12: MALADIE THROMBOEMBOLIQUE PULMONAIRE

CHAPITRE 12


MALADIE THROMBOEMBOLIQUE PULMONAIRE



12.1


EMBOLIE PULMONAIRE AIGUË ET MALADIE THROMBOEMBOLIQUE CHRONIQUE



L’embolie pulmonaire (EP) est définie par l’obstruction d’une ou plusieurs artères pulmonaires, le plus souvent par un thrombus fibrinocruorique, rarement par des cellules tumorales, par un embol septique, de graisse, de liquide amniotique, de parasites ou de corps étrangers. Nous ne traiterons que des EP dues à la migration d’un thrombus fibrinocruorique à partir d’une thrombose veineuse profonde (TVP) des membres inférieurs. Deux formes cliniques de l’embolie pulmonaire sont à différencier : d’une part l’embolie pulmonaire aiguë (EPA) et ses deux présentations, non grave ou massive, d’autre part l’embolie pulmonaire chronique, complication rare de l’embolie pulmonaire aiguë, responsable d’une hypertension artérielle pulmonaire postembolique (HTAP-PE).



EMBOLIE PULMONAIRE AIGUË


L’embolie pulmonaire aiguë est une pathologie fréquente et grave, potentiellement mortelle [85]. Son incidence est estimée à 100 000 cas par an et elle est responsable de 10 000 décès par an en France [50]. Le diagnostic d’embolie pulmonaire est un problème difficile à résoudre pour le clinicien, étant donné le peu de spécificité des signes cliniques et les multiples présentations pouvant concerner toutes les spécialités.


Toute suspicion clinique d’EP impose un diagnostic de certitude et une prise en charge thérapeutique en urgence. En effet, l’absence de traitement est à l’origine de récidives et d’une mortalité d’environ 25 % [6], ce taux diminuant à 7 % sous traitement anticoagulant [120]. Le traitement anticoagulant n’est pas non plus anodin, responsable d’une morbidité de 7 à 15 % avec 1 à 3 % d’accidents hémorragiques graves et d’une mortalité de 0,75 % [120].


L’EP constitue la complication grave des thromboses veineuses profondes ; si, chez 70 à 90 % des patients, l’EP est due à la migration d’un thrombus fibrinocruorique à partir d’une TVP des membres inférieurs, environ 50 % des patients ayant une thrombose veineuse profonde proximale ont également une EP, qui est le plus souvent asymptomatique [78]. L’EP résulte beaucoup plus rarement d’une migration à partir d’une thrombose pelvienne, des veines des membres supérieurs ou des cavités cardiaques droites.


Le problème diagnostique est donc essentiel, et il faut explorer les deux pôles veineux et artériel de la maladie veineuse thromboembolique (MVTE), tous deux pouvant mettre en jeu le pronostic vital du patient.


Dans ce chapitre, après un rappel de l’histoire naturelle de l’embolie, nous décrirons successivement les différentes méthodes participant au diagnostic d’EP au niveau des artères pulmonaires (AP) et des veines des membres inférieurs et les différentes stratégies diagnostiques de l’EP validées dans la littérature.



Histoire naturelle et physiopathologie



Histoire naturelle [1]


Elle est mal connue. Dans une étude de 1981, Even et al. [34] montraient que l’EP n’était diagnostiquée dans les 8 premiers jours de l’épisode initial que dans 50 % des cas, entre le 8e et le 30e jour dans 30 % des cas, après le 30e jour dans 20 % des cas. La récidive d’EP est fréquente en l’absence de traitement du premier épisode [6], nettement plus faible sous anticoagulants à doses efficaces : de 8 % dans l’étude Pioped [127, 132], allant de 2 à 18 % selon Rémy-Jardin et al. [101], associé à des taux de décès élevés de 45 % dans l’étude Pioped [127, 132].


Il est admis que 95 % des EPA proviennent de la migration d’un thrombus à partir des veines des membres inférieurs. Une étude prospective de suivi pendant 8 ans de patients ayant eu une thrombose veineuse profonde des membres inférieurs a montré une récidive dans 22 % des cas [54]. La récidive thromboembolique se fait au niveau de la même localisation dans 45 % des cas, au niveau du membre inférieur controlatéral dans 36 % et par EP dans 11,5 % des cas. Il faut souligner que les récidives surviennent préférentiellement sur certains terrains de thrombophilie ou de cancer [51]. Le siège des thrombi artériels pulmonaires a été déterminé sur des angiographies [89] qui montrent des thrombi dans les artères tronculaires ou lobaires dans 25 % des cas, dans les artères segmentaires ou plus larges dans 45 % des cas, exclusivement dans les artères sous-segmentaires ou plus petites dans une proportion variable de 6 à 33 % selon les séries. Quatre-vingt-dix pour cent des thrombi prédominent aux bases, le plus souvent à droite, 15 % sont unilatéraux [127, 132].



Physiopathologie


Les conséquences de l’embolie pulmonaire [57] dépendent de la taille de l’embol, du siège de migration de l’embol et de l’état préalable cardiopulmonaire du patient.


L’embolie pulmonaire altère les relations débit/pression vasculaire et la distribution de la perfusion pulmonaire avec modification des échanges gazeux et de la fonction ventricu-laire droite.


Il faut noter que le ventricule droit ne peut développer une pression systolique supérieure à 60 mmHg. Il est cependant protégé par la faible résistance de la circulation pulmonaire et sa remarquable capacité de distension et de recrutement.


La relation entre le degré d’obstruction vasculaire pulmonaire et les résistances vasculaires pulmonaires totales (définies par le rapport entre la pression artérielle pulmonaire moyenne et le débit cardiaque) est d’allure hyperbolique avec augmentation minime des résistances jusqu’à une obstruction de l’ordre de 50 %, pourcentage définissant en général une EP grave. Au-delà, l’aggravation hémodynamique est souvent brutale, même pour une augmentation modérée de l’obstruction [82]. L’index cardiaque est le plus souvent normal ou augmenté, l’augmentation du débit cardiaque paraissant alors liée à l’hypoxie. Cependant, l’index cardiaque est diminué dans certains cas, entraînant des signes de choc avec hypotension systémique, et révèle presque toujours une obstruction vasculaire pulmonaire de l’ordre de 80 %, à pronostic extrêmement sombre (mortalité de 20 à 30 %). Chez ces patients, la pression artérielle pulmonaire moyenne ne dépasse jamais 40 mmHg, tout chiffre supérieur orientant vers une hypertension artérielle pulmonaire préexistante.


Le retentissement ventilatoire [26] est complexe : l’embolie pulmonaire altère la distribution des rapports ventilation (V)/perfusion (Q), et crée des unités pulmonaires à haut rapport V/Q (hypocapniantes et hyperoxémiantes) dans les zones embolisées et des unités pulmonaires à bas rapport V/Q (hypercapniantes et hypoxémiantes) dans les zones restées saines. L’augmentation de perfusion dans les zones de bas rapports V/Q s’explique par une redistribution du débit cardiaque des zones embolisées vers les zones non atteintes et par un phénomène de broncho- ou pneumoconstriction, redistribuant la ventilation dans les zones perfusées. Rarement, il peut s’y associer un shunt vrai par développement d’atélectasies, dont l’origine est multifactorielle avec altération de surfactant dans les territoires embolisés, hypoventilation réflexe dans ces territoires et œdème lésionnel localisé dû à l’émission de substances vasoactives à partir des caillots compactés. Un shunt droite-gauche cardiaque peut également survenir par insuffisance cardiaque droite et réouverture d’un patent foramen ovale. L’ensemble de ces phénomènes se traduit le plus souvent par une hypoxémie associée à une hypocapnie.


La diminution de la compliance dynamique pulmonaire et l’augmentation des résistances bronchiques liée en partie à des mécanismes humoraux entraînent une diminution du volume gazeux intrathoracique et une ascension diaphragmatique homolatérale souvent constatée sur la radiographie.


Les conséquences anatomiques de l’obstruction artérielle pulmonaire [26] dépendent également de la taille du thrombus, de son siège et de l’état préalable cardiorespiratoire du patient.


Le thrombus, formé d’agrégats plaquettaires, de fibrine, de leucocytes et d’hématies, évolue vers la fibrinolyse, qui peut commencer dans les 24 heures après l’épisode initial et être totale au bout de 8 jours ; cette physiopathologie explique donc la nécessité de réaliser des examens diagnostiques précoces.


L’évolution peut également se faire soit vers la formation d’un magma éosinophile stable (thrombus adhérent), avec perte des quatre constituants, soit vers la colonisation du thrombus par des fibroblastes qui est transformé en tissu conjonctif oblitérant le vaisseau, ou qui est rétractile, responsable de l’apparition de ponts et de bandes à l’intérieur de l’artère.


Le retentissement sur le territoire d’aval est dominé par le risque d’hémorragie et d’infarctus pulmonaire. En fait, la survenue de ces deux anomalies dépend de la capacité de la circulation bronchique de suppléance : en cas d’obstruction d’un gros tronc artériel proximal, la circulation bronchique de suppléance se distribue en aval de l’occlusion à travers la totalité du lit artériel pulmonaire qui est ainsi capable de l’absorber.


En cas d’obstruction pulmonaire distale, l’irruption de sang bronchique dans la zone embolisée ne peut être supportée par un petit segment artériel pulmonaire et une extravasation d’hématies survient dans les alvéoles responsables d’hémorragies pulmonaires.


Initialement, ces lésions ne se compliquent pas de nécrose et la résolution se fait en 3 à 5 jours, sans cicatrice, après résorption des substances extravasées.


Cependant, l’occlusion peut aboutir à une nécrose du foyer non perfusé, ce d’autant qu’il existe une gêne au retour veineux pulmonaire (valvulopathie mitrale, défaillance du cœur gauche). L’élévation de la pression veineuse pulmonaire entraînerait un reflux de sang veineux dans la zone de l’hémorragie, favorisant ainsi la constitution d’un infarctus complet. Dans ce cas, l’envahissement des alvéoles par les hématies s’accompagne de l’apparition d’un œdème des parois alvéolaires. L’évolution est marquée par la dégénérescence des hématies, avec nécrose des parois alvéolaires et constitution de l’infarctus vrai. Après quelques semaines, un tissu de granulations s’organise et évolue lentement vers une cicatrice fibreuse. Le foyer lésionnel a une forme conique à base pleurale et à sommet tronculaire, le sommet ne rejoignant pas le hile pulmonaire. La fréquence de l’infarctus pulmonaire varie de 37 % dans les 24 premières heures à 57 % dans les heures suivantes [37]. Rarement, certains embols pulmonaires graves avec cœur gauche défaillant se compliquent d’un œdème pulmonaire.



Moyens diagnostiques


Toute suspicion d’embolie pulmonaire impose une certitude diagnostique en urgence. Ce diagnostic repose essentiellement sur différents examens d’imagerie. L’embolie pulmonaire et la thrombose veineuse profonde des membres inférieurs étant les deux pôles d’une même maladie, les stratégies étudiées actuellement prennent en compte ce concept et utilisent préférentiellement des examens non ou peu inva-sifs (écho-Doppler des membres inférieurs, scintigraphie, angioscanner spiralé des artères pulmonaires) afin de diminuer le recours à l’angiographie pulmonaire. Mais pour qu’un test diagnostique soit considéré comme validé pour la stratégie employée, connaître ses performances en termes de sensibilité et de spécificité n’est pas suffisant, il est actuellement admis que la première démarche à réaliser devant un patient suspect d’EP est d’établir la probabilité clinique de la maladie avant la réalisation du test, dans le but d’améliorer sa rentabilité diagnostique.



Données cliniques et examens de routine


Pris séparément, les signes cliniques, l’électrocardiogramme, la radiographie de thorax et les gaz du sang dans la suspicion d’EP n’ont aucune sensibilité ou spécificité d’embolie pulmonaire. En revanche, ils ont une grande valeur d’orientation et permettent d’établir une probabilité clinique d’EP.



Radiographie du thorax

La radiographie du thorax doit être réalisée en urgence, de préférence au lit du patient [31, 37, 128]. Son intérêt majeur est d’éliminer les autres causes de polypnée (pneumopathie infectieuse, pneumothorax ou subœdème pulmonaire) et de prévoir la rentabilité d’une scintigraphie de ventilation/perfusion. Elle sert de référence pour l’évolution.


Elle est et reste normale dans 20 % des cas. Cependant, à un stade précoce, dans les 24 premières heures, la radiographie de thorax peut montrer des signes de cœur droit avec hypertrophie de l’oreillette droite et du ventricule droit. On peut également observer des éléments de la rare triade de Westermark [37] : dilatation de l’artère pulmonaire en amont de l’obstacle artériel avec aspect de gros hile dense uni- ou bilatéral, hypovascularisation parenchymateuse d’aval se traduisant par une hyperclarté parenchymateuse et une ascension de la coupole diaphragmatique homolatérale.


À un stade plus tardif, au-delà de la 24e heure, le cliché thoracique peut demeurer normal ou montrer un épanchement pleural modéré à type d’émoussement d’un cul-de-sac pleural, des atélectasies en bande, une image d’infarctus pulmonaire, se traduisant par une opacité triangulaire à base pleurale et à sommet hilaire, réalisant un aspect de bosse décrit par Hampton. Il siège préférentiellement dans les lobes inférieurs, surtout à droite, dans l’angle costodiaphragmatique. De taille variable, il peut cependant prendre des aspects polymorphes. L’opacité peut être excavée avec ou sans infection. Enfin, elle peut être unique, multiple, uni- ou bilatérale. Son évolution, dans les cas favorables, est marquée par sa régression concentrique. Il laisse parfois des séquelles sous forme d’opacités linéaires de 4 à 6 cm de long de direction oblique ou horizontale. En dehors de ces séquelles, on retrouve également des séquelles pleurales, à type de comblement d’un sinus ou d’attraction d’une coupole. Exceptionnellement, la thrombose artérielle peut se calcifier, se traduisant alors par une calcification moulant la lumière d’une artère pulmonaire, voire d’une bifurcation.



Tableaux cliniques

La combinaison des différents éléments permet de distinguer trois tableaux cliniques très évocateurs d’embolie pulmonaire :



Les signes de gravité de l’EP sont essentiellement les signes cliniques de cœur pulmonaire aigu, qui témoignent d’une embolie pulmonaire massive : tachycardie, reflux hépato-jugulaire, turgescence jugulaire, hypotension artérielle, signe de choc périphérique, trouble de la repolarisation, présence d’un bloc de branche droit, d’une onde P, d’une déviation axiale droite avec aspect S1Q3 et d’une hypertrophie ven-triculaire droite, associés ou non à des signes de bas débit cardiaque : somnolence, lipothymie ou syncope. Reconnaître ces signes permet une prise en charge diagnostique et thérapeutique spécifique en urgence, afin d’éliminer toute embolie pulmonaire massive.



Évaluation de la probabilité clinique

L’évaluation de la probabilité clinique peut se faire à l’aide de scores [142, 146] ou, plus simplement, de façon empirique en trois catégories [59].


Une probabilité clinique faible correspond à un tableau clinique peu évocateur chez un patient sans facteur de risque (tableau 12-1), associé à la présence d’un autre diagnostic. La prévalence de l’EP est de 10 % en moyenne dans ce groupe [127, 132].



Une probabilité clinique forte correspond à un patient ayant une symptomatologie très évocatrice d’embolie pulmonaire, non expliquée par un autre diagnostic, associée à des facteurs de risque de maladie thromboembolique veineuse. Dans ce groupe, la prévalence de l’EP est de 68 %.


Une probabilité intermédiaire correspond à tous les autres cas ; la prévalence de l’EP est de 30 % dans ce groupe.




Exploration des artères pulmonaires



Scintigraphie pulmonaire de ventilation et de perfusion

La scintigraphie est un examen morphologique non invasif qui permet d’affirmer ou d’exclure le diagnostic d’EP dans un certain nombre de cas [132]. En outre, sa sensibilité voisine de 100 %, en fait un examen de choix dans la stratégie diagnostique de l’EP. Cependant, elle présente deux inconvénients majeurs : sa faible spécificité et sa faible accessibilité en urgence. L’équipe du Pioped a proposé d’augmenter la spécificité de la scintigraphie de perfusion en la couplant, en cas de résultat anormal, à la scintigraphie de ventilation. La scintigraphie pulmonaire de perfusion est réalisée en injectant par voie veineuse périphérique des macro-agrégats d’albumine marqués par le technétium 99m. Six incidences sont réalisées (faces antérieure et postérieure, deux profils et deux obliques).


L’existence d’une embolie pulmonaire à la scintigraphie de perfusion va se traduire par un défaut de perfusion systématisé, c’est-à-dire par une lacune localisée au territoire correspondant.


Les critères d’interprétation de la scintigraphie pulmonaire de ventilation-perfusion sont ceux validés dans l’étude Pioped [132] et classe les résultats scintigraphiques en normaux, « de haute probabilité » et non diagnostiques (une scintigraphie pulmonaire normale est définie par une scin-tigraphie de perfusion normale). Une scintigraphie normale élimine le diagnostic d’embolie pulmonaire avec une quasi-certitude, et seuls 14 % des patients ayant une suspicion d’EP sont concernés par une scintigraphie normale. Cependant, la reproductibilité interobservateur dans cette catégorie diagnostique est excellente (94 % dans l’étude Pioped). De plus, quasiment aucune récidive thromboembolique n’est trouvée lors du suivi à 3 mois des patients suspects d’EP, non traités sur les données d’une scintigraphie normale (taux de récidive de 0,7 %, avec un intervalle de confiance à 95 % de 0,02 à 1,3 %) [58].


Une scintigraphie pulmonaire de haute probabilité est définie par des anomalies de perfusion touchant au moins l’équivalent de deux segments pulmonaires, avec ventilation et radiographie thoracique normales en regard (aspect mismatch). Une scintigraphie de haute probabilité permet d’affirmer le diagnostic d’EP, avec une valeur prédictive positive de l’ordre de 90 %, mais seulement 13 % des patients ayant une suspicion d’EP ont une scintigraphie de haute probabilité. En revanche, la reproductibilité interobservateur est excellente, de l’ordre de 95 % dans l’étude Pioped [132].


Une scintigraphie pulmonaire non diagnostique, ou indéterminée (ou de probabilité intermédiaire ou faible), est définie comme une scintigraphie ni normale, ni de haute probabilité ; la probabilité faible est définie par des défauts de perfusion non systématisés, des défauts de perfusion plus petits que les anomalies radiologiques, par des anomalies de perfusion de petites tailles quel que soit leur nombre avec radiographie normale ou par des défauts de perfusion matchés à la ventilation avec radiographie normale. Une scintigraphie pulmonaire non diagnostique ou indéterminée ne permet pas d’affirmer ou d’infirmer le diagnostic d’EP. La principale limite de la scintigraphie est le nombre élevé de résultats non concluants retrouvés chez 50 à 70 % des patients suspects d’EP selon les séries. De plus, la reproductibilité interobservateur est mauvaise et ne se fait que dans 70 à 75 % des cas.


Étude de l’association de la probabilité clinique d’avoir une EP et du résultat probabiliste de la scintigraphie pulmonaire : les résultats d’une telle association ont été démontrés dans l’étude Pioped, et sont reportés dans le tableau 12-2. Pour environ 20 % des patients suspects d’EP, l’association d’une faible probabilité d’EP à une scintigraphie pulmonaire de faible probabilité rend la probabilité qu’il s’agisse d’une EP extrêmement faible (4 %) et autorise à ne pas poursuivre les investigations complémentaires et à ne pas traiter ces patients [92].




Angiographie pulmonaire

L’angiographie pulmonaire est longtemps resté l’examen de référence [126, 132], remplacé aujourd’hui par l’angio-scanner spiralé. Ces indications sont actuellement limitées compte tenu du développement de stratégies diagnostiques combinant les techniques non ou peu invasives. Sa réalisation nécessite une salle de radiologie vasculaire et des opérateurs expérimentés ; de plus, la technique doit être rigoureuse et conditionne la réussite de la procédure.



Techniques d’exploration: Deux types de techniques angiographiques peuvent être utilisés : l’angiographie conventionnelle et l’angiographie numérisée, en sachant que les salles d’angiographie pulmonaire conventionnelle ont été quasiment toutes remplacées par des salles numérisées en France. L’angiographie pulmonaire est réalisée par injection sélective, avec voie d’abord recherchée préférentiellement au niveau de l’avant-bras (veine basilique ou humérale), permettant un meilleur contrôle de l’hémostase. En cas d’impossibilité technique, les voies d’abord jugulaire interne ou fémorale seront utilisées.


Les cathéters mis en place ont un calibre de 5 à 6F, leurs extrémités étant recourbées à type de « queue-de-cochon », afin d’éviter toute blessure endocardique ou myocardique lors des manipulations. Des orifices latéraux assurent la stabilité lors de l’injection en haut débit. Les cathétérismes hypersélec-tifs des artères pulmonaires, ainsi que la prise des pressions artérielles pulmonaires sont réalisés à l’aide d’une sonde de type Swan-Ganz, à orifice unique distal et à ballonnet.


L’injection est réalisée sélectivement dans les artères pulmonaires droites et gauches. Les volumes et les débits injectés devront être adaptés au lieu d’injection, en sachant que la qualité de l’injection est directement proportionnelle au débit. En technique conventionnelle, les débits utilisés sont de 30 cc/s pour un volume total de 60 cc par injection et, en technique numérique, le débit est de 20 cc/s pour un volume total d’injection d’iode de 40 cc.



Appareillage: En technique conventionnelle, les films utilisés sont d’un format 35 × 35, obtenus à l’aide d’un sériographe à la cadence de deux clichés par seconde durant les 4 premières secondes, puis d’un cliché par seconde. La durée totale de la sériographie est de 10 secondes, prolongée en cas d’HTAP ou d’embolie pulmonaire proximale.


La technique numérique ne pourra être utilisée que si la matrice d’acquisition est de 1 024 × 1 024, le taux d’examen non concluant étant trop élevé, d’environ 20 %, avec une matrice 512 × 512. Un autre critère technique essentiel est l’utilisation d’un champ de vue suffisamment large d’un minimum de 30 cm. Tout d’abord sont réalisés des masques de la région à explorer avant l’injection, permettant la soustraction secondaire des images non vasculaires. L’acquisition est débutée immédiatement après l’injection de produit de contraste à une cadence de quatre à six images par seconde, avec contrôle direct sur l’écran.


Les limites de la méthode sont les artéfacts dus aux superpositions vasculaires ou au défaut de visualisation des artères au-delà des artères segmentaires, en cas de réalisation technique insuffisante.


Chez le patient polypnéique, l’obtention d’un masque véritable est difficile et il est conseillé d’acquérir plusieurs masques au cours de deux cycles ventilatoires, le patient étant en ventilation spontanée, avant de lancer l’injection. Les avantages de la méthode numérique sont la réduction des volumes injectés, la réalisation d’une étude dynamique avec étude des différents temps artériels parenchymateux et aortiques.



Incidences: Une première incidence sera effectuée lors du cathétérisme sélectif de l’artère pulmonaire droite de face, ou en oblique antérieur gauche lors du cathétérisme sélectif de l’artère pulmonaire gauche. En cas de négativité de la première incidence, il est indispensable de pratiquer une seconde série en incidence orthogonale, avec cathétérisme plus sélectif des artères pulmonaires inférieures, afin de dérouler toutes les branches artérielles qui sont superposées sur la première incidence [79]. En revanche, si la première incidence permet d’affirmer l’embolie, la seconde série peut ne pas être effectuée.


Un cathétérisme hypersélectif d’une artère pulmonaire peut être utile pour la mise en évidence d’une embolie pulmonaire, que ce soit au niveau segmentaire ou sous-segmentaire. Les débits et les pressions seront adaptés. En cas d’usage de la sonde de Swan-Ganz avec gonflage du ballonnet, l’acquisition numérique se fera lors de l’injection manuelle par l’opérateur.



Interprétation de l’angiographie pulmonaire: Les critères d’interprétation sont de deux types.




Critères de lecture: Ils sont décrits par Sagel et Greenspan [115]. La visualisation directe du thrombus intra-artériel se traduit par la présence d’une image de caillot flottant endoluminal (filling defect) ou d’un arrêt cupuliforme du produit de contraste dans une artère pulmonaire, dont le diamètre est supérieur à 2 mm (fig. 12-1).



Toutes les artères sont interprétées (artères principales, interlobaires, lobaires, segmentaires ou sous-segmentaires). Aucun signe parenchymateux pulmonaire n’est retenu. L’angiographie est considérée comme négative si et seulement si les quatre incidences – face et profil droits, OAG et profil gauche – ne montrent pas de signe de thrombus intra-vasculaire.


Une angiographie pulmonaire normale élimine le diagnostic d’embolie pulmonaire. Plusieurs études [51, 84, 135] montrent un taux très faible de récidive thromboembolique chez des patients suspects d’EP non traités par anticoagulants sur les données d’une angiographie pulmonaire normale et suivis pendant 3 mois (1,6 % ; intervalle de confiance à 95 % : 0,9 à 3,1 %). Seule une technique rigoureuse permet d’affirmer ou d’infirmer le diagnostic d’embolie pulmonaire. Dans l’étude Pioped [132], le taux d’examens techniquement satisfaisants était de 95 %. Une étude [97] a montré une qualité optimale des angiographies pulmonaires sélectives de type numérique chez 93 % des patients avec une qualité sous-optimale chez seulement 6 % des patients. Dans cette étude, l’utilisation d’un cathétérisme hypersélectif des artères pulmonaires permet de réduire le taux d’examen non interprétable à 0,6 %.


Pour les examens jugés interprétables, les chiffres de concordance interobservateur pour la lecture des examens angiographiques sont fonction du siège de l’embol. Dans l’étude Pioped [132], la concordance interobservateur est de 90 % pour les embolies pulmonaires proximales, lobaires et segmentaires ; ce taux se réduit à 66 % pour les embolies pulmonaires sous-segmentaires. La fréquence des embolies pulmonaires sous-segmentaires était de 6,6 % dans cette étude.


Outre la visualisation directe du thrombus, l’angiographie pulmonaire permet de quantifier le degré d’obstruction par le calcul de l’index de Miller [133], basé sur le siège de l’obstruction et le degré d’hypoperfusion artériolaire. Pour ce calcul, l’artère pulmonaire droite est divisée en 9 artères segmentaires, 3 au lobe supérieur, 2 au lobe moyen et 4 au lobe inférieur, tandis que l’artère pulmonaire gauche est considérée se diviser seulement en 7 artères segmentaires (2 au lobe supérieur, 2 à la lingula et 3 au lobe inférieur). Pour l’obstruction artérielle : un score de 1 point est attribué à la présence d’un thrombus artériel segmentaire. Si le thrombus est de siège plus proximal, le score attribué est égal au nombre d’artères segmentaires naissant à partir de l’artère lobaire en accord avec ce qui est noté ci-dessus. Le score maximal d’obstruction artérielle est donc de 16 points. Le calcul du score de perfusion périphérique est réalisé en divisant chaque poumon en 3 zones (supérieure, moyenne et inférieure) et en utilisant une échelle allant de 0 à 3 : 0 point en cas de perfusion normale, 1 point quand la perfusion est modérément réduite, 2 points quand la perfusion est sévèrement réduite, et 3 points en cas d’absence de perfusion. Le score maximal de perfusion réduite est donc de 18. L’index de Miller maximal est donc obtenu en faisant la somme des deux facteurs précédents de chaque côté et peut donc se situer entre 1 et 34. L’importance de l’index de Miller est d’être un facteur prédictif d’embolie pulmonaire grave quand il est supérieur à 50 % chez les sujets sans antécédent cardiopulmonaire. En effet, il existe une relation de type exponentielle entre l’index de Miller et les résistances vasculaires pulmonaires. Des études antérieures ont permis de constater que pour un index de Miller se situant aux environs ou au-delà de 21, toute aggravation même minime de l’embolie pulmonaire peut brusquement faire basculer la courbe vers des résistances élevées, entraînant une brusque décompensation de la fonction cardiorespiratoire du patient.



Faisabilité de l’angiographie pulmonaire et contre-indications: L’angiographie pulmonaire n’est réalisable que chez 80 % des patients suspects d’EP [136] ; chez 20 % des patients, l’examen ne peut avoir lieu, en raison du refus du patient ou de contre-indications majeures ou relatives à l’examen (insuffisance cardiaque majeure, thrombocytopénie, cardiomyopathie, myocardite, infarctus du myocarde, maladie multiple des valves cardiaques, insuffisance rénale).



Accidents et incidents: Ils sont rares : le taux de mortalité est de moins de 0,5 %, pour un taux de complications majeures de 1 % et de 5 % de complications mineures. Les complications majeures s’observent fréquemment chez des patients ayant un état cardiorespiratoire limite [125]. Van Beek et al. [136] ont montré que chez des patients soigneusement sélectionnés pour des angiographies pulmonaires, aucune complication fatale n’était constatée, le taux de morbidité étant de 2 % (95 % CI : 0,4-6 %). Ce sont les précautions prises lors de la réalisation de l’examen qui ont permis de réduire les incidents et accidents, avec l’enregistrement continu de l’ECG qui permet la surveillance des troubles du rythme cardiaque lors des manipulations des cathéters, l’utilisation des cathéters en « queue-de-cochon » pour éviter le risque de perforation myocardique, l’abord par une voie brachiale permettant de diminuer considérablement l’incidence des complications locales, régionales, voire générales lors de l’abord par voie fémorale, enfin la prémédication visant à réduire les réactions à l’iode chez les patients aux antécédents allergiques.


Les limites de l’angiographie pulmonaire ainsi que le coût et la durée d’une procédure de qualité empêchent son utilisation en première intention chez tous les patients suspects d’EP, ce d’autant plus que la prévalence de l’embolie pulmonaire dans une population cliniquement suspecte est faible, de l’ordre de 20 à 35 %. Pour ces raisons, des alternatives diagnostiques à l’angiographie ont été proposées, principalement l’angioscan-ner spiralé (ASS) au niveau des artères pulmonaires.



Angioscanographie spiralée des artères pulmonaires

Les premières études évaluant le rôle potentiel du scanner dans le diagnostic d’EP utilisaient un scanner conventionnel nécessitant une apnée de 1 à 2 secondes pour l’acquisition de chaque coupe axiale transverse et un délai intercoupe de 6 à 8 secondes [122]. Bien que permettant la visualisation directe du thrombus dans les artères proximales, la lenteur des premiers scanographes constituait la principale limite de leur utilisation dans le diagnostic d’EP. En 1992, la première description des artères pulmonaires par ASS dans la recherche d’embolie pulmonaire a montré qu’il était possible d’étudier un volume thoracique en une seule apnée, tout en obtenant un rehaussement optimal des AP après injection intraveineuse de produit de contraste [108].


Cette étude qui comparait l’ASS à l’angiographie pulmonaire pour la détection de l’EP incluait 24 patients sans EP et 18 qui avait une EP prouvée à l’angiographie. La sensibilité et la spécificité de l’ASS par rapport à l’angiographie étaient respectivement de 100 % et de 96 %, les faux positifs correspondant à des ganglions intersegmentaires. Ces résultats sont à pondérer car les auteurs excluaient de l’analyse les branches artérielles non identifiables dans le plan de coupe à cause d’un effet de volume partiel. Dans une étude ultérieure [105] comportant 72 patients et qui prenait en compte toutes les artères pulmonaires jusqu’au niveau segmentaire, la sensibilité de l’ASS était de 91 % et la spécificité de 86 % comparée à l’angiographie.


Sa grande facilité de réalisation, son caractère peu invasif comparé à l’angiographie pulmonaire, et sa grande disponibilité dans la plupart des centres contrairement à la scintigraphie en ont fait un outil diagnostic très bien accepté par les cliniciens. L’ASS multicoupes s’est maintenant imposé comme l’examen diagnostic de référence, devant l’angiographie pulmonaire.



Technique [9, 37, 41, 107]: Le premier temps de l’examen consiste à réaliser des coupes axiales transverses en haute résolution sans injection de produit de contraste sur l’ensemble du thorax. Cela permet l’analyse d’anomalie pleurale ou de condensation parenchymateuse pulmonaire, d’identifier des ganglions hilaires calcifiés qui peuvent gêner l’analyse de l’hélice avec injection d’iode. Cette acquisition peut également mettre en évidence des thrombi calcifiés. Par ailleurs, l’étude de ces coupes permet de repérer les niveaux anatomiques supérieur et inférieur définissant le volume d’intérêt à explorer par injection intraveineuse d’iode. Un autre avantage de réaliser des coupes sans injection d’iode est de détecter une décompensation cardiogénique, méconnue cliniquement dans le contexte de dyspnée. Cela est d’autant plus important que l’injection de tout produit de contraste en urgence devrait être proscrite du fait des risques de défaillance cardiaque aiguë. Les recommandations actuelles sont de traiter cette défaillance cardiogénique et de reprogrammer l’injection de produit de contraste en différé en cas de suspicion d’embolie pulmonaire avec examen écho-Doppler des membres inférieurs négatifs sous couvert d’une anticoagulation adaptée selon Beigelman et al. [9]. Les coupes réalisées avant injection de produit de contraste seront au mieux des coupes fines réalisées tous les 15 mm et permettront d’éliminer tout signe d’œdème cardiogénique.




Paramètres d’acquisition: Obtenir une résolution spatiale optimale tout en explorant, en une seule fois, un volume utile d’exploration de l’arbre artériel pulmonaire avec un temps d’apnée acceptable pour le patient constitue le véritable déterminisme dans le choix des paramètres d’acquisition.


Le volume utile doit explorer l’ensemble de l’arbre artériel pulmonaire comprenant au minimum les artères tronculaires, lobaires et segmentaires des lobes supérieurs, moyens et inférieurs. Cela représente une hauteur d’environ 12 à 13 cm qui s’étend de la crosse de l’aorte aux veines pulmonaires inférieures, voire à la coupole diaphragmatique la plus basse.


Le sens d’acquisition du volume utile peut être cranio-caudal ou caudo-crânial, sans altération de la qualité des images. Cependant, chez le patient dyspnéique, l’apnée peut être difficile à obtenir pendant toute la durée de l’acquisition, et dans ce cas le sens caudo-crânial sera préféré, d’autant que les embols artériels siègent préférentiellement aux bases et que leur détection sera facilitée par l’immobilité diaphragmatique en début de l’hélice.


La collimation et la vitesse d’avancée de la table conditionnent la résolution spatiale et le temps d’apnée [102]. Les premières études publiées utilisaient une collimation de 5 mm, avec un pitch de 1 et une reconstruction des images tous les 5 à 4 mm [29, 105, 108, 139]. Rémy et al. [102] ont montré que toute collimation supérieure à 3 mm entraînait des effets de volume partiel sur les artères segmentaires limitant la détection des thrombi à ces niveaux.


Pour obtenir une résolution spatiale maximale en scanner spiralé monocoupe, le choix du protocole se fait en fonction du temps de rotation du tube sur 360° : soit, lorsque le temps de rotation du tube est de 1 seconde, une collimation de 3 mm, avec une avancée de table de 5 mm par seconde (pitch de 1,7), et une reconstruction des images tous les 2 mm, soit en cas de temps de rotation inférieur à la seconde (0,75 s), une collimation de 2 mm, une avancée de table de 4 mm/0,75 s (pitch de 2), une reconstruction des images tous les 1,5 mm. La comparaison de ces deux techniques montre qu’un plus grand nombre d’artères pulmonaires segmentaires et sous-segmentaires est analysable en coupes fines.



Temps d’apnée [48, 56, 107]: C’est l’état respiratoire du patient et le choix des paramètres précédents qui déterminent le temps d’apnée. Quand le patient peut contrôler sa respiration, un temps d’apnée variant de 10 à 20 secondes permet d’explorer l’arbre artériel. Avant de débuter l’examen, le patient peut hyperventiler, avant de bloquer sa respiration en inspiration profonde. L’inspiration bloquée augmente les résistances vasculaires pulmonaires et permet ainsi un ralentissement du flux artériel pulmonaire du produit de contraste, ce qui garantit une meilleure opacification [48]. En revanche, la courbe des résistances vasculaires pulmonaires en fonction des volumes pulmonaires est en U avec valeurs maximales des résistances à volume pulmonaire maximal mais également à bas niveau d’inflation [56]. Par conséquent, en cas de respiration indifférente, les résistances vasculaires pulmonaires sont abaissées, ce qui ne permet pas une opacification artérielle pulmonaire optimale. En revanche, si le patient présente des difficultés à tenir l’apnée en inspiration profonde, l’arrêt de la respiration près de la fin de l’expiration permet également une bonne opacification artérielle pulmonaire.


L’utilisation des scanners hélicoïdaux multicoupes permet actuellement d’obtenir 4 à 8 coupes et bientôt 16 coupes par rotation, avec un temps de rotation de 0,5 à 0,8 seconde. Un temps de rotation court va permettre de diminuer les artéfacts de mouvements constatés sur l’artère pulmonaire tronculaire et l’artère pulmonaire droite. En effet, ces artères subissent des mouvements de distension et d’extension, induits par le débit systolique du ventricule droit, mais également un déplacement vertical provoqué par les battements cardiaques. L’intérêt sera donc de pouvoir différencier un réel thrombus mural de l’artère pulmonaire d’un pseudo-dédoublement des bords [100].


La collimation conditionne là aussi le temps d’apnée : Prokop [96] a décrit deux types de protocole pour l’exploration des artères pulmonaires. Un protocole, dit haute résolution, privilégie une collimation de 1 à 1,5 mm pour une avancée de table variant de 6 à 7,5 mm selon le temps de rotation. Le second privilégie la vitesse d’acquisition, de 8 à 10 secondes, la collimation étant de 2 à 2,5 mm, au détriment de la résolution spatiale. En utilisant le protocole dit haute résolution, Ghaye et al. [42] montrent que l’analyse était satisfaisante dans 94 % des artères sous-segmentaires de 4e ordre, 64 % des artères sous-segmentaires de 5e ordre et 35 % des artères sous-segmentaires de 6e ordre.





Délai d’injection: Un délai de 12 à 15 secondes entre le début de l’injection de produit de contraste et le début de l’acquisition est habituellement recommandé [105, 108, 139]. Ce délai sera allongé en cas d’insuffisance cardiaque droite, d’hypertension artérielle pulmonaire, ainsi que chez tous les sujets âgés chez lesquels il existe possiblement une diminution du débit cardiaque. Ce délai sera augmenté si l’abord veineux se situe en amont du pli du coude. En cas d’injection au niveau d’un cathéter central, ce délai sera diminué. Par ailleurs, un délai trop court conduit à une opacification inadéquate des artères pulmonaires sur les premières images, réalisant des images de pseudo-filling defect [108, 131]. À l’inverse, en cas de délai trop long, sans modification du volume injecté, la concentration de produit de contraste à la partie inférieure de la zone étudiée est insuffisante pour conclure entre insuffisance technique ou réel filling defect. Dans ces cas, une seconde acquisition avec injection de produit de contraste en quantité limitée, centrée sur la zone non contributive et avec un délai approprié est nécessaire pour éviter au patient d’autres examens complémentaires, notamment une angiographie pulmonaire. Une détection automatisée du pic du produit de contraste dans les cavités ventriculaires droites ou sur une région vasculaire choisie est disponible sur certains appareils, et permet ainsi d’optimiser le délai d’acquisition.



Abord veineux et position des bras: L’injection sera effectuée par un injecteur automatique pour assurer un niveau constant et homogène de l’opacification artérielle durant toute l’acquisition. Le degré optimal d’opacification de l’ensemble de l’arbre artériel pulmonaire étant assuré par des débits élevés de 3 à 5 cc par seconde, un cathéter de 18 à 20G sera placé au mieux dans une veine antécubitale. En cas de veine non accessible au pli du coude, un accès plus périphérique peut être utilisé ; dans ce cas, il faudra allonger le délai d’injection de 4 à 6 secondes. Dans certains cas, seul un abord par cathétérisme veineux central est possible. Il faut alors raccourcir le délai d’injection. Les bras sont positionnés au-dessus de la tête pour certains, pour d’autres le bras où se trouve la veine perfusée sera placée le long du corps [75]. Il a été montré qu’une position du bras au-dessus de la tête peut provoquer une sténose de la partie terminale de la veine sous-clavière, notamment dans la pince costoclaviculaire.



Reconstructions [107]: Les coupes natives sont reconstruites avec un algorithme d’interpolation linéaire qui, lorsqu’il n’est pas imposé par le constructeur, sera choisi préférentiellement sur 180° par rapport à celui de 360°, car il réduit les artéfacts de volume partiels sur les vaisseaux horizontaux et obliques. Les reconstructions chevauchées avec degré de chevauchement des coupes horizontales se situant aux alentours de 50 % de la collimation contribuent à la réduction des effets de volume partiel pour les vaisseaux obliques et horizontaux et à la réduction des artéfacts en marches d’escalier. En fait, l’idéal serait d’obtenir la reconstruction de deux à quatre images par épaisseur nominale de coupes, ce qui permettrait l’identification des images de filling defect partiel dans les artères segmentaires. Les reconstructions multiplanaires sont obtenues à partir des coupes natives. Elles permettent d’afficher un vaisseau oblique sur une seule coupe quel que soit son plan d’orientation. Elles sont également intéressantes pour l’interprétation des vaisseaux dont les trajets s’interrompent d’une coupe à l’autre. L’ensemble de ces données concerne essentiellement les vaisseaux à destinée lobaire moyen ou lingulaire, ainsi que les artères A6 et A2.



Lecture des images: Toutes les coupes sont visualisées en double fenêtre, médiastinale et parenchymateuse. L’intérêt de ce double fenêtrage permet de visualiser les bronches et donc de différencier veines et artères, l’artère étant toujours en relation étroite avec la bronche adjacente, les veines étant majoritairement à distance des bronches. Dans les cas d’un très fort rehaussement des artères pulmonaires par l’injection d’iode, un élargissement de la fenêtre médiastinale peut aider à identifier des embols artériels pulmonaires. La lecture de l’examen est faite principalement sur l’écran de la console, permettant de modifier le fenêtrage en temps réel, mais également par l’utilisation du mode cinéma d’avoir un défilement rapide afin de suivre la continuité des structures anatomiques. Ce mode de lecture permet une détection plus sensible des embols artériels pulmonaires [45]. La lecture est effectuée également sur les images photographiées sur films radiographiques. Le rendu de ces images est important car actuellement, dans la plupart des centres, ce sont ces documents que le clinicien a à sa disposition. Il en découle que sont rendus des films avec les images prises uniquement en fenêtre médiastinale afin de faciliter le suivi des éléments anatomiques et des films avec des images prises en fenêtre parenchymateuse.



Interprétation de l’angioscanographie spiralée des artères pulmonaires: Elle doit être rigoureuse, réalisée par un radiologue ayant une bonne connaissance de l’anatomie, des variantes et des pièges d’interprétation en rapport avec soit des pièges anatomiques, soit des problèmes techniques, soit des conditions physiopathologiques particulières. Toute interprétation concerne l’évaluation de deux types de critères.



Critères évaluant la qualité technique de l’examen [108]: Ils concernent d’une part le degré d’opacification vasculaire. Le rehaussement artériel pulmonaire sera jugé soit insuffisant, soit suffisant pour l’analyse des artères pulmonaires, mais sans fort rehaussement, soit excellent avec un fort rehaussement. D’autre part, les artéfacts seront également évalués : respiratoire, vasculaire, notamment au niveau de la veine cave. La qualité de l’examen sera jugée satisfaisante s’il répond à un rehaussement suffisant ou excellent, sans artéfact gênant la lecture des vaisseaux. Dans ces conditions, le pourcentage d’examens non diagnostiques ne permettant pas une analyse satisfaisante de toutes les artères jusqu’aux segmentaires comprises varie entre 4 et 8 % dans la littérature [81, 93].



Critères d’interprétation: Le critère diagnostique d’embolie pulmonaire repose sur la visualisation directe du thrombus intravasculaire sous forme d’une zone d’hypodensité intravasculaire centrale ou marginale, entourée de produit de contraste, de contours réguliers ou irréguliers [121].


Une obstruction complète de l’artère se traduit par une hypo-densité intravasculaire occupant la totalité de la section artérielle, sans être silhouettée par le produit de contraste. Le calibre du vaisseau peut être normal ou augmenté. Des images en rail peuvent être visualisées en cas de thrombus flottant silhouetté par le produit de contraste, quand l’artère concernée est parallèle au plan de coupes. Le thrombus peut être mural, défini alors par une hypodensité marginale, avec angle de raccordement aigu entre le thrombus et la paroi vasculaire (fig. 12-2 et 12-3).




Les signes parenchymateux sont inconstants [21]. Il peut s’agir de zones de condensations périphériques au contact de la plèvre, de zones d’atélectasies sous-segmentaires, voire d’un épanchement pleural. Une condensation périphérique de forme triangulaire à large base pleurale et à sommet tronqué dirigé vers le hile, correspond à un aspect typique d’infarctus pulmonaire (fig. 12-4). Cette anomalie ne permet en aucun cas de porter le diagnostic d’embolie pulmonaire quand elle n’est pas associée à des images de thrombus intra-artériel. Elle est juste fortement suggestive du diagnostic et amène à faire pratiquer chez le patient une angiographie pulmonaire sélective en cas de fort doute clinique [21].




Pièges d’interprétation [8, 103]:




Ganglions hilaires et tissu périvasculaire (fig. 12-5): Les conglomérats de petits ganglions lymphatiques normaux des hiles doivent être distingués d’un thrombus mural [110]. En règle générale, ils se présentent sous forme d’hypodensi-tés, parfois calcifiés, de forme triangulaire ou linéaire, et leur épaisseur ne dépasse pas 3 mm. Parfois, quand ils sont hypertrophiés, ils peuvent avoir une apparence plus nodulaire. L’analyse des coupes successives montre le suivi anatomique des densités visualisées ; dans certains cas, une reconstruction dans le grand axe de l’artère peut être nécessaire pour confirmer le siège extravasculaire de l’image. Une autre astuce pour différencier un ganglion d’un thrombus de l’artère adjacente est que la section de la lumière artérielle est asymétrique, déformée par le thrombus, alors que le ganglion la respecte. Toutefois, certaines artères normales peuvent avoir une section transversale asymétrique, lorsqu’elles traversent obliquement le plan de reconstruction. Des ganglions peuvent également comprimer les lumières artérielles, parfois les sténoser. La cartographie ganglionnaire hilaire est donc importante à connaître. Le groupe ganglionnaire prolongeant la portion horizontale de l’artère pulmonaire droite est vu sous l’aspect d’une hypodensité accolée aux bords supérieurs de la convexité, formée par le changement d’orientation horizontale puis verticale de l’artère pulmonaire droite. Il se situe donc à la partie supéro-externe de l’artère interlobaire droite et peut simuler un thrombus mural en cas d’hypertrophie. Une reconstruction bidimensionnelle frontale peut faciliter l’identification. La reconnaissance de l’artère interlobaire opacifiée sur les niveaux de coupes sous-jacents est indispensable.



Au niveau du hile droit, les ganglions hilaires les plus fréquemment rencontrés siègent entre A2 et B2, en dedans ou en dehors de l’artère interlobaire, en dehors de B4 + 5 et de B6, et autour de B7, B8 et B9 + 10. Au niveau du hile gauche, ils sont trouvés plus fréquemment en dehors de A2, de B4 + 5, internes par rapport aux artères interlobaires, internes par rapport à l’artère lobaire inférieure. Il faut noter que des ganglions hilaires calcifiés peuvent être source d’erreur avec des thrombi calcifiés. Seules des coupes sans injection de produit de contraste pourront permettre leur identification précise.


En cas d’insuffisance cardiaque congestive, un œdème péri-vasculaire peut survenir, se traduisant par un anneau hypodense circonférentiel autour d’une artère segmentaire proxi-male, mais ne déformant pas la lumière de cette artère [131].

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Apr 24, 2017 | Posted by in RADIOLOGIE | Comments Off on 12: MALADIE THROMBOEMBOLIQUE PULMONAIRE

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