18: Soumission chimique

Chapitre 18 Soumission chimique



La soumission chimique se définit comme l’administration d’une substance psychoactive à l’insu d’un individu dans le but de le maîtriser à des fins délictueuses ou criminelles, par exemple pour des actes de vols, d’agressions sexuelles ou de viols. L’objectif principal de l’agresseur est de provoquer chez sa victime une altération notable de sa vigilance, de ses capacités de jugement et de son libre arbitre. La soumission chimique doit être distinguée de l’abus d’une personne en état de faiblesse, qui aurait consommé volontairement des substances psychotropes (alcool, stupéfiants ou médicaments). On parle de « soumission » en raison de l’intention délibérée pour l’agresseur de vouloir agir sur le comportement d’un individu pour le rendre vulnérable et plus facilement soumis à sa volonté. Contrairement à leurs fréquentes allégations, les responsables de tels actes ne se procurent pas l’agent utilisé aux fins de soumission par hasard ; il s’agit le plus souvent d’un acte prémédité. Il convient de rappeler qu’en France les actes criminels comme le viol sont passibles de la Cour d’Assises alors que les délits, tels que les violences volontaires ou le vol, sont de la compétence du tribunal correctionnel.



Aspects généraux de la soumission chimique





Principaux effets recherchés par les auteurs


Les effets recherchés par les agresseurs sur leurs victimes sont multiples ; ils sont pour la plupart d’ordre neuropsychique et peuvent s’exprimer seuls ou associés entre eux. On recense au moins huit effets cliniques différents. Il s’agit de :











Principaux repères historiques [1]


Suite à la communication de Poyen et Jouglard [2] en 1983 relatant l’usage de benzodiazépines pour la soumission chimique, quelques publications sur ce sujet jusqu’en 1997 ont évoqué presque exclusivement l’usage du flunitrazépam [35].


Bismuth et al. rapportent deux cas typiques de soumission chimique [6]. Le premier est celui d’un homme de 45 ans victime d’un vol après administration ponctuelle de triazolam (Halcion®) ajouté à du café. Le second est également celui d’un homme, à qui son épouse administrait régulièrement du bromure de sodium afin de limiter ses velléités sexuelles. C’est un accident de voiture qui a révélé l’affaire, mais le mari n’a pas souhaité porter plainte.


La même année Tunnicliff décrivait le potentiel du Gamma Hydroxy Butyrate de sodium ou GHB en tant que « drogue du viol » [7]. L’année suivante (1998), 4 kg de GHB fabriqué clandestinement dans un laboratoire parisien étaient saisis. Dès lors, la presse soulignait l’utilisation détournée aux États-Unis de cette molécule de synthèse surnommée « date rape drug » et son administration à l’insu des victimes en raison de ses effets euphorisants. Néanmoins, aucun cas d’utilisation détournée du GHB n’avait été rapporté en France dans les revues scientifiques médicales de l’époque [8].


En 1999, LeBeau publie avec de nombreux collaborateurs aux États-Unis des « recommandations pour les analyses toxicologiques lors de viol sous soumission chimique » [9]. Il y relate l’emploi de substances variées : alcool, benzodiazépines (alprazolam, clonazépam, chlordiazepoxide, diazépam, flunitrazépam, flurazépam, lorazépam, triazolam), GHB, kétamine, scopolamine, amphétamines et apparentés, barbituriques, cocaïne, cannabis, opiacés, relaxants musculaires (carisoprodol, cyclobenzaprine, méprobamate), antihistaminiques (diphénhydramine), hydrate de chloral. Le sujet est à ce point sensible dès cette époque, que LeBeau et Mozayani éditeront un peu plus tard, en 2001, un ouvrage collectif consacré exclusivement à la problématique grandissante des cas d’agressions sexuelles ou viols sous influence d’agents psychotropes (Drug-Facilitated Sexual Assault ou DFSA) [10].


El Sohly et Salamone publient la même année (2001), une étude rétrospective sur la prévalence des substances utilisées en soumission chimique pour le viol [11]. Cette étude portant sur 26 mois, ne concernait pas moins de 1 179 échantillons analysés dans 49 États des États-Unis, Puerto Rico et le District de Columbia. Les molécules identifiées sont similaires à celles rapportées par LeBeau en 1999 [10]. Sur 711 cas positifs, 63,4 % étaient positifs à l’éthanol, 30,6 % au cannabis, 13,6 % à la benzoylecgonine, 13,6 % aux benzodiazépines, 7,1 % aux amphétaminiques, 6,7 % au GHB, 3,5 % aux opiacés, 2,4 % au dextropropoxyphène et 1,7 % aux barbituriques. Cet article montrait également la distribution exponentielle décroissante des cas positifs en fonction du temps écoulé entre les faits et les prélèvements. Au-delà de 72 heures, la probabilité d’une analyse positive par les méthodes classiques utilisées à l’époque, comme la chromatographie gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (CG-SM), était presque nulle.


Schwartz et al. décrivent le flunitrazépam comme la benzodiazépine la plus utilisée dans un but de soumission chimique, essentiellement pour sa rapidité d’action, la désinhibition, la relaxation musculaire et l’amnésie antérograde qu’elle engendre [12]. Ils soulignent également le caractère potentialisateur de l’alcool sur ses effets sédatifs. D’autres benzodiazépines sont citées : alprazolam, clonazépam, diazépam, midazolam, oxazépam, témazépam, triazolam. Pour la première fois apparaît également le nom du zolpidem.


Une correspondance entre ElSohly et Schwartz parue suite à ce dernier article précise que la prévalence du flunitrazépam était en fait très faible puisque cette molécule n’était retrouvée que dans 0,33 % des cas sur les 3 303 étudiés cette année-là par ElSohly. À l’instar du GHB quelques années plus tard, le flunitrazépam semblait avoir le statut usurpé de principale drogue du viol dans la presse américaine.


Néanmoins, la société Roche, consciente du phénomène, a été contrainte en France de modifier en février 1998, la présentation du Rohypnol®. Le dosage a été réduit de 2 mg à 1 mg par comprimé et les comprimés rendus moins solubles et plus gros ; ils colorent en bleu les boissons dans lesquelles ils sont ajoutés. Du fait des risques d’abus et d’usage détourné, les autorités sanitaires françaises ont classé les médicaments par voie orale à base de flunitrazépam sur la liste I des substances vénéneuses, avec une durée de prescription limitée à 14 jours et une délivrance fractionnée de 7 jours.


En France, Questel et al. qualifient dès l’année 2000 la soumission chimique de problème de santé publique [13]. Les auteurs rapportent une étude rétrospective sur les cas recensés pendant 4 ans aux urgences médico-judiciaires de l’Hôtel-Dieu (Paris). Seuls 82 dossiers sur les 128 de soumission chimique présumée ont été retenus dans leur étude. La clinique est dominée par quatre signes principaux : l’amnésie totale ou partielle des faits, des troubles de la vigilance à type d’endormissement, une asthénie, et une anxiété proportionnelle à l’amnésie. Les recherches urinaires montrent 57 % d’analyses positives avec une forte proportion (47 %) de benzodiazépines (avec par ordre de fréquence : oxazépam, flunitrazépam, clobazam, lorazépam, bromazépam, chlordiazepoxide, nordazépam), puis de bien moindre occurrence, de phénothiazines (4,7 % ; lévomépromazine, acéprométazine), barbituriques, imipraminiques et antihistaminiques (doxylamine). L’alcool qui potentialise les effets désinhibiteurs et amnésiques des différentes substances incriminées, est présent dans 20 % des cas.


Vasseur rapporte un cas clinique observé dans le service des urgences médico-judiciaires de l’Hôtel-Dieu à Paris avec utilisation de doxylamine mise en évidence par CG/SM [14].


Pépin et al. (laboratoire Toxlab, Paris) rapportent en 2001 le premier cas français de multirécidive de soumission chimique pour vol de carte bancaire [15]. L’auteur utilisait du flunitrazépam et en était à sa quarantième victime en dix ans. La même année en Australie, une série de 21 victimes féminines âgées de 18 à 29 ans avec usage de flunitrazépam dans des boissons et sur une période de 3,5 ans était publiée par Wells [16].


Kintz présente en 2001 une synthèse sur son expérience d’expert judiciaire en France dans le domaine de la soumission chimique [17]. De ses observations, il ressort que le zolpidem est le produit psychoactif le plus fréquemment employé devant les benzodiazépines (lorazépam, bromazépam, flunitrazépam, etc.), les neuroleptiques (halopéridol, prométhazine, etc.), et les produits stupéfiants (cannabis, MDMA, LSD, kétamine, etc.). Il n’avait observé aucun cas avec du GHB.


En 2002, Questel et al. rapportent les cas recensés à Paris suite à la mise en place d’un réseau regroupant services cliniques, centre antipoison, centre d’évaluation et d’informations sur la pharmacodépendance (CEIP) et centre régional de pharmacovigilance (CRPV) [18]. Cent trente-sept observations ont été recueillies avec identification de produit psychoactif entre 1993 et 2001. Les benzodiazépines ou analogues sont le plus souvent détectés dans les analyses toxicologiques avec 102 cas (74 %). Toutes les benzodiazépines sont retrouvées avec par ordre de fréquence le bromazépam, le lorazépam, le flunitrazépam et le zolpidem. Ils rapportent également une série de dix-neuf agressions commises par le même auteur avec du Témesta® (lorazépam) qui avait été pilé et incorporé à des aliments aux fins de vol. Les autres produits détectés sont des antihistaminiques sédatifs (doxylamine, hydroxyzine, buclizine) dans douze cas, des neuroleptiques (cyamémazine, loxapine) dans sept cas, un barbiturique (phénobarbital) dans cinq cas, du trihexyphénidyle dans deux cas et du tramadol dans un cas.


Soulignons que la prévalence de molécules telles que la doxylamine et la buclizine est relativement faible au regard de la facilité à s’en procurer puisqu’elles sont libres de prescription. Ceci est probablement dû à un manque « d’efficacité » de ces substances comparativement aux benzodiazépines dont l’action sédative est moins dépendante des susceptibilités individuelles que celle des antihistaminiques H1.


La recherche des stupéfiants et de l’alcool dans tous les dossiers confirme l’observation faite par l’ensemble des professionnels sur les cas nombreux d’agression sous influence de composés psychoactifs, mais après consommation volontaire (avec ou sans incitation). En effet, en dehors de deux cas avérés de soumission chimique, l’un avec du GHB et le second avec du LSD, la présence d’alcool dans 47 cas, de cannabis dans 29 cas, d’opiacés dans dix cas, de cocaïne dans sept cas, et d’amphétamines dans quatre cas avait semble-t-il pour origine une consommation volontaire et le plus souvent habituelle, et donc pas à l’insu des victimes.


Plus récemment (2009), la même équipe a publié une nouvelle série de 52 cas dans le cadre d’une étude prospective menée entre janvier 2005 et décembre 2006. Il ressort de cette analyse que les agressions étaient essentiellement des vols et des agressions sexuelles. Les produits psychoactifs étaient incorporés le plus souvent dans des boissons, alcoolisées une fois sur deux. Cette étude confirme les données publiées antérieurement, à savoir l’utilisation majoritaire des benzodiazépines ou de ses dérivés apparentés, molécules identifiées dans 77 % (40 cas sur 52) des cas de cette série, dont majoritairement le clonazépam (20 fois sur 52). Les autres substances incriminées étaient des antihistaminiques sédatifs, des neuroleptiques et même de l’acide gamma hydroxybutyrique (GHB) dans un cas [19].


En dépit des progrès effectués depuis plusieurs années en matière de prise en charge des victimes de soumission chimique, ce phénomène est encore manifestement sous-évalué dans nos sociétés, notamment en France où les données publiées demeurent rares [13,1821], et ce malgré la mise en place en 2003 de l’enquête prospective nationale annuelle de recensement des cas, coordonnée par l’Agence Française de Sécurité des Produits de Santé (Afssaps) [22]. Les deux raisons principales qui expliquent cette sous-évaluation sont le défaut de prise en charge clinique et analytique adapté de certaines structures hospitalières, et l’absence de dépôt de plainte par les victimes, très souvent en raison du manque d’information sur le phénomène ou du sentiment de culpabilité postévénementiel pouvant survenir. Les praticiens urgentistes et médecins légistes spécialisés soulignent régulièrement cette mauvaise évaluation et le fait que ce phénomène demeure encore insuffisamment connu des cliniciens [20,23]. C’est ainsi que Questel et al. du service desurgences médico-judiciaires de l’hôpital Hôtel-Dieu à Paris indiquaient dans un article récent : « Il faut inciter les victimes à porter plainte auprès des autorités judiciaires afin qu’elles bénéficient des circuits de prises en charge les plus adaptés incluant les services médico-judiciaires, et les services d’urgences, souvent en première ligne. » [19] Il existe pourtant en France, un cadre législatif précis puisque la soumission chimique a fait l’objet d’une circulaire dès 2002« relative à la prise en charge dans les établissements publics de santé autorisés à exercer une activité d’accueil et de traitements des urgences, de personnes victimes de l’administration à leur insu, de produits psychoactifs » [24]. Cette circulaire, complétée d’une lettre rédigée en 2003 par l’Afssaps destinée à tous les professionnels de santé, insistait notamment sur « la nécessité de judiciariser la prise en charge des victimes, c’est-à-dire les inciter à porter plainte » [25].


On peut penser toutefois que la mise en place depuis plusieurs années dans les services hospitaliers compétents (urgences, maladies infectieuses) des traitements préventifs antirétroviraux prescrits suite à un accident d’exposition au VIH peut inciter un plus grand nombre de victimes d’agression sexuelle à se déclarer ; ce qui de fait pourrait indirectement bénéficier au recensement des cas.



Molécules à rechercher


Le « produit idéal » en matière de soumission chimique devrait être actif rapidement et à faible dose, facilement incorporable (par exemple, dissolution rapide) dans une boisson ou un aliment, dénué de goût particulier, capable de produire des effets de durée brève (afin de ne pas éveiller de doutes chez la victime potentielle), et posséder une demi-vie d’élimination suffisamment courte pour permettre son élimination rapide de l’organisme, le rendant ainsi difficilement détectable dans les matrices biologiques prélevées chez la victime. Toutes ces caractéristiques sont évidemment favorables à l’impunité de l’agresseur.


Fort de notre expérience et de celles de plusieurs laboratoires spécialisés français, de l’étude de la littérature scientifique, et en tenant compte des propriétés pharmacologiques des molécules disponibles en France, une liste des molécules de la soumission chimique à rechercher en priorité a pu être établie (tableau 18.1). La plupart des substances incriminées sont des dépresseurs du système nerveux central, dont les principaux effets attendus par un agresseur pour sa victime ont été décrits précédemment. Les différences d’usage observées d’un pays à l’autre sont également prises en compte, notamment en qui concerne l’usage de la kétamine qui est peu représentée en France.


Tableau 18.1 Liste non exhaustive des molécules de la soumission chimique en France, à rechercher en priorité (molécules mères et métabolites).












Benzodiazépines et analogues Clonazépam
7-Aminoclonazépam
Bromazépam
Hydroxy-bromazépam
Diazépam
Nordazépam
Prazépam
Clobazam
Oxazépam
Estazolam
Alprazolam
Hydroxy-alprazolam
Loprazolam
Lorazépam
Lormétazépam
Midazolam
Hydroxy-midazolam
Flunitrazépam
7-Aminoflunitrazépam
Nitrazépam
Aminonitrazépam
Triazolam
Hydroxy-triazolam
Zolpidem
Zopiclone
Sédatifs non benzodiazépines Doxylamine
Alimémazine
Hydroxyzine
Cétirizine
Niaprazine
Amitriptyline
Méprobamate
Cyamémazine
Diphénhydramine
Halopéridol
Stupéfiants, hallucinogènes et anesthésiques GHB
Cannabinoïdes (THC, 11-OH-THC, cannabinol, cannabidiol, THC-COOH)
Amphétaminiques (A, AP, MDA, MDMA, MDEA, MBDB)
Opiacés (monoacétylmorphine, morphine, codéine)
Cocaïniques (cocaïne, benzoylecgonine, méthylecgonine, cocaéthylène)
LSD

Certaines molécules ont été volontairement écartées de cette liste en première intention :






Cette liste souligne la variété des molécules à rechercher et la nécessité pour le laboratoire spécialisé en toxicologie médico-légale d’apporter une réponse analytique parfaitement adaptée ; elle ne comporte toutefois que les produits utilisés en France et n’est donc pas absolument (totalement) exhaustive. Un travail en cours, réalisé par un groupe d’experts internationaux sous la direction de Deveaux (Laboratoire Toxlab, Paris), reprendra tous les produits ayant été identifiés dans des cas avérés de soumission chimique. Ce tableau est inclus dans les recommandations qui seront publiées en 2012 par l’Office contre la drogue et le crime des Nations-Unies (UNODC) : Guidelines for evidence collection and forensic analysis of drug-facilitated sexual assaults and other criminal acts.



Aspects techniques


Dans les cas de soumission chimique, l’expert judiciaire toxicologue est amené à mettre en évidence une administration ponctuelle, souvent à dose thérapeutique, de substances psychoactives, parfois actives à faible dose, et dont le métabolisme et l’élimination hors de l’organisme peuvent être rapides. La tâche est souvent complexe car lors du dépôt de plainte par la victime, le toxique est généralement présent à l’état de traces dans les fluides biologiques. Si la plainte est tardive (plus de 3 à 5 jours), le toxique peut même avoir totalement disparu du sang et de l’urine, rendant l’analyse des cheveux comme le seul recours pour mener à bien les travaux d’expertise.


De plus, il est en général nécessaire de rechercher dans les matrices d’intérêt une large gamme d’analytes présents à concentrations faibles. Plusieurs dizaines de molécules sont ciblées dans cette recherche. Ce sont principalement des benzodiazépines, des hypnotiques, des antihistaminiques sédatifs, des neuroleptiques, des stupéfiants et le GHB.


Il s’agit également, même lorsque le (ou les) toxique(s) en cause(s) est(sont) identifié(s) dans le sang et/ou l’urine, de matérialiser une prise unique, compatible avec un acte de soumission chimique. C’est dans ce contexte qu’intervient alors de manière complémentaire l’analyse segmentaire des cheveux afin de différencier une exposition unique, d’une exposition répétée à un xénobiotique.



Techniques analytiques à mettre en œuvre [26]



Dans le sang et l’urine


Historiquement, les premières techniques analytiques utilisées pour traiter les échantillons étaient celles disponibles dans les laboratoires hospitaliers en relation avec les services d’accueil des urgences ou les unités médico-judiciaires, où était constaté et évalué l’état clinique du patient, venu spontanément en consultation ou suite à un dépôt de plainte.


Les techniques classiquement utilisées à l’époque en toxicologie d’urgence ont rapidement montré leurs limites dans le cas de prise ponctuelle des substances incriminées à dose thérapeutique. Ces techniques utilisées avec succès en urgence dans un contexte de surdosage, sont inadaptées pour des prises ponctuelles souvent à dose thérapeutique ou légèrement suprathérapeutique.


En 1997, Bismuth et al.soulignent le résultat négatif des tests immunoenzymatiques aux benzodiazépines seulement 7 heures après la prise de triazolam, et la nécessité d’employer la spectrométrie de masse pour sa mise en évidence [6].


Trois ans plus tard, Questel et al. rapportent que la technique chromatographique a permis de positiver dix-sept prélèvements urinaires pour lesquelles les analyses étaient négatives en immunochimie [13]. Raul et al. publient en 2002 une étude rétrospective sur 127 dossiers de patients vus aux urgences médico-judiciaires de Strasbourg dans les suites d’une agression sexuelle entre janvier 2000 et mi-juillet 2001 [27]. Parmi ces dossiers, sur les 30 allégations de soumission chimique, seules trois analyses avaient été demandées au laboratoire spécialisé en toxicologiemédicale par les différents Parquets concernés.


Plusieurs publications abordant le problème du délai de détection des toxiques dans les prélèvements biologiques en cas de soumission chimique incitent à la réflexion sur les techniques analytiques à employer.


Kintz et al. publiaient en 2002 des données précises sur la fenêtre de détection urinaire après administration d’une dose unique 1 mg de flunitrazépam [28]. Les résultats sont éloquents puisque les techniques immunochimiques quelles qu’elles soient ne détectaient jamais le 7-aminoflunitrazépam, métabolite du flunitrazépam. La chromatographie liquide couplée à une barrette de diodes (CLHP-BD) était un peu plus performante avec une fenêtre de détection de l’ordre de 48 heures, suivie par la chromatographie gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (CG/SM) avec une fenêtre de 72 heures. Les techniques les plus performantes testées étaient sans conteste la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse (CLHP/SM) et la chromatographie gazeuse couplée à la spectrométrie de masse ou de masse tandem (CG/SM-SM) avec ionisation chimique négative (ICN). Ces dernières techniques bien plus spécifiques et sensibles permettaient d’élargir la fenêtre de détection à 96 voire à 120 heures. Nous pouvons citer les auteurs : « Seules les techniques les plus sophistiquées (…) permettent de documenter une exposition au flunitrazépam dans les conditions conformes à la réalité. »


Le problème était posé : comment un laboratoire pouvait-il apporter une réponse analytique satisfaisante face à la réalité du terrain ?


La difficulté restait de détecter toutes les molécules susceptibles d’être employées, ou au moins la majorité d’entre elles, avec la sensibilité des techniques les plus spécifiques de l’époque.


Consciente de ces difficultés, la Société Française de Toxicologie Analytique (SFTA) a fait paraître dès 2002 un numéro spécial de son journal (Annales de Toxicologie Analytiques) intégralement consacré au thème de la soumission chimique. Dans son éditorial, Kintz souligne la nécessité d’utiliser des techniques séparatives couplées à la spectrométrie de masse, et si possible de masse tandem [29].


Verstraete y présente les fenêtres de détection des xénobiotiques dans le sang, les urines, la salive et les cheveux [30]. Il rappelle que les fenêtres de détection sont fonction de la dose, de la voie d’administration, du caractère ponctuel ou répété de l’usage qui est fait, du choix du prélèvement, du seuil de détection de la technique utilisée, de la nature de la molécule ou du métabolite recherché, du pH et de la concentration urinaire, et pour finir, des variations interindividuelles de métabolisation des substances d’intérêts. Celui-ci rapporte des fenêtres de détection de quelques heures à quelques jours pour la plupart des stupéfiants par l’utilisation de techniques classiques mais dédiées nécessitant l’emploi de la CG/SM, de standards deutérés et le plus souvent de dérivation pour atteindre les limites données, le plus souvent de l’ordre du nanogramme ou de quelques nanogrammes par millilitre [3133].


Ceci a pour conséquence la multiplication d’analyses assez longues et la nécessité de disposer d’une quantité importante d’échantillon, a fortiori dans les cas de soumission chimique où les prélèvements sont souvent réalisés tardivement.


La possibilité d’augmenter les fenêtres de détection réside dans l’utilisation de techniques analytiques performantes comme celles utilisées dans le cadre de l’analyse toxicologique médico-légale systématique, et plus particulièrement dans l’utilisation, de plus en plus répandue, de la CLHP-SM et surtout actuellement de la CLHP-SM/SM pour des analyses spécifiques [3439].

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Aug 19, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 18: Soumission chimique

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