Chapitre 11
Lymphome de Hodgkin
Définition: Le lymphome de Hodgkin, anciennement appelé maladie de Hodgkin, fait partie des lymphomes à lymphocytes B. Il se caractérise par une cellule néoplasique typique, la cellule de Hodgkin-Reed-Sternberg (HRS), par un type d’évolution naturelle particulier, et plus important, par une excellente réponse au traitement, la plupart des patients pouvant être guéris. Sa prise en charge, qui requiert une coopération multidisciplinaire étroite, sert de paradigme pour l’application réussie des concepts oncologiques modernes. Une chimiothérapie très efficace est la pierre angulaire du traitement. Des patients bien sélectionnés peuvent requérir en plus une radiothérapie ou, si le lymphome récidive après un premier traitement, une radiochimiothérapie à haute dose suivie d’une autogreffe de cellules souches hématologiques (HDC/HSCT). Le défi actuel pour les cliniciens qui traitent ce cancer est de guérir la maladie tout en minimisant la toxicité à long terme.
Épidémiologie: L’incidence du lymphome de Hodgkin dans le monde varie considérablement. Les taux sont les plus élevés aux États-Unis, au Canada, en Suisse et au nord de l’Europe. Ils sont intermédiaires dans le sud et l’est de l’Europe, alors qu’ils sont faibles dans l’est de l’Asie. Aucune explication claire à cette variation d’incidence n’a été trouvée. Les facteurs hypothétiques en cause pourraient différer en fonction de l’âge d’apparition et dépendre du génotype d’un virus d’Epstein-Barr (EBV) que l’on associe à l’affection. D’aucuns pensent que la promiscuité durant l’enfance dans un contexte socioéconomique médiocre favoriserait la transmission d’un vecteur infectieux encore inconnu. Il est possible aussi que la susceptibilité dépende de différences génétiques.
Physiopathologie: La cause de la maladie de Hodgkin reste incertaine. Ce lymphome n’est pas associé à l’exposition aux rayonnements, à des produits chimiques ou à des agents biocides ; elle n’est pas plus fréquente parmi le personnel de santé ou chez sujets qui ont subi une amygdalectomie. Le principal suspect reste l’EBV, sur la base de donnée suggestives, mais qui ne constituent pas une preuve définitive.
Virus d’Epstein-Barr: L’EBV est un herpèsvirus dont la cible est le grand lymphocyte B. Environ 90 % de la population en général ont été infectés par l’EBV lorsqu’ils arrivent à l’âge adulte. Dans les pays en développement, ce sont habituellement les enfants qui sont infectés, alors que dans les pays développés, les adolescents sont plus souvent atteints ; dans près de 30 % de nouveaux cas, l’infection se manifeste par une mononucléose infectieuse. Les antécédents de cette maladie augmentent de trois fois la probabilité de développement d’un lymphome de Hodgkin. Des anticorps dirigés contre l’antigène de la capside virale atteignent des niveaux plus élevés chez les patients atteints d’un lymphome de Hodgkin que chez les témoins, et ces titres plus élevés apparaissent plusieurs années avant le néoplasme. Des études d’hybridation in situ ont démontré que les cellules de HRS, dans environ 50 % des cas de lymphome de Hodgkin, contiennent de petits ARN codés par l’EBV (EBER), et dans ces cas, pratiquement toutes les cellules de HRS sont positives pour le virus. Le génome d’EBV est amplifié 50 fois ou plus dans les cellules de HRS et est monoclonal dans les cellules HRS d’un même patient. Dans certaines populations, pratiquement tous les cas de lymphome de Hodgkin sont porteurs de l’EBV, mais dans les pays développés, jusqu’à 50 % des patients n’ont pas l’EBV dans leurs cellules de HRS. Ainsi, bien que l’EBV puisse jouer un rôle important dans le développement de la maladie de Hodgkin, cette implication n’est ni évidente ni universelle.
Facteurs génétiques: La preuve circonstancielle d’une contribution génétique à l’étiologie de la maladie de Hodgkin provient d’études montrant que la maladie de Hodgkin est presque 100 fois plus susceptible de se développer chez le jumeau monozygote d’une personne atteinte qu’entre jumeaux dizygotes. Des parents au premier degré d’une personne atteinte de la maladie ont jusqu’à un risque cinq fois plus élevé de développer le lymphome. Il est possible que des individus génétiquement prédisposés réagissent différemment à l’EBV, ce qui augmenterait le risque de développer un néoplasme lymphoïde.
Manifestations cliniques: Le lymphome de Hodgkin se manifeste habituellement par des adénopathies, généralement dans la région cervicale, axillaire ou médiastinale, et seulement dans 10 % des cas environ dans un site sous-diaphragmatique. Bien que les ganglions périphériques atteignent rarement une grande taille, des masses médiastinales volumineuses ou, moins souvent, rétropéritonéales peuvent se développer sans grands symptômes. L’envahissement ganglionnaire en cas de lymphome de Hodgkin est généralement indolore, mais parfois le patient peut ressentir une gêne dans les sites ganglionnaires concernés immédiatement après consommation d’alcool.
Diagnostic: Le diagnostic de lymphome de Hodgkin est fondé sur l’identification des cellules de HRS (fig. 11-1) ou des cellules de Hodgkin (ou les deux) dans un contexte cellulaire approprié sur des coupes de tissu ganglionnaire ou provenant d’un organe extralymphatique, comme la moelle osseuse, un poumon ou un os. Une aspiration à l’aiguille fine n’est pas suffisante pour le diagnostic de la maladie de Hodgkin. Une biopsie à ciel ouvert et une coloration histochimique classique sont nécessaires au diagnostic et à l’identification sans équivoque du sous-type histologique. L’immunohistochimie peut s’avérer utile dans les cas difficiles ou pour la distinction de sous-types particuliers comme le lymphome de Hodgkin classique riche en lymphocytes et le lymphome nodulaire à prédominance lymphocytaire. Dans le lymphome de Hodgkin classique, les grandes cellules de HRS dispersées dans le tissu sont multinucléées ou ont un grand noyau polyploïde. On peut aussi observer des cellules mononucléées, similaires aux cellules habituelles polylobées ou multinucléées, mais dont le seul gros noyau contient un nucléole prédominant, ainsi que des cellules lacunaires, qui sont des variantes des cellules de HRS à cytoplasme abondant dont la rétraction est un artefact dû à la fixation au formol. Les rares cellules de HRS sont généralement mélangées à des lymphocytes polyclonaux, à des éosinophiles, des neutrophiles, des plasmocytes, des fibroblastes et des histiocytes. Récemment, on a montré que la présence de nombreux macrophages signifiait une résistance plus forte au traitement. Parfois, des granulomes se forment avec une contribution histiocytaire importante.
Fig. 11-1 Lymphome hodgkinien de type sclérose nodulaire.
Ce cliché illustre un cas typique de la forme classique du lymphome avec sclérose nodulaire. On constate la présence des nombreuses cellules lacunaires, quelques cellules pathognomoniques de Hodgkin-Reed-Sternberg dans un environnement caractéristique de lymphocytes et d’éosinophiles. (Microphotographie du Dr Randy D. Gascoyne, British Columbia Cancer Agency.)
Le lymphome de Hodgkin peut généralement être classé dans l’un des cinq sous-types bien décrits (tableau 11-1). La reproductibilité des distinctions entre ces sous-types a été confirmée par la classification actuelle des néoplasmes lymphoïdes, largement acceptée, proposée par l’Organisation mondiale de la Santé. Avec l’ajout de la nouvelle catégorie de lymphome de Hodgkin classique riche en lymphocytes, ce système récent de classification permet l’identification fiable du lymphome de Hodgkin nodulaire à prédominance lymphocytaire comme entité distincte. Le sous-type le plus courant est le nodulaire sclérosant, qui présente des bandes caractéristiques de sclérose entourant des nodules composés des cellules typiques de HRS mélangées habituellement à d’autres cellules réactives et inflammatoires.
Tableau 11-1
Classement des sous-types de lymphome de Hodgkin par l’Organisation mondiale de la santé
*Fréquence fondée sur tous les nouveaux cas (N = 1043) observés en Colombie britannique depuis janvier 1998, date à laquelle la catégorie de lymphome de Hodgkin classique riche en lymphocytes a été bien établie.
L’immunophénotype des cellules néoplasiques dans la maladie de Hodgkin permet l’identification de sous-types particuliers. Typiquement, les cellules de HRS sont porteuses de CD30 (80 à 100 % des cas), de CD15 (75 à 85 % des cas) et de BSAP (B-cell-specific activating protein), le produit du gène PAX5 (> 90 % des cas). Souvent, pourtant, seule une minorité de cellules malignes sont positives pour les marqueurs CD15 et BSAP. CD20, un marqueur généralement fiable de la lignée lymphocytaire B, est positif dans 40 % des cas de lymphome de Hodgkin classique, mais en général seulement dans une minorité de cellules, et la coloration peut être faible. En revanche, le lymphome de Hodgkin nodulaire à prédominance lymphocytaire est presque toujours fortement positif pour CD20 et pour les marqueurs spécialisés des lymphocytes B, CD79a et CD45, mais il est négatif pour CD30 et CD15. Enfin, le lymphome à grandes cellules anaplasiques (chapitre 10) est négatif pour CD15, CD20, CD79a, mais souvent positif pour ALK (anaplastic lymphoma kinase).
Diagnostic différentiel: Selon le site d’origine et les symptômes associés, le diagnostic différentiel de la maladie de Hodgkin doit pouvoir distinguer le lymphome de Hodgkin d’un lymphome non hodgkinien (chapitre 10), de tumeurs des cellules germinales (chapitre 25), d’un thymome, de la sarcoïdose et de la tuberculose. Cependant, le diagnostic spécifique est posé facilement par un hématopathologiste expérimenté auquel une biopsie sera confiée. Un tel prélèvement au début de la prise en charge d’un patient porteur d’adénopathies, en particulier médiastinales, permet souvent de gagner du temps, d’éviter les examens inutiles et de poser un diagnostic précoce.
Avec la tomodensitométrie (TDM) et des procédés biopsiques adéquats donnant accès à des ganglions hypertrophiques thoraciques ou abdominaux, le diagnostic de lymphome de Hodgkin s’avère rarement difficile. L’immunophénotypage permet de distinguer la maladie de Hodgkin d’autres maladies. Par exemple, le lymphome à cellules B riche en cellules T (chapitre 10) se distingue d’un lymphome de Hodgkin classique en étant CD30 et CD15 négatif, mais positif pour CD20 et CD45. Cependant, il peut ressembler au lymphome de Hodgkin (chapitre 10) nodulaire à prédominance lymphocytaire parce que les affections sont négatives pour CD30 et CD15, mais positives pour CD45. Pour les distinguer, il faut alors se concentrer sur l’aspect histologique des cellules néoplasiques. En fait, la combinaison de l’immunohistopathologie pratiquée par un hématopathologiste compétent et de l’examen clinique a pratiquement éliminé les difficultés du diagnostic différentiel. Les problèmes surviennent surtout lorsque l’on ne dispose pour le diagnostic que de prélèvements incorrects ou mal préparés.