11: Arthrose de la main et du poignet

Chapitre 11 Arthrose de la main et du poignet



L’arthrose est une maladie dégénérative des articulations qui peut prendre des aspects très différents sur le plan des déformations, des destructions, des poussées inflammatoires. Cette affection touche le cartilage mais également l’os et l’appareil capsulo-ligamentaire. Il n’y a à ce jour aucun traitement pour guérir l’arthrose, les traitements sont symptomatiques pour lutter contre la douleur et les poussées inflammatoires. L’éducation des patients est importante pour qu’ils gèrent de manière économe leur capital articulaire et comprennent l’importance du port régulier des orthèses.


La prise en charge de tels patients implique une bonne coordination entre le rhumatologue, le kinésithérapeute, l’orthésiste, le chirurgien.


La cause de cette affection peut être génétique mais également d’origine traumatique, mécanique par surcharge, ou métabolique comme la chondrocalcinose. L’affection débute entre 40 et 50 ans et atteint plus fréquemment la femme que l’homme.


L’arthrose primitive touche, au niveau du poignet, l’articulation trapézo-métacarpienne, on parle alors de rhizarthrose, mais également l’articulation scaphoïdo-trapézoïdo-trapézienne (arthrose STT).


Par ailleurs, les lésions traumatiques du poignet génèrent des instabilités des os du carpe sources d’arthrose particulièrement invalidante malgré les nombreuses procédures chirurgicales actuellement utilisées (ligamentoplastie, arthrodèses partielles des os du carpe, résection de la première rangée des os du carpe).


Au niveau des chaînes digitales, ce sont les articulations des interphalangiennes distale et proximale (IPD et IPP) qui sont le plus touchées.


La symptomatologie de l’arthrose est très variable selon les sujets. C’est la douleur qui les fait consulter, elle n’est pas nécessairement liée à l’activité et peut être particulièrement virulente au repos et s’accompagner de contractures musculaires. Les phénomènes inflammatoires correspondent à un épaississement des tissus synoviaux et produisent des crépitations lors de la mobilisation. Les patients s’inquiètent également de l’enraidissement progressif des articulations touchées avec une perte de force.


Les déformations des doigts sont fréquentes, dues à la prolifération des ostéophytes et à l’altération des structures ligamentaires entraînant, en particulier, des inclinaisons latérales des doigts (clinodactylie). Au niveau des IPD, l’apparition d’ostéophytes est souvent doublée de kystes mucoïdes réalisant des nodules d’Heberden. Au niveau des IPP, ils sont dénommés nodules de Bouchard.



Rhizarthrose


La rhizarthrose est l’apanage de la femme de 50-60 ans qui, pendant une période de 7 à 10 ans, va observer la déformation de son pouce jusqu’à la constitution d’un pouce en « M » ou pouce adductus. La dégénérescence arthrosique de l’articulation trapézo-métacarpienne provoque une déformation en hyperextension de la MP et en flexion de l’IP. Les poussées inflammatoires sont, soit très algiques et précipitent la demande thérapeutique, soit parfaitement tolérées jusqu’à ce que la patiente se plaigne en plus de douleurs métacarpo-phalangiennes et de difficulté à saisir les gros objets. L’aspect très contrasté de cette affection dégénérative illustre la complexité de cette articulation.



Anatomie


L’articulation trapézo-métacarpienne est l’articulation clé de la colonne du pouce car, grâce à ses deux degrés de liberté et à sa capacité de rotation automatique, elle permet de réaliser, entre autres, l’opposition avec les doigts longs.


L’articulation trapézo-métacarpienne a été décrite comme une articulation en selle également assimilée à un cardan (fig. 11-1).



En fait, son organisation est complexe car il n’y a pas de parfaite congruence entre les deux surfaces articulaires en raison de différences de courbures.


La congruence articulaire est à son maximum lorsque le pouce est en position extrême d’abduction ou d’adduction. Un solide appareil ligamentaire entre le 1er et le 2e métacarpien et le trapèze assure une excellente stabilité à l’état normal.


On comprend que les contraintes exercées au niveau du trapèze sont considérables et que, lorsque le processus dégénératif débute, son extension est inévitable, car il s’accompagne d’une dégradation de l’appareil ligamentaire et de l’atrophie des muscles intrinsèques avec une contrainte subluxante supplémentaire due à l’action du long abducteur du pouce. Le pouce qui travaille le plus souvent en opposition, c’est-à-dire combinant la flexion, l’adduction et la pronation ne peut qu’aggraver l’instabilité articulaire.


L’appareil ligamentaire trapézo-métacarpien ne suffit pas, à lui seul, à garantir stabilité et fonction, le rôle de la musculature intrinsèque et extrinsèque est fondamental. Huit muscles contribuent à la parfaite mobilité et stabilité du pouce (fig. 11-2) : long extenseur (EPL), court extenseur (EPB), long fléchisseur (FPL), adducteur (ADD), court fléchisseur (FPB), long abducteur (APL), court abducteur(APB), opposant (OPP).



Ainsi, le court abducteur et l’opposant du pouce ont un rôle d’abduction, d’antépulsion ou de flexion du pouce, ils recentrent l’articulation et assurent la rotation du premier métacarpien sous le contrôle des ligaments. Il existe un véritable couplage entre l’action musculaire et l’appareil ligamentaire. Au total, pour une pince d’un kilo réalisée entre le pouce et l’index, la contrainte exercée au niveau de l’articulation trapézo-métacarpienne est de 13,42 kg, de 6,61 kg sur l’articulation métacarpo-phalangienne et de 3,68 kg sur l’interphalagienne [3].



Physiopathogénie des déformations


L’instabilité de l’articulation trapézo-métacarpienne va provoquer sur une période de 7 à 10 ans une déformation sévère du pouce dite de pouce en « M » ou pouce adductus (fig. 11-3). Au début, la subluxation dorsale et radiale du premier métacarpien crée une marche d’escalier. La douleur et la déformation articulaire limitent les amplitudes articulaires et un phénomène de compensation s’instaure avec le développement progressif d’une hyperextension de l’articulation métacarpo-phalangienne [13]. La première commissure se ferme sous l’effet des rétractions musculo-aponévrotiques. Le premier métacarpien devient parallèle au second, l’IP du pouce se fléchit pour préserver la pince fine. L’installation de ce pouce « adductus » va surcharger le ligament latéral interne lors de la prise de gros objets, créant une instabilité latérale douloureuse.



La classification des lésions est répartie en quatre stades (classification d’Eaton-Littler) [5] : elle est fondée sur une vraie radiographie de profil du pouce centrée sur le trapèze et montrant les sésamoïdes superposés (fig. 11-4A à D) :





Diagnostic


Classiquement, la rhizarthrose se manifeste par une douleur siégeant à la base du pouce et irradiant vers l’éminence thénar et l’articulation métacarpo-phalangienne. Cette douleur est accrue par le développement de la pince pollici-digitale ou par la prise de gros objets. Beaucoup de gestes quotidiens deviennent difficiles comme tourner une clé de voiture, ouvrir un bocal, coudre, couper, écrire, etc.


Au début de l’affection, les patientes ont plus un sentiment d’instabilité de l’articulation qui a tendance à « glisser ». Puis, avec le développement de la chondrite et des ostéophytes péritrapéziens, l’enraidissement s’installe en position de subluxation dorsale, plaçant le pouce en adduction. Au stade ultime, l’articulation est ankylosée et la douleur s’estompe. La déformation en « pouce adductus» décrite ci-dessus est le stade ultime de l’évolution.


Au stade inflammatoire, la pression exercée par l’index de l’examinateur à la face radio-palmaire de l’articulation trapézo-métacarpienne réveille la douleur. À 1 cm plus proximal, c’est l’articulation scaphoïdo-trapézienne qui est testée. Douloureuse, elle permet d’affirmer l’atteinte articulaire et l’extension péritrapézienne de l’arthrose.


Le « grind » test (fig. 11-5A) est démonstratif de l’atteinte articulaire en produisant un crépitement lorsque le pouce subit une compression axiale accompagnée d’une circumduction. Le même test en distraction met en tension le complexe capsulo-ligamentaire provoquant la douleur lorsque l’inflammation est présente au début de l’affection.



Le test de compression de la base du métacarpien rapporté par Glickel [6, 7] (fig. 11-5B) est également très significatif ; il consiste à mettre en extension la tête du premier métacarpien en le saisissant entre le pouce et l’index et avec l’autre pouce à appliquer une pression dorsale à sa base. Cette tentative de réduction de la subluxation dorsale et la mise en contrainte de l’articulation trapézo-métacarpienne sont particulièrement douloureuses dans les stades avancés.



Traitement médical



Approche médicale et orthétique


À ses débuts, la rhizarthrose du pouce relève du traitement médical associant anti-inflammatoires non stéroïdiens et mise en place d’une orthèse. Dans la journée, il est utile de porter une orthèse courte (fig. 11-6A, B) laissant libre le poignet mais immobilisant la colonne du pouce en position neutre (45° d’abduction et d’antépulsion) avec mise en flexion à 30° de l’articulation métacarpo-phalangienne.



Cette flexion décharge de manière significative les contraintes appliquées à l’articulation trapézo-métacarpienne [15]. Pour la nuit, le patient utilisera une orthèse antébrachio-digitale P1 du pouce, la MP est fléchie à 30°, l’IP est libre et le poignet à 15–20° d’extension (fig. 11-7).



Le port régulier de ces orthèses pour une période minimale de 4 semaines améliore la symptomatologie dans 76 % des cas lorsque la rhizarthrose est au stade 1 ou 2 de Eaton et dans 54 % aux stades 3 et 4 [15]. L’infiltration de corticoïdes dans l’articulation trapézo-métacarpienne doit rester exceptionnelle et aider à passer une période inflammatoire hyperalgique. La répétition de telles infiltrations a pour conséquences d’altérer l’appareil capsulo-ligamentaire, ce qui compliquera un futur geste chirurgical.


Il est important d’éduquer le patient développant une rhizarthrose afin de prévenir les gestes nocifs qui augmentent la douleur et les déformationsdu pouce lors des activités et de lui enseigner les principes de l’économie articulaire en diminuant l’utilisation permanente du pouce et, par là même, la force répercutée sur la trapézo-métacarpienne (fig. 11-8).



Exemple : utiliser un sécateur et non pas des ciseaux, avoir des gestes de compensation et utiliser des aides techniques du commerce.



Traitement chirurgical


De nombreux traitements chirurgicaux ont été proposés en fonction du stade évolutif.


Dans les formes débutantes au stade 1 avec instabilité capsulo-ligamentaire, une ligamentoplastie transosseuse utilisant la moitié du grand palmaire et cheminant à la base du premier métacarpien pour venir se fixer à la moitié restante du tendon permet de réduire l’instabilité. Cette intervention de Eaton donne de bons résultats dans la mesure où la patiente n’a pas développé de chondrite. Toujours au stade 1, Wilson [20] propose une ostéotomie d’extension monocorticale de 30° à la base du premier métacarpien afin de modifier les contraintes sur l’articulation trapézo-métacarpienne. Cette intervention est peu pratiquée en Europe.


La dénervation du trapèze a une utilité pour la femme jeune qui est hyperalgique au stade 1, en sachant que l’effet antidouleur s’estompe en moyenne dans les 13 mois.


Aux stades 2, 3 et 4, nous privilégions la trapézectomie totale avec tendinoplastie d’interposition utilisant le petit palmaire ou la moitié du grand palmaire en association avec une bandelette tendineuse du long abducteur du pouce (fig. 11-9). La réparation et la remise sous tension du plan capsulo-ligamentaire sont essentielles pour restaurer la stabilité de la néo-articulation. Afin de favoriser l’abduction et la rétroplusion du pouce, le tendon du long abducteur est raccourci et refixé de manière plus dorsale et distale sur la base du premier métacarpien. C’est une bonne opération qui assure le confort et la mobilité. La récupération de la force n’est jamais totale et dépend de l’état préopératoire et de la trophicité des muscles thénariens. Quatre-vingt douze pour cent des opérés réclament la même opération du côté opposé dans les 18 mois suivant la première intervention.



Cette intervention peut être complétée par une ligamentoplastie-suspensoplastie selon le principe de Eaton utilisant la moitié du grand palmaire. Cette technique a pour ambition de restaurer la stabilité du 1er métacarpien et d’éviter le collapsus de la colonne du pouce induit par la trapézectomie. À long terme, il n’y a pas de différence entre les patients ayant bénéficié de l’une ou l’autre des techniques.


L’arthroplastie totale trapézo-métacarpienne a le mérite de restaurer rapidement mobilité et confort mais le taux de complications n’est pas négligeable et les reprises chirurgicales sont difficiles. Actuellement en Europe, c’est la trapézectomie avec tendinoplastie d’interposition associée ou non avec une suspensoplastie qui est la plus pratiquée.



Protocole de rééducation




À J30


À l’ablation de la broche, succèdent la confection d’une orthèse carpo-digitale de P1 du pouce assurant le repos articulaire et l’ouverture de la première commissure (fig. 11-10). Le premier métacarpien est placé en abduction et antépulsion à 45°, la MP à 30° de flexion, l’IP est libre et le poignet à 10° de dorsi-flexion. Cette orthèse, qui sera portée la nuit, a pour finalité de replacer la colonne du pouce dans sa position définie ci-dessus et d’apporter l’indolence.



La rééducation débute par le massage global de la colonne du pouce et de la cicatrice dans un but antalgique.


La mobilisation passive progressive non douloureuse doit veiller à restaurer la fonction d’abduction, d’antépulsion et d’opposition. Pour cela, il convient de saisir le premier métacarpien afin de neutraliser la fonction de la MP du pouce qui par sa composante rotatoire, peut créer l’illusion du mouvement. Le but étant de mobiliser uniquement la néo-articulation trapézo-métacarpienne.


La mobilisation active renforce le couple opposant-1er interosseux dorsal, ce qui contribue à stabiliser la néo-articulation dans sa partie postéro-externe. L’exercice doit débuter par la sollicitation du court abducteur du pouce. Ce muscle nécessite attention car il s’est atrophié au cours de l’évolution de la rhizarthrose. La main maintenue à plat sur sa face dorsale, le patient doit amener son pouce au zénith. Si le muscle est très atrophique, il convient de débuter par une contraction isométrique. Puis il faut enchaîner avec la contraction de l’opposant afin de réaliser les pinces pollici-digitales en pérennisant l’abduction et l’antépulsion. L’erreur la plus fréquente étant de réaliser une pince en plaçant le pouce en adduction. Ce mouvement fait illusion mais ne permet pas de solliciter abducteur et opposant du pouce. Malgré tout, la récupération de l’adduction est une nécessité qu’il convient de satisfaire au terme de la rééducation.


La rétropulsion est douloureuse et longue à récupérer, pour cela il est demandé d’effectuer une extension du métacarpien par le long abducteur du pouce qui a été longtemps sous-utilisé et qui peut être piégé dans le bloc cicatriciel. Pour être efficace, cette rééducation du long abducteur exige la neutralisation du court et long extenseur du pouce qui naturellement essaye de combler ce déficit. Ainsi, le mouvement de rétropulsion du premier métacarpien doit être réalisé avec MP et IP en flexion. L’extension globale du pouce doit se faire avec le premier métacarpien en rétropulsion par le long abducteur puis extension MP et IP par le court et le long extenseur. Une erreur à ne pas commettre consiste à placer le 1er métacarpien en antépulsion, ce qui provoque immédiatement la mise sous-tension du court extenseur et entraîne une hypertextension de la MP qui ne peut qu’aggraver la déformation en pouce adductus.


Pour rétablir une pince pollici-digitable stable et efficace, il convient de veiller à la parfaite flexion de la MP du pouce car toute hyperextension induit une déformation en pouce adductus (pouce en M). C’est à ce moment que le port d’une orthèse courte peut être préconisé pour protéger le patient de cette déformation. Il a été prouvé électromyographiquement que, sous orthèse, les muscles thénariens restent actifs lors de la réalisation de la pince pollici-digitale (contraction isométrique).


Cette orthèse courte, qui est utilisée au cours des activités, stabilise le premier métacarpien en abduction-antépulsion tout en empêchant l’opposition, La MP est en flexion à 30° et l’IP est libre (fig. 11-6A).

Only gold members can continue reading. Log In or Register to continue

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

May 26, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 11: Arthrose de la main et du poignet

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access