11: Pathologies du liquide amniotique

Chapitre 11


Pathologies du liquide amniotique



11.1


Hydramnios




Introduction


L’hydramnios peut résulter de deux mécanismes différents : une augmentation de production du liquide amniotique, une diminution de réabsorption du liquide, et parfois même d’une combinaison des deux. Ces anomalies de la régulation du volume du liquide amniotique sont liées à des pathologies fœtales malformatives ou à une pathologie maternelle. Dans certains cas, aucune de ces pathologies n’est retrouvée et l’hydramnios est dit « idiopathique ». Ces hydramnios inexpliqués sont la majorité des hydramnios [1, 2]. Le premier écueil dans le diagnostic d’hydramnios est de réaliser une mesure correcte de la quantité de liquide amniotique qui sera surestimée par des opérateurs peu expérimentés. Une recherche exhaustive des causes de l’hydramnios devra ensuite être entreprise afin de déterminer la conduite à tenir.



Physiopathologie


Le volume amniotique augmente progressivement au cours de la grossesse. Il est d’environ 150 mL vers 16 SA et atteint 1 000 mL vers 32 SA. Il décroît ensuite vers 40 SA. En début de grossesse, le liquide amniotique est essentiellement lié aux échanges se produisant à travers la peau fœtale. À partir de 14 SA, le rein fœtal commence à réabsorber le sodium et sécrète des petites quantités d’urine. Ensuite, à partir de 18–20 SA, le volume amniotique dépend d’une balance entre production et élimination.


Le mécanisme de production et de réabsorption du liquide amniotique fait intervenir principalement le fœtus, mais également les annexes fœtales [3]. Il existe six voies différentes de régulation du liquide amniotique : la diurèse fœtale, la déglutition fœtale, les sécrétions orales, les sécrétions de l’arbre respiratoire, les transferts à travers le placenta, le cordon ombilical et la peau fœtale et les transferts à travers les membranes fœtales.






Diagnostic



Diagnostic clinique


En pratique, on distingue l’hydramnios aigu survenant brutalement de l’hydramnios chronique s’installant insidieusement.


L’hydramnios aigu se caractérise par une installation rapide et une mauvaise tolérance maternelle. Il peut survenir au 2e ou au 3e trimestre. Les signes cliniques comprennent une gêne abdominale allant jusqu’à des douleurs insomniantes et une intolérance au décubitus voire une dyspnée. Des contractions utérines sont retrouvées, réalisant un tableau de menace d’accouchement prématurée. À la palpation abdominale, l’utérus est tendu et douloureux, la présentation est difficilement palpable. Le signe du glaçon traduit la mobilité excessive des pôles céphaliques et pelviens du fœtus à leur palpation. Les mouvements actifs fœtaux sont le plus souvent non ressentis.


L’hydramnios chronique se constitue de manière progressive et survient souvent plus tardivement. La clinique est plus discrète avec une simple gêne abdominale, une pesanteur pelvienne et une diminution de la perception des mouvements actifs fœtaux. L’examen clinique retrouve une augmentation de la hauteur utérine et il peut exister également des contractions utérines. Il peut être à l’origine de menace d’accouchement prématurée.



Diagnostic échographique


La détermination précise de la quantité de liquide amniotique est basée sur une technique de dilution colorimétrique faisant appel à la dilution d’un colorant dans le liquide amniotique puis de la mesure de sa dilution par des amniocentèses répétées. Il a été montré que cette technique reflétait précisément la quantité de liquide amniotique à un instant t mais pouvait varier rapidement [9]. Cette technique n’est donc pas applicable en clinique humaine mais elle a été corrélée à des techniques non invasives comme la mesure échographique [10].


L’échographie est une méthode non invasive qui permet une évaluation de la quantité de liquide amniotique.



Méthode subjective (figure 11.1)


La première méthode d’évaluation échographique du liquide amniotique est subjective. Les échographistes expérimentés sont capables de faire un diagnostic d’excès de liquide ou d’hydramnios sur leur impression clinique lors de l’échographie. Les citernes amniotiques paraissent trop larges avec l’impression d’un fœtus qui « nage librement » dans la cavité amniotique. Cette méthode est réservée aux opérateurs ayant une certaine pratique, notamment entre 28 et 32 SA où la quantité de liquide atteint son maximum avec un fœtus occupant proportionnellement moins de place.



Les deux méthodes les plus utilisées sont semi-quantitatives et les valeurs pathologiques ont été établies à partir des fréquences des complications en per- et néonatal chez les nouveau-nés.



Mesure de la plus grande citerne (figure 11.2)


La méthode de Chamberlain et al. [11] mesure la profondeur (diamètre vertical) de la plus grande citerne de liquide amniotique, testée sur 7 562 grossesses. En pratique, il faut :




Quatre grades sont définis dans cette méthode :




Mesure de l’index amniotique (figure 11.3)


La deuxième est celle de Phelan et al. [1215] : ils divisent l’utérus en quatre quadrants à partir de deux droites perpendiculaires au niveau de l’ombilic. Les quatre hauteurs verticales des poches de liquide les plus profondes sont mesurées et additionnées.



En pratique :



Cinq groupes sont définis dans cette méthode en fonction de l’index amniotique mesuré :




Calcul du percentile des mesures


Il existe également des courbes permettant de calculer le percentile de la quantité de liquide et de la plus grande citerne [16]. L’avantage de ces courbes est d’apprécier la quantité de liquide amniotique en fonction du terme de la grossesse et non pas sur la seule valeur absolue mesurée (figures 11.4 et 11.5).




Il a été montré que ces méthodes d’évaluation du liquide amniotique étaient fiables pour prédire une quantité de liquide normale. En revanche, la précision dans le diagnostic d’hydramnios quelle que soit la méthode est faible (entre 33 et 46 %) [14]. En fait, la quantité de liquide amniotique est souvent surestimée en cas d’hydramnios. Une étude récente de la littérature, au travers de quatre essais randomisés a comparé la mesure de la plus grande citerne et de l’index amniotique dans le dépistage de l’oligoamnios pour prédire une issue défavorable [15]. La conclusion est que la mesure de la plus grande citerne dans l’évaluation de la quantité de liquide amniotique semble plus adéquate car la mesure de l’index amniotique augmente le taux de faux positif d’oligoamnios et le taux de déclenchement du travail sans augmentation de l’issue néonatale.


Ces méthodes semi-quantitatives permettent, plus que le diagnostic, la surveillance de l’évolution de la quantité de liquide amniotique.


En pratique, il semble donc raisonnable d’utiliser les courbes en fonction de l’âge gestationnel et probablement celle de la mesure de la grande citerne qui est moins assujettie à des erreurs techniques.



Étiologies



Causes maternofœtales



• Un diabète : l’hydramnios est classiquement la complication d’un diabète mal équilibré mais pas toujours. Dans ce cas, l’hydramnios est lié à une augmentation de la diurèse fœtale.


• Une myasthénie maternelle : un interrogatoire et un examen clinique soigneux à la recherche de petits signes cliniques de myasthénie doivent être réalisés. Un dosage des anticorps anti-récepteurs à l’acétylcholine et anti-musc doit être demandé.


• L’allo-immunisation fœtomaternelle et d’autres causes d’anémie fœtale sont à l’origine du même tableau comme l’infection à parvovirus B19, les hémorragies fœtomaternelles et les thalassémies homozygotes.


• Infections congénitales : toute infection à cytomégalovirus, toxoplasmose, parvovirus B19, syphilis, Herpes et varicelle peut s’accompagner d’un hydramnios et d’une anasarque non immunitaire. Cependant, cette association n’est pas fréquente. Elles sont responsables chez le fœtus de troubles hémodynamiques divers responsables de l’hydramnios.



Malformations ou pathologies congénitales


Il n’est pas nécessaire de dresser une liste des malformations pouvant donner lieu à un hydramnios, mais il faut comprendre les mécanismes responsables de l’excès de liquide amniotique :



• garder à l’esprit que l’hydramnios peut être le signe annonciateur d’un anasarque quelle que soit son origine, compressive (malformation adénomatoide du poumon, hydrothorax) ou par effet shunt (tératome sacro-coccygien) ;


• obstacle sur le tube digestif : toute malformation responsable d’un obstacle sur le tube digestif peut générer un hydramnios : l’atrésie digestive ou de l’œsophage. Les malformations gastro-intestinales (40 %) sont les malformations les plus souvent retrouvées en cas d’hydramnios. Les obstacles hauts (atrésie de l’œsophage ou du duodénum) entraînent rapidement un hydramnios alors que les obstructions plus distales (atrésies jéjuno-iléales) n’entraînent pas systématiquement l’hydramnios ;


• compression du tube digestif : tumeur thoracique ou cervicale ou une hernie de coupole diaphragmatique ;


• compression et insuffisance cardiaque : tumeur thoracique ou cardiaque, trouble du rythme cardiaque ;


• effet shunt par l’existence d’anastomoses artério-veineuses : tératome sacro-coccygien, anévrysme de la veine de Gallien, tumeur placentaire ;


• anomalies de la déglutition d’origine neurologique ou musculaire : des malformations du système nerveux central (26 %) comme l’anencéphalie. Le syndrome de Pena-Shokeir I [16] ou la maladie de Steinert [17] sont à l’origine de troubles de la déglutition accompagnant un immobilisme fœtal. Des lésions de la corne antérieure de la moelle doivent être recherchées en cas d’immobilisme sevère ;


• une augmentation de la diurèse : la principale étiologie étant le syndrome de Bartter [18] responsable d’un hydramnios majeur, précoce et récidivant ou le diabète insipide.


Dans tous les cas, devant un hydramnios il faut réaliser un caryotype. Certaines anomalies comme la trisomie 13,18 ou 21 peuvent s’accompagner d’anomalie morphologiques responsables d’hydramnios et il a été rapporté jusqu’à 10 % d’anomalies chromosomiques en cas d’anomalie échographique mais dans 1 % des cas l’échographie a été considérée normale [19]. Une recherche de syndrome de Prader-Willi doit être réalisée devant l’association d’un retard de croissance modéré, de mouvements actifs fœtaux peu nombreux et d’un hydramnios.



Hydramnios idiopathiques (60 %)


Malgré une enquête étiologique complète, 60 % des hydramnios sont actuellement considérés comme inexpliqués dans la littérature [1, 2]. Le rendement du bilan étiologique augmente avec la gravité de l’hydramnios, ce qui suggère qu’un certain nombre d’hydramnios sont diagnostiqués à tort. Un poids fœtal supérieur en cas d’hydramnios par rapport aux fœtus avec une quantité normale de liquide amniotique, suggérant qu’un certain nombre de ces hydramnios étaient liés à une macrosomie fœtale. Il est en conséquence important de vérifier l’estimation de poids fœtale dans le bilan étiologique, particulièrement en cas d’hydramnios idiopathique modéré.




Conduite à tenir (figure 11.6)



Bilan


Le bilan est à adapter à chaque situation :




Au décours de ce bilan, dans 60 % des cas, aucune étiologie ne pourra être retenue.



Traitement symptomatique



Amniodrainage


C’est le traitement actuellement le plus utilisé. Il existe des anomalies de la pression amniotique ainsi qu’une altération des Doppler ombilicaux, réversibles après décompression dans les cas d’hydramnios très sévères [21, 22]. Le retrait de l’excès de liquide amniotique permet en outre une diminution, voire une disparition des signes de compression maternelle et des risques d’accouchement prématuré. Il est recommandé de réaliser un drainage à débit modéré pour retirer un maximum de liquide amniotique de manière progressive sans dépasser 3 litres de liquide amniotique au cours d’un amniodrainage. Une aiguille de 14 à 18 Gauge est introduite dans la cavité amniotique sous contrôle échographique. Une tocolyse de principe est prescrite avant, pendant et après la ponction. De plus, l’activité cardiaque fœtale doit être systématiquement contrôlée à l’aide d’une échographie avant et après le geste.



Anti-inflammatoires non stéroïdiens


Il a été proposé l’utilisation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) comme l’Indocid®. Le traitement agit sur la diurèse fœtale qui diminue ou qui est interrompue, ainsi que sur la production de liquide pulmonaire. La surveillance de la diurèse est indispensable [23]. Cependant, ce traitement comporte des risques certains pour le fœtus et le nouveau-né à type de fermeture prématurée, dès la 27e semaine d’aménorrhée, du canal artériel responsable d’une hypertension pulmonaire, d’insuffisance rénale transitoire, d’inhibition de l’agrégation des plaquettes et de nécrose ischémique de l’intestin grêle. L’utilisation de ce traitement doit être limitée et réservé à certaines étiologies : syndrome transfuseur/transfusé, syndrome de Bartter.



Traitement étiologique


Il sera adapté aux résultats du bilan étiologique et à la gravité de l’hydramnios, notamment sur le plan de la tolérance maternelle.


En cas de pathologie sévère et non curable, il est licite de discuter une interruption médicale de la grossesse. En cas de malformation de bon pronostic, le traitement est symtomatique avec pour but d’atteindre la période de viabilité fœtale (maturité pulmonaire acquise). La voie d’accouchement est fonction du type de malformation et des conditions obstétricales. Le point essentiel est un transfert dans un centre comportant un service de chirurgie pédiatrique assurant la prise en charge immédiate du nouveau-né.


En cas d’hydramnios idiopathique, le traitement est symptomatique avec des amniodrainages itératifs et une surveillance échographique régulière. Il est important d’en suivre l’évolution afin d’éviter un accouchement prématuré. Dans le cas d’un hydramnios sévère et/ou récidivant, il faut s’acharner à ne pas passer à côté d’une malformation à l’échographie [24]. Pour les hydramnios précoces, sévères, récidivant et nécessitant plusieurs amniodrainages, le pronostic est incertain pouvant dans certain cas faire discuter une IMG.



Voie d’accouchement


Dans le cas d’un accouchement par les voies naturelles, il existe un risque augmenté de complications :



• procidence du cordon et présentations fœtales dystociques ;


• hématome rétroplacentaire par rétraction trop brutale du myomètre après vidange trop rapide sont les complications les plus sévères ;


• dystocie dynamique, elle doit être évitée par une drainage avant ou en tout début de travail ;


• exceptionnellement au cours de l’expulsion, un choc maternel peut survenir, il relève soit du choc a vacuo, soit de l’embolie amniotique dont la survenue peut être favorisée par l’hyperpression du liquide amniotique ;


• survenue d’une hémorragie de la délivrance par inertie utérine est très fréquente et liée à la surdistension utérine majorée en cas de macrosomie associée. Une délivrance dirigée doit être systématiquement réalisée, ainsi qu’une surveillance stricte au décours de l’accouchement. Le drainage avant le travail doit limiter cette complication.

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Aug 1, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 11: Pathologies du liquide amniotique

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