Chapitre 14 Plaies des tendons extenseurs
Spécificités de l’appareil extenseur
Les lésions de l’appareil extenseur ont trop souvent une fausse réputation de bénignité, en particulier au niveau des doigts, et méritent toute l’attention du chirurgien, du kinésithérapeute et de l’orthésiste. On ne peut transposer les caractéristiques de l’appareil fléchisseur à celles de l’appareil extenseur. À l’exception de sa partie située sous le ligament annulaire dorsal du carpe qui est entourée d’une gaine synoviale, tout le reste de l’appareil extenseur est extrasynovial.
La structure des tendons extenseurs est constituée de fibres longitudinales qui retiennent mal le matériel de suture, alors que les tendons fléchisseurs ont une structure hélicoïdale plus résistante [13].
Notions d’anatomie et de biomécanique
Doigts longs
Au niveau des chaînes digitales, il est logique de parler d’appareil extenseur et non pas de tendons extenseurs, car c’est par la réunion des tendons extenseurs extrinsèques avec l’appareil intrinsèque, constitué des interosseux et des lombricaux, que la fonction est assurée [16].
Les tendons extrinsèques ont leur jonction musculaire en regard du tiers moyen-tiers inférieur de l’avant-bras (fig. 14-1).
L’anatomie devient plus complexe au niveau de la chaîne digitale, c’est la terminologie de Tubiana et Valentin [15] qui est la plus claire pour préciser son organisation (fig. 14-2).
• Les tendons extenseurs vont se stabiliser sur le dôme métacarpien grâce aux bandelettes sagittales, ou sangles de l’extenseur, qui se fixent sur le ligament intermétacarpien.
• L’insertion du tendon par une fine bandelette sur la base de la 1er phalange est inconstante.
• La bandelette médiane, issue à la fois de la trifurcation du tendon extenseur et des expansions des intrinsèques, se fixe à la base de la 2e phalange.
• Les bandelettes latérales réunies se fixent sur la phalange distale.
L’extension de la chaîne digitale ne peut se faire que par la parfaite coordination de l’appareil extenseur extrinsèque et intrinsèque [19]. En effet, la seule traction de l’appareil extenseur ne produira que l’extension de la première phalange, les deux autres resteront fléchies. Ces deux dernières ne peuvent s’étendre qu’avec l’apport des interosseux et des lombricaux. Les interosseux vont s’insérer en profondeur sur les tubercules latéraux de la première phalange pour assurer la fonction métacarpo-phalangienne. Leurs attaches superficielles forment la dossière des interosseux en regard de la métacarpo-phalangienne et procurent des fibres plus distales qui renforcent la bandelette médiane du tendon extenseur. Elles s’associent également avec celles du lombrical pour renforcer les bandelettes latérales [12].
Au total, l’intrication du système extrinsèque et intrinsèque constitue une aponévrose à la face dorsale des doigts qui est amarrée par les ligaments rétinaculaires transverses et obliques (Landsmeer) [10].
Duchenne de Boulogne [4], dès 1867, avait observé que le système des intrinsèques était indispensable pour assurer la fonction de chaque phalange, mais aussi pour les stabiliser l’une par rapport à l’autre.
Landsmeer [11] a montré que chaque phalange devait être contrôlée en permanence par trois systèmes musculaires ou par deux systèmes musculaires et un ligamentaire assurant un effet de ténodèse. Ainsi, la première phalange est sous la dépendance de l’extenseur, des fléchisseurs et des interosseux. Les deuxième et troisième phalanges sont contrôlées par l’extenseur, les fléchisseurs et les rétinaculaires.
La fonction digitale exige une parfaite maîtrise de l’articulation métacarpo-phalangienne. Si la MP est en extension complète, les interosseux étendent les deux dernières phalanges par le jeu des bandelettes latérales, mais si la MP est fléchie à 90°, les interosseux ne font que renforcer la flexion de la première phalange. En revanche, si la MP est en position intermédiaire, les interosseux gardent une double fonction, c’est-à-dire : stabilisation de l’articulation métacarpo-phalangienne et extension des phalanges distales [17].
Les lombricaux contribuent aussi à l’extension des IPP et IPD en s’opposant à la traction du fléchisseur profond grâce à leur insertion directe sur lui et à la synergie qu’ils ont avec l’extenseur commun [14].
L’ensemble de l’appareil extenseur a une amplitude de déplacement variable en fonction du niveau anatomique. Selon Bunnel [1], pour le médius, le tendon extenseur se déplace de 41 mm en regard du poignet, de 16 mm au niveau de l’articulation métacarpo-phalangienne pour se limiter à 6 mm pour l’IPP et 3 mm pour l’IPD.
Anatomie chirurgicale
Cinq zones sont dévolues à l’appareil extenseur du pouce et sont précédées de la lettre T (thumb). Les numérotations impaires correspondent aux zones articulaires, les numérotations paires aux zones diaphysaires. La zone 1 correspond à l’interphalangienne distale, la zone 8 à la jonction musculotendineuse (fig. 14-3).
Mécanismes de cicatrisation et adhérences
Les tendons extenseurs ont un double mécanisme de cicatrisation extrinsèque et intrinsèque, mais il est difficile de faire un parallélisme strict avec celui des tendons fléchisseurs compte tenu des différences anatomiques, histologiques, vasculaires et biomécaniques. Mason [13] a noté que les tendons extenseurs devenaient à nouveau résistants à la mobilisation active après la 5e semaine, en soulignant que la majeure partie de l’appareil extenseur est extrasynovial, ce qui favorise l’apparition de nombreuses adhérences cutanées et périostées.
Testing de l’appareil extenseur
Appareil extenseur du pouce (fig. 14-4A)
La main est posée à plat. Il est demandé au blessé de décoller le pouce du plan d’examen. Seul le long extenseur intact peut réaliser ce geste en y associant une hyperextension de l’interphalangienne. Dans cette position, le relief du long extenseur du pouce est visible sur le versant cubital de la tabatière anatomique.
Le court extenseur est testé contre la résistance d’un crayon appliqué sur la première phalange à MP fléchie (fig. 14-4B).
Tests de l’appareil extenseur des doigts longs
Les extenseurs propres de l’index et de l’auriculaire sont testés séparément. Ils sont autonomes pour assurer la pleine extension, majeur et annulaire restant fléchis, leur intégrité permet à la main de « faire les cornes » (fig. 14-5).
Fig. 14-5 Test de l’extenseur propre de l’index et de l’auriculaire : le patient « fait les cornes ».
L’extenseur commun doit être soigneusement testé car les jonctions intertendineuses peuvent cacher une section totale plus proximale d’un des tendons communs. Le patient doit pouvoir étendre le doigt contre une résistance dorsale appliquée à la première puis à la deuxième phalange (fig. 14-6A). Le test de l’extension active de P3 doit s’effectuer en maintenant P2 en extension. Dans cette position, seules les bandelettes terminales intactes sont capables de réaliser cette fonction (fig. 14-6B).
Traitements
Traitement orthopédique
En zone 1
La rupture sous-cutanée de l’insertion distale de l’appareil extenseur se traite par l’immobilisation en extension de l’IPD à l’aide d’une tuile thermoformée fixée par deux bandelettes de Tensoplast® (fig. 14-7) (voir chapitre 6 Réalisation des orthèses statiques selon le segment anatomique). Cette tuile sera fixée à la phalange distale, puis à la deuxième phalange. La stricte extension suffit à rétablir le contact du tendon avec son insertion, il est inutile de rechercher une immobilisation en hyperextension qui serait susceptible d’étirer les vaisseaux et d’altérer la vascularisation pulpaire. L’immobilisation de l’IPP est inutile [8]. Si le diagnostic de doigt en maillet est porté plus tardivement à la 2e ou 3e semaine, il est encore possible de recourir à ce procédé, mais en prolongeant le port de la tuile jusqu’à la 10e semaine.
L’attelle sabot de Stack est fondée sur le même principe, mais nécessite le choix d’une taille parfaitement adaptée pour obtenir un résultat de qualité. La dernière génération d’attelles sabot est évidée au niveau de la pulpe, ce qui permet au doigt de rester utilisable pendant la durée du traitement (fig. 14-8A).
L’attelle 3 points a l’avantage de libérer la pulpe et de permettre la flexion de l’IPP, mais les bagues ne sont pas toujours bien tolérées car leur ajustage doit être parfait pour corriger le doigt en maillet (fig. 14-8B).
En zone 3
• Si l’extension passive de l’IPP est complète, il convient d’immobiliser la chaîne digitale en extension à l’aide d’une tuile statique dorsaleportée en continu pendant 3 semaines sans aucune manœuvre de mobilisation active car la flexion active de l’IPD risque d’entraîner une flexion de l’IPP. Nous préférons placer la tuile jusqu’à P3 afin d’avoir un plus grand bras de levier. Mais l’anneau distal de fixation ne doit pas être sur P3 mais sur l’IPD en se rapprochant de P2. À la 3e semaine, la tuile dorsale est coupée afin que le patient mobilise l’IPD en flexion tout en stabilisant P2 à l’aide de la main saine ; il réalisera 10 à 30 mouvements 4 à 6 fois par jour (fig. 14-9A, B, C).
• S’il persiste un flessum de l’IPP non réductible dans les suites rapprochées de l’accident, il est préférable de traiter la lésion tendineuse par une orthèse dynamique d’extension IPP par lame qui sera portée pendant 8 semaines. Cette orthèse stabilise la MP à 30° de flexion, l’anneau distal est placé sous P2 ou à cheval sous l’IPD, en prenant garde qu’il ne glisse pas sous P3 pour éviter l’apparition d’une déformation en boutonnière (fig. 14-10). À partir de la 3e semaine, la flexion active de l’IPD est autorisée avec un contre-appui sur P2.
• Si la gêne occasionnée par l’appareillage au cours de l’activité quotidienne est trop importante, l’orthèse dynamique toujours portée la nuit, sera remplacée dans la journée par une orthèse statique métacarpo-digitale palmaire. Cette orthèse répond aux critères des trois points d’appui : MP en flexion à 30°, IPP et IPD en extension complète (fig. 14-11A, B, C). Théoriquement, il conviendrait de laisser libre l’IPD afin de mobiliser les bandelettes latérales, or pour répondre à ce besoin la tuile devrait s’arrêter à la moitié de P2, ce qui rend plus aléatoire le maintien en extension de l’IPP.