Chapitre 10
Main et cicatrices : prise en charge kinésithérapique
Les cicatrices pathologiques : terminologie standard et classification
Traitement : massage, compression, physiothérapie et orthèses
Annexe n° 1 : Lignes de rétraction selon Langer
Annexe n° 2 : Test de Vancouver
Annexe n° 3 : Fiche bilan cicatrice
Annexe n° 4 : Exemple de schémas de cicatrices superposées aux lignes de rétraction préférentielles (LRP)
Introduction
Les cicatrices de la main, d’origine traumatique ou chirurgicale peuvent poser en pratique quotidienne deux problèmes : fonctionnel et esthétique. L’évolution d’une cicatrice peut en effet, en fonction de nombreux facteurs, se faire de façon anormale et évoluer défavorablement 6 mois, un an ou plus. Après évaluation de la lésion et de son potentiel évolutif, le kinésithérapeute a plusieurs instruments efficaces à sa disposition : massage, physiothérapie, compression et appareillage par orthèses. Au final, « si l’on n’efface jamais complètement une cicatrice », on peut presque toujours en atténuer la visibilité, et le plus souvent rendre aux tissus la souplesse et la liberté compatibles avec une fonction acceptable. Les cicatrices sont néanmoins, dans tous les cas, moins résistantes et moins élastiques que la peau normale, en partie à cause d’un certain déficit en élastine [1].
Rappels
Elle présente comme spécificité deux qualités différentes : la peau du dos est fine, très élastique. Son hypoderme ne possède que peu de tissus graisseux et de glandes sébacées. La peau de la paume est en revanche très épaisse, peu élastique, adhérente, riche en tissu graisseux, en tissu conjonctif et en glandes sébacées. Les pulpes des doigts sont richement innervées, comportant de nombreux corpuscules sensitifs. À noter la présence de mécanorécepteurs : corpuscules de Meissner, de Pacini, de Golgi-Mazzoni, de Merkel, de Ruffini ; de sensibilité chaud-froid : corpuscules de Krause [2].
La cicatrisation
Tout être vivant cicatrise d’une plaie par un mécanisme qui, chez l’homme, voit une centaine d’acteurs et de facteurs entrer en scène dès les premiers instants, se succéder, s’appeler, se stimuler ou s’inhiber dans un processus précis [3]. Ce processus peut connaître des défaillances par excès ou manques qui conduiront à une cicatrisation pathologique. Le fibroblaste joue ici un rôle majeur [4].
Dans la formation de cicatrice hypertrophique, il y a défaut d’apoptose, persistance et prolifération de myofibroblastes avec dépôt excessif de matrice. Le remodelage matriciel va accroître la résistance de la cicatrice de façon considérable, jusqu’à 80 à 90 % de sa force finale vers la 6e semaine [5].
Les cicatrices pathologiques : terminologie standard et classification
Plusieurs types de cicatrices anormales sont répertoriés dans les recommandations cliniques internationales de 2002 [6].
• Cicatrice mature : cicatrice plate, de couleur claire.
• Cicatrice immature : cicatrice rouge, parfois prurigineuse ou douloureuse, légèrement surélevée, en phase de modelage. Nombre de ces cicatrices vont normalement devenir matures et plates avec le temps et prendre une pigmentation comparable à celle de la peau avoisinante, bien qu’elles puissent être soit plus pâles soit légèrement plus foncées.
• Cicatrice hypertrophique linéaire (ex : chirurgicale/traumatique) : cicatrice rouge, surélevée parfois prurigineuse, confinée à la limite de l’incision chirurgicale d’origine. Ce type de cicatrice se développe habituellement dans les semaines qui suivent l’intervention chirurgicale. La taille de ces cicatrices peut augmenter rapidement pendant trois à six mois, puis, après une phase stationnaire, commencer à régresser. Ces cicatrices évoluent généralement en prenant un aspect surélevé, ressemblant un peu à un cordon, de largeur augmentée, variable. Le processus complet de maturation peut prendre jusqu’à deux ans.
• Cicatrice hypertrophique étendue (ex : brûlure) : cicatrice rouge, surélevée, parfois prurigineuse, qui demeure dans les limites de la brûlure.
• Chéloïde mineure : cicatrice prurigineuse, localement surélevée, s’étendant au-dessus d’un tissu normal. Les chéloïdes mineures peuvent se développer jusqu’à un an après la lésion et elles ne régressent pas spontanément. L’excision chirurgicale simple est souvent suivie de récidive. Une anomalie génétique peut être à l’origine de la cicatrisation sous forme de chéloïdes. Les sites anatomiques caractéristiques sont notamment les lobes des oreilles.
• Chéloïde majeure : cicatrice volumineuse, surélevée (> 0,5 cm), parfois douloureuse ou prurigineuse, s’étendant au-dessus d’un tissu normal. Les chéloïdes majeures sont souvent la conséquence d’un traumatisme mineur et elles peuvent continuer à s’étendre au fil des ans.
En pratique courante, on pourra retenir :
• les hypertrophiques posant essentiellement un problème esthétique puisqu’elles guérissent en principe spontanément en 6 à 18 mois. Elles ont pour caractéristiques le volume, la couleur souvent rouge (figure 10.1), la consistance plutôt molle des bords restant parallèles [7]. Ce sont des lésions inflammatoires qui présentent histologiquement des amas de fibres fines en nodules. On note que 39 à 68 % des personnes ayant subi un acte chirurgical développent une cicatrice hypertrophique [8] ;
• les chéloïdes, terreur du thérapeute et heureusement très rares à la main, posent un double problème, d’abord esthétique par leur aspect envahissant. Les chéloïdes ont en effet pour particularité de déborder largement des limites initiales de la lésion et présentent un aspect en « pinces de crabe » (terme à bannir devant le patient, « crabe » n’étant pas de bon augure). Et il y a problème fonctionnel si elles se retrouvent au carrefour d’une articulation ou pli de flexion. Les chéloïdes sont histologiquement très hétérogènes [7], difficiles à distinguer des hypertrophiques mais, le plus souvent, présentent une prolifération conjonctive dans le derme moyen. C’est une lésion en expansion. Leur localisation est préférentiellement le visage, le cou, les oreilles, les épaules et le thorax, les zones où la peau est épaisse. On peut les considérer comme des maladies chroniques [7] ;
• les adhérentes et rétractiles : les cicatrices hypertrophiques et rétractiles peuvent se compliquer d’adhérences ou rétractions. Adhérences et rétractions peuvent aussi se voir en lésions essentielles. Les cicatrices adhérentes limitent le glissement des différents tissus dans tous les plans de l’espace (figure 10.2). Elles correspondent à un processus de cicatrisation profond qui colle les éléments au voisinage des plans de glissement, os, graisses, aponévroses, tissu conjonctif, gaines, tendons, nerfs et peau.
Les cicatrices rétractiles sont aussi des adhérentes mais se rétractent en brides sous la stimulation de tractions répétées. On les retrouvera dans les zones de forte mobilité, articulations, commissures et plis de flexion. Elles se rétractent et évoluent vers la formation de brides (figure 10.3). Celles-ci peuvent être souples ou prendre un caractère rétractile [9]. L’amplitude de la contraction est proportionnelle à la profondeur de la blessure initiale, un réseau d’attaches contenant des myofibroblastes entraînant la contraction. Les plaies intéressant la pleine épaisseur de la peau ont un potentiel de contraction de près de 40 % de la surface lésionnelle initiale [10].
Les cicatrices de brûlure : lésions le plus souvent de grande surface laissant au final une peau sèche, fragile, fine, raide, hypo- ou hypersensible, hyper ou hypo-colorée. Les rétractions sont ici la règle. Nous retrouvons dans ces lésions la notion de CCM (capacité cutanée maximale) [11] (figure 10.4). Beaucoup de lésions de brûlure sont en « mosaïque », c’est-à-dire associant plusieurs types d’aspects sur une même zone : hypertrophie, atrophie, cordes rétractiles, zones claires ou colorées, hypo- ou hypersensibles, maillage de greffe.
Ce risque rétractile est ici stéréotypé selon le schéma de rétraction préférentielle de Langer pour les brûlures [12] (cf. annexe 1).
Évaluation
Une fois les cicatrices classées et la terminologie standardisée, il reste à :
• évaluer au plus tôt le potentiel évolutif ;
• mesurer physiquement la lésion pour en assurer un suivi pluridisciplinaire à long terme.
Partant du principe « qu’il est beaucoup plus efficace de prévenir les cicatrices hypertrophiques que de les traiter » [13], une évaluation précoce et correcte d’une cicatrice est nécessaire à la mise en place d’une stratégie thérapeutique pluridisciplinaire et kinésithérapique.
Nous disposons des outils d’évaluation suivants :
• l’interrogatoire et la palpation ;
• la mesure physique des dimensions (toute cicatrice débordant des limites initiales de la lésion est susceptible d’être chéloïdienne) ;
• le test à la vitropression mesurant le niveau inflammatoire de la lésion ;
• le test ou échelle de Vancouver, référence internationale ;
L’interrogatoire
« On considère qu’une cicatrice n’est fixée qu’au bout de 18 mois à 2 ans. La première démarche lors de l’examen d’une cicatrice sera donc de se faire préciser son ancienneté » [10].
L’interrogatoire devra également préciser :
• l’âge du patient, sachant que la période puberté-30 ans serait le plus à risque [14,15] ;
• les antécédents cicatriciels personnels, familiaux ou ethniques. Il y a, par exemple, 5 à 15 fois plus d’incidence chéloïde chez les sujets de race noire que chez les sujets de race blanche [14,16,17] ;
• la localisation anatomique : ce sont en règle générale les régions où la peau est épaisse et sous tension comme le dos, les membres supérieurs et les épaules, les oreilles, le cou, le thorax et la partie inférieure de la face [14,4] ;
• le morphotype du patient, sachant que la tension initiale de la peau est d’autant plus basse que le sujet est gras et peu musclé, ou âgé et peu musclé [10]. Le risque de cicatrice pathologique sera donc plus important chez le sujet mince et musclé, du moins en ce qui concerne les zones où la peau est régulièrement mise en tension comme les membres ;
• le type du traumatisme initial : les chéloïdes compliquant surtout les brûlures, les plaies infectées ou les inclusions de corps étrangers [14] ;
L’aspect et la consistance tissulaire
Chéloïdes et hypertrophiques ont un diagnostic différentiel difficile car elles ont de nombreux points communs : leur histologie commune dans les premiers mois d’évolution montre un excès de fibres collagènes et un aspect de masse en relief plus ou moins coloré [10,14,19].
Certains détails divergent cependant :
• les chéloïdes sont de consistance ferme ou dure, les hypertrophiques étant plutôt souples [8] ;
• les chéloïdes présentent un aspect caractéristique en « pinces de crabe » [14], expansions pseudo-podiques dépassant largement les limites de la lésion initiale, les hypertrophiques restant confinées au site primitif [6], leurs bords restant parallèles ;
• les rétractiles sont orientées dans une direction parallèle aux lignes de tension maximale. C’est ce qui les rend dangereuses puisqu’elles brident progressivement le mouvement. Elles sont de consistance ferme, en tension ;
• les adhérentes collent aux plans profonds et sont souvent en dépression. On peut observer un déplacement de la peau lors d’un glissement tendineux limité par le collage.