11: Sclérose en plaques

11 Sclérose en plaques


La sclérose en plaques (SEP) est une maladie du système nerveux central associant une composante autoimmune inflammatoire et une composante neurodégénérative. La part respective de ces deux composantes rend compte des particularités évolutives, associant de façon variable des poussées plus ou moins résolutives et une aggravation progressive du handicap. Les relations entre les deux composantes sont discutées. Il est généralement admis que le processus inflammatoire autoimmun est le fait primitif.


La SEP est plus fréquente chez la femme que chez l’homme, dans un rapport de trois pour deux et ce rapport semble en voie d’augmentation dans certaines populations. Elle débute dans environ 70 % des cas entre 20 et 40 ans, plus tôt dans 10 % des cas, plus tard dans 20 % des cas, très rarement avant 15 ans ou après 50 ans (fig. 11.1).




Neuropathologie


Les lésions les plus apparentes sont les plaques qui correspondent à des plages de démyélinisation. De dimensions très inégales, les plaques siègent dans la substance blanche de l’encéphale et de la moelle. Dans l’encéphale, elles ont une prédilection pour les régions péri-ventriculaires, mais elles peuvent aussi intéresser le centre ovale, le corps calleux, le tronc cérébral, le cervelet. Dans la moelle, elles siègent dans les cordons postérieurs et les faisceaux antéro-latéraux.


La démyélinisation est cantonnée au système nerveux central, respectant la myéline des nerfs périphériques. La fréquence des plaques au sein des nerfs optiques ne contrevient pas à cette règle, puisque ces structures ont une myélinisation de type central.


Disséminées dans l’espace, les lésions sont aussi disséminées dans le temps comme le montre la présence de plaques d’âge différent. À la phase aiguë, la plaque, parfois centrée par une veinule, est le siège d’une activité inflammatoire. La dégradation de la myéline a pour corollaire une prolifération de la microglie, qui prend en charge les débris myéliniques. L’évolution peut se faire vers une remyélinisation partielle : c’est ainsi qu’on interprète certaines plaques d’aspect ombré (shadow-plaques). Les plaques plus anciennes sont caractérisées par le développement d’une gliose astrocytaire et l’extinction de l’inflammation, qui peut cependant être encore visible en périphérie de la lésion, témoignant d’une activité persistante. Ces données concernant l’évolution des lésions résultent de l’interprétation des documents neuropathologiques. La répétition des examens IRM chez un même patient permet d’observer le processus in vivo. Le rehaussement par le gadolinium, qui caractérise les lésions nouvelles, est le principal indice d’évolutivité. Cette prise de contraste est transitoire et n’est pas suivie nécessairement d’une image de démyélinisation permanente.


Les études plus récentes insistent sur deux éléments importants à prendre en compte dans l’évolution de la maladie et la progression du handicap :





Corrélations anatomo-fonctionnelles


L’apparition de nouveaux symptômes définissant une poussée évolutive de la maladie est le corollaire de l’apparition de nouvelles lésions. Les symptômes peuvent être contemporains du processus inflammatoire initial (rupture de la barrière hémocérébrale, œdème), avant même que ne se constitue la démyélinisation.


Plusieurs facteurs peuvent contribuer à la récupération au moins partielle qui succède à la poussée : régression du processus inflammatoire, remyélinisation, récupération d’une capacité de conduction par les axones démyélinisés. En effet, après un épisode de démyélinisation, le rétablissement d’un certain degré de conduction est possible du fait de l’insertion, dans la membrane du segment axonal démyélinisé, d’un nombre anormalement élevé de canaux sodium voltage-dépendants. La précarité de la conduction au sein de ces axones pourrait rendre compte du contraste observé chez certains malades entre une riche symptomatologie fonctionnelle (fatigue, paresthésies…) et la discrétion des signes neurologiques permanents. De même, les manifestations transitoires (amaurose, parésie, voire troubles de la conscience) qui se constituent à la faveur d’une hyperthermie pourraient traduire la labilité de la conduction au sein des foyers de démyélinisation (phénomène d’Utoff).


L’aggravation du handicap au cours de l’évolution est extrêmement variable d’un malade à l’autre, rendant difficile l’établissement d’un pronostic. Deux éléments interviennent dans cette évolution : les poussées dont chacune peut laisser persister un déficit, mais aussi le développement de lésions neurodégénératives qui jouent probablement le rôle principal à la phase d’aggravation progressive (fig. 11.2).




Étude clinique



Modes de révélation


Dans la forme habituelle, rémittente-récidivante, la première poussée revêt des aspects très divers. Le ou les symptômes initiaux, qui peuvent être compatibles avec une lésion unifocale (« syndrome clinique isolé ») ou d’emblée traduire le caractère multifocal de la maladie, s’installent de façon rapidement progressive, en quelques jours. La liste des manifestations initiales ne saurait être exhaustive, car toutes les parties du système nerveux central peuvent être intéressées. Il faut citer en particulier les troubles sensitifs indiquant habituellement une atteinte du système lemniscal, la baisse rapide de l’acuité visuelle d’un œil, les troubles moteurs de type déficitaire ou ataxique, les symptômes traduisant une atteinte du tronc cérébral (diplopie, vertiges, déséquilibre), les troubles génito-sphinctériens.


La fréquence des diverses manifestations cliniques est indiquée dans le tableau 11.I.


Tableau 11.I Fréquence des manifestations cliniques au cours de la SEP



































































  Manifestations initiales Manifestations présentes à un moment quelconque chez au moins 50 % des patients
Fatigabilité 20 % 80 %
Déficit sensitif (cordonal postérieur) 30-50 % 90 %
Névrite optique 16 % 65 %
Troubles de la marche 18 % 50-80 %
Déficit moteur des membres inférieurs 10 % 90 %
Spasticité 10 % 90 %
Ophtalmoplégie internucléaire 17 %  
Nystagmus 20 % 85 %
Vertiges 4-14 % 5-50 %
Ataxie des membres   50 %
Dysarthrie   50 %
Atrophie optique   77 %
Troubles vésicaux 3-10 % 80 %
Troubles génitaux   50-75 %
Troubles cognitifs   70 %


Troubles sensitifs et moteurs


Très fréquents, les troubles sensitifs et/ou moteurs peuvent être en relation avec des lésions siégeant dans la moelle, le tronc cérébral ou les hémisphères cérébraux.



Troubles sensitifs


L’atteinte de la voie lemniscale (cordons postérieurs, lemnisque médian) se traduit par une sensation d’engourdissement, des paresthésies à type de picotement, de fourmillement, de striction, de peau cartonnée. Le signe de Lhermitte, sensation de décharge électrique parcourant le rachis et les membres en réponse à une flexion de la nuque, est évocateur d’une atteinte de la moelle cervicale.


Des douleurs, des paresthésies thermiques traduisent des lésions des voies spino-thalamiques. Lorsqu’une plaque intéresse la zone d’entrée d’une racine, des douleurs et des troubles sensitifs ayant une topographie radiculaire peuvent être observés. De même une plaque intéressant la racine sensitive du trijumeau dans son trajet intra-axial peut être responsable d’une névralgie du trijumeau.


La discrétion des signes sensitifs objectifs contraste avec cette riche sémiologie fonctionnelle Il faut un examen clinique minutieux pour mettre en évidence le dysfonctionnement lemniscal par une diminution de la sensibilité vibratoire, du sens de position, une perte de la discrimination de deux stimulations rapprochées. Néanmoins, il arrive qu’une atteinte sensitive plus sévère donne lieu à des troubles majeurs : la marche peut être franchement ataxique, le membre supérieur échapper au contrôle sous la forme d’une main instable ataxique et astéréognosique. De même, une hypoesthésie thermoalgique peut manifester l’atteinte des voies spino-thalamiques, s’intégrant ou non dans un syndrome de Brown-Séquard.




Troubles résultant d’une atteinte du tronc cérébral


L’atteinte des voies vestibulaires peut se traduire par des vertiges, du déséquilibre et un nystagmus.


L’atteinte de fibres du VIII cochléaire à leur entrée dans le tronc cérébral peut, de façon exceptionnelle, être responsable d’une surdité.


L’atteinte des nerfs oculomoteurs se manifeste par de la diplopie. L’atteinte du VI est plus fréquente que celle du III. Cette dernière est souvent dissociée, la mydriase paralytique étant exceptionnelle. Plus fréquente et plus durable que les paralysies oculomotrices, l’ophtalmoplégie internucléaire se manifeste par une paralysie du droit interne dans les mouvements de latéralité et non dans les mouvements de convergence. Ce phénomène correspond à une lésion de la bandelette longitudinale postérieure. Il est souvent associé à un nystagmus ne battant que sur l’œil en abduction. On peut aussi observer une limitation de la latéralité ou de la verticalité correspondant à une atteinte des voies supranucléaires, se traduisant dans les formes frustes par un nystagmus parétique.


Parmi les autres atteintes des nerfs crâniens, il faut rappeler les troubles sensitifs dans le territoire du trijumeau. Le trajet relativement long des fibres du nerf facial dans le tronc cérébral explique la possibilité d’observer des myokimies faciales, une paralysie faciale de type périphérique, plus rarement un hémispasme facial.


Il est possible aussi d’observer des troubles de la phonation, de la déglutition, des troubles respiratoires, parfois des troubles de la vigilance, voire un coma, notamment à l’occasion d’un épisode hyperthermique.



Névrite optique rétrobulbaire


La névrite optique rétro-bulbaire (NORB) résulte de la constitution d’une plaque de démyélinisation au sein du nerf optique. Elle se manifeste par la baisse rapide, en quelques heures ou quelques jours, de l’acuité visuelle d’un œil en relation avec un scotome central. Assez souvent, le sujet se plaint de douleurs orbitaires accentuées par la mobilisation du globe oculaire.


L’évolution est habituellement favorable. L’acuité visuelle redevient sensiblement normale en quelques semaines en dépit de l’apparition au fond d’œil d’une décoloration durable du champ temporal de la papille. Néanmoins, il arrive que la régression soit incomplète, laissant persister un déficit visuel. Lors de poussées ultérieures une névrite optique peut récidiver du même côté ou intéresser l’autre œil.


En l’absence d’un épisode bruyant de NORB, l’examen du fond d’œil au cours de la SEP peut découvrir une décoloration papillaire témoignant d’une atteinte infraclinique du nerf optique. Une amaurose transitoire survenant à l’occasion d’un état fébrile, voire d’un bain chaud prolongé, démasque une atteinte infraclinique de ce type et n’a pas la signification d’une poussée.


Souvent révélatrice, la NORB peut rester longtemps isolée. Cependant, dans un groupe de névrites optiques en apparence primitives du sujet jeune, la fréquence de la SEP confirmée s’accroît régulièrement pour atteindre trois quarts des cas après dix ou quinze ans.


L’atteinte par la SEP du chiasma et des voies optiques rétrochiasmatiques est plus rare, donnant lieu à des scotomes bilatéraux dont l’analyse peut permettre de localiser la lésion responsable. Toutefois, il faut souligner la rareté de l’hémianopsie latérale homonyme dans la SEP.





Évolution


Deux éléments doivent être pris en compte dans l’évolution : les poussées et la progression du handicap.



Les poussées évolutives


Une poussée est caractérisée par l’apparition rapide de symptômes ou signes neurologiques nouveaux ou par l’aggravation rapide de manifestations préexistantes. La poussée atteint son maximum en quelques heures ou quelques jours, puis les signes se stabilisent. Dans la majorité des cas, la poussée est suivie d’une régression des signes débutant après quelques jours ou quelques semaines. Cette régression peut être totale, mais elle peut être incomplète, laissant persister un handicap résiduel. La poussée ainsi définie doit être distinguée des aggravations transitoires en relation avec un facteur intercurrent tel que l’hyperthermie ou la fatigue.


La fréquence des poussées est variable. Le risque de poussée est plus grand dans les cinq années qui suivent la découverte de la maladie : un malade sur deux rechute dans les deux ans qui suivent la première poussée; trois sur quatre dans les cinq premières années. Les poussées sont souvent en apparence spontanées, mais leur survenue est parfois favorisée par un événement tel qu’un traumatisme, une vaccination ou surtout une infection intercurrente. La question du rôle des vaccinations a donné lieu à de nombreuses discussions. Dans l’état actuel des connaissances :


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May 23, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 11: Sclérose en plaques

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