18 Nævus et mélanome
Nævus (nævus mélanocytaires, grains de beauté)
Les nævus sont des tumeurs cutanées bénignes composées de cellules næviques dérivées des mélanocytes et classées selon l’âge auquel elles surviennent et leur disposition.
Anamnèse
Les nævus sont omniprésents chez l’être humain. Ils sont aussi courants chez les hommes que chez les femmes.
Ceux présents à la naissance ou apparaissant pendant les deux premières années de vie sont appelés nævus congénitaux.
L’incidence des nævus acquis atteint son maximum pendant l’adolescence ; un nombre inférieur de nævus est acquis après l’âge de 30 ans.
Les nævus apparaissant ou changeant après l’âge de 30 ans doivent être considérés comme suspects.
L’exposition au soleil est un stimulus pour la croissance cellulaire des nævus.
La plupart des nævus acquis apparaissent sur une peau ayant été exposée au soleil.
Les nævus acquis apparaissant dans les zones protégées du soleil doivent être considérés comme étant suspects.
La plupart des adultes ont entre 12 et 20 nævus ; un plus grand nombre de nævus peut constituer un caractère familial.
La taille et la pigmentation des nævus existants peuvent augmenter pendant la puberté ou pendant la grossesse.
Les nævus sont généralement asymptomatiques, quoiqu’ils puissent parfois être irrités par les vêtements ou un traumatisme externe.
Évolution des lésions
Les nævus acquis apparaissent d’abord en tant que papules plates, rondes et uniformément colorées.
Pendant cette phase de croissance, les nævus s’étendent latéralement tout en restant plats et symétriques.
Les nævus peuvent être légèrement plus foncés et en relief au centre. Ils ont une taille et un aspect stables pendant plusieurs années.
Pendant de nombreuses années, les nævus continuent à se surélever et à pâlir de manière uniforme.
Le nævus a finalement l’aspect d’une papule cutanée colorée qui peut disparaître complètement, plus tard dans la vie.
Manifestations cutanées
Les nævus mélanocytaires se composent de faisceaux organisés de cellules næviques, disposés dans la peau à divers niveaux.
Les nævus sont classifiés selon la localisation et la disposition des cellules næviques à l’intérieur de la peau.
Nævus jonctionnels
Les nævus jonctionnels sont des macules brunes, plates ou légèrement surélevées.
Les marques de surface cutanées sont préservées sur la surface du nævus.
On les observe le plus couramment chez les enfants.
Les cellules næviques se regroupent à la jonction dermoépidermique.
Les nævus des paumes des mains, des plantes des pieds, des organes génitaux et de la muqueuse sont en général des nævus jonctionnels.
Nævus composés
Les nævus composés sont des papules pigmentées, légèrement ou nettement surélevées.
Des amas de cellules næviques sont observés à la jonction dermoépidermique et dans le derme sous-jacent.
La surface peut être lisse ou légèrement papillomateuse.
Le centre tend à être plus fortement pigmenté que la périphérie.
Ils tendent à augmenter en épaisseur et en pigmentation à la fin de l’enfance et de l’adolescence.
Nævus intradermiques
Les nævus intradermiques sont des papules, le plus souvent surélevées, charnues et légèrement ou modérément pigmentées.
Ils varient en couleur, du brun foncé à la couleur de la peau normale.
La pigmentation peut être disposée en taches.
Des poils terminaux épais et noirs peuvent se développer à partir du nævus.
Les nævus intradermiques sont observés surtout après l’adolescence.
Des amas de cellules næviques (thèques) sont observés dans le derme ; ils peuvent s’étendre à la graisse sous-cutanée et autour des annexes.
Les cellules mélanocytaires sont pâles et de taille assez uniforme. On les retrouve groupées, entourées de faisceaux de collagène.
Nævus spilus
Le nævus spilus est une tache de fond nettement définie, marron à brune, semblable à une tache café au lait ; il contient également plusieurs petits nævus monomorphes, brun foncé et légèrement surélevés.
L’apparence évoque un cookie au chocolat.
Le nævus spilus ne contient pas d’excès de poils épais.
L’exposition au soleil ne semble pas jouer un rôle dans le développement.
Les lésions se développent généralement avant l’âge adulte et suivent une évolution persistante bénigne.
Nævus bleus
Les nævus bleus sont des macules ou des papules bleuâtres isolées, observées le plus généralement sur la tête, le cou ou les fesses.
La coloration est attribuée aux mélanocytes intensément pigmentés du derme profond.
Ils se manifestent généralement tôt dans l’enfance ou à la naissance.
Ils ont tendance à s’agrandir lentement et à persister pendant 10 à 15 ans.
Les cellules næviques fusiformes et fortement pigmentées sont situées dans la partie médiane à profonde du derme.
Nævus de Spitz
Le nævus de Spitz, ou nævus à cellules fusiformes, est habituellement une papule rose rouge, lisse, en forme de dôme.
Il apparaît le plus souvent sur le visage, le cuir chevelu ou les jambes des enfants en période prépubertaire.
La biopsie cutanée révèle des cellules næviques fusiformes groupées et des zones contenant de grandes cellules næviques pléomorphes.
De tels changements seraient inquiétants et feraient suspecter un mélanome chez l’adulte.
La plupart des dermatologues sont en faveur de l’excision des nævus de Spitz, afin de réduire au minimum le risque de récidive.
Nævus avec halo dépigmenté (halo nævus, nævus de Sutton)
Les nævus avec halo dépigmenté apparaissent surtout pendant l’adolescence.
Un nævus préexistant développe un anneau d’hypopigmentation qui annonce la disparition progressive du nævus sur plusieurs mois.
La biopsie cutanée montre un nævus jonctionnel ou composé, entouré d’une infiltration dense de lymphocytes.
Les nævus avec halo semblent être une réponse de l’hôte dirigée contre les cellules næviques.
On peut observer des cellules næviques focales atypiques, bien que la plupart des nævus préexistants soient bénins.
En général, le halo finit par se recolorer après quelques années.
La lumière de Wood accentue le halo.
Les nævus en halo surviennent également dans le contexte du vitiligo et peuvent se développer chez les patients ayant un mélanome.
Les personnes ayant des nævus avec halo doivent avoir un examen cutané complet pour la recherche de vitiligo et le dépistage d’un mélanome. L’utilisation d’une lampe de Wood est recommandée.
Nævus récidivants
Les nævus récidivants peuvent survenir à l’emplacement de nævus ayant été partiellement enlevés auparavant.
Une pigmentation distribuée de manière aléatoire et accompagnée de cicatrice peut être suspecte dans le cas d’un mélanome.
La biopsie peut également être impossible à distinguer d’un mélanome.
Les antécédents de biopsie antérieure et un examen du prélèvement original sont essentiels pour l’établissement d’un diagnostic correct.
Examens de laboratoire
Les nævus jonctionnels comportent des thèques de cellules næviques à la jonction dermoépidermique.
Les nævus intradermiques comportent des nids et des cordons de cellules næviques dans le derme, s’étendant parfois dans la graisse sous-jacente.
Les nævus composés comportent des cellules næviques nichées à la jonction dermoépidermique et également dans le derme.
Le terme « nævus combiné » est employé pour désigner un nævus bénin ayant des caractéristiques typiques de nævus composé ou jonctionnel et une composante nævique d’un bleu plus foncé.
Évolution et pronostic
La grande majorité des nævus mélanocytaires sont bénins et suivent l’évolution de la maturation pendant plusieurs années, comme cela a été décrit ci-dessus.
Les nævus s’écartant de ce schéma sont suspects et justifient une biopsie.
Les nævus jonctionnels sont rares chez les adultes.
À moins qu’elle n’ait été observée depuis l’enfance, toute lésion mélanocytaire jonctionnelle biopsiée chez un adulte devrait être considérée comme étant atypique, voire comme un mélanome in situ.
Diagnostic différentiel
Discussion
Il faut particulièrement veiller à réduire au minimum le risque d’erreur diagnostique au sujet des lésions mélanocytaires.
Le clinicien doit indiquer au dermatopathologiste l’âge du patient, l’emplacement et les antécédents cliniques de la lésion, tout prélèvement provenant d’une biopsie antérieure ainsi que le diagnostic différentiel clinique.
Il faut soumettre un prélèvement approprié pour la biopsie.
De même, il est de la responsabilité du clinicien de corréler les résultats du pathologiste avec le diagnostic clinique.
Traitement
Tous les nævus doivent être examinés.
À l’exception du syndrome du nævus dysplasique, la plupart des personnes ont des nævus qui apparaissent et évoluent de façon assez semblable.
Il y a peu de variabilité d’un nævus à l’autre chez une personne donnée.
Les règles ABCDE du mélanome constituent un guide utile (voir tableau 18.1).
La plupart des nævus bénins sont symétriques, avec un bord bien défini et régulier, une couleur uniforme (peut-être avec une variation subtile des tonalités de la couleur dominante) et un diamètre maximal inférieur à 6 mm.
Des nævus qui semblent différents des autres chez le même patient doivent être considérés avec suspicion.
Les nævus suspects doivent être biopsiés.
Envisager d’adresser à un dermatologue.
L’augmentation de fréquence des cancers de la peau a incité de nombreux patients à solliciter un examen de dépistage.
Une telle occasion de détection et de traitement précoces, aussi bien que d’éducation des patients, ne doit pas être négligée.
Il faut encourager un examen de l’ensemble de la surface cutanée.
Les patients doivent être instruits sur la façon de réaliser eux-mêmes un examen de leur peau et doivent être encouragés à le faire de façon régulière.
Combiner l’enseignement des techniques d’auto-examen avec celles de l’examen de dépistage cutané.
L’utilisation d’un miroir à main est une aide précieuse.
Asymétrie | Une moitié de la lésion ne ressemble pas à l’autre moitié |
Bordure, irrégularité du bord | Le bord est cranté ou a un prolongement focal en pseudopode dans la peau environnante |
Couleur, diversité de couleur | Tonalités variables, couleurs variables |
Diamètre > 6 mm | On mesure l’axe le plus long |
Évolution | Changement d’aspect, de couleur |
Passer en revue avec le patient les modifications à surveiller, y compris les symptômes (prurit ou douleur).
Le patient doit se sentir libre de consulter pour toute modification d’un nævus existant, l’évaluation d’un nævus apparu récemment ou des préoccupations particulières.
La prise de conscience des méfaits du soleil et l’utilisation régulière des écrans solaires et des vêtements protégeant contre le soleil doivent également être encouragées.
Conseils et recommandations
Les nævus bénins ont un aspect uniforme et un cycle évolutif prévisibles.
Les nævus s’écartant de ce schéma sont suspects et justifient une biopsie.
La dermoscopie peut être utile à l’évaluation des caractéristiques næviques. Cela exige une familiarisation avec la technique et ses résultats, ainsi que de l’expérience.
Syndrome des nævus atypiques (syndrome du nævus dysplasique)
Le syndrome des nævus atypiques se compose de nombreux nævus médicalement atypiques, et s’accompagne d’un risque accru de mélanome. Il se manifeste en tant que syndrome familial et aussi de façon sporadique.
Anamnèse
Il a été décrit pour la première fois en 1978 par Clark et ses collaborateurs en tant que B-K mole syndrome.
On observe de grands nævus irréguliers avec des couleurs variées et une composante cutanée palpable.
Il a été retrouvé en quantités accrues dans les six familles étudiées par Clark en 1978, parmi lesquelles de nombreux membres de la famille avaient des antécédents de mélanome.
Les nævus ont été considérés comme un marqueur phénotypique pour les membres d’une famille ayant un risque accru de développer un mélanome.
Le syndrome est maintenant connu en tant que « nævus familiaux atypiques ».
On pense que la transmission est autosomique dominante avec expressivité variable.
Ces nævus mélanocytaires cliniquement et histologiquement distincts sont des lésions isolées. Les lésions sont multiples dans certains cas et s’il y a un syndrome familial.
Dans chacun de ces contextes, les nævus atypiques sont considérés comme des précurseurs du mélanome ; le plus souvent, il s’agit de ceux qui s’étendent en surface.
Plus de 90 % des patients ayant un mélanome familial ont des nævus atypiques.
La nomenclature et les critères ont évolué avec le temps et portent à confusion.
Actuellement, on privilégie le terme « nævus atypiques ».
Selon les critères utilisés, les nævus atypiques sont courants, avec une prévalence estimée de 5 à 20 %.
Tandis que les nævus atypiques isolés sont courants, le syndrome familial est rare.
L’incidence de l’occurrence sporadique (non familiale) des nævus atypiques multiples est inconnue.
Les hommes et les femmes sont également atteints.
Les nævus atypiques ne sont pas présents à la naissance ; ils commencent à apparaître pendant la petite enfance.
Les traits caractéristiques des grains de beauté atypiques sont présents à la puberté.
Contrairement aux nævus mélanocytaires acquis courants, qui cessent d’apparaître après l’âge de 30 ans, les nævus atypiques continuent à apparaître à l’âge adulte.
Bien que l’exposition au soleil semble favoriser l’apparition des nævus atypiques, les lésions se développent à la fois dans les régions exposées et non exposées au soleil.
Il est préférable de considérer les nævus atypiques comme faisant partie d’un spectre allant des nævus bénins au mélanome.
Chez les patients ayant des nævus atypiques multiples, le nombre des nævus varie.
La plupart des personnes affectées ont plus de 50 nævus mélanocytaires, dont certains sont d’aspect atypique.
Il existe une variabilité frappante d’un nævus à l’autre.
Manifestations cutanées
Les nævus atypiques sont différents des nævus mélanocytaires acquis courants.
Les nævus atypiques sont ordinairement plus grands, avec un diamètre allant de 6 à 15 mm.
Le bord est irrégulier, indistinct et s’estompe imperceptiblement dans la peau environnante.
La couleur est variée avec un mélange aléatoire de rose, de marron, de brun et de noir.
La surface est irrégulière et comporte souvent une papule centrale ou excentrée.
Les nævus atypiques peuvent apparaître n’importe où sur la peau, mais se manifestent le plus couramment sur le tronc et les membres supérieurs.
Les personnes atteintes ont souvent des nævus dans les régions protégées du soleil, telles que le cuir chevelu, les plis inguinaux, les fesses, les organes génitaux, les seins chez les femmes, et les paumes des mains et les plantes des pieds.
Cela suggère une prédisposition génétique à la croissance mélanocytaire, même en l’absence de stimulation par les ultraviolets.
Chez les enfants en période prépubertaire, la présence des nævus dans ces sites peu courants peut être le premier signe clinique du syndrome.
Examens de laboratoire
Évolution et pronostic
La probabilité qu’un nævus atypique isolé se transforme plus tard en mélanome ne peut pas être estimée, bien que l’on puisse estimer le risque individuel pour un patient ayant des nævus atypiques.
Le risque vital de mélanome, pour la population née en l’an 2000, est estimé à 1,3 %.
Le risque vital de mélanome pour des personnes ayant des nævus atypiques mais sans antécédents familiaux de mélanome a été estimé à 6 %.
Ce risque augmente jusqu’à 15 % chez les patients ayant des nævus atypiques et des antécédents familiaux de mélanome.
Traitement
Les patients ayant des nævus atypiques doivent subir des examens systématiques de la peau, en commençant vers la puberté.
Envisager d’adresser à un dermatologue pour une surveillance régulière des nævus.
La fréquence des examens de suivi dépend des antécédents familiaux ou personnels de mélanome et du nombre de nævus atypiques.
Les examens de suivi sont généralement effectués tous les 3 à 12 mois.
L’examen ne doit pas être limité aux régions exposées au soleil et doit inclure l’inspection soigneuse du cuir chevelu, des organes génitaux et des membres.
Un examen ophtalmologique de base doit être obtenu puisque les patients peuvent également courir un risque accru de développer des mélanomes intraoculaires.
Un suivi ophtalmologique est approprié lorsque cela est justifié.
Les membres d’une même famille doivent également être examinés.
Des photographies peuvent être extrêmement utiles à l’identification des modifications des nævus.
Des photographies de base de la peau sont prises au cours de l’examen initial, avec des gros plans des grains de beauté les plus atypiques sur le plan clinique.
Toute lésion dont la modification a été documentée devrait être enlevée dans sa totalité et être envoyée pour examen histopathologique.
Les nævus dont le patient a noté une modification doivent également être enlevés.
On ne mettra jamais assez l’accent sur l’éducation et la prise de conscience des patients.
Les patients doivent commencer par se familiariser avec leur propre peau et par exécuter des auto-examens mensuels ou trimestriels.
La lumière du soleil a été impliquée dans la pathogénie du mélanome et l’induction des nævus mélanocytaires chez les patients ayant des nævus atypiques.
Il est recommandé d’éviter le soleil et de porter des vêtements protégeant contre le soleil, afin de réduire au minimum l’exposition aux ultraviolets.
On conseille également aux patients d’utiliser quotidiennement des écrans solaires, même les jours où le temps est obscurci ou nuageux.
L’application renouvelée des écrans solaires toutes les 2 à 3 heures doit être fortement encouragée, en particulier après avoir nagé ou fait de l’exercice.