10: Pathologie de la moelle

10 Pathologie de la moelle




Compressions non traumatiques de la moelle


Enfermée dans un canal inextensible, la moelle est éminemment sensible aux processus pathologiques qui en réduisent la lumière. Par action mécanique directe, mais aussi par l’intermédiaire d’une ischémie, les compressions médullaires lentes déterminent des altérations de nature d’abord fonctionnelle, puis lésionnelle, devenant de moins en moins réversibles. Il en résulte un syndrome médullaire évoluant de façon progressive. Dans certains cas, cette évolution progressive fait place à une aggravation brutale sous la forme d’un syndrome de section médullaire plus ou moins complet : cette modalité évolutive correspond à un infarctus médullaire lié à la compression d’une afférence artérielle. Le diagnostic et le traitement des compressions médullaires apparaissent ainsi comme de véritables urgences auxquelles une solution doit être apportée avant la survenue de lésions médullaires irréversibles.



Syndrome clinique de compression médullaire


Le diagnostic de compression médullaire est relativement aisé dans les formes associant schématiquement trois syndromes : lésionnel, sous-lésionnel et parfois rachidien.




Syndrome sous-lésionnel


Il traduit l’interruption fonctionnelle des faisceaux médullaires descendants ou ascendants.







Variantes sémiologiques


À un stade précoce, la sémiologie peut se résumer au syndrome sous-lésionnel (paraplégie progressive) ou au syndrome lésionnel (névralgie radiculaire). Par ailleurs, le siège de la compression par rapport à la moelle, aussi bien en largeur qu’en hauteur, peut intervenir dans la formule neurologique.




« En hauteur »


Compressions de la moelle cervicale haute (C1-C4) — Elles entraînent une quadriplégie spastique. Parmi les manifestations du syndrome lésionnel, il faut insister sur la compression du phrénique (hoquet, paralysie d’un hémidiaphragme) et du spinal médullaire (paralysie du sternocléidomastoïdien, du trapèze). Parfois existe un syndrome « sus-lésionnel » en rapport avec un prolongement endocrânien de la tumeur, ou une souffrance de la racine descendante, spinale, du trijumeau.


Une compression de la moelle cervicale haute peut aussi se révéler par un syndrome suspendu, décalé par rapport au niveau de la compression, avec des troubles sensitivo-moteurs siégeant au niveau des mains sous la forme de paresthésies, d’engourdissement, d’astéréognosie, d’amyotrophie.


Compressions de la moelle cervicale basse — Elles se traduisent par une paraplégie et un syndrome radiculaire des membres supérieurs.


Compressions de la moelle dorsale — Ce sont les plus fréquentes ; elles provoquent des douleurs thoraco-abdominales en ceinture et une paraplégie ; l’abolition d’un réflexe cutané abdominal peut être un élément de localisation.


Compressions de la moelle lombosacrée — Étant donné le tassement des segments médullaires et le trajet vertical des racines qui entourent la partie terminale de la moelle, les compressions de la moelle lombosacrée intéressent plusieurs segments médullaires et plusieurs racines (fig. 10.1). De plus, la symptomatologie radiculaire risque, à mesure qu’on se rapproche de l’extrémité de la moelle, de masquer la symptomatologie proprement médullaire. Des troubles sphinctériens et génitaux sont constants et précoces.




Compressions de la queue-de-cheval — Au complet, le syndrome de la queue-de-cheval associe :






La sémiologie est d’autant plus riche que la compression est plus haut située :





Très souvent, les syndromes de la queue-de-cheval ont un début unilatéral ; les douleurs sont celles d’une névralgie sciatique, mais plus ou moins précocement des troubles sphinctériens, des signes déficitaires pluriradiculaires et une anesthésie en selle viennent s’y associer.




Causes et traitement


Les causes des compressions médullaires peuvent être classées en deux groupes : extra- et intradural (fig. 10.3). Dans le premier, les métastases vertébrales dominent ; dans le second, l’étiologie est au contraire dominée par des tumeurs bénignes extramédullaires, neurinomes et méningiomes, dont le pronostic est excellent si l’intervention n’est pas trop tardive. En l’absence d’un traitement efficace, l’évolution se fait vers un tableau de section médullaire avec paraplégie ou quadriplégie flasque et anesthésie totale dans le territoire sous-lésionnel.




Causes extradurales



Métastases vertébrales et épidurales


Elles sont très fréquentes, survenant chez 5 % des patients qui meurent d’un cancer. Dans la grande majorité des cas, la métastase intéresse d’abord la vertèbre, envahissant ensuite l’espace épidural. La localisation épidurale peut aussi se faire à partir d’une lésion paravertébrale, voire être primitive. La compression médullaire métastatique complique en règle générale une affection maligne déjà connue, mais il arrive qu’elle soit révélatrice. Les cancers du sein, du poumon, de la prostate rendent compte de 50 % des cas. Ensuite viennent les cancers du rein, du tube digestif, de la thyroïde et les mélanomes.


Dans le déterminisme de la compression médullaire interviennent de façon variable un facteur osseux lorsqu’il existe un tassement vertébral, l’envahissement de l’espace épidural, le retentissement sur les veines de drainage de la moelle. La localisation de la compression est dorsale dans 70 % des cas, lombaire dans 20 %, cervicale dans 10 %. Dans plus de 90 % des cas, la manifestation initiale est une douleur vertébrale ou radiculaire non soulagée, voire aggravée, par le décubitus. La douleur reste parfois assez longtemps isolée avant que n’apparaissent les signes de compression médullaire qui peuvent évoluer rapidement. Un traitement par corticoïdes et radiothérapie, institué avant la constitution de lésions médullaires irréversibles, donne souvent de bons résultats, permettant d’éviter la laminectomie. Cependant, certains cas nécessitent une décompression chirurgicale par voie antérieure avec résection d’un corps vertébral suivie de stabilisation.


La compression médullaire est la complication neurologique la plus fréquente de la maladie de Hodgkin. Elle est la conséquence de coulées lymphomateuses nées d’adénopathies de voisinage qui gagnent l’espace épidural par les trous de conjugaison, envahissant ou non la vertèbre. Chez les malades qui ont été irradiés, l’apparition d’un syndrome médullaire doit aussi faire évoquer la possibilité d’une myélopathie postradiothérapique.


La compression médullaire est aussi la complication neurologique la plus fréquente du myélome. Il n’est pas exceptionnel qu’elle soit révélatrice. Le mécanisme le plus habituel est une infiltration de l’espace épidural à partir d’une lésion osseuse. Plus rarement, la compression médullaire est le résultat d’un tassement vertébral.



Causes infectieuses et parasitaires


La tuberculose vertébrale est surtout observée chez les transplantés et dans les pays en voie de développement. L’imagerie précise la nature des lésions et les facteurs intervenant dans la compression médullaire : destruction osseuse, abcès, cyphose. Le diagnostic est confirmé par la biopsie. Lorsqu’il existe des signes de souffrance médullaire, le traitement doit associer un abord chirurgical à la chimiothérapie antituberculeuse.


Les spondylodiscites bactériennes sont dues surtout au Staphylococcus aureus, mais d’autres germes sont souvent en cause : Escherichia coli, Pseudomonas, Proteus. Les portes d’entrée sont très diverses. L’atteinte vertébrale diffuse rapidement aux disques adjacents, et la formation d’abcès périvertébraux est habituelle. Le tableau est dominé par une raideur douloureuse du rachis et des signes de compression médullaire n’apparaissent que dans une minorité des cas. Un traitement antibiotique intensif ne doit être entrepris qu’après un diagnostic bactériologique précis, ce qui nécessite souvent une biopsie. Des signes de compression médullaire sont une indication à un abord chirurgical par voie antérieure.


Une épidurite bactérienne ou un abcès épidural se constituent parfois de façon primitive en l’absence de spondylodiscite. L’IRM permet d’en faire le diagnostic précocement, devant un syndrome douloureux rachidien aigu, avant la constitution de lésions médullaires irréversibles. Les lésions sont habituellement localisées dans l’espace épidural postérieur, nécessitant une laminectomie.


L’hydatidose vertébrale, faite de multiples vésicules qui envahissent l’espace épidural, est une cause de compression médullaire à laquelle il faut penser chez un sujet venant d’une zone d’endémie (sud de l’Europe, Moyen-Orient).


Dans la schistosomiase, une atteinte médullaire peut résulter d’une compression par un processus granulomateux mais aussi de lésions de myélite intéressant habituellement la partie basse de la moelle, notamment le cône terminal et/ou les racines de la queue-de-cheval. Un bref séjour dans une zone d’endémie peut être suffisant pour contracter l’affection, notamment à l’occasion d’une baignade. Le diagnostic repose sur la mise en évidence des œufs dans les selles (S. mansoni) ou dans les urines (S. haematobium). Un traitement médical par le praziquantel peut permettre une évolution favorable.





Causes intradurales


Il convient de distinguer les tumeurs intramédullaires et les tumeurs extramédullaires, ces dernières étant de beaucoup les plus fréquentes.



Tumeurs extramédullaires


Les plus fréquents sont les méningiomes et les neurinomes, qui sont des tumeurs bénignes d’évolution très lente, dont le pronostic est excellent si l’exérèse est précoce.


À l’IRM, ces lésions apparaissent sous la forme d’images arrondies ou ovalaires, à peu près iso-intenses par rapport à la moelle en T1 et en T2, rehaussées par le gadolinium en T1.






Compressions de la queue-de-cheval


La plupart des causes de compression médullaire peuvent aussi donner lieu à une compression de la queue-de-cheval, mais certaines causes sont plus fréquentes.




Tumeurs de la queue-de-cheval


Épendymomes ou épendymogliomes — Développés à partir du filum terminal, ils peuvent atteindre dans cette région un développement considérable. L’évolution clinique s’échelonne sur de nombreuses années, avec des épisodes de lombalgie ou de lombosciatique, une raideur rachidienne importante et la constitution progressive d’un syndrome de la queue-de-cheval. Signalons la possibilité d’une stase papillaire habituellement en relation avec une élévation importante de la protéinorachie.


Neurinome — Le neurinome est la plus fréquente des tumeurs de la queue-de-cheval. Lorsqu’il se développe latéralement, près du foramen, le début est marqué par une longue phase de douleurs monoradiculaires qui risquent d’être attribuées à tort à une hernie discale. Situé à distance du foramen, le neurinome peut atteindre un volume plus important avant d’entraîner un tableau de souffrance pluriradiculaire progressive.


Kystes épidermoïdes intrarachidiens — Ils ont pour siège d’élection la queue-de-cheval. L’origine non congénitale mais iatrogène d’un certain nombre de ces kystes est discutée : rôle possible de ponctions lombaires pratiquées dans l’enfance avec introduction d’un fragment de la couche basale de l’épiderme.


« Moelle basse » — Fixée au cul-de-sac dural en S2, souvent associée à un lipome partiellement intramédullaire, la moelle basse est une anomalie qui se révèle généralement lors de la croissance du fait des tractions résultant de l’allongement rapide du rachis. Il existe habituellement en regard un spina-bifida et souvent un lipome sous-cutané. Le tableau neurologique associe à des troubles sphinctériens une atteinte des membres inférieurs : déformation du pied, déficit sensitivomoteur, amyotrophie. La tendance actuelle est d’opérer ces anomalies très précocement, avant l’apparition des signes neurologiques.


Chordomes vertébraux — La région sacro-coccygienne est un siège d’élection pour les chordomes vertébraux, qui se développent à partir des vestiges de la notochorde primitive.


Sténose du canal lombaire — Aggravée secondairement par des remaniements arthrosiques, l’étroitesse congénitale du rachis lombaire peut se révéler plus ou moins tardivement dans l’existence par un syndrome de claudication intermittente sensitivo-motrice de la queue-de-cheval. Une laminectomie suffisamment large permet d’obtenir la guérison de ce syndrome.

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May 23, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 10: Pathologie de la moelle

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