recours annuel : 1,5 pour 1 000)]. Elle n’accueille pas, sauf pour certains établissements privés d’intérêt collectif (ESPIC), de patients hospitalisés sans leur consentement. L’offre de soins libérale ambulatoire ne croît plus depuis le début des années 2000. On compte aujourd’hui neuf psychiatres libéraux pour 100 000 ha, avec de grandes inégalités territoriales (11 pour les psychiatres d’exercice public), avec une prévision de décroissance (point bas à moins 20 %) dans les dix prochaines années avant qu’une remontée n’intervienne (Conseil national de l’Ordre des médecins). Le taux de recours annuel aux psychiatres libéraux est de 2,5 % de la population générale, similaire aux taux de recours au système public, ce qui reste au total très en deçà de la proportion de la population générale justifiant de soins spécialisés (Alonso, et al., 1995). En revanche, les patientèles ont des caractéristiques très différentes, sociodémographiques, diagnostiques et en matière de dépendance au système de soins. Le système libéral accueille des patients globalement plus jeunes, plus actifs, présentant des pathologies moins invalidantes, et faisant le choix d’effectuer une démarche de soins impliquant une ouverture au changement subjectif.



Le système public


Il prend davantage en charge les patients dont la pathologie nécessite l’intervention de l’ensemble des professionnels de l’équipe, et présentant plus fréquemment des pathologies psychotiques (30 % de la file active) ou des troubles graves de l’humeur (30 % de la FA) ou de la personnalité affectant leur autonomie sociale ou leur capacité de consentir aux soins. La file active globale du système public (2,7 % de la population générale chez les plus de 20 ans en 2009) a beaucoup augmenté dans les 15 dernières années (+ 90 %), alors que ses moyens en personnel ont diminué d’environ 10 %. Quinze pour cent des personnes suivies par le système public ont été hospitalisées dans l’année, dont 18 % sans consentement. Cet ajustement n’a pu s’effectuer que par le transfert de moyens des structures hospitalières vers les dispositifs ambulatoires. Le nombre de lits installés (38 000 lits en 2003, 60 lits/100 000 ha) a diminué de 60 % en 15 ans (Coldefy, 2007). Ce mouvement touche à sa fin. Beaucoup d’établissements constatent aujourd’hui un afflux de demandes de soins hospitaliers qui excèdent souvent leurs capacités d’accueil nominales. Pour les observateurs de ce phénomène, son interprétation ne peut être univoque, et ne peut se résumer à une augmentation de la morbidité dont on ne voit pas ce qui la justifierait intrinsèquement. On peut revanche incriminer la conjugaison de phénomènes multiples et intriqués tels la détérioration du lien social et de la solidarité en période de crise, le manque de globalité des réponses apportées par le champ social, ainsi que son défaut de réactivité, la rémanence du schéma culturel que constitue le recours à l’hospitalisation suggéré par un principe de précaution extensif, la tentation collective de la relégation des personnes présentant des troubles du comportement.


En creux, on voit se dessiner ce qui pourrait l’endiguer, en particulier des moyens croissants confiés au champ médicosocial, qui pourraient se substituer aux équipements hospitaliers, mais avec une mission différente. On voit poindre l’émergence de ce mouvement (Charzat, 2002), notamment depuis la loi du 11 février 2005 qui a reconnu les pathologies psychiques comme susceptibles d’induire une situation de handicap (Loi n° 2005-102, 2005), mais on est encore objectivement loin du compte, si l’on considère l’ampleur des besoins, le manque de savoir-faire et de protocoles validés, le manque de professionnels formés, et la rareté des acteurs associatifs en capacité de remplir cette fonction.



Constats et questionnements



Désinstitutionalisation…


L’évolution de l’activité du système de soins psychiatriques, à l’instar de celle de la plupart des pays européens, a donc été depuis 30 ans marquée en France par une vague de désinstitutionalisation. Cette dernière a résulté de facteurs conjugués. Les progrès dans l’efficacité des thérapeutiques médicamenteuses dans la prévention des rechutes, l’évolution des conceptions du soin, et parallèlement celle de la société dans l’exercice de la citoyenneté qu’elle permet ou favorise pour ses membres les plus fragiles, l’émergence des mouvements de représentation des usagers et des familles ont été les principaux. Cette désinstitutionalisation a été voulue, recherchée, mais elle est aussi intervenue à une période historique où un ralentissement de la croissance des dépenses de santé était souhaité. Elle a abouti à ce que depuis 15 ans les dépenses consacrées aux soins de psychiatrie ont crû deux fois moins vite que les dépenses consacrées aux autres pathologies et, compte tenu de l’augmentation des coûts, à une diminution globale des moyens disponibles (Coldefy, 2007).


Comme on l’a vu, cette désinstitutionalisation a surtout porté sur le système public. Une réglementation innovante a permis à partir de 1986 que se mettent en place des dispositifs alternatifs à l’hospitalisation organisant le soutien et le suivi des patients en ambulatoire, et plus économe de moyens en personnel. Toutefois ce déploiement de structures s’est effectué sans s’appuyer sur une véritable évaluation de la nature et de la quantité des besoins des patients, une réflexion et une définition précise des actions de soins à mettre en œuvre, et sans que soient énoncés les objectifs de santé publique et élaborées les méthodes retenues pour y parvenir. Cette transformation s’est conduite en vertu d’une politique globale, conçue comme une direction générale à suivre (Rapport sur la santé dans le monde, 2001), qui fut appliquée au gré des acteurs locaux, donc de manière très hétérogène en figeant les inégalités d’offre existantes. Aujourd’hui il n’est pas équivalent, en termes de qualité des soins, de souffrir d’une pathologie psychotique en région parisienne, en zone rurale, ou dans une ville moyenne.


La désinstitutionalisation, à priori considérée comme porteuse de progrès pour les patients (Goffman, 1961), et que l’on doit en France à la politique de secteur, peut donc justifier certaines critiques.

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

May 10, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 2: Organisation et fonctionnement du système de soins psychiatriques français

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access