Chapitre 19
Réorganisation corticale post-traumatique et plasticité cérébrale : rééducation par les techniques d’imagerie motrice
Introduction
Les progrès en neurosciences ont permis de grandes avancées dans la connaissance des mécanismes de la plasticité cérébrale et de la réorganisation corticale.
L’idée d’un cerveau « figé » à l’âge adulte n’évoluant que dans le sens de la dégradation n’a plus cours. Il existe une plasticité cérébrale très dynamique. Lors d’un traumatisme du membre supérieur, les informations sensorielles afférentes et les ordres moteurs efférents sont perturbés. Ceci conduit à un remodelage de la représentation corticale du membre supérieur. L’imagerie médicale, notamment les IRM fonctionnelles, montre bien les phénomènes de plasticité cérébrale qui vont dans le sens de la péjoration suite par exemple à une amputation ou à un syndrome douloureux régional complexe (SDRC). En revanche cette désorganisation corticale post-traumatique est réversible. En rééducation, nous pouvons exploiter la plasticité cérébrale pour améliorer et régulariser ces modifications du système nerveux central.
Nous ne décrivons que trois indications de choix pour la rééducation de la main qui offrent des résultats prometteurs : les sensations et douleurs de membre fantôme chez les patients amputés et chez les patients présentant une avulsion du plexus brachial, le SDRC et le syndrome d’exclusion-négligence d’un segment. Nous développons ensuite les trois phases du programme d’imagerie motrice.
Plasticité cérébrale
« Le cerveau adulte est un organe immuable, tout peut mourir, rien ne peut régénérer ». Cette notion d’un cerveau « figé » est dépassée. Nous savons maintenant que le cerveau est un système dynamique, en perpétuelle reconfiguration grâce aux phénomènes de plasticité cérébrale [1].
De nouveaux neurones sont en constante formation à partir de cellules souches. Les mécanismes de migration et de transformation pour que ces neurones soient opérationnels sont encore mal connus. Les phénomènes de « sprouting » (bourgeonnement) permettent la formation de nouvelles synapses et dendrites. Plus le cerveau est stimulé par des informations afférentes ou efférentes, plus la formation de neurones et d’interconnexions est importante créant ainsi de nouveaux circuits opérationnels. La plasticité synaptique joue un grand rôle dans la neuroplasticité en modifiant sa structure de connectivité [2]. En fonction de l’utilisation ou non des interconnexions neuronales, il existe un mécanisme hebbien de renforcement ou d’élimination de ces connexions. Ces mécanismes créent des réseaux de neurones qui forment une carte corticale dynamique [1,3–9].
Penfield a cartographié la représentation des différentes régions du corps au niveau du cortex sensori-moteur primaire, schématisée par son homunculus où la zone de la main est très étendue. Elle jouxte celle de la face et celle de l’avant-bras. Cette conception de Penfield est aujourd’hui nuancée car la représentation de l’homunculus n’est pas figée ; il existe en réalité de grandes sous-régions anatomiques avec des chevauchements de zones et des interconnexions. Les cartes corticales sont actuellement envisagées comme des entités dynamiques dont l’état d’équilibre est susceptible de changements permanents induits par l’expérience [10,11]. Un système de connexions de neurones se forme selon la fonction ou l’activité ; cet assemblage de neurones forme une carte sensori-motrice très adaptable selon les besoins [5,7,8,12,13]. Il existe donc un remodelage des aires corticales en fonction des informations sensorielles afférentes et des commandes motrices efférentes [14,15]. Pour Will « le fonctionnement cérébral d’un individu soumis à un excès ou à une carence de stimulation modifie sa structure, et par là même, le fonctionnement ultérieur de son cerveau » [2].
Illustrations de la plasticité cérébrale et des remaniements corticaux
Les études chez un patient amputé des deux mains bénéficiant d’allogreffes bilatérales illustrent ces phénomènes de réorganisation corticale aussi bien dans le sens de la péjoration que dans le sens de l’amélioration [16]. Suite à l’amputation, ce patient n’a plus ni afférences ni efférences en provenance ou à destination des mains. Il s’en suit un remodelage cortical ; la représentation corticale des mains disparaît au profit des zones adjacentes de la face, de l’avant-bras et du bras. Il apparaît une colonisation-chevauchement par les zones adjacentes de la zone corticale de la main laissée vacante. À ce stade, la réorganisation va dans le sens de la péjoration.
Il est encourageant de voir que cette réorganisation peut aller aussi dans le sens de l’amélioration. Six mois après la réalisation d’allogreffes bilatérales des mains, on note chez ce même patient que la représentation corticale des mains, qui avait disparue, retrouve sa localisation initiale puisque des informations arrivent et partent à nouveau du cerveau [17].
Cette réversibilité a lieu de façon très progressive. Cinq mois après la greffe, lorsque l’on touche simultanément le visage et la main, il y a un défaut de sensibilité de la main. Par contre, si l’on touche uniquement la main ou simultanément avec une autre partie du corps, la main est sensible [18]. Tout se passe comme si, au cours de la récupération, il y avait une compétition entre les afférences du visage et celles de la main.
D’autres auteurs [12,19–22] montrent qu’il se produit chez des amputés de la main une migration de la zone somatosensorielle de la bouche vers celle dévolue à la main. Cette réorganisation corticale peut être réversible suite à un réentraînement à la discrimination sensorielle [19,23,24]. La réversibilité de la réorganisation corticale est très encourageante pour le rééducateur. Nous essayons par différentes techniques, parfois en trompant le cerveau, de redonner des afférences sensorielles afin de recréer une image cohérente du corps dans le cortex sensori-moteur primaire.
Chez le patient amputé, cette régularisation s’accompagne d’une diminution des sensations et douleurs de membre fantôme. On retrouve une corrélation entre l’importance de la migration de la zone corticale et l’importance des sensations et douleurs de membre fantôme [19,21,23,25,26].
Autre exemple de réversibilité de la réorganisation corticale : un patient victime d’une paralysie radiale haute qui bénéficie d’un quadruple transfert d’extension [27]. À l’IRMf, on note à six mois une récupération fonctionnelle. L’analyse des activités cérébrales démontre l’émergence d’une activité localisée au niveau des aires motrices et somatosensorielles spécifiques lors de l’extension des doigts, du pouce et du poignet.
L’évolution favorable de la réorganisation corticale peut se déclencher très à distance de l’événement initial. Chez des patients présentant des syndactylies congénitales, l’étude de la représentation corticale des doigts montre un chevauchement et un regroupement des zones. La libération chirurgicale de la syndactylie à l’âge adulte entraîne, au niveau du cortex, une autonomisation des doigts et une augmentation de la distance interdigitale déjà visible à une semaine postopératoire [28,29].
Ces phénomènes de chevauchement de zones corticales sont retrouvés si l’on crée une syndactylie artificielle. Ils sont aussi présents chez des patients traités par immobilisation plâtrée ou souffrant d’un SDRC. Des chevauchements de zones peuvent même se produire après un laps de temps très court ; la stimulation simultanée des pulpes de deux doigts provoque au bout de quelques heures leur regroupement au niveau cortical [5,28,30].
La plasticité cérébrale joue aussi un rôle majeur dans la sur- ou sous-représentation corticale de la main, selon son degré d’utilisation [30]. Un violoniste a une représentation corticale hypertrophiée des doigts de sa main gauche et plus particulièrement de l’auriculaire avec l’apprentissage du vibrato. En revanche le pouce gauche, qui n’a pas une activité particulière, a une représentation normale. L’importance de cette représentation est influencée par le nombre d’années d’apprentissage et l’âge du début de la pratique de l’instrument [5,31,32]. Le lecteur de braille a aussi une représentation corticale hypertrophiée de son doigt « lecteur » [5,33]. Cette notion de sur- ou sous-représentation corticale avait déjà été décrite en 1976 par Levame [34], avant que n’apparaissent les techniques d’imagerie moderne. Dans son concept de main-image et main-objet, la main-image d’un pianiste pouvait comporter un plus grand nombre de segments proportionnellement à sa virtuosité.
L’activité corticale est fonction de la complexité de la tâche. Lors de l’opposition du pouce aux autres doigts, différentes régions corticales sont recrutées. Selon que cette opposition a lieu avec les autres doigts ensemble, les doigts l’un après l’autre ou encore en changeant l’ordre d’opposition avec les autres doigts, le recrutement est de plus en plus important, générant même une activité du cortex homolatéral [35].
La représentation corticale est également proportionnelle à la focalisation de l’attention sur une zone ou une autre. La représentation de la zone corticale se déplace selon la zone focalisée. L’attention portée sur une action augmente l’efficacité des connexions entre le cortex préfrontal et le cortex prémoteur, alors que l’absence d’attention diminue cette efficacité [36]. Une attention soutenue permet d’obtenir des changements plastiques à long terme. Cette focalisation de l’attention est très importante lors de la rééducation par l’imagerie motrice.
Des stimuli douloureux peuvent être aussi à l’origine de déplacement de la représentation corticale [14,15].
Nous constatons donc que le remaniement fonctionnel du cerveau est permanent. Cette plasticité neuronale peut être très rapide comme le montre l’application sur l’avant-bras d’une crème anesthésiante, créant une désafférentation artificielle, qui provoque dans l’heure qui suit une expansion corticale de la main. Cette expansion s’accompagne d’une amélioration de la sensibilité de la main [37]. La rapidité de ces changements ne serait pas due à la création de nouveaux circuits mais à la levée d’inhibitions de circuits préexistants de la main ; il se produit une rupture de l’état d’équilibre entre influences excitatrices et inhibitrices qui s’exercent de façon concurrente sur les neurones [10,11].
La découverte des neurones miroirs a permis une avancée essentielle dans la compréhension des mécanismes d’excitabilité neuronale [38–41]. Les neurones miroirs sont des neurones activés lors de l’observation d’une action réalisée par une autre personne. Chez l’observateur, on note une augmentation de l’excitabilité des structures nerveuses impliquées pour la réalisation de cette action. Ces neurones sont plus actifs lors de l’observation d’une interaction de la main avec un objet qui a une signification et qui fait partie de nos expériences gestuelles [40]. Ces neurones miroirs ont aussi un rôle dans les mécanismes d’apprentissage. Le phénomène du bâillement contagieux illustre les effets de l’activation des neurones miroirs. Il existe des systèmes de neurones miroirs du toucher et aussi de la douleur. L’observation d’une personne qui subit une stimulation douloureuse active les mêmes circuits douloureux chez l’observateur [42–45].
Cette découverte est importante pour la rééducation. Nous exploitons les propriétés des neurones miroirs lors de la thérapie du miroir [46–48] ; ils permettent de tromper le cerveau par des informations visuelles artificiellement normales. Ils interviennent aussi lors des mouvements imaginés.
Sensations et douleurs de membre fantôme (algohallucinose)
Décrite par Mitchell en 1872, l’illusion d’un membre fantôme est fréquente puisque 90 % des patients amputés en font l’expérience. La perception d’un membre, comme s’il existait encore, est accompagnée dans 70 % des cas de douleurs d’intensité variable. Les patients ont parfois la sensation de pouvoir mobiliser ce membre dans l’espace. Il peut être perçu comme normal ou déformé, par exemple en cas de membre télescopé [49,50]. Les patients atteints d’une avulsion du plexus brachial présentent les mêmes illusions perceptives. Ces sensations sont invalidantes et poussent parfois ces patients monoplégiques à demander une amputation. Ceci ne règle généralement pas le phénomène des douleurs fantôme. Lors d’une avulsion du plexus brachial, il se produit un phénomène de « paralysie apprise ». Ce phénomène explique le fait que, suite à l’amputation secondaire du membre, le membre fantôme est ressenti comme paralysé dans la position préopératoire [50].
Le membre fantôme serait une composante de la représentation mentale du schéma corporel. Melzack [11,50,52,53] propose le concept de « neuromatrice » responsable du schéma corporel. Cette neuromatrice est constituée d’un réseau de neurones localisé dans différentes structures cérébrales (cortex, tronc cérébral, thalamus, système limbique, cervelet). Elle gère les informations sensorielles, les émotions, les activités cognitives et notamment le souvenir d’expériences passées. Cette neuromatrice produit en outre une « neurosignature » individuelle indiquant que telle sensation concerne « mon corps ». Cette neuromatrice est en grande partie pré-câblée à la naissance. Ce côté inné permet de donner une explication aux phénomènes de membres fantômes ressentis par des enfants atteints d’agénésie des membres. Lors d’une amputation, l’absence d’afférence se projetant sur la neuromatrice induit un remodelage des cartes somesthésiques ; en revanche, les sensations d’intégrité du schéma corporel contenues dans la neuromatrice restent présentes.
Une sensation douloureuse n’est pas seulement la conséquence directe d’un signal nociceptif venant de la périphérie vers les centres supérieurs. Ce signal doit passer par le filtre subjectif des expériences, du comportement et par l’aspect motivo-affectif. Au final, le stimulus douloureux est modulé par une multitude d’interactions et d’échanges d’informations à différents niveaux de la neuromatrice ; il est ensuite intégré comme une perception douloureuse propre à chaque individu [54]. L’aspect cognitif joue un grand rôle dans l’élaboration de cette perception.
De nombreux patients ressentent des sensations référées au niveau du membre fantôme [22,50,55]. La stimulation de la joue ou du moignon après amputation transhumérale fait apparaître des sensations dans la main fantôme. En fonction de la localisation de la stimulation, le patient situe les sensations dans un doigt ou un autre. Ces sensations peuvent se manifester sous forme de douleurs, de paresthésies, de décharges électriques. Différentes modalités de stimulation provoquent différents types de sensations ; ainsi l’application d’un glaçon provoque une sensation de froid, des vibrations provoquent des sensations vibratoires [56]. Lorsqu’un patient amputé fait une grimace, il active non seulement les aires corticales sensori-motrices primaires de la face et des lèvres de façon bilatérale mais aussi les aires corticales sensori-motrices primaires de la main et du bras controlatérales à l’amputation. Cette activation paradoxale peut être traitée entre autre par l’imagerie motrice [5].
Les sensations référées sont expliquées par la colonisation de la région corticale laissée vacante par les zones adjacentes. La levée d’inhibition permet un démasquage de connectivité latente consécutive à une rupture de l’état d’équilibre entre influences excitatrices et inhibitrices [11].
Lors d’une activité motrice, une interaction permanente entre la commande motrice et le feedback sensoriel améliore la précision et l’efficacité du mouvement en le réajustant. Dans la majorité des activités ce mécanisme est inconscient. Cette interaction permet aussi d’alerter et de protéger l’organisme en cas de détection d’une discordance importante. C’est le concept de contrôle cortical moteur qui régit toutes nos activités motrices [58–63]. Les lésions périphériques s’accompagnent d’afférences sensitives perturbées et de modifications corticales ; il se produit alors un conflit dû à une discordance entre le feedback du mouvement et l’intention du mouvement programmé (feedforward). Ce conflit génère des douleurs. Chez un sujet sain, comme nous le verrons plus tard avec les implications qui en découlent, nous pouvons provoquer ce genre de discordances suivies de troubles variés lorsque le sujet réalise simplement des mouvements asynchrones de fermeture et d’ouverture de ses mains dans la boîte à miroir. Le mal des transports est une autre illustration d’un trouble généré par une perturbation d’un système de contrôle soumis à une discordance entre les feedback visuel, vestibulaire et proprioceptif. Chez le patient amputé, l’absence de retour d’informations proprioceptives et visuelles cohérentes avec une intention de mobiliser le membre amputé serait donc à l’origine des douleurs et sensations de membre fantôme [62]. L’utilisation du miroir permet de réconcilier le feedback visuel avec la commande motrice en informant le cerveau que son membre manquant bouge correctement [56]. Ce concept de contrôle moteur explique aussi les troubles survenant lors d’un SDRC ou d’un syndrome d’exclusion-négligence puisque le même type de discordances se produit.
Différents mécanismes périphériques et centraux sont donc impliqués dans la genèse et la pérennisation des douleurs fantômes. Flor en fait une synthèse [23,65] : l’intensité et la durée des douleurs avant l’amputation conduit au développement d’une mémoire corticale de la douleur et à une hyperexcitabilité. Ceci, combiné à la réorganisation de la zone d’amputation dans le cortex somatosensoriel, concourt au développement des douleurs fantômes. Suite à l’amputation, divers phénomènes entretiennent ces algohallucinoses. Nous retenons les décharges d’influx provenant des névromes, les modifications anormales du ganglion spinal et de la corne postérieure de la moelle, la dégénérescence des fibres C et l’activation sympathique.
Rappelons ici la corrélation entre l’importance de la migration de la zone corticale et l’importance des sensations et douleurs de membre fantôme [19,21,23,25,26].
Les douleurs fantômes diminuent en intensité et en fréquence lors d’un entraînement consistant à imaginer des sensations et des mouvements du membre amputé [57].
Syndrome douloureux régional complexe
Le SDRC type 1 est actuellement considéré comme une maladie du système nerveux central avec des manifestations périphériques. Cette complication fréquente est toujours difficile et longue à traiter. Le pronostic dépend de la rapidité à poser le diagnostic, ce qui est primordial pour engager une prise en charge dans les plus brefs délais. L’imagerie motrice est une technique à notre disposition pour agir sur l’aspect cortical de ce syndrome. Ainsi nous traitons le SDRC du « haut vers le bas » en comparaison des stratégies plus classiques « du bas vers le haut » [66].
Nous retrouvons une réorganisation corticale identique à celle observée chez les patients amputés. Ainsi, au niveau de l’hémisphère correspondant au côté présentant un SDRC, on assiste par exemple à un rapprochement de la zone de représentation corticale de D1 et D5 et de celles de la main et de la lèvre inférieure [67,68]. Cette réorganisation corticale est réversible après traitement avec une normalisation des distances D1-D5 [69].
La douleur, la sensibilité discriminative et la réorganisation corticale sont interdépendantes. Au cours de la récupération, la représentation corticale somatosensorielle augmente parallèlement à l’amélioration de la sensibilité discriminative et à la diminution des douleurs [25,26].
La fréquence des allodynies au cours d’un SDRC est très élevée. L’allodynie a une étiologie périphérique mais aussi centrale avec des remaniements corticaux importants [66,69]. La représentation des aires douloureuses est plus étendue ; la stimulation d’une zone allodynique avec un pinceau provoque une dispersion des activations corticales, y compris dans le cortex moteur primaire.
Les patients peuvent aussi présenter des sensations et douleurs fantômes similaires à celles retrouvées dans les lésions du plexus brachial ou les amputations [65,71].
Lors d’un SDRC on observe fréquemment un syndrome de type négligence [72–76]. Les deux types de négligence, motrice et cognitive, sont retrouvés. Dans le premier type, il y a une perte de mouvement spontané ; le patient doit porter attention à son membre pour le mouvoir. Lors d’une négligence cognitive le patient a l’impression que son membre est étranger, paralysé, voire absent. Dans certains cas, il peut ressentir un télescopage : il a l’impression que sa main est rattachée directement au coude ou au moignon de l’épaule [24]. Il peut aussi avoir l’impression que sa main est détachée et « vogue » autour de son bras. Près de la moitié des patients présentent les deux types de négligence à des degrés divers. Les patients souffrant d’un SDRC qui présentent une négligence ont en général un niveau élevé de douleur et plus de difficultés à réaliser les mouvements imaginés [63,77]. Les mécanismes de survenue de cette négligence sont très similaires et peuvent être apparentés à ceux du syndrome d’exclusion segmentaire (SES) décrit plus bas. En revanche, la douleur n’est pas constamment retrouvée dans le SES. Dans le SDRC la douleur renforce le cercle vicieux par des modifications des structures nerveuses et synaptiques, mais aussi par une diminution des mouvements due à la peur de cette douleur ; ceci va avoir une incidence sur la réorganisation corticale. Il est important lors d’un SDRC de faire une recherche de signes de négligence qui peuvent perturber la réalisation de mouvements bilatéraux synchrones. Pour cela des questions sur le ressenti sont posées au patient notamment lors d’une négligence cognitive. Cette recherche permet d’orienter et de personnaliser le traitement.
Le schéma corporel est aussi perturbé [78] avec par exemple des difficultés à identifier le doigt touché avec un coton-tige. Le patient peut avoir aussi la sensation d’une main plus large [77]. La reconnaissance de latéralité du membre algodystrophique est perturbée. Ces troubles du schéma corporel sont proportionnels à l’intensité des douleurs [78].
Comme nous l’avons vu chez les patients amputés, il existe aussi des sensations référées dans un tiers des SDRC [79,80]. Ces sensations référées sont dues au chevauchement des zones corticales, par exemple celle de la joue et celle de la main. Elles sont quelques fois réciproques. L’impact de la vision est important puisque ces sensations disparaissent dès que l’on regarde la zone touchée. Ces sensations référées sont recherchées car elles sont des marqueurs de l’évolution du SDRC.
Le programme d’imagerie motrice est indiqué dans la prise en charge des SDRC en complément d’autres techniques plus classiques. Une étude [81] chez des patients présentant un SDRC montre de bons résultats sur les douleurs neuropathiques, l’œdème et la reconnaissance de latéralité.
La rapidité du diagnostic et de la prise en charge du SDRC est primordiale. En effet, lors d’un SDRC chronique les mouvements imaginés peuvent augmenter les douleurs et l’œdème [48]. Dans ce cas, nous devons revenir à la phase de reconnaissance de latéralité ou revoir le protocole.
L’utilisation des stimulations vibratoires pour réactiver certaines séquences sensitivomotrices corticales [82,83] est une autre technique, développée par ailleurs dans cet ouvrage, qui agit sur le système de contrôle moteur. Elle permet, comme la thérapie du miroir, de corriger la discordance entre les afférences sensorielles et les efférences motrices ; le feedback visuel est ici remplacé par le feedback proprioceptif induit par les stimulations vibratoires sur les tendons [82].
Dans le cadre d’un SDRC si l’on détecte, suite à un bilan précis de la sensibilité, une hyposensibilité ou une allodynie mécanique masquant une hyposensibilité sous-jacente, la rééducation sensitive est mise en place le plus tôt possible [84,85]. Cette rééducation sensitive spécifique, en tirant bénéfice de la plasticité neurale, est une technique de choix en présence de douleurs neuropathiques. Elle est tout à fait compatible avec le programme d’imagerie motrice.
Syndrome d’exclusion-négligence segmentaire
Le syndrome d’exclusion segmentaire (SES) correspond à une sous-utilisation d’un segment de membre, principalement la main ou les doigts (fréquemment l’index), qui est potentiellement réversible sous l’exhortation verbale d’un tiers et qui survient en l’absence de toute lésion du système nerveux central [86]. La négligence segmentaire est souvent accompagnée d’un trouble du schéma corporel et d’une agnosie digitale. Il ne faut pas confondre un SES avec une héminégligence d’origine centrale, même si certains signes sont communs.
Les circonstances de survenue d’un SES sont multiples et non spécifiques : un traumatisme, une infection, une inflammation locale… L’inflammation postlésionnelle et l’immobilisation souvent préconisée sont à l’origine d’une modification des afférences sensitives ou dysafférentation [87].
Cette dysafférentation entraîne toute une cascade d’événements : l’inflammation et l’œdème associés engendrent une altération des récepteurs sensitifs et proprioceptifs qui envoient au cerveau des informations déformées. Le cerveau et son système cortical de contrôle moteur sont trompés par ces informations erronées. Il s’en suit des réponses motrices inadéquates sous forme d’une non-utilisation pouvant être associée à une posture aberrante comme un index en extension. Ce phénomène de dysafférentation s’accompagne d’une perturbation du schéma corporel et d’un remaniement cortical de la cartographie somatosensorielle. Ils sont dus à l’immobilisation et à la non-utilisation [88,89]. Il se passe une sorte d’effacement du geste au niveau du schéma moteur qui nécessite un réapprentissage comme s’il était effectué pour la première fois.
La pérennisation du SES peut s’expliquer par une lésion organique des récepteurs sensitifs suite à une sclérose due à l’inflammation originelle. Ainsi, des informations sensitives erronées continuent à être transmises au cerveau. Une autre cause de pérennisation est la réorganisation corticale : la zone correspondant au segment exclu est colonisée par les zones adjacentes [90].
La focalisation de l’attention est particulièrement importante lors d’un SES afin de ne pas oublier sur le plan cortical le membre exclu et ainsi régulariser la réorganisation corticale [61]. Le programme d’imagerie motrice met à contribution la focalisation de l’attention du patient. Le contrôle visuel est indispensable lors du réapprentissage du geste.
Le SES peut être isolé mais aussi associé à des troubles végétatifs réflexes, des douleurs, ou un SDRC [73,74,86].
Le plan de traitement classique d’un SES commence par le traitement de l’inflammation et des douleurs puis par un travail de désensibilisation dans le but d’obtenir un réétalonnage des sensations et des représentations corticales [91]. La motivation du patient est très importante pour obtenir la focalisation de son attention lors des gestes de la vie quotidienne. Un travail d’automatisation du geste, par la répétition des prises intégrant le segment exclu, est mis en place. La thérapie par la contrainte peut aussi être associée [87]. Toutes les techniques visant à régulariser la réorganisation cérébrale et à éviter une diminution de la représentation corticale du segment exclu sont indiquées. Le programme d’imagerie motrice est dans le cas d’un SES une technique complémentaire de choix.

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