Chapitre 15
Cancers de la tête et du cou
Définition: Les principaux cancers de la tête et du cou sont des cancers épidermoïdes des muqueuses des voies aérodigestives supérieures ; ils comprennent également un groupe diversifié de tumeurs des glandes salivaires. Les cancers isolés de la région comprennent le carcinome du nasopharynx, les cancers thyroïdiens, l’esthésioneuroblastome et le carcinome indifférencié du nez et des sinus. Divers autres cancers dérivent de structures et tissus de la tête et du cou, notamment les cancers de la peau les plus courants (chapitre 29), les lymphomes (chapitres 10 et 11) et les sarcomes (chapitre 28).
Épidémiologie: Les carcinomes épidermoïdes représentent 95 % des cancers de la tête et du cou, tandis que les cancers des glandes salivaires représentent la quasi-totalité des 5 % restants. Ils représentent 4 % de l’ensemble des cancers aux États-Unis. Les cancers épidermoïdes de la tête et du cou peuvent être divisés en deux groupes distincts en fonction de la pathogénie, de la biologie et du pronostic. L’incidence des cancers liés à l’environnement, principalement au tabac et à l’alcool, est en baisse, mais ils restent assez courants. Les cancers de l’oropharynx liés au virus du papillome humain (VPH) sont en revanche en augmentation. Ils représentent aujourd’hui environ 65 % des cancers de l’oropharynx observés aux États-Unis et en Europe et affectent une population plus jeune (50 à 60 ans) que les cancers de l’environnement (55 à 65 ans). Les patients atteints de cancer de l’oropharynx lié au VPH sont aussi généralement en meilleure santé.
Cavité buccale: La cavité buccale comprend le plancher de la bouche, la partie antérieure ou segment buccal de la langue, les lèvres, les surfaces buccales, le palais dur, le trigone rétromolaire et les gencives. Cette région est facilement accessible à un examen physique ; dès lors, des tumeurs dans ces régions peuvent souvent être détectées tôt au cours de leur évolution. Les tumeurs de la cavité buccale, qui sont étroitement liées à l’utilisation par voie orale de tabac sans fumée et autres dérivés, se développent sur les surfaces buccales et gingivales dans les sites où les produits du tabac restent en contact avec la muqueuse pendant de longues périodes. Les cancers de la partie antérieure de la langue sont plus fréquents chez les fumeurs. Les cancers des lèvres s’observent particulièrement chez les patients greffés et pourraient être causés par les rayons ultraviolets qui endommagent l’ADN.
Oropharynx: L’oropharynx comprend la partie de la langue située derrière les papilles circumvallées, la zone située derrière l’épiglotte, les amygdales, les parois pharyngées associées et le voile du palais. L’oropharynx est devenu l’endroit le plus commun pour les tumeurs de la tête et du cou aux États-Unis ; il est un site fréquemment impliqué en Europe. L’explication est la proportion élevée de cancers liés au VPH, dont l’incidence ne cesse d’augmenter. Ce type de cancer est dû presque exclusivement au VPH-16, qui est aussi associé aux cancers du col de l’utérus, de l’anus et de la vulve. Le cancer de l’oropharynx lié au VPH se manifeste à un stade tumoral (T) primaire plus bas (T1 et T2), mais à un stade nodal plus élevé (N2 et N3) que les cancers environnementaux ; il est souvent une cause de cancer primitif inconnu, car les tumeurs primitives sont petites et difficilement identifiées.
Hypopharynx: L’hypopharynx comprend les sinus piriformes, les parois latérales et postérieure du pharynx, et la surface postérieure du larynx. La détection des tumeurs de cette région peut être difficile en raison des cavités et des espaces entourant le larynx. En conséquence, les tumeurs primitives hypopharyngiennes peuvent être asymptomatiques et, comme les tumeurs de l’oropharynx, peuvent être détectées alors qu’elles sont à un stade avancé ou diagnostiquées comme un cancer « primitif inconnu » (chapitre 30). Ces tumeurs sont liées au tabac et à l’alcool.
Larynx: Le larynx comprend les cordes vocales, la région sous-glottique et le larynx supraglottique ainsi que la thyroïde et les cartilages cricoïde et aryténoïde. Les tumeurs qui se développent sur les cordes vocales se manifestent souvent de manière précoce et se propagent rarement au-delà des limites du larynx, tandis que les cancers sous-glottiques et supraglottiques peuvent être relativement asymptomatiques et ont un risque beaucoup plus élevé et plus précoce de propagation par les vaisseaux lymphatiques dans des sites régionaux. Les cancers du larynx sont fortement associés au tabagisme.
Nasopharynx: Le nasopharynx comprend les surfaces muqueuses et les structures de la cavité située derrière les voies nasales. Les cancers nasopharyngés sont fréquents dans les régions bordant le Pacifique, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Dans certaines régions de Chine et d’Asie du Sud-Est, les cancers du nasopharynx ont une fréquence qui rivalise avec celle du cancer du poumon. En Amérique du Nord, on dénombre environ 2000 cas par an, mais les chiffres augmentent avec l’installation d’immigrants provenant d’ethnies à haut risque. Les cancers du nasopharynx sont fréquemment associés à une infection latente des cellules épithéliales tumorales par le virus d’Epstein-Barr (EBV), l’agent étiologique de la mononucléose infectieuse. Les cancers du nasopharynx sont associés également à des facteurs environnementaux et génétiques dans les populations sensibles qui ont migré en Amérique du Nord et qui restent fortement prédisposées à cette maladie. Contrairement à d’autres carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou, les cancers du nasopharynx peuvent survenir à un âge précoce, avec un pic évident durant l’adolescence et le début de l’âge adulte. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé les cancers du nasopharynx en trois sous-types histologiques : les formes indifférenciées (OMS III) et non kératinisantes (OMS II) sont infectées de façon latente par l’EBV dans 95 % des cas et constituent la majorité en Amérique du Nord et dans le monde ; la forme bien différenciée (OMS I) est plus rare et représente environ 5 % dans le monde, mais environ 15 à 25 % des cancers du nasopharynx en Amérique du Nord, et elle est généralement associée aux facteurs de risque traditionnels comme le tabagisme. Les cancers du nasopharynx ont un risque élevé d’envahissement ganglionnaire régional précoce, une longue évolution naturelle et un risque très élevé de propagation dans des sites distants.
Sinus paranasaux: Les cancers peuvent toucher les sinus maxillaires, ethmoïdes, sphénoïdes et frontaux ainsi que la cavité nasale. En Amérique du Nord, parmi les tumeurs de la tête et du cou, ces localisations sont relativement rares ; en revanche, pour des raisons inexpliquées, leur fréquence est nettement plus élevée chez les Japonais. Les cancers des sinus maxillaires sont plus fréquents chez les fumeurs. Jusqu’à 50 % des cancers des sinus dérivent d’une glande salivaire, et sont fréquemment liés à une exposition à la poussière de bois, au tannage ou au travail du cuir. Parfois, on trouve des tumeurs neuroendocrines et un rare carcinome indifférencié nasosinusien. Les cancers des sinus sont souvent diagnostiqués tardivement, car ils ne se manifestent que lors de l’invasion de structures environnantes : l’orbite, la cavité nasale, la base du crâne ou des nerfs crâniens.
Glandes salivaires: Des glandes salivaires sont présentes dans les six régions qui viennent d’être décrites, ainsi que dans la trachée et l’œsophage. Les tumeurs peuvent se développer dans toutes les glandes salivaires, majeures et mineures, avec une incidence qui est à peu près proportionnelle à la quantité de tissu glandulaire. Le site le plus fréquent est la parotide. Les tumeurs peuvent se développer à tout âge, y compris l’enfance, mais le pic d’incidence se situe entre 55 et 65 ans. Les cancers des glandes salivaires ont divers aspects histologiques et se comportent différemment selon leur classification histologique. De nombreuses tumeurs de la parotide sont bénignes. Les facteurs de risque pour les cancers des glandes salivaires sont encore mal connus, mais une radiothérapie antérieure dans des zones adjacentes augmente le risque (chapitre 19).
Physiopathologie: Les produits du tabac et l’alcool sont les principaux facteurs étiologiques et de risque de carcinome épidermoïde de la tête et du cou. Les deux montrent une relation dose–réponse évidente. Fumer un produit irritant, quel qu’il soit, augmente le risque de cancer local, mais la nicotine et d’autres composants des feuilles de tabac ont un effet direct sur la muqueuse buccale et augmentent le risque de cancer épidermoïde. L’alcool est également un agent cancérigène ; sa consommation ainsi que son usage éventuel dans des bains de bouche augmentent le risque. De plus, l’alcool affecte les enzymes locales et systémiques de détoxication et peut augmenter le potentiel carcinogène d’autres agents de l’environnement. D’autres facteurs sont : l’exposition aux radiations, notamment le rayonnement solaire ; le soudage, l’affinage de métaux, les gaz d’échappement des moteurs diesel, les poêles à bois et l’exposition à l’amiante ; les irritants chroniques ; une carence en vitamine A ; une immunosuppression.
Plusieurs maladies héréditaires et anomalies génétiques prédisposent au cancer de la tête et du cou. L’anémie de Fanconi, une affection rare liée à une famille de gènes, favoriserait le développement d’un cancer de la langue, de même que le syndrome de Cowden (chapitre 3), qui dépend de mutations dans le gène PTEN. Enfin, des variants alléliques communs des gènes de l’alcool déshydrogénase et de P-450 peuvent accroître la susceptibilité à l’alcool et à d’autres substances cancérigènes.
Dans les cancers liés à l’environnement, des lésions précoces à haut risque peuvent parfois être identifiées comme une leucoplasie et une érythroplasie. La leucoplasie (fig. 15-1A) apparaît cliniquement comme une tache blanche sur la muqueuse buccale ou le larynx. Elle peut se transformer de façon imprévisible en cancer en plusieurs années chez environ 30 % des patients. L’érythroplasie (voir fig. 15-1B), une lésion rouge hyperkératosique de la muqueuse, est un état précancéreux plus avancé avec un risque d’environ 60 % de transformation en cancer. La résection chirurgicale de la leucoplasie ou de l’érythroplasie n’a aucun effet sur le développement ultérieur d’un cancer invasif. Pour ces lésions précancéreuses orales, on ne dispose d’aucun traitement chimique préventif éprouvé. Puisque le tabagisme ou la consommation d’alcool augmente fortement le risque de récidive et de seconds cancers primitifs, les patients qui ont été atteints de ce type de tumeur doivent mettre fin à ces dépendances.
Manifestations cliniques: Les symptômes et les manifestations cliniques des tumeurs de la tête et du cou peuvent varier largement et sont liés aux structures du site de la tumeur primitive, ainsi qu’au drainage dans les ganglions lymphatiques régionaux. Les petites tumeurs de la cavité buccale et du larynx peuvent être facilement reconnues car les patients les découvrent eux-mêmes ou ils sont amenés à consulter en raison de l’altération fonctionnelle précoce d’une structure importante. Les carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou sont essentiellement des tumeurs locales et régionales ; il est donc rare que ce type de cancer s’étende en dehors de la tête et du cou. L’extension des cancers des glandes salivaires est moins restreinte et ceux-ci peuvent s’étendre loin, mais puisque les tumeurs primitives sont également découvertes facilement et sont en général accessibles à un examen physique direct, il est rare que ces tumeurs soient identifiées à la suite d’une dissémination métastatique hors de la région.
La stadification d’un carcinome épidermoïde de la tête et du cou est fondée sur le système de classification « tumeur, ganglions (nodes), métastases » (TNM), et le pronostic est lié principalement aux stades N et T (tableau 15-1). Le risque de propagation du cancer à des ganglions lymphatiques est directement lié à l’emplacement de la tumeur primitive et secondairement à la taille de la première. Le risque de métastases ganglionnaires est particulièrement élevé pour les tumeurs de l’oropharynx ; il diminue ensuite pour les autres localisations dans l’ordre suivant : le larynx supraglottique et les sinus piriformes (hypopharynx), la partie orale de la langue, le voile du palais, la cavité buccale et le plancher de la bouche et, finalement, le larynx. Le cancer du nasopharynx se propage facilement et de manière étendue dans les ganglions, contrairement aux cancers des sinus paranasaux pour qui ce mode d’extension est rare. Le site de la tumeur primitive détermine en partie quels sont les ganglions qui seront atteints. Le cancer du nasopharynx se propage dans les ganglions cervicaux postérieurs, ainsi que dans les cervicaux supérieurs. Les tumeurs de l’oropharynx, du larynx et d’un sinus piriforme s’étendent aux ganglions cervicaux supérieurs. Dans ces localisations, les métastases peuvent être bilatérales. Les tumeurs de la cavité buccale métastasent dans les ganglions sous-mentonniers et sous-maxillaires. La propagation tend à être ordonnée, allant des ganglions sous-maxillaires aux ganglions cervicaux médians. Pour les cancers de la cavité buccale, le risque de propagation controlatérale cliniquement méconnue peut atteindre 20 %.
Tableau 15-1
Stadification des carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou par l’American Joint Committee
*La distribution et l’impact pronostique de la propagation d’un cancer du nasopharynx à un ganglion lymphatique régional sont différents des autres cancers des muqueuses de la tête et du cou, ce qui justifie l’utilisation d’un système de classification N différent
Source : AJCC Cancer Staging Manual. 7th ed. New York : Springer-Verlag ; 2010.