2: Dépistage

CHAPITRE 2


Dépistage



Dépister le strabisme ne serait d’aucun intérêt s’il n’était associé à l’amblyopie. Si le strabisme est prononcé, il est remarqué par l’entourage et un dépistage est inutile ; si le strabisme est peu ou pas visible, en cas d’absence d’amblyopie, les conséquences esthétiques ou fonctionnelles minimes ne justifient pas non plus un dépistage.


Le dépistage du strabisme est donc étroitement lié au dépistage de l’amblyopie.


Dans le texte qui suit, l’âge préscolaire désigne les enfants de deux à cinq ans, l’âge scolaire allant de six à dix-huit ans.



Préliminaires




Un dépistage est l’application d’un ou plusieurs tests à une population donnée visant à identifier les individus potentiellement atteints d’une anomalie. La performance d’un dépistage se mesure en comparant ses résultats avec ceux d’un examen de référence et s’exprime le plus souvent en termes de sensibilité, spécificité, valeur prédictive positive (VPP) et valeur prédictive négative (VPN) (cf. encadré).


Plus la spécificité d’un dépistage est élevée, plus sa propension à éviter les faux positifs augmente, ainsi que sa VPP (du fait de la diminution de faux positifs). Le même raisonnement lie la sensibilité et la VPN.


On peut changer le seuil d’un test de dépistage en décidant de conditions plus strictes de positivité. On réduit ainsi le nombre total de positifs (vrais et faux) et on augmente le nombre total de négatifs (vrais et faux), ce qui entraîne généralement une diminution de sa sensibilité et une augmentation de sa spécificité. On ne peut pas améliorer à la fois la sensibilité et la spécificité d’un dépistage avec ce genre d’ajustement.


Ajouter un test supplémentaire à un dépistage, que le sujet doit également rater pour être considéré positif, rend ce dépistage plus exigeant. Cette action apporte donc un gain de spécificité, au détriment de la sensibilité.



En fonction des circonstances et de l’affection à dépister, c’est au promoteur du dépistage de choisir s’il préfère une sensibilité ou une spécificité élevée. Pour une affection mortelle, il faut absolument privilégier la sensibilité car il serait très grave de ne pas la dépister. Pour un dépistage visuel, vu que les anomalies réfractives, l’amblyopie ou le strabisme ne compromettent pas le pronostic vital et qu’il vaut mieux éviter de surcharger les ophtalmologues déjà peu nombreux par des faux positifs, une spécificité de 90 % ou plus est souhaitée.


L’appréciation d’un dépistage par le public concerné (parents, acteurs du dépistage, ophtalmologues qui examinent l’enfant référé) se fait en général par le seul intermédiaire de sa VPP, c’est-à-dire le nombre d’enfants positifs correctement référés. Or, il faut savoir que la VPP est non seulement liée à la spécificité du dépistage mais aussi à la prévalence de l’affection à dépister.


Pour exemple, le tableau 2-I rapporte certains paramètres d’un dépistage réfractif. Dans ce tableau, la sensibilité et la spécificité du test pour dépister la myopie au-delà de 3 δ sont nettement plus élevées que celles obtenues pour l’hypermétropie. On constate cependant que la VPP pour dépister la myopie est largement inférieure à celle pour dépister l’hypermétropie (33 % versus 55 %). Ceci est uniquement lié au fait que la prévalence de la myopie est beaucoup plus basse que celle de l’hypermétropie.



Enfin, pour ne pas être trompés sur les résultats d’une publication concernant un dépistage, il faut vérifier si l’échantillon dépisté et examiné ne comporte pas de biais. Il y a essentiellement deux types de biais possibles dans les articles portant sur le dépistage :



La présence de ces biais impose un recalcul des performances du dépistage, qui peuvent dès lors se révéler beaucoup moins attrayantes.


Les tableaux 2-II à 2-IV aideront le lecteur à comprendre comment ces qualités diagnostiques sont recalculées.





Dans le tableau 2-II, nous postulons une population non sélectionnée de 1 000 enfants dépistés, qui ont tous été soumis à l’examen de référence : si, en réalité, ce groupe de 1 000 enfants soumis à l’examen de référence ne représente qu’une partie du total des enfants dépistés, il y a un biais de vérification qui affecte les chiffres de sensibilité et de spécificité. Ces chiffres doivent être ajustés en pondérant les montants d’enfants dépistés positifs et négatifs, afin de faire correspondre le rapport entre les dépistages positifs et les dépistages négatifs.


Le tableau 2-III permet de faire ce calcul correctif de sensibilité et de spécificité. Supposons ici une proportion de tests positifs de 4 % au sein du total des enfants dépistés. On avait 90 positifs sur les 1 000 tests de dépistage (9 %) pour le tableau 2-II et on désire atteindre 4 %. On pondérera donc la ligne des dépistages positifs par 4 %/9 % et celle des dépistages négatifs par 96 %/91 %.


Si maintenant la population totale dépistée présente un biais de sélection — par exemple, la prévalence de la maladie dans l’échantillon est de 32,77/1 000 = 3,277 % ; or, la prévalence de cette maladie dans une population non sélectionnée est connue et avoisine généralement 1 % —, il faut faire le même type de calcul correctif pour obtenir les valeurs prédictives du test de dépistage au sein d’une population non sélectionnée.


Pour le tableau 2-IV, supposons une prévalence de 1 %. Au tableau 2-III, nous avions 3,277 % d’examens positifs et on désire atteindre 1 % pour correspondre à la prévalence ; il faut donc pondérer la colonne des examens positifs de 1 %/3,277 % et les examens négatifs de 99 %/96,723 %.


La prise en considération des deux biais (tableaux 2-III et 2-IV par rapport au tableau 2-II) a diminué nettement la sensibilité (67,8 % au lieu de 83,3 %) et la VPP (27,1 % au lieu de 55,5 %).



Justification


Pour justifier qu’une affection soit dépistée, les principes généraux suivants doivent être respectés :




image PRÉVALENCE





PRÉVALENCE DE L’AMBLYOPIE


Le niveau d’acuité visuelle défini comme critère diagnostique a un impact majeur sur l’estimation de la prévalence. Pour être utiles, nos efforts de dépistage et de traitement de l’amblyopie devraient permettre aux sujets dépistés et traités d’être capables de lire un texte de taille normale, à distance normale et à vitesse normale avec chaque œil séparément. Cette faculté nécessite une acuité visuelle de reconnaissance aux symboles groupés qui se situe entre 6/10 et 7/10 (Parinaud 2).


La prévalence de l’amblyopie — définie comme une acuité visuelle strictement inférieure à 6/10 — se situe entre 3 % et 5 % en l’absence de dépistage et de traitement conséquent ; cette valeur est suffisamment élevée pour justifier un dépistage.


Il n’y a pas de différence de prévalence entre les sexes [2, 15].



PRÉVALENCE DES FACTEURS AMBLYOPIGÈNES


Les principaux facteurs amblyopigènes sont les anomalies réfractives et le strabisme. La prévalence de ceux-ci est supérieure à celle de l’amblyopie. Ceci s’explique car il existe des strabismes sans amblyopie ou des anomalies réfractives dont la simple correction par verres fait remonter l’acuité visuelle à un niveau normal. Une estimation approximative dans une population d’enfants préscolaires d’origine caucasienne situe la prévalence du strabisme entre 3 % et 5 % et celle des anomalies réfractives entre 8 % à 12 % [2, 4]. D’autres causes rares de l’amblyopie, comme les anomalies des paupières, des milieux transparents de l’œil ou de l’ensemble rétine/nerf optique et les nystagmus moteurs, comptabilisent une prévalence de 1 % ou moins.



image CONNAISSANCE DE L’HISTOIRE NATURELLE



FACTEURS AMBLYOPIGÈNES ET STRABOGÈNES





Généralités

Les anomalies de réfraction et le strabisme sont les deux causes les plus fréquentes d’amblyopie. Elles s’intriquent dans la genèse de l’amblyopie et ont avec celle-ci des interactions favorisant l’auto-entretien, qui sont illustrées dans la figure 2-1.



En cas d’hypermétropie modérée à forte, l’accommodation mise en jeu pour la compenser favorise le strabisme convergent car il existe une synergie entre l’accommodation et la convergence. Cette tendance à la convergence n’entraîne pas de strabisme tant qu’elle est compensée par les capacités fusionnelles en divergence. Si ces capacités fusionnelles sont insuffisantes, il apparaît un strabisme convergent. Or, l’hypermétropie forte est amblyopigène en soi puisqu’elle est responsable d’un flou des images ; en favorisant le strabisme, elle cumule un facteur amblyopigène de plus.


Les autres anomalies réfractives favorisent également l’amblyopie par absence d’images de bonne qualité. Cette amblyopie s’accompagne d’une instabilité motrice de l’œil, favorisant le strabisme qui est lui-même un facteur amblyopigène. Le strabisme favorise l’amblyopie, ce qui peut avoir des répercussions sur la réfraction en entraînant une anisométropie secondaire, laquelle facilite l’entretien de l’amblyopie. Une anomalie de structure de l’œil peut troubler légèrement la vue et favoriser le strabisme, celui-ci ajoutant à la malvoyance « organique » une malvoyance « fonctionnelle » par le biais de l’amblyopie.


Comme le strabisme et les anomalies de la réfraction oculaire sont des causes d’amblyopie étroitement liées entre elles, les chiffres attribuant la responsabilité de l’une ou l’autre cause à l’amblyopie dépendent de l’âge des sujets étudiés et de la recherche effective d’anomalies de la réfraction oculaire. Les revues générales et traités anciens ont attribué au strabisme le rôle principal dans la genèse de l’amblyopie. Cependant, les études plus récentes mesurant la réfraction chez des enfants plus jeunes, âgés de trois à sept ans, donnent aux anomalies de la réfraction oculaire un rôle prépondérant par rapport au strabisme dans la genèse de l’amblyopie : 55 % à 65 % de cause réfractive à l’amblyopie pour 25 % à 45 % de cause d’origine strabique (fig. 2-2). D’autres causes rares de l’amblyopie sont les opacités des milieux intraoculaires, le ptosis et le nystagmus moteur.



La discordance entre les études plus anciennes et les études plus récentes émane du fait que les troubles de la réfraction, tels que l’anisométropie et en particulier l’hypermétropie, peuvent conduire ultérieurement au strabisme. Comparée à l’ésotropie précoce survenant avant l’âge de six mois et dont la prévalence est faible (autour de 1 %), l’ésotropie accommodative, environ trois fois plus fréquente, apparaît le plus souvent après l’âge de deux ou trois ans. Si les données concernant la réfraction sont inconnues, on peut attribuer à tort une amblyopie à une ésotropie d’origine accommodative. En réalité, c’est le trouble de la réfraction oculaire qui a favorisé le strabisme et conduit à l’amblyopie. La correction optique de l’anomalie réfractive avant le développement du strabisme peut prévenir tant le strabisme que l’amblyopie.


Un autre point de confusion provient du fait que, si le strabisme est classé après les anomalies réfractives dans l’ordre d’importance des facteurs amblyopigènes, le risque amblyopigène du strabisme, une fois présent, est en revanche plus important que celui des anomalies réfractives.


Enfin, bien qu’il y ait de nombreuses preuves que les troubles de réfraction précèdent le strabisme et l’amblyopie chez de nombreux enfants, l’inverse peut parfois se produire, causant une confusion supplémentaire : la réfraction de l’œil fixateur non amblyope évolue avec le temps vers des valeurs plus négatives ou moins positives, tandis que celle de l’œil amblyope reste plus stable, conduisant à une anisométropie secondaire.



Anomalies réfractives et processus d’emmétropisation

Lorsqu’on compare les données réfractives d’une population d’adultes à celle d’une population de nouveau-nés, il paraît évident que les erreurs réfractives ne sont pas un phénomène statique au cours de la vie. À la naissance, les erreurs réfractives sont normalement distribuées, suivant une courbe gaussienne dont le sommet correspond à + 2 δ et la déviation standard à 2,75 δ. Chez l’adulte, la variabilité est beaucoup plus réduite : la courbe est anormalement pointue et étroite, son sommet équivaut à + 1 δ et la déviation standard n’est plus que de 1 δ seulement.


Cette tendance naturelle de la réfraction à passer d’un état variable, habituellement amétropique, à un état moins variable et emmétropique s’appelle l’emmétropisation. Ce processus s’exerce principalement pendant la première année de vie et encore, à moindre effet, durant les deux années suivantes.


Les études longitudinales montrent que la relation entre les anomalies réfractives et le développement subséquent de strabisme ou d’amblyopie n’est pas simple. En effet, des anomalies réfractives importantes peuvent exister chez le nourrisson puis disparaître. Ce processus d’emmétropisation est à la fois passif, lié au fait que l’œil subit une croissance au même titre que les autres parties du corps, et actif, lié à l’expérience visuelle. La part active du processus explique que des anomalies réfractives importantes dans les premiers mois de vie peuvent avoir totalement régressé à l’âge d’un an, ce qui ne serait pas explicable par la simple croissance passive de l’œil.


Les facteurs responsables du processus d’emmétropisation sont encore inconnus. L’accommodation joue peut-être un rôle mais ni le blocage de celle-ci, ni la section du nerf optique n’arrêtent l’emmétropisation. Des neurotransmetteurs et des facteurs de croissance dont le taux serait modulé par l’activité rétinienne pourraient jouer un rôle.


En conclusion, l’état des connaissances actuelles sur l’emmétropisation chez l’homme montre que ce processus s’exerce principalement pendant la première année de vie, mais encore à moindre effet durant les deux années suivantes. Il n’est donc pas utile de pratiquer un dépistage réfractif avant neuf à douze mois, vu que la réfraction change considérablement au cours de la première année : des erreurs réfractives importantes à la naissance peuvent disparaître complètement à l’âge d’un an. La persistance d’anomalies réfractives importantes au cours des premières années de vie signe un défaut de ce processus d’emmétropisation. Ce défaut est lié à l’amblyopie et au strabisme et il contient une dynamique d’autoentretien puisque le défaut d’emmétropisation empêche les images nettes et favorise l’amblyopie qui favorise à son tour le défaut d’emmétropisation, etc.



Anomalies réfractives potentiellement amblyopigènes

Les références de base du sujet suivant ne sont pas indiquées, vu leur abondance. Elles sont détaillées par l’auteur dans un article de synthèse et dans un livre [4, 5].





HYPERMÉTROPIE

Il est utile de séparer l’hypermétropie faible qui correspond à un état réfractif normal chez l’enfant, sans risque amblyopigène, constituant la population la plus large des dépistages réfractifs à l’âge d’un an, de l’hypermétropie forte qui prédispose au strabisme et à l’amblyopie. La frontière entre les deux groupes se situe dans la zone de + 3,5 δ à + 4,0 δ. L’hypermétropie forte supérieure à 3,5 δ est l’anomalie de la réfraction oculaire qu’on rencontre le plus fréquemment (environ 7 % à 8 %) lors des dépistages réfractifs effectués entre six mois et cinq ans. Selon Atkinson, les nourrissons âgés de sept à neuf mois qui ont une hypermétropie supérieure à + 3,5 δ sont treize fois plus susceptibles de présenter un strabisme et six fois plus susceptibles de présenter une amblyopie à l’âge de quatre ans que les enfants qui ne présentent pas d’anomalie de la réfraction oculaire Il est intéressant de noter que le déficit d’acuité visuelle à l’âge de quatre ans n’est pas nécessairement unilatéral chez les hypermétropes forts, mais souvent bilatéral. La sous-correction de 1 δ de cette hypermétropie entraîne quatre fois moins de risque de strabisme et deux fois et demie moins de risque d’amblyopie que la non-correction. Cette sous-correction n’entrave pas le processus d’emmétropisation. Des constatations de même ordre sont faites par d’autres auteurs : chez les enfants dépistés hypermétropes forts et corrigés précocement, l’acuité visuelle est meilleure et le risque de strabisme est plus faible.


En conclusion, l’hypermétropie au-delà de + 3,5 δ à + 4 δ chez les enfants en âge préscolaire est fréquente (7 % à 8 %) et est un facteur de risque important d’amblyopie et de strabisme.



MYOPIE

Cette anomalie de la réfraction oculaire est également séparée en deux groupes, comme c’est le cas pour l’hypermétropie, la zone frontière se situant aux environs de – 3 δ. La myopie supérieure à 3 δ est rare parmi les enfants en bonne santé, sa prévalence étant estimée à 0,25 % chez les enfants âgés d’un an. La myopie inférieure à – 3,5 δ vers l’âge d’un an aurait tendance à diminuer à l’âge de trois ans selon certains auteurs.


Il ne semble donc pas utile de corriger d’emblée une faible myopie symétrique (inférieure à – 1,5 δ) présente à l’âge d’un an car, d’une part cette anomalie n’est pas amblyopigène, autorisant une vision nette dans un espace rapproché, et, d’autre part, elle pourrait disparaître avec le temps. Cette myopie faible peut également être le résultat d’une cycloplégie insuffisante, fréquente à cet âge.


Cependant, la myopie bilatérale supérieure à – 3 δ chez le nourrisson, qui empêche une vision nette au-delà de 30 cm et qui ne montre pas de tendance à la diminution si elle n’est pas corrigée, justifie une correction. Celle-ci a pour but de réduire ou arrêter l’évolution de la myopie et d’améliorer l’acuité visuelle.


La véritable amblyopie due à une myopie forte bilatérale sans strabisme a été décrite par plusieurs auteurs, le risque existant surtout à partir de – 6 δ de myopie.


En conclusion, la myopie anormale et symétrique est rare et n’est pas nécessairement amblyopigène à moins d’être sévère (supérieure à – 6 δ) et présente dès le jeune âge.



ASTIGMATISME

L’astigmatisme atteint une prévalence d’environ 50 % au cours de la première année de vie. La majeure partie disparaît au cours de la deuxième année. L’astigmatisme est en général considéré comme significatif à partir d’une valeur de 1 δ ou plus. Toutefois, de nombreux ophtalmologues ne prescrivent pas de correction pour les enfants n’ayant pas atteint l’âge de douze mois si l’astigmatisme est inférieur à 2 δ. L’astigmatisme peut diminuer spontanément entre l’âge d’un an et l’âge de quatre ans.


Les enfants âgés d’un an à quatre ans présentant un astigmatisme constant, croissant ou oblique supérieur à 1 δ sont à risque d’amblyopie.


Chez les enfants strabiques présentant une hypermétropie avec astigmatisme supérieur à 1 δ, la correction précoce (avant deux ans et demi) de leur astigmatisme améliore l’acuité visuelle de l’œil dominant par rapport aux enfants présentant des caractéristiques identiques mais ayant eu une correction tardive à l’âge de huit ans.


Une amblyopie amétropique sans strabisme peut survenir pour des cylindres allant de 3,25 δ à 5 δ.


En conclusion, l’astigmatisme supérieur à 1 δ peut diminuer, persister ou croître entre un an et quatre ans. L’évolution de la réfraction aide à détecter l’astigmatisme persistant ou croissant, qui est amblyopigène, au même titre que l’astigmatisme oblique. À partir de 3 δ d’astigmatisme symétrique bilatéral, il existe un risque d’amblyopie amétropique bilatérale.



ANISOMÉTROPIE

Parallèlement à l’astigmatisme, l’anisométropie peut considérablement changer durant les premières années de vie. Une anisométropie importante à l’âge d’un an peut avoir complètement disparu à l’âge de quatre ans. Inversement, un enfant isométrope à l’âge d’un an peut développer une anisométropie anormale à l’âge de quatre ans. L’astigmatisme et l’anisométropie sont souvent associés.


L’anisométropie supérieure à 1 δ peut être amblyopigène, le risque allant de 10 % à 30 % (tableau 2-V). L’anisométropie supérieure à 3 δ à l’âge d’un an est encore présente à l’âge de dix ans dans 90 % des cas, et le risque de développement d’une amblyopie est important (60 %).



Il est généralement admis que l’anisohypermétropie est beaucoup plus amblyopigène que l’anisomyopie. Sans référence à des données provenant d’études, le consensus du comité directeur du groupe d’étude Vision in Preschoolers (VIP) donne de l’anisométropie importante la définition suivante : « Différence entre les deux yeux supérieure à 1 δ dans l’hypermétropie, à 3 δ dans la myopie et à 1,5 δ dans l’astigmatisme » [24].


En conclusion, chez les enfants âgés d’un an à quatre ans, l’anisométropie entre 1 δ et 3 δ justifie plusieurs contrôles réfrac-tifs pour évaluer son évolution dans le temps. Si l’anisométropie est égale ou supérieure à 3 δ, elle est clairement amblyopigène. L’anisohypermétropie et l’anisoastigmatisme sont plus amblyopigènes que l’anisomyopie.



RÉCAPITULATIF



Le tableau 2-V rassemble des données de plusieurs études qui concernent des populations européennes ou américaines d’enfants d’un an à six ans. Ce tableau n’a qu’une valeur indicative ; il permet de préciser les risques d’amblyopie et de strabisme relatifs aux principaux facteurs amblyopigènes. Dans l’ensemble sont repris les chiffres les moins et les plus élevés. Les différences sont souvent explicables par des définitions différentes de l’amblyopie ou par un âge différent des populations. L’anisométropie et l’astigmatisme conduisent à des taux d’amblyopie différents selon qu’ils disparaissent, persistent ou augmentent entre un an et quatre ans.




image IMPACT DE L’AMBLYOPIE ET DU STRABISME SUR LA QUALITÉ DE VIE



AMBLYOPIE UNILATÉRALE




Pour rappel, l’Organisation mondiale de la santé considère qu’une vision est normale si elle est supérieure ou égale à 8/10.


L’impact de l’amblyopie unilatérale sur la qualité de vie comporte plusieurs aspects, la plupart de ceux-ci étant estimé à l’échelle individuelle — il n’existe que peu d’études robustes de population.




Perte d’utilité

Elle serait plutôt liée à l’amblyopie strabique qui amoindrit les performances d’habileté motrice fine, surtout pour les tâches de dextérité manuelle demandant de la vitesse et de la précision. Si ce fait est actuellement prouvé chez l’enfant [10, 26, 28], il manque toujours de données précises pour en indiquer les conséquences sur la perte d’utilité chez l’adulte. Il n’y a pas de différence significative dans la profession effectuée chez les amblyopes — ceux-ci étant définis comme ayant une acuité visuelle de l’œil amblyope de 6/10 ou moins — et les non-amblyopes. Cependant, moins de sujets amblyopes accèdent aux études universitaires par rapport aux non-amblyopes (différence légèrement significative p = 0,05) [2].



Crainte de perdre le bon œil

L’amblyopie unilatérale place celui qui en souffre dans une situation à risque de cécité et à risque d’accident. Le risque de cécité existe s’il y a maladie du bon œil. En effet, les sujets amblyopes sont victimes au même titre que les autres des pathologies oculaires courantes, l’amblyopie ne constituant aucunement un facteur de protection contre ces affections. Dans nos pays où l’espérance de vie est considérable, les quatre premières grandes causes de cécité sont la dégénérescence maculaire sénile, le diabète, la cataracte et le glaucome. Ces pathologies menacent l’amblyope de malvoyance voire de cécité si le bon œil est atteint. Une autre source de morbidité chez les amblyopes âgés provient de la crainte des chirurgiens ophtalmologiques d’opérer le bon œil en cas de cataracte ou autres affections relevant de la chirurgie, le délai de décision opératoire étant alors retardé, ce qui met l’amblyope dans une situation de malvoyance bilatérale. Chez l’amblyope, le risque d’accident (de son bon œil ou d’autre partie de lui-même) est environ deux à trois fois plus élevé que dans la population générale [20], car le champ visuel peut être réduit et les obstacles moins bien évités.


Pour toutes ces raisons, l’amblyopie comporte un risque à peu près double de handicap visuel bilatéral, soit par maladie soit par accident. Comparés aux individus non amblyopes, les amblyopes expérimentent ce handicap visuel en moyenne six mois de plus [27].


Les aspects économiques liés à la perte du bon œil sont abordés dans la section consacrée à l’efficience et au coût du dépistage.




AMBLYOPIE BILATÉRALE


La morbidité qui en découle est essentiellement liée à la profondeur de l’amblyopie et donc au score de vision binoculaire :



– du point de vue fonctionnel, lorsque l’acuité visuelle binoculaire avec correction est de 5/10 à 8/10 (ce qui est le cas de la majorité des amblyopies bilatérales dans nos contrées), le handicap est jugé minime : le sujet est capable d’exercer la plupart des professions (hormis celles citées plus haut comportant des critères légaux d’aptitude visuelle) ;


– lorsque la vision binoculaire est de 3/10 à 5/10, il est difficile d’accéder à la plupart des métiers : tout ce qui exige la lecture, l’utilisation d’instruments de mesure, la soudure, le montage minutieux de pièces est exclu, de même que tout ce qui nécessite la reconnaissance de signaux visuels de danger sur des produits ou des visages (portiers, magasiniers, électriciens etc.). Le travail sur écran est possible avec adaptation des conditions de travail (agrandissement des images sur l’écran). En dessous du seuil de 3/10, il n’y a quasi aucune chance que le candidat puisse trouver place sur le marché normal du travail ;


– par ailleurs, l’obtention du simple permis de conduire (voiture légère), indispensable dans certains cas pour exercer un métier, suppose une acuité visuelle binoculaire d’au moins 5/10. Ce score exigé est le même en cas de vision monoculaire (perte d’un œil, par exemple, ou occlusion volontaire d’un œil suite à une diplopie).



STRABISME


La présence d’un strabisme retentit sur le bien-être psychique de l’enfant et de son entourage. L’enfant lui-même en est toutefois rarement conscient avant l’âge de quatre à cinq ans.


À l’âge adulte, les sujets strabiques nouent plus difficilement des liens d’amitié, ont moins d’interactions sociales et une moins bonne image d’eux-mêmes que les sujets non strabiques [2]. Ils peuvent également souffrir de troubles fonctionnels : dans une série de quatre cent quarante-neuf cas de strabisme ayant consulté le service d’ophtalmologie de Nantes après l’âge de quinze ans, Quéré et Mehel ont relevé les plaintes suivantes [22] :



L’influence de l’amblyopie et du strabisme sur les interactions sociales de l’enfant lui-même reste encore à étudier.



image TRAITEMENT




Sans traitement, la vision de l’œil amblyope peut se détériorer, amenant une majoration de l’amblyopie. De même, une amblyopie peut s’installer en présence de facteurs amblyopigènes non traités. Le traitement consiste essentiellement en la prescription de verres correcteurs pour envoyer au cerveau une image de bonne qualité, et en une pénalisation de l’œil dominant par occlusion sur peau ou atropine et/ou pénalisation optique. Il s’agit d’un traitement simple, d’un coût à la portée de la plupart des parents, qui comporte 70 % à 93 % de succès. L’adhésion au traitement et un traitement instauré le plus précocement possible sont les deux facteurs majeurs déterminant son succès. Ces deux facteurs sont liés car l’âge intervient dans l’adhésion au traitement. Le niveau initial d’acuité visuelle joue aussi un rôle, l’adhésion au traitement étant moins bonne si l’acuité visuelle est très mauvaise au départ. Encore une fois, ce facteur dépend aussi de l’âge : à traitement tardif correspond en général une acuité visuelle de départ moins bonne [2].


Le type d’amblyopie a aussi de l’importance : l’amblyopie strabique a en général un taux de guérison moins bon que l’amblyopie sans strabisme, l’amblyopie la plus difficile à traiter étant l’amblyopie strabique associée à une anisométropie.


La majeure partie du gain visuel suite au traitement est acquise en trois mois. Lorsque le traitement est instauré à l’âge de deux ans, la guérison est plus rapide et plus stable que lorsqu’il est instauré à l’âge de quatre ans [16]. Les études MOTAS et PEDIG montrent une différence significative dans le résultat du traitement par occlusion avant cinq ans qu’après [9, 25].

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May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 2: Dépistage

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