10 Pathologie de la moelle
La moelle dans le canal rachidien
À l’intérieur du canal rachidien, la moelle est contenue dans un étui dure-mérien qui s’étend du pourtour du trou occipital jusqu’au niveau de la deuxième vertèbre sacrée (fig. 10.1). La dure-mère spinale, contrairement à la dure-mère crânienne, n’adhère pas au squelette ; il existe un espace épidural, contenant du tissu graisseux et des veines, dans lequel peuvent se développer des lésions expansives.
En raison du développement inégal de la moelle et de ses enveloppes, la moelle n’occupe qu’une partie du canal rachidien et même de l’étui dural. L’extrémité inférieure de la moelle (cône terminal) ne dépasse pas le bord inférieur de la vertèbre L1. Au-dessous de ce niveau, le cul-de-sac dural contient les racines formant la queue-de-cheval et le filum terminal. La moelle est amarrée de chaque côté à l’étui dural par les racines rachidiennes et par les digitations du ligament dentelé. Les relations entre la moelle, les racines et le rachis sont représentées sur la figure 10.2.
Compressions non traumatiques de la moelle
Syndrome clinique de compression médullaire
Syndrome lésionnel
Il traduit l’atteinte d’une ou plusieurs racines et/ou de la substance grise au niveau de la compression. Sa valeur localisatrice est considérable. Il est marqué par des douleurs radiculaires, uni- ou bilatérales, exagérées par les efforts. Signe majeur du syndrome lésionnel, la douleur radiculaire en est souvent le symptôme isolé. Néanmoins, une sémiologie objective peut lui être associée, sous la forme d’une hypoesthésie en bande, d’une paralysie avec amyotrophie de topographie radiculaire et, surtout, de l’abolition ou de l’inversion du réflexe tendineux correspondant.
Syndrome sous-lésionnel
Il traduit l’interruption fonctionnelle des faisceaux médullaires descendants ou ascendants.
Troubles moteurs
Suivant le niveau de la compression, ils réalisent une paraparésie ou une tétraparésie spasmodique souvent asymétrique. Au début, la marche peut n’être perturbée que de façon intermittente par une fatigabilité survenant au bout d’un certain temps, obligeant le malade à s’arrêter quelques instants : cette claudication intermittente médullaire n’est pas douloureuse. L’examen objective un déficit moteur, une hypertonie spastique, une exagération des réflexes tendineux qui sont vifs, diffusés, polycinétiques avec clonus du pied et de la rotule, et une libération des réflexes de défense médullaire : signe de Babinski, flexion dorsale du pied, réaction de triple retrait. Ces réponses nociceptives sont obtenues avec une extension progressive de la zone réflexogène, qui finit par remonter jusqu’à la limite inférieure de la compression.
Variantes sémiologiques
« En largeur »
Compressions latéro-médullaires — Dans les compressions latéro-médullaires, l’atteinte prédominante d’une moitié de la moelle peut se traduire par un syndrome de Brown-Séquard ébauché.
« En hauteur »
Une compression de la moelle cervicale haute peut aussi se révéler par un syndrome suspendu, décalé par rapport au niveau de la compression, avec des troubles sensitivo-moteurs siégeant au niveau des mains sous la forme de paresthésies, d’engourdissement, d’astéréognosie, d’amyotrophie.
Compressions de la moelle lombosacrée — Étant donné le tassement des segments médullaires et le trajet vertical des racines qui entourent la partie terminale de la moelle, les compressions de la moelle lombosacrée intéressent plusieurs segments médullaires et plusieurs racines (fig. 10.1). De plus, la symptomatologie radiculaire risque, à mesure qu’on se rapproche de l’extrémité de la moelle, de masquer la symptomatologie proprement médullaire. Des troubles sphinctériens et génitaux sont constants et précoces.
Compressions de la queue-de-cheval — Au complet, le syndrome de la queue-de-cheval associe :
La sémiologie est d’autant plus riche que la compression est plus haut située :
Très souvent, les syndromes de la queue-de-cheval ont un début unilatéral ; les douleurs sont celles d’une névralgie sciatique, mais plus ou moins précocement des troubles sphinctériens, des signes déficitaires pluriradiculaires et une anesthésie en selle viennent s’y associer.
Causes et traitement
Les causes des compressions médullaires peuvent être classées en deux groupes : extra- et intradural (fig. 10.3). Dans le premier, les métastases vertébrales dominent ; dans le second, l’étiologie est au contraire dominée par des tumeurs bénignes extramédullaires, neurinomes et méningiomes, dont le pronostic est excellent si l’intervention n’est pas trop tardive. En l’absence d’un traitement efficace, l’évolution se fait vers un tableau de section médullaire avec paraplégie ou quadriplégie flasque et anesthésie totale dans le territoire sous-lésionnel.
Causes extradurales
Métastases vertébrales et épidurales
La compression médullaire est la complication neurologique la plus fréquente de la maladie de Hodgkin. Elle est la conséquence de coulées lymphomateuses nées d’adénopathies de voisinage qui gagnent l’espace épidural par les trous de conjugaison, envahissant ou non la vertèbre. Chez les malades qui ont été irradiés, l’apparition d’un syndrome médullaire doit aussi faire évoquer la possibilité d’une myélopathie postradiothérapique.
Causes infectieuses et parasitaires
La tuberculose vertébrale est surtout observée chez les transplantés et dans les pays en voie de développement. L’imagerie précise la nature des lésions et les facteurs intervenant dans la compression médullaire : destruction osseuse, abcès, cyphose. Le diagnostic est confirmé par la biopsie. Lorsqu’il existe des signes de souffrance médullaire, le traitement doit associer un abord chirurgical à la chimiothérapie antituberculeuse.
Une épidurite bactérienne ou un abcès épidural se constituent parfois de façon primitive en l’absence de spondylodiscite. L’IRM permet d’en faire le diagnostic précocement, devant un syndrome douloureux rachidien aigu, avant la constitution de lésions médullaires irréversibles. Les lésions sont habituellement localisées dans l’espace épidural postérieur, nécessitant une laminectomie.
Compression par une hernie discale
La saillie discale se produit à l’occasion d’un traumatisme (plongeon, accident de voiture) ; mais, parfois, sa survenue est en apparence spontanée. Les cas les plus typiques associent névralgie cervico-brachiale et syndrome de Brown-Séquard (compression antéro-latérale). L’IRM montre la saillie discale refoulant la moelle au niveau d’un espace intervertébral. Le traitement est chirurgical, l’abord de la hernie se faisant par voie antérieure.
Autres causes extradurales
Le chordome est une tumeur développée à partir des reliquats de la notochorde primitive. Le sacrum et le clivus sont les sièges d’élection. Les localisations vertébrales intéressent surtout la région cervicale.
Les tumeurs vertébrales bénignes telles que l’hémangiome vertébral, le kyste anévrysmal des os, les tumeurs à cellules géantes sont des causes rares de compression médullaire.
La spondylarthrite ankylosante et surtout la polyarthrite rhumatoïde dans ses localisations atlo-axoïdiennes se compliquent parfois de compression médullaire.
Causes intradurales
Tumeurs extramédullaires
Tumeurs intramédullaires
Les tumeurs intramédullaires les plus fréquentes sont des astrocytomes ou des épendymomes, parfois des hémangioblastomes dans le cadre de la maladie de von Hippel-Lindau. Les métastases intramédullaires sont exceptionnelles.
La symptomatologie de ces tumeurs intramédullaire est particulière en raison de l’absence habituelle d’un syndrome radiculaire bien caractérisé. En revanche, elles peuvent donner lieu à un syndrome lésionnel suspendu de type syringomyélique.
Compressions de la queue-de-cheval
La plupart des causes de compression médullaire peuvent aussi donner lieu à une compression de la queue-de-cheval, mais certaines causes sont plus fréquentes.
Tumeurs de la queue-de-cheval
« Moelle basse » — Fixée au cul-de-sac dural en S2, souvent associée à un lipome partiellement intramédullaire, la moelle basse est une anomalie qui se révèle généralement lors de la croissance du fait des tractions résultant de l’allongement rapide du rachis. Il existe habituellement en regard un spina-bifida et souvent un lipome sous-cutané. Le tableau neurologique associe à des troubles sphinctériens une atteinte des membres inférieurs : déformation du pied, déficit sensitivomoteur, amyotrophie. La tendance actuelle est d’opérer ces anomalies très précocement, avant l’apparition des signes neurologiques.
Sténose du canal lombaire — Aggravée secondairement par des remaniements arthrosiques, l’étroitesse congénitale du rachis lombaire peut se révéler plus ou moins tardivement dans l’existence par un syndrome de claudication intermittente sensitivo-motrice de la queue-de-cheval. Une laminectomie suffisamment large permet d’obtenir la guérison de ce syndrome.