2: Anomalies cervicales

Chapitre 2


Anomalies cervicales



2.1


Conduite à tenir devant une masse cervicale



Les tumeurs cervico-faciales du fœtus n’étaient bien souvent découvertes qu’en périnatal, dans un contexte d’urgence de prise en charge d’une dystocie et de gestes de réanimation. Actuellement, 60 % d’entre elles (tout dépend de leur volume) sont découvertes au cours du suivi de la grossesse, le plus souvent à l’échographie du 2e ou 3e trimestre ou lors d’une échographie réalisée devant la suspicion d’un hydramnios.


La nature et la localisation de la tumeur vont permettre d’orienter le diagnostic. Ces tumeurs ont en commun un certain nombre d’éléments. L’évaluation pronostique repose sur l’extension de la masse et son retentissement sur les organes de voisinage déterminés par l’échographie et l’IRM. L’existence d’un excès de liquide laisse supposer une compression laryngo-trachéale ou digestive supérieure et représente un élément péjoratif car à l’anomalie vient s’ajouter le risque de prématurité et de difficulté de libération des voies aériennes à la naissance. La zone d’extension tumorale, notamment dans les régions oropharyngées, médiastinales et basilinguales sera évaluée car source de complications respiratoires et élément du pronostic à plus longue échéance.


Un caryotype sera réalisé en fonction du contexte, s’il existe des anomalies associées ou si le dépistage de la trisomie 21 n’a pas été réalisé ou réalisé de façon non conforme aux recommandations actuelles. Le principe de la prise en charge périnatale repose sur l’anticipation des complications possibles : évacuation de liquide amniotique, tocolyse, maturation pulmonaire, surveillance dans la crainte d’une hémorragie intratumorale, d’une décompensation cardiaque (rare et seulement en cas de tumeur très vascularisée). L’enfant est le plus souvent extrait par césarienne si le plus grand diamètre de la masse est supérieur à 7 cm ou si la tête de l’enfant est défléchie. La prise en charge doit être organisée dans un centre qui permet la présence d’un ORL sur place au moment de l’accouchement afin d’assurer la possibilité d’une intubation sous fibroscopie ou d’une trachéotomie d’urgence. C’est dans ces formes que certaines équipes ont proposé et réalisé la technique de l’EXIT (EX utero Intrapartum Treatment). Lors de la césarienne, le cordon ombilical n’est pas sectionné immédiatement afin de permettre le maintien de la circulation fœto-placentaire pendant la libération des voies aériennes fœtales.



Lymphangiomes (figures 2.1 et 2.2)


Ces tumeurs sont typiquement anéchogènes ou hypoéchogènes avec de multiples cloisons fines qui séparent des logettes de taille variable. Ces tumeurs ont parfois un aspect macrokystique uniloculaire et plus rarement sont mixtes avec quelques zones hypoéchogènes (hémorragies). Le codage couleur est pauvre. Le pronostic des lymphangiomes est fonction de leur position, de leur taille, de leur croissance in utero, et de leur extension avec risque d’envahissement de l’axe aérodigestif. Ces tumeurs présentent un potentiel d’infiltration important. Le rapport avec les voies aériennes est difficile à apprécier directement (compression ou le plus souvent infiltration ?). L’hydramnios est un signe indirect de compression. On cherchera à préciser la localisation, regarder s’il existe un envahissement des axes vasculaires et de la base de langue. Une grosse langue protruse peut être un signe indirect d’envahissement. Le caractère sus- ou sous-hyoïdien est un élément pronostique majeur, sa caractérisation échographique est difficile et est plutôt évaluée par rapport au plan mandibulaire. L’envahissement de la base de langue, de la mandibule, du visage, des loges parotidiennes et/ou du thorax, ainsi que la taille importante de la masse et son aspect bilatéral sont également des facteurs de mauvais pronostic. Exceptionnellement, le lymphangiome peut s’étendre au creux axillaire et au membre supérieur, il existe aussi des localisations multiples d’où la nécessité d’un bilan échographique complet. L’appréciation de l’extension est délicate car évolutive et parfois rapidement au 3e trimestre. La consultation avec le chirurgien ORL est primordiale, celui-ci explique le devenir du fœtus, la prise en charge à la naissance et le risque vital en cas d’intubation difficile. Il explique également les séquelles prévisibles chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte jeune. « C’est la demande prioritaire des parents mais aussi la plus difficile à formuler en particulier lorsque l’on sait que la tumeur sera d’exérèse totale impossible et potentiellement évolutive sur plus de 15 ans (c’est le cas des lymphangiomes plurikystiques et capillaires). Le médecin ORL ne peut se baser que sur son expérience en formulant la situation la plus probable mais sans pouvoir taire les extrêmes, en tentant alors de faire passer le message de la différence entre le rare et le grave » (Pr Manach). Une interruption de grossesse peut être discutée pour les cas les plus graves s’il est établi que l’enfant présente une forte probabilité de présenter des séquelles fonctionnelles majeures, c’est-à-dire d’être trachéotomisé, de nécessiter une stomie et de présenter des séquelles esthétiques majeures. La consultation ORL est souvent demandée en urgence devant la découverte de la malformation en raison d’un hydramnios.




Si un accouchement est organisé, on évitera de ponctionner les kystes et préfèrera la réalisation d’une hystérotomie verticale si nécessaire.


Les diagnostics différentiels sont en fonction de la localisation, les kystes branchiaux, les gros hygromas kystiques, les méningo-encéphalocèles.



Tératomes (figures 2.3 et 2.4)


La localisation ORL des tératomes représente 3 à 7 % des tératomes. Ils se situent sur la ligne médiane le plus souvent aux dépens de la thyroïde. Ils peuvent se situer dans la zone antérieure ou antéro-latérale du cou généralement asymétrique et unilatéral. Ces tumeurs sont échogènes et souvent mixtes, hétérogènes. La vascularisation est présente à la base de la masse. Elle est de type artériel. La survenue d’un effet shunt dans cette localisation des tératomes est rare mais doit être redoutée. Les tératomes sont mieux limités que les lymphangiomes. Les complications sont les mêmes que celles des tératomes sacro-coccygiens : la croissance, la vascularisation et la différenciation. La compression est la complication la plus fréquente à l’origine d’un hydramnios (plus fréquent que dans les lymphangiomes) ; néanmoins, il faut rechercher un envahissement des tissus adjacents avec en particulier un envahissement médiastinale et/ou vasculaire. Certains cas de tératomes géants peuvent être associés à une hypoplasie pulmonaire qui est responsable du décès de l’enfant même si les voies aériennes sont sécurisées [1].






Sténose trachéale


Il ne s’agit pas précisément d’une masse cervicale, mais son diagnostic doit être fait en prénatal en raison du mauvais pronostic de cette pathologie. Elle est responsable de ce que les Anglo-Saxons appellent le « congenital high airway obstruction syndrome » (CHAOS) qui peut avoir d’autres causes comme une tumeur compressive cervicale. Elle se présente comme la sténose ou l’atrésie laryngée par une augmentation bilatérale de la taille des poumons qui ont un aspect hyperéchogène et la visualisation inhabituelle de l’axe trachéobronchique. Cet aspect est dû à l’augmentation de la quantité de liquide intrapulmonaire sécrété par les pneumocytes II et qui ne peut pas sortir des poumons en raison de l’obstruction. C’est un diagnostic très rare du 2e trimestre de la grossesse. Même isolée, cette pathologie présente un pronostic réservé en raison de l’apparition d’une anasarque in utero et de la difficulté de la prise en charge post-natale. Quelques publications rapportent des traitements in utero consistant en une levée de l’obstruction, mais ces cas restent anecdotiques et éthiquement discutables. La technique EXIT permet la trachéotomie immédiate de ces enfants à la naissance, mais le pronostic fonctionnel pulmonaire n’est pas bon [3].



Prise en charge post-natale


Les enjeux à la naissance sont la perméabilité des voies aériennes (l’ORL doit être présent en salle de naissance) et à distance les séquelles fonctionnelles et esthétiques. Ces risques dépendent de la nature histologique de la masse et de ses extensions. Pour les tératomes, s’il existe un pédicule vasculaire à haut débit, les risques d’hémorragies peropératoires sont importants. En postopératoire, les risques sont la paralysie récurentielle uni-ou bilérale et une hypothyroïdie pour les tératomes infiltrant la thyroïde. Un traitement substitutif à vie peut être nécessaire dans ces cas.


Pour les lymphangiomes, les risques sont les saignements itératifs dans les atteintes microkystiques pelvilinguales et les séquelles esthétiques en cas d’atteinte faciale et/ou mandibulaire.


La nécessité de réaliser une technique EXIT est discutée au cas par cas. L’existence d’un hydramnios signe la compression des voies digestives et le plus souvent des voies aériennes mais ne signifie pas qu’il existe un envahissement de ces structures. En cas d’hydramnios important et/ou de signe d’envahissement évident, il est possible d’envisager l’EXIT. C’est une procédure lourde qui nécessite une anésthésie générale pour la mère et comporte des risques d’hémorragie en raison de la nécessité de maintenir une relaxation utérine afin d’éviter le décollement placentaire. Cependant, les cas pour lesquels l’EXIT est envisagée sont souvent les cas de plus mauvais pronostic fonctionnel pour lesquels une IMG est envisageable [4]. Dans les autres cas, la présence d’un ORL en salle de naissance est suffisante à la prise en charge de ces enfants. Pour les tératomes, une exérèse chirurgicale est programmée plus ou moins rapidement après la naissance selon le volume de la masse et sa localisation.


Le traitement des lymphangiomes comprend une chirurgie ou une sclérose in situ pour les formes macrokystiques. Pour les formes microkystiques, une chirurgie ou sclérose in situ bien souvent partielle peut être réalisée. Un traitement au laser sur les lésions microkystiques pelvi-lingual hémorragiques est possible.



Références



[1] Liechty, K. W., Hedrick, H. L., Hubbard, A. M., Johnson, M. P., Wilson, R. D., Ruchelli, E. D., et al. Severe pulmonary hypoplasia associated with giant cervical teratomas. J Pediatr Surg. 2006; 41:230–233.


[2] Enjolras, O., Wassef, M., Mazoyer, E., Frieden, I. J., Rieu, P. N., Drouet, L., et al. Infants with Kasabach-Merritt syndrome do not have “true” hemangiomas. J Pediatr. 1997; 130:631–640.


[3] Kohl, T., Hering, R., Bauriedel, G., Van de Vondel, P., Heep, A., Keiner, S., et al. Fetoscopic and ultrasound-guided decompression of the fetal trachea in a human fetus with Fraser syndrome and congenital high airway obstruction syndrome (CHAOS) from laryngeal atresia. Ultrasound Obstet Gynecol. 2006; 27:84–88.


[4] Bouchard, S., Johnson, M. P., Flake, A. W., Howell, L. J., Myers, L. B., Adzick, N. S. Crombleholme 426. TM. The EXIT procedure : experience and outcome in 31 cases. J Pediatr Surg. 2002; 37:418.

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Aug 1, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 2: Anomalies cervicales

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access