Chapitre 16
Cancer du poumon et autres néoplasmes pulmonaires
Cancer bronchique
Définition: Le cancer du poumon (par exemple le carcinome bronchique) provient de l’épithélium respiratoire. Le cancer du poumon est divisé en deux grands groupes histologiques : le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) et le cancer bronchique à petites cellules (CBPC). Les CBNPC représentent environ 85 % des cancers du poumon. D’autres néoplasmes pulmonaires moins courants comprennent le carcinome adénosquameux, les tumeurs carcinoïdes, les tumeurs des glandes bronchiques, les tumeurs des tissus mous (par exemple les sarcomes), les blastomes pulmonaires et les lymphomes.
Épidémiologie: Dans le monde, le cancer du poumon représente environ 13 % des cancers. Plus de 1,1 million de cas de cancer du poumon sont diagnostiqués chaque année, et plus de 1 million de décès sont causés par la maladie. Aux États-Unis, 28 % de tous les décès annuels par cancer (30 % chez les hommes, 26 % chez les femmes) sont dus au cancer du poumon ; le cancer du poumon est la principale cause de décès par cancer chez les hommes et les femmes.
Selon le programme américain Surveillance, Epidemiology and End Results (SEER), 1 homme ou 1 femme sur 14 court le risque de développer un cancer du poumon au cours de sa vie. Les taux d’incidence et de mortalité varient selon la race/l’origine ethnique (tableau 16-1), les hommes afro-américains ayant une incidence plus élevée et un taux de mortalité plus élevé que les autres races/ethnies. Entre 2002 et 2006, les incidences du cancer du poumon chez les hommes et les femmes aux États-Unis étaient respectivement de 77,7 et 52,5 pour 100 000 habitants. L’âge médian au moment du diagnostic dans les deux sexes est de 71 ans.
Tabac: On estime que le tabagisme est responsable d’environ 85 à 90 % des cas de cancer du poumon, dont 90 % chez les hommes et 80 % chez les femmes. Plus de 40 agents cancérigènes ont été identifiés dans la fumée de cigarette. Le risque de développement de cancer du poumon est en corrélation avec le nombre de cigarettes fumées par jour, la durée et l’âge de début du tabagisme, le degré d’inhalation, la teneur en goudron et en nicotine des cigarettes et l’utilisation de cigarettes sans filtre. Si un non-fumeur à vie a un rapport de risque relatif de 1 de développer un cancer du poumon, les fumeurs de cigarettes de moins de 1 paquet/jour, de 1 paquet/jour, de 1 à 2 paquets/jour et de plus de 2 paquets/jour ont respectivement des rapports de risque de 15, 17, 42 et 64. Le rapport de risque chez les ex-fumeurs dépend de la durée de l’abstinence du tabagisme ; atteindre un rapport de risque de 1,5 à 2,0 nécessite une abstinence d’environ 30 ans.
Tabagisme passif: L’exposition à la fumée de tabac dans l’environnement par les non-fumeurs, en particulier dans les lieux de travail, augmente le risque de développement de cancer du poumon. Les niveaux d’exposition de la fumée de tabac dans l’environnement dépendent de la taille de l’espace clos et de l’intensité du tabagisme.
Autre exposition: L’International Agency for Research on Cancer a classé les agents suivants dans le groupe 1 des cancérigènes prédisposant au cancer du poumon : le radon, l’amiante, l’arsenic, le béryllium, le bis(chlorométhyle), le cadmium, le chrome, le nickel, le chlorure de vinyle et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Les cancérigènes probables du groupe 2A comprennent l’acrylonitrile, le formaldéhyde et les gaz d’échappement des moteurs diesel. Les cancérigènes potentiels du groupe 2B comprennent l’acétaldéhyde, la silice et les fumées de soudage. On estime que 9 % des cancers du poumon chez les hommes et 2 % chez les femmes sont causés par une exposition professionnelle.
Maladie pulmonaire préexistante: Le tabagisme provoque une inflammation chronique et la destruction des tissus pulmonaires, ce qui se traduit par une maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC). Les patients atteints de MPOC courent un risque environ quatre fois plus élevé de cancer du poumon. Les patients atteints de fibrose pulmonaire idiopathique ou de fibrose liée à l’asbestose ou à la silicose sont également prédisposés au cancer du poumon.
Facteurs alimentaires: Une consommation accrue de fruits et légumes verts et jaunes réduit le risque de cancer du poumon, alors qu’il est favorisé par de trop faibles concentrations sériques de vitamines antioxydantes comme les vitamines A et E. Cependant, les suppléments de β-carotène augmentent l’incidence du cancer du poumon.
Différences entre les sexes et les races: Les femmes qui fument ont un taux de risque plus élevé de 1,2 à 1,7 fois que celui des hommes, en particulier pour l’adénocarcinome et le CBPC. Les explications possibles de cette différence de risque sont : (1) les effets des hormones telles que les estrogènes sur le développement du cancer du poumon, (2) des différences entre les sexes dans le métabolisme de la nicotine, (3) des variations entre les sexes des enzymes cytochromes P-450 impliquées dans la bioactivation de composants toxiques dans le condensat de la fumée de cigarette.
Infection par le virus de l’immunodéficience humaine: Certaines études suggèrent que le risque de cancer du poumon est accru chez les patients infectés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), principalement en raison du tabagisme. La plupart des patients sont des hommes (10 : 1) et des jeunes, ce qui reflète en partie les caractéristiques démographiques de l’infection au VIH.
Hérédité: Après ajustement pour le tabagisme, les parents au premier degré de patients atteints de cancer du poumon courent un risque deux à six fois plus élevé de cancer du poumon. Chez les parents au deuxième degré, le risque relatif est de 1,28 et, chez les parents au troisième degré, il est de 1,14. Chez les non-fumeurs ayant des antécédents familiaux de cancer du poumon, le risque est deux à quatre fois plus élevé. Le risque familial peut être dû à une exposition partagée, comme la fumée de tabac dans l’environnement, ou à une susceptibilité génétique commune à des carcinogènes environnementaux.
Physiopathologie: Le cancer du poumon se développe en plusieurs étapes, partant d’une lésion précancéreuse pour aboutir après un certain nombre d’années au cancer invasif (fig. 16-1). La fumée de tabac ou d’autres substances cancérigènes favorisent la succession des modifications génétiques et épigénétiques qui entraînent la perte des mécanismes normaux de contrôle de la croissance cellulaire. (1) Ces changements affectent des oncogènes, homologues de gènes normaux, mais les produits de ces gènes sont rendus hyperactifs ou résistants à tout contrôle à la suite de mutations dites « gain de fonction ». (2) Les gènes suppresseurs de tumeurs, appelés « gènes du cancer », contrôlent la croissance des cellules ; des mutations dites « perte de fonction » suppriment l’activité inhibitrice des produits de ces gènes, favorisant ainsi la prolifération cellulaire3. Certains facteurs de croissance sécrétés par les cellules cancéreuses elles-mêmes contribuent au développement tumoral.
Fig. 16-1 Changements séquentiels au cours de la pathogénie du cancer du poumon. CIS = carcinome in situ ; Fhit = fragile histidine triad ; LOH = loss of heterozygosity (perte d’hétérozygotie). (Source : Hirsch FR, Franklin WA, Gazdar AF, et al. Early detection of lung cancer : clinical perspectives of recent advances in biology and radiology. Clin Cancer Res. 2001 ; 7 : 5–22. Mise à jour avec l’autorisation de Fred R. Hirsch, MD, PhD, Department of Medical Oncology, University of Colorado Health Sciences Center, et de Adi F. Gazdar, MD, Department of Pathology, South western Medical Center.)
Oncogènes: Les oncogènes qui jouent un rôle dans la pathogénie du cancer du poumon comprennent : ras, la famille myc, HER-2/neu (ERBB2) et Bcl-2. La famille des oncogènes ras comporte trois membres principaux (H-ras, K-ras et N-ras), dont l’un, K-ras, est activé par des mutations ponctuelles dans le codon 12 des cellules du cancer pulmonaire. La mutation est présente dans 30 % des adénocarcinomes bronchiques, le plus souvent chez les patients ayant des antécédents de tabagisme, mais on ne la trouve pas dans le CBPC. À stade égal, le cancer associé à une mutation K-ras a un moins bon pronostic.
Gènes suppresseurs de tumeurs: Les gènes suppresseurs de tumeur sont notamment p53, Rb et 3p. La mutation de p53 est liée au tabagisme et a été détectée dans les lésions prénéoplasiques du poumon. Les mutations de p53 sont fréquentes dans les CBNPC (environ 50 %) et les CBPC (environ 80 %).
Facteurs de croissance: Des facteurs de croissance sécrétés par les cellules de cancer du poumon peuvent affecter des cellules adjacentes ou régionales (paracrinie), ou provoquer une prolifération autonome des cellules qui les produisent (stimulation autocrine). Les cellules qui sont touchées par cette stimulation autocrine sécrètent un facteur de croissance biologiquement actif. Des anticorps qui se lient à ce facteur de croissance inhibent la croissance cellulaire.
Épigénétique: L’épigénétique fait référence à une modification, héritable, de l’expression génique, mais qui n’implique pas un changement dans la séquence de l’ADN. L’une de ces modifications épigénétiques consiste en une méthylation plus ou moins marquée de différents segments de l’ADN. Ces remaniements, qui sont très fréquents dans le cancer du poumon, peuvent consister en hypométhylation, en dérégulation de l’ADN méthyltransférase I et en hyperméthylation. Les gènes qui sont méthylés dans les CBNPC comprennent p16, RAR-β, RASSFIA, ainsi que les gènes de la méthylguanine méthyltransférase et de la DAP-kinase (death-associated protein kinase). Cette hyperméthylation peut réduire au silence des gènes suppresseurs de tumeurs, permettant ainsi une croissance cellulaire non régulée.
Manifestations cliniques: Jusqu’à 15 % des patients chez qui un cancer du poumon est diagnostiqué sont initialement asymptomatiques ; le diagnostic est posé incidemment sur une radiographie thoracique obtenue pour d’autres raisons (par exemple une étude préopératoire). Cependant, la plupart des patients présentent des symptômes et des signes qui sont causés : (1) par la tumeur elle-même, qui se manifeste par l’invasion ou l’obstruction liées à sa croissance locale ; (2) par la propagation régionale intrathoracique aux ganglions lymphatiques et aux structures adjacentes ; (3) par une expansion lointaine extrathoracique ; (4) par des syndromes paranéoplasiques. Des signes et symptômes non spécifiques comprennent l’anorexie chez environ 30 % des patients, la perte de poids, la fatigue chez un tiers des patients et de l’anémie et de la fièvre chez 10 à 20 %. Plus de 80 % des patients montrent initialement trois ou plusieurs signes ou symptômes liés au cancer du poumon.
Lésion pulmonaire: Les symptômes résultant d’un cancer primitif du poumon dépendent de l’emplacement et de la taille de la tumeur. Ils peuvent être secondaires à la croissance endobronchique ou périphérique de la tumeur primitive. Le plus fréquent est la toux, qui affecte environ 45 % des cas, mais elle est non spécifique et aussi fréquente chez les patients qui fument et qui sont atteints de MPOC. Une hémoptysie survient chez plus de 30 % des patients, mais la bronchite et les bronchectasies sont des causes plus fréquentes d’hémoptysie. Les patients, dans 30 à 50 % des cas, se plaignent de dyspnée. La respiration sifflante est rare comme premier symptôme ; elle peut être la manifestation d’une obstruction importante, potentiellement responsable d’une pneumonie postobstructive. Celle-ci pourrait ne pas être évidente sur les radiographies thoraciques et n’être diagnostiquée que face à l’échec d’un traitement standard. Au moment du diagnostic de cancer du poumon, la tumeur peut être cavitaire et former un abcès.