13 Maladies des noyaux de la base
Les maladies étudiées dans ce chapitre sont causées par des lésions ou un dysfonctionnement prédominant sur les noyaux de la base. Dans un grand nombre de cas, il s’agit de maladies neurodégénératives, avec au premier rang, la maladie de Parkinson.
Maladie de Parkinson
La maladie de Parkinson idiopathique doit être distinguée des syndromes parkinsoniens liés à des maladies neurodégénératives plus diffuses et de syndromes parkinsoniens symptomatiques. Sa prévalence est évaluée à 150/100 000, ce qui en fait la maladie neurodégénérative la plus fréquente après la maladie d’Alzheimer.
Neuropathologie
Neurones dopaminergiques de la substantia nigra pars compacta
Les lésions de la substantia nigra pars compacta (SNc), qui contient les neurones dopaminergiques dont les projections se font vers le striatum, sont constantes. La dépigmentation de cette structure est visible macroscopiquement (fig. 13.1). L’examen microscopique révèle une perte neuronale associée à une gliose modérée.
Neurones non dopaminergiques
Il existe aussi des lésions des neurones non dopaminergiques : neurones cholinergiques du noyau basal de Meynert, neurones adrénergiques du locus cœruleus, neurones sérotoninergiques du raphé médian, neurones du bulbe olfactif et neurones périphériques du système autonome.
Corps de Lewy
Les corps de Lewy sont un marqueur de la maladie de Parkinson idiopathique. Il s’agit d’inclusions neuronales cytoplasmiques éosinophiles dont le constituant principal est l’alpha-synucléine. L’alpha-synucléine est une protéine normalement présente dans les neurones, notamment au niveau des synapses et des noyaux, d’où sa dénomination. Sa présence en excès pourrait avoir une toxicité sur les neurones dopaminergiques.
Étiologie
Forme sporadique
La plupart des cas sont sporadiques.
Parmi les facteurs environnementaux, le rôle de substances utilisées dans l’industrie et surtout de pesticides utilisés dans l’agriculture est soupçonné.Une corrélation négative a été trouvée avec la consommation de tabac. Un regain d’intérêt pour la théorie toxique a été apporté par la connaissance des syndromes parkinsoniens induits par le MPTP (méthyl-phényl-tétrahydropyridine). Le MPTP est un produit obtenu lors de la synthèse de drogues illicites. Chez l’homme, il peut induire un syndrome parkinsonien sévère sensible à la L-dopa. L’examen du cerveau dans de tels cas montre une perte des neurones dopaminergiques de la substance noire. Les études pharmacologiques réalisées chez le singe ont montré que l’effet du MPTP est bloqué par les inhibiteurs de la MAO B, qui est nécessaire pour la transformation du MPTP en MPP +, qui est en fait le principe toxique. Dans les neurones dopaminergiques, le MPP + se lie avec la neuromélanine qui le libère progressivement. Il est ensuite capté par les mitochondries, où il inhibe le complexe I de la chaîne respiratoire et les mécanismes de réduction des radicaux libres, dont l’accumulation serait responsable des lésions neuronales. Des substances environnementales, telles que la roténone, pourraient avoir des propriétés comparables au MPTP.
Formes familiales
Formes autosomiques dominantes
Les mutations du gène SNCA codant l’alpha-synucléine sont en cause dans Park1 (mutations ponctuelles) et Park4 (duplication et triplication du gène). Ces mutations sont responsables d’une maladie de Parkinson particulière par un âge de début précoce, autour de quarante-cinq ans. La dégradation de l’alpha-synucléine est assurée par la voie de l’ubiquitine-protéasome ; le processus de dégradation est ralenti dans les formes mutées de l’alpha-synucléine conduisant à l’accumulation de la protéine sous une forme bêta-plissée et à la formation de corps de Lewy. Les mutations du gène de l’alpha-synucléine ne sont trouvées que dans une minorité de formes familiales autosomiques dominantes.
Formes autosomiques récessives
Les principaux gènes sont Park2 (parkine), Park6 (PINK1) et Park7 (DJ-1).
Des mutations du gène de la parkine (Park2) sont en cause dans des maladies de Parkinson familiales autosomiques récessives juvéniles, remarquables par le début en règle avant quarante ans, par l’association à de la dystonie, à des fluctuations diurnes (amélioration par le repos) et par la survenue précoce de dyskinésies sévères induites par la lévodopa. La parkine intervient dans le processus d’ubiquitination permettant la dégradation de diverses protéines, dont l’alpha-synucléine.
Physiopathologie
La maladie de Parkinson résulte principalement de la dégénérescence des neurones dopaminergiques de la substantia nigra pars compacta (SNc) dont les projections se font sur le striatum (fig. 13.2). La voie nigro-striée dopaminergique exerce une influence modulatrice sur le striatum qui est la porte d’entrée du système des noyaux de la base. À la sortie du système, un déficit dopaminergique striatal a pour conséquence un renforcement de l’action inhibitrice exercée par le pallidum interne (GPi) et la substance noire réticulée (SNr), sur le thalamus moteur et ses projections corticales. Ce fait peut rendre compte d’un symptôme majeur, l’akinésie, et de sa correction par l’administration de L-dopa ou d’agonistes dopaminergiques, ou par des interventions portant sur le noyau sous-thalamique ou sur le pallidum interne, visant à réduire l’activité inhibitrice exercée par ce dernier sur le thalamus. Cependant, il ne rend pas compte du fait que les dyskinésies sont améliorées par une lésion portée sur le GPi, alors que théoriquement elles devraient être aggravées.
Sur certains points, le schéma physiopathologique illustré par la figure 13.2 est contesté :
Étude clinique
Troubles moteurs
La maladie de Parkinson est avant tout une maladie de la motricité. Le début est insidieux. Il est habituellement unilatéral, et les signes restent longtemps asymétriques, pouvant réaliser le tableau d’un hémiparkinson. Les trois signes cardinaux classiques sont le tremblement de repos, l’akinésie et la rigidité auxquels il faut ajouter les troubles axiaux.
Le tremblement de repos
Le diagnostic est facilement évoqué lorsque le tremblement est la manifestation neurologique initiale, soit dans environ 70 % des cas. Il s’agit d’un tremblement de repos, régulier (4 à 5 cycles par seconde), qui diminue ou disparaît lors des mouvements volontaires. Il est exagéré par la fatigue, les émotions, les efforts de concentration intellectuelle (calcul mental) et disparaît pendant le sommeil. Il intéresse le plus souvent les membres supérieurs : mouvement de prono-supination de l’avant-bras, de flexion-extension des doigts et d’adduction-abduction du pouce réalisant un mouvement d’émiettement au niveau des doigts. Il peut aussi intéresser les membres inférieurs, la mâchoire et les lèvres. L’intensité du tremblement est très variable : tous les intermédiaires existent entre les cas où il est prédominant et ceux où il fait défaut.
Ses caractères distinguent le tremblement parkinsonien du tremblement essentiel, qui est un tremblement d’attitude. Cependant, une composante de tremblement d’attitude peut être présente dans la maladie de Parkinson.
Le syndrome akinéto-rigide
Le diagnostic risque d’être moins facilement évoqué lorsque le patient consulte pour des troubles mal définis en relation avec le syndrome akinéto- rigide. Dans de tels cas, les plaintes peuvent être des douleurs qui peuvent orienter le patient vers un rhumatologue, de la fatigue, une réduction de l’activité, une difficulté dans l’exécution de certains mouvements, notamment les mouvements alternatifs rapides, une modification de l’écriture. L’attention doit alors être attirée par la présentation du malade et notamment par des éléments tels qu’amimie, rareté du clignement, attitude en légère flexion d’un membre supérieur, diminution du ballant d’un membre supérieur lors de la marche. L’examen recherche alors systématiquement l’akinésie et la rigidité.
Akinésie
L’akinésie est responsable d’une rareté (hypokinésie) et d’une lenteur des mouvements (bradykinésie). Le parkinsonien est un sujet immobile dont l’expression gestuelle est réduite ; il est économe de ses gestes qu’il doit vouloir et penser. L’akinésie se traduit au niveau du visage par une amimie, une rareté du clignement. L’appauvrissement de la mimique, lorsqu’il est à forte prédominance unilatérale, peut donner l’impression d’une parésie faciale, mais la mimique volontaire est conservée. La parole est souvent assourdie, monotone, entrecoupée d’accélérations au cours desquelles elle devient difficilement compréhensible. L’exploration du champ visuel est assurée par les seuls mouvements des globes oculaires sans déplacements de la tête. Lors de la marche, l’akinésie est responsable d’une perte du ballant des bras. Le patient a des difficultés à effectuer les mouvements alternatifs rapides. Il peut avoir constaté ces faits dans la vie courante (par exemple, difficultés pour se brosser les dents) et cela peut être mis en évidence lors de l’examen par diverses épreuves : pianotement, marionnettes, tapotement de l’index sur le pli de flexion du pouce, tapotement du pied, montrant que l’amplitude des mouvements diminue rapidement pour parfois aboutir à un blocage complet. L’écriture est souvent perturbée, avec une tendance à la micrographie. L’akinésie, lorsqu’elle est importante et à très forte prédominance unilatérale, peut être parfois prise à tort pour une hémiparésie, mais la force musculaire n’est pas diminuée et il n’y a pas de syndrome pyramidal.
Rigidité
La rigidité est mise en évidence par la diminution du ballant de la main ou du membre supérieur, et par la résistance à la mobilisation passive des segments de membres, notamment au niveau du poignet et du coude. Cette rigidité plastique, en « tuyau de plomb », est bien différente de la spasticité du syndrome pyramidal. Elle est augmentée par la mobilisation active du membre controlatéral (signe de Froment). Elle cède parfois par à-coups successifs donnant lieu au phénomène de la roue dentée lié à la surimpression d’un tremblement. L’hypertonie parkinsonienne prédomine sur les fléchisseurs et elle a la particularité de s’accompagner d’une exagération des réflexes de posture, se traduisant par la contraction des muscles fléchisseurs (biceps, fléchisseurs de la main, jambier antérieur) lorsqu’ils sont soumis à un raccourcissement passif. Des phénomènes dystoniques distaux peuvent être observés, notamment au niveau du pied avec dystonie en griffe des orteils survenant en station debout et gênant la marche.
Troubles axiaux
Diagnostic
Le diagnostic de la maladie de Parkinson est clinique. En l’absence d’éléments atypiques, il peut être porté avec une quasi-certitude lorsque les signes cardinaux (bradykinésie, rigidité, tremblement de repos) sont présents et que le reste de l’examen neurologique est normal, en dehors d’un réflexe nasopalpébral inépuisable et d’une hyposmie/anosmie pouvant être précoce, précédant même les autres manifestations neurologiques. Un signe de Babinski isolé ne permet pas de récuser le diagnostic lorsque par ailleurs la symptomatologie est caractéristique. Le début unilatéral et la réponse à la L-dopa sont des arguments supplémentaires. La présence, à un stade précoce de l’évolution, d’une détérioration intellectuelle, de troubles sévères de la posture et de la marche entraînant des chutes, de troubles des mouvements oculaires, de troubles végétatifs sévères sont autant d’éléments qui doivent faire douter du diagnostic de maladie de Parkinson idiopathique et faire évoquer une autre affection neurodégénérative.
Certains tremblements (tremblement essentiel, tremblement dystonique) comportent parfois une composante de repos qui peut rendre difficile la distinction avec un tremblement parkinsonien. Dans ces cas il est utile de recourir au DAT-SPECT qui mesure le transporteur de la dopamine dans les terminaisons présynaptiques du striatum. Cet examen est anormal lorsqu’il existe une perte de neurones dopaminergiques nigro-striés. Le DAT-SPECT est normal dans le tremblement essentiel et le tremblement dystonique. Il est normal aussi dans les syndromes parkinsoniens induits par les neuroleptiques.
Évaluation du handicap moteur
En fonction du handicap moteur, les parkinsoniens peuvent être classés dans l’un des cinq stades de Hoehn et Yahr (tableau 13.I).
Stade | Handicap |
Stade 0 | Pas de signes parkinsoniens |
Stade 1 | Signes unilatéraux n’entraînant pas de handicap dans la vie quotidienne |
Stade 2 | Signes à prédominance unilatérale entraînant un certain handicap |
Stade 3 | Atteinte bilatérale avec une certaine instabilité posturale, malade autonome |
Stade 4 | Handicap sévère mais possibilité de marche, perte partielle de l’autonomie |
Stade 5 | Malade en chaise roulante ou alité, n’est plus autonome |
Troubles non moteurs
Troubles neuropsychiatriques
Les états dépressifs sont fréquents. Ils peuvent être réactionnels à un état pathologique chronique, ou endogènes, en relation avec un dysfonctionnement des systèmes monoaminergiques sous-corticaux. L’apathie est un trouble comportemental qui doit être distingué de l’akinésie et de la dépression.
Des troubles dysexécutifs de type frontal peuvent souvent être mis en évidence assez précocement. La survenue éventuelle d’une démence est tardive, à la différence de ce que l’on observe dans la maladie des corps de Lewy diffus.
Traitement
Médicaments
L-dopa
Le traitement de la maladie de Parkinson a été transformé par l’introduction de la L-dopa (tableau 13.II) qui, à la différence de la dopamine, passe la barrière sang-cerveau. Dans le cerveau, la L-dopa est convertie en dopamine par la dopa décarboxylase. Cette conversion augmente les concentrations de dopamine dans le système nerveux central, mais aussi à la périphérie, ce qui est responsable d’effets secondaires. Pour éviter cette conversion périphérique, on associe la L-dopa à un inhibiteur de la décarboxylase qui ne pénètre pas dans le cerveau. Cet inhibiteur est le bensérazide dans le Modopar et la carbidopa dans le Sinemet. L’effet thérapeutique du Modopar et du Sinemet est comparable. Les effets secondaires le plus fréquemment rencontrés sont l’hypotension orthostatique et, en début de traitement, les troubles digestifs à type de nausées et de vomissements. Dans de tels cas, on peut associer de la dompéridone (Motilium), qui est un inhibiteur dopaminergique périphérique. Le traitement doit être instauré progressivement en s’en tenant à la plus petite dose efficace.
DCI | Spécialité | Teneur en L-dopa |
Lévodopa + bensérazide | Modopar 62,5 Modopar 125 Modopar LP 125 Modopar 125 dispersible Modopar 250 | 50 mg 100 mg 100 mg 100 mg 200 mg |
Lévodopa + carbidopa | Sinemet 100 Sinemet LP 100 Sinemet LP 200 Sinemet 250 | 100 mg 100 mg 200 mg 250 mg |
Agonistes dopaminergiques
Ces médicaments agissent directement sur les récepteurs dopaminergiques du striatum. Les premiers utilisés étaient des dérivés de l’ergot de seigle ; ils ont été supplantés par des dérivés non ergotés (tableau 13.III)
DCI | Présentation | Posologie moyenne |
Bromocriptine (Parlodel) | Comprimés 2,5 mg Gélules 5 et 10 mg | 10 à 40 mg/24 heures |
Lisuride (Dopergine) | Comprimés 0,2 et 0,5 mg | 0,8 à 1,5 mg/24 heures |
Pergolide (Célance)* | Comprimés à 0,05; 0,25 et 1 mg | 1,50 à 3 mg/24 heures |
Ropinirole (Requip) | Comprimés à 0,25 ; 0,50 ; 1 ; 2,5 mg et formes LP 2 ; 4 ; 8 mg | 3 à 24 mg/24 heures |
Pramipexole (Sifrol) | Comprimés à 0,18 ; 0,26 ; 0,52 ; 0,7 mg (forme base) et formes LP à 0,26 ; 0,52 ; 1,05 ; 2,10 mg. | 1 à 3 mg (forme base) |
Rotigotine (Neupro) | Dispositif transdermique à 2 ; 4 ; 6 ; 8 mg | 6 à 8 mg/24 heures |
Piribédil (Trivastal) | Comprimés à 20 mg et LP 50 mg | 50 à 250 mg |
Apomorphine (Akinéton) | Voie sous-cutanée Auto-injection par stylo lors des phases « off » |
* Surveillance échographique cardiaque nécessaire.
Anticholinergiques de synthèse
Ces médicaments, tel que le trihexyphénidyle (Artane, 3 à 6 mg/j), ont été les premiers utilisés dans le traitement de la maladie de Parkinson. Ils pourraient agir en corrigeant un déséquilibre striatal entre système dopaminergique et cholinergique. Ce traitement, dont l’efficacité est limitée, est parfois encore utilisé au début de la maladie, dans les formes tremblantes. Les anticholinergiques sont à utiliser avec une grande prudence chez les sujets âgés car ils favorisent la survenue des états confusionnels.