Chapitre 14 Traumatismes de la cheville

Traduction :Matthieu Gilleron

Fractures de cheville 380

Mécanismes lésionnels 381

Classification des fractures de cheville 382

Traumatismes en supination/rotation latérale 383

Traumatismes en abduction 384

Traumatismes en pronation/rotation latérale (rotation latérale avec diastasis) 385

Traumatismes en adduction 386

Traumatismes en compression 387

Diagnostic des fractures de cheville 388

Principes du traitement 389

Fractures de la fibula 391

Sous la syndesmose 391

Au niveau de la syndesmose 392

Au-dessus de la syndesmose 393

Réduction à foyer fermé des fractures de cheville 394

Traitement des fractures comminutives par compression 396

Lésions du ligament collatéral latéral 397

Lésions épiphysaires 398

Entorse du ligament tibiofibulaire inférieur 398

Luxation pure de cheville 399

Luxation récidivante des tendons fibulaires 399

Ostéochondrite disséquante du talus 399

Cheville du footballeur 399

Complications des traumatismes de cheville 400

Classification de l’AO : tibia/fibula

Segment distal 401

Segment malléolaire 402

Auto-évaluation 403

Réponses à l’auto-évaluation 404

FRACTURES DE CHEVILLE – ANATOMIE ET MÉCANISMES LÉSIONNELS

1 Rappels anatomiques (a) : L’articulation de la cheville est souvent comparée à la mortaise et au tenon du menuisier. Le talus (1) représente le tenon (T) et est encadré par les deux malléoles et la surface articulaire du tibia (mortaise de la cheville). La malléole latérale est solidement unie au tibia par les puissants ligaments tibiofibulaires antérieur et postérieur (2).

La cheville n’est pas une véritable diarthrose ; elle autorise 18° de rotation autour d’un axe vertical.

2 Rappels anatomiques (b) : Le talus est maintenu dans la mortaise par le puissant ligament deltoïde (1) sur le côté médial et par le ligament collatéral latéral (2) sur le côté latéral.

La partie antérieure du dôme talien est plus large que sa partie postérieure (3). Quand le pied est en dorsiflexion, le talus repousse la fibula latéralement (4) et se retrouve alors encore plus fortement enchâssé dans la mortaise tibiofibulaire.

3 Rappels anatomiques (c) : Tout comme pour le bassin, les principales structures anatomiques peuvent être assimilées à un anneau. Une interruption de celui-ci à un seul endroit entraîne une lésion stable dont le traitement est généralement orthopédique. (Les lignes pointillées indiquent les principales localisations anatomiques exposées – malléoles latérale, médiale et postérieure ; ligament tibiofibulaire et ligaments collatéral médial et latéral.) Une interruption de l’anneau à plusieurs endroits entraîne une instabilité nécessitant dans la majorité des cas une stabilisation chirurgicale.

4 Mécanismes lésionnels (a) : La fonction de la mortaise tibiofibulaire est menacée si les malléoles sont fracturées ou si les ligaments tibiofibulaires sont déchirés. La stabilité du talus peut également être lésée par la rupture des ligaments collatéraux médial et latéral. Le mécanisme habituel est une rotation du talus dans la mortaise aboutissant à la fracture de l’une ou des deux malléoles.

5 Mécanismes lésionnels (b) : La rotation latérale du talus peut se produire de deux façons différentes. 1. Le pied peut agir comme un long levier ; toute force latérale appliquée au bord médial du pied est transférée au talus de façon décuplée comme dans tout système de bras de levier. Le bras de levier est encore plus important si, par exemple, le pied est chaussé d’un ski.

6 Mécanismes lésionnels (c) : 2. L’articulation subtalaire fonctionne selon un axe oblique bien connu, illustré par le pli de ce modèle papier (1).

L’inversion du talon, représentée en pliant le papier, aboutit à la rotation latérale du talus (2) (principe de couple de torsion de Rose). Le mécanisme classique est une « torsion » de la cheville sur un terrain irrégulier.

FRACTURES DE CHEVILLE – MÉCANISMES LÉSIONNELS

7 Mécanismes lésionnels (d) : Le talus peut être contraint en varus pur, par exemple lorsque le bord latéral du pied en position d’inversion heurte lourdement le sol.

(La rotation latérale du talus, produite par l’inversion du calcanéus, contrebalancée par la rotation médiale du choc, aboutit à un varus pur.)

8 Mécanismes lésionnels (e) : De même, si une force est appliquée au bord médial du talon et du pied, le talus aura tendance à basculer en valgus dans la mortaise tibiofibulaire.

9 Mécanismes lésionnels (f) : Beaucoup de traumatismes surviennent au cours de la marche ou d’une course. Dans ces circonstances, des forces supplémentaires sont transmises à la partie postérieure de la surface articulaire tibiale (malléole postérieure).

10 Mécanismes lésionnels (g) : Les traumatismes en compression peuvent être la conséquence : (1) d’une chute d’un lieu élevé, les forces étant alors transmises verticalement à partir du talon ; ou (2) d’une décélération brutale lors d’un accident de la route – ce qui est parfois aggravé par les pédales, les contraintes étant transmises à la marge antérieure du tibia la cheville étant en dorsiflexion forcée. La comminution est une caractéristique de ce type de fracture.

11 Classification des fractures de la cheville : Il y a plusieurs classifications des fractures de cheville ; cherchant à être exhaustives (ce à quoi aucune ne parvient), certaines sont tellement complexes qu’elles rendent leur mémorisation presque impossible. Les fractures impliquant l’articulation de la cheville font souvent référence aux fractures de Pott ; bien que cette terminologie soit à l’heure actuelle quelque peu archaïque, elle a un certain mérite dans sa simplicité : dans les fractures de Pott de type 1, une seule malléole est fracturée (1) : dans les fractures de type 2 de Pott, les deux malléoles sont fracturées (fractures bimalléolaires) (2).

12 Classification de Pott des fractures de cheville (suite) : Dans le type 3 des fractures de Pott (3), il existe une fracture bimalléolaire, à laquelle est associée une fracture de la partie postérieure de la surface articulaire du tibia – souvent appelée troisième malléole. Ces fractures sont également appelées fractures trimalléolaires.

CLASSIFICATION DES FRACTURES DE CHEVILLE

13 Classification de Pott des fractures de cheville (suite) : S’ajoute ensuite la présence ou non d’un diastasis au niveau de la cheville ou d’un enfoncement vertical. (A) Type 1 de Pott avec diastasis. (B) Type 2 de Pott avec enfoncement vertical.

14 Classification de Weber des fractures de cheville : Elle est fondée sur le niveau du trait de fracture fibulaire, qui serait la clé de toutes les fractures de cheville.

Les fractures de type A se trouvent en distalité de la syndesmose.

Les fractures de type B débutent au niveau du plafond tibial ; elles forment souvent une spire à direction proximale et impliquent habituellement la syndesmose.

Les fractures de type C débutent au-dessus de la syndesmose qui peut être le siège de lésions variables. Bien que cette classification soit simple, elle ne prend pas en compte les lésions associées des structures avoisinantes (par exemple une fracture isolée de la fibula n’est pas différenciée d’une autre accompagnée d’une fracture de la malléole médiale).

15. Classification de l’AO des fractures de cheville : Elle suit dans les grandes lignes la classification de Weber. (Elle a été développée en association avec celle de Weber et est parfois décrite comme la classification de Weber AO.) Elle prend en compte les lésions associées des autres éléments de stabilité. (De façon intéressante, les groupes au sein de chaque type ont tendance à suivre la classification de Pott.) Pour plus de détails sur cette classification, voir p. 402.

16. Classification de Lauge-Hansen des fractures de cheville : Il s’agit d’une classification plus complète et largement répandue qui désigne chaque type de fracture en deux termes. Le premier terme se réfère à la position du pied au moment du traumatisme ; le deuxième renvoie à la direction dans laquelle le talus se déplace dans la mortaise en réponse aux forces vulnérantes. Il y a cinq types principaux ; ils ont été organisés ici par ordre de fréquence et une terminologie usuelle est fournie.

TRAUMATISMES EN SUPINATION/ROTATION LATÉRALE

17 Supination/rotation latérale (traumatisme en rotation latérale sans diastasis) (a) : Le pied est en inversion (1). Selon le principe du couple de torsion, le talus tourne latéralement dans la mortaise (2). Les éléments de stabilité de l’articulation de la cheville sont alors sollicités et cèdent un à un. Quand un élément cède, le suivant est sollicité. Le nombre d’éléments impliqués dépend de l’ampleur des forces appliquées à l’articulation.

18 Traumatismes en supination/rotation latérale (b) : La rotation du talus entraîne la fibula, aboutissant dans un premier temps à la rupture du ligament tibiofibulaire antérieur (inférieur) (1). Parfois, les contraintes appliquées à ce ligament entraînent l’avulsion de son insertion tibiale (T) (fracture de Tillaux).

19 Traumatismes en supination/rotation latérale (c) : Si la rotation latérale se poursuit, la fibula se fracture, de manière oblique ou sous forme d’une spire (2). Noter la direction de la spire. Si le déplacement continue, le fragment fibulaire emporte avec lui un fragment de malléole postérieure (3) auquel il est attaché par le ligament tibiofibulaire postérieur (ou entraîne une rupture de celui-ci).

20 Traumatismes en supination/rotation latérale (d) : Si la rotation continue, la quatrième structure à céder est le ligament collatéral médial ou son insertion (la malléole médiale) (4). De telles lésions sont potentiellement très instables et doivent être soigneusement distinguées des lésions de stade 1 ou 2.

21 Radiographies (a) : Fracture spiroïde de la fibula classique d’un traumatisme S/L. Sur le profil, la fracture se propage vers le bas et l’avant et il n’y a pas de fracture évidente de la malléole postérieure. Bien qu’il y ait une très légère incongruence entre la surface supérieure du talus et la mortaise, l’absence de sensibilité du côté médial de la cheville suggère qu’il s’agit d’une lésion de stade 2 ou 3.

22 Radiographies (b) : La fracture-avulsion de la malléole médiale indique qu’il s’agit d’un stade 4 S/L. Il y a une translation latérale du talus dans la mortaise, mais la partie principale de la fibula maintient ses rapports avec le tibia, et il n’y a donc aucun vrai diastasis. Néanmoins, il s’agit d’une lésion très instable.

TRAUMATISMES EN PRONATION/ABDUCTION

23 Pronation/abduction (traumatismes en abduction) (a) : Le pied s’éverse et le talus bascule en abduction. Les premières structures à être lésées se trouvent sur le versant médial. Soit (A) le ligament deltoïde se rompt (rare), soit on observe une fracture-avulsion de la malléole médiale. Le fragment peut alors être de petite taille (B) ou bien plus important (C). Dans chaque cas, le trait de fracture est horizontal.

24 Traumatismes en pronation/abduction (b) : Au second stade, dans les traumatismes de ce type, les ligaments tibiofibulaires antérieur et postérieur se rompent. En ce qui concerne le ligament tibiofibulaire postérieur, son insertion tibiale peut être avulsée.

25 Traumatismes en pronation/abduction (c) : Au stade trois, la fibula se fracture, souvent au niveau de l’articulation. Une comminution peut se produire, avec parfois la formation d’un troisième fragment triangulaire à base latérale. Le fragment fibulaire distal bascule latéralement (angulation médiale). Le trait de fracture est souvent horizontal.

26 Radiographies (a) : Dans cet exemple de fracture en abduction stade 1, noter que le petit fragment malléolaire médial, la fibula est intacte et le talus non déplacé.

27 Radiographies (b) : Dans cette fracture en abduction stade 3, noter la direction du déplacement du talus, la fracture-avulsion à gros fragment de la malléole médiale et la localisation distale du trait de fracture fibulaire. Ce dernier n’est pas strictement horizontal mais paraît discrètement spiroïde, ce qui suggère la présence d’un élément rotatoire. (En premier recours, il faudrait réduire ces déformations [voir figure 33] afin de diminuer les risques de nécrose cutanée du versant médial.)

28 Pronation/rotation latérale (traumatisme en rotation latérale avec diastasis) (a) : Le talus observe une rotation latérale avec un pied éversé ou en position neutre (pied n’étant pas en inversion). La rotation du talus provoque dans un premier temps une fracture oblique de la malléole médiale, ou une rupture du ligament deltoïde.

TRAUMATISMES EN PRONATION/ROTATION LATÉRALE

29 Pronation/rotation laterale (b) : Alors que le talus poursuit sa rotation, il entre en conflit avec la fibula. Le ligament tibiofibulaire antérieur est alors sollicité : dans le stade 2 des lésions P/L, son insertion tibiale est avulsée (fracture de Tillaux) (2), ou bien il se rompt.

30 Pronation/rotation laterale (c) : Dans le stade 3, le talus poursuit sa rotation, entraînant une fracture de la fibula (3), oblique ou spiroïde.

31 Pronation/rotation laterale (d) : Noter sur le profil (A) que l’obliquité du trait de fracture fibulaire a une direction opposée à ce qui est rencontré dans les lésions de type S/L. La fracture peut être très proximale, au niveau du col de la fibula (B) – fracture de Maisonneuve. Dans le stade 3, la lésion est instable, bien que des clichés en contrainte puissent être nécessaires pour démasquer le diastasis (C).

32 Pronation/rotation laterale (e) : Si le talus poursuit sa rotation contre la malléole latérale, le ligament tibiofibulaire postérieur se rompt alors (A), ou se détache de son insertion osseuse (B). La membrane interosseuse se déchire et le diastasis apparaît (fracture de Dupuytren – luxation de la cheville : stade 4).

33 Radiographie : Noter sur le profil :

1. Le trait de fracture a une direction opposée à celui des fractures de la fibula dans les lésions type supination/rotation latérale.

2. La subluxation postérieure du talus.

Noter sur la face :

1. L’importance du déplacement latéral du talus.

2. Les dégâts évidents subis par la membrane interosseuse.

3. L’arrachement de l’insertion du ligament tibiofibulaire postérieur.

TRAUMATISMES EN SUPINATION/ADDUCTION

34 Supination/adduction (traumatismes en adduction) (a) : Le pied est en inversion, mais la tendance à la rotation latérale du talus imposée par le couple de torsion est contrebalancée par les forces appliquées à l’avant-pied lors de l’impact. La résultante globale est une adduction du talus dans la mortaise. Si les forces appliquées sont faibles, se produit alors une rupture partielle des fibres du ligament collatéral latéral (entorse de la cheville).

35 Traumatismes en supination/adduction (b) : Un traumatisme plus violent entraînera une rupture complète des trois faisceaux du ligament collatéral latéral (A), ou bien un arrachement de leurs insertions fibulaires, une fracture-avulsion de la malléole latérale (avec un trait de fracture horizontal) (B).

36 Traumatismes en supination/adduction (c) : Au second stade, l’adduction du talus brise la malléole médiale, entraînant une fracture verticale ou oblique longue (A). Note : (i) À la place d’une fracture de la malléole médiale, peut se produire un enfoncement ostéochondral de l’angle (B). (ii) Parfois, la malléole médiale peut être le siège d’une fracture sans lésion première du ligament collatéral latéral.

37 Radiographies (a) : Cette radiographie montre très clairement une fracture-avulsion de l’extrémité de la malléole latérale, typique d’un stade 1 d’un traumatisme en supination/ adduction.

38 Radiographies (b) : Noter sur cette lésion stade 2 typique le trait de fracture quasi vertical débutant à l’angle médial de la mortaise. Le cliché est un peu en rotation et la projection de la fibula se superpose au tibia.

39 Radiographies (c) : Sur cette cheville d’enfant, il s’agit d’une fracture en bois vert de la malléole médiale avec un enfoncement de l’angle entre la malléole médiale et la surface articulaire inférieure du tibia.

TRAUMATISMES EN PRONATION/DORSIFLEXION

40 Pronation/dorsiflexion (traumatisme en compression) (a) : Généralement, la cheville est en flexion dorsale, et s’y ajoute une force de compression axiale – habituellement lors d’une chute d’un lieu élevé ou d’un accident de la voie publique (A). En flexion dorsale, la partie antérieure plus large de la poulie du talus vient forcer contre les malléoles, arrachant la malléole médiale (B).

41 Traumatismes en pronation/dorsiflexion (b) : À un degré supplémentaire, le bord antérieur du tibia (2) se fracture, suivie de la malléole latérale (3).

42 Traumatismes en pronation/dorsiflexion (c) : Les fractures du bord antérieur du tibia se voient très bien sur les clichés de profil de la cheville qui permettent aisément d’identifier ce type de fracture. Le talus peut se subluxer en avant, emportant avec lui le fragment marginal.

43 Traumatismes en pronation/dorsiflexion (d) : En cas de violence plus importante, le tibia se fracture de manière irrégulière, souvent avec une importante comminution. Il peut alors y avoir une incongruence articulaire. Noter sur le profil le volumineux pavé marginal antérieur. Sur la face, noter la fracture typique de la malléole médiale, l’importance de la comminution, et la perturbation de l’interligne articulaire tibial. Dans cet exemple, la fibula reste intacte.

44 Autres traumatismes en compression : Si la chute se produit avec le pied en flexion plantaire, la surface articulaire postérieure du tibia peut se fracturer. De plus, les deux malléoles peuvent être lésées (comme typiquement dans les traumatismes en pronation/dorsiflexion) lorsque la partie antérieure la plus large du talus vient les heurter.

DIAGNOSTIC DES FRACTURES DE CHEVILLE

45 Diagnostic des fractures de cheville : (a) OEdeme : Noter la localisation et la distribution des oedèmes et des ecchymoses, par exemple (1) oedème prémalléolaire latéral diffus lors de la plupart des traumatismes de cheville. (2) OEdème en oeuf de pigeon sur la malléole latérale peu de temps après la rupture complète du ligament collatéral latéral ou les fractures de la malléole latérale (signe de McKenzie). (3) OEdème et ecchymoses diffus lors des fractures trimalléolaires ou en compression. Les oedèmes et ecchymoses impliquant les deux versants de la cheville suggèrent fortement des lésions instables.

46 (b) Deformation : Noter la présence d’une quelconque déformation. Rechercher : (1) une rotation latérale du pied par rapport à la jambe. Si la malléole médiale est fracturée et déplacée, l’extrémité distale du tibia peut saillir sous la peau. (2) Une translation postérieure du pied, élément commun aux fractures de la malléole postérieure. La déformation suggère des lésions instables.

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