Chapitre 11. L’anxiolyse et le système sérotoninergique
INTRODUCTION
L’acide lysergique diéthylamide (LSD), lui, fut découvert peu avant que la présence de sérotonine ne fut décelée dans le cerveau. On trouva de grandes similitudes structurelles entre les deux substances. Ceci éveilla, en ce début de l’ère psychopharmacologique, un grand intérêt pour le rôle que la sérotonine pourrait jouer dans les maladies mentales [23–25]. Mais malgré cela, la sérotonine disparut du paysage durant plus de 20 ans suite à l’émergence, en 1965, de l’hypothèse catécholaminergique de la dépression qui focalisa toute l’attention.
Au début des années 70, on pensait que la dopamine était le neurotransmetteur de la psychose, la noradrénaline celui de l’« humeur » et l’acétylcholine celui de la démence (voir la section 7). Il ne restait aucune pathologie psychiatrique à associer à la sérotonine. Le seul candidat potentiel pour combler ce vide était l’anxiété. Cette dernière attribution, qui peut paraître simpliste, était pourtant défendable. Nous avons vu dans les chapitres 4 et 9 que les ISRS sont, en quelque sorte, anxiolytiques.
Suite au développement des ISRS, l’intérêt pour le système sérotoninergique s’est fortement accru. Durant les années 1980, beaucoup de recherches ont été réalisées pour identifier les différents récepteurs sur lesquels la sérotonine agit et développer des substances agissant spécifiquement sur chacun d’entre eux.
LES RÉCEPTEURS ET LES SUBSTANCES SÉROTONINERGIQUES
Actuellement, 17 types de récepteurs sérotoninergiques différents ont été répertoriés. Les plus importants en ce qui nous concerne sont les récepteurs Sj et S2. Les substances qui agissent sur les récepteurs sérotoninergiques peuvent être de deux types : les agonistes, qui activent les récepteurs, et les antagonistes, qui les bloquent (voir le tableau 11.1). Ce qu’il faut retenir au sujet des ISRS, c’est qu’ils augmentent la quantité globale de sérotonine disponible pour l’un ou l’autre récepteur et qu’ils sont dès lors des agonistes à la fois directs et indirects.
LES AGONISTES | LES ANTAGONISTES | |
---|---|---|
S 1a | Buspirone Flésinoxan Flibansérine Gépirone Ipsapirone | Spipérone Propranolol |
S 2a | D-LSD | Kétansérine Miansérine Mirtazapine Trazodone Néfazodone Flibansérine Tous les antipsychotiques |
S 2b S 2c | mCPP | Ritansérine Miansérine Mirtazapine Agomélatonine |
Les ISRS
Notons tout d’abord que les ISRS sont un groupe de médicaments plus nettement anxiolytiques qu’antidépresseurs. Mais quand ces produits furent mis sur le marché, les impératifs commerciaux imposaient qu’ils soient présentés comme des antidépresseurs plutôt que comme des anxiolytiques ou des tranquillisants. Il était toutefois clair que les compagnies chercheraient ensuite à obtenir des autorisations de mise sur le marché pour des indications d’états anxieux, et c’est ce qu’elles firent durant les années 1990. Ces dernières années, en effet, la paroxétine, la venlafaxine, la sertraline ou d’autres ISRS ont été commercialisés dans l’indication de syndrome de stress post-traumatique (SSPT), de trouble obsessionnel compulsif (TOC), de trouble de l’anxiété généralisée (TAG) et pour d’autres états anxieux. Ces autorisations de mise sur le marché ne signifient pas que les cliniciens ont enfin à leur disposition des médicaments qu’ils peuvent prescrire à des patients anxieux désemparés. Mais elles marquent plutôt le moment à partir duquel les firmes pharmaceutiques commencent à faire de la publicité de façon directe ou indirecte auprès du grand public pour faire émerger ces diagnostics d’états anxieux afin d’engranger des centaines de millions de dollars, comme c’est le cas aux États-Unis par exemple. Cette pression publicitaire s’appuie sur l’hypothèse d’un supposé déséquilibre neurochimique, une chute du taux de sérotonine dans le cerveau qui serait la cause de ces différents états. Un autre argument avancé pour faire la promotion de la paroxétine et d’autres ISRS est qu’ils n’entraînent pas de dépendance, à l’inverse des benzodiazépines. Dans la réalité, il est clair que les ISRS provoquent tout autant de dépendance que les benzodiazépines. Celle-ci est même bien souvent plus difficile à vaincre que celle qui est induite par les benzodiazépines.