10: La violence et le soin en psychiatrie

Chapitre 10 La violence et le soin en psychiatrie




Violence et psychiatrie : l’état des lieux


La violence a de tout temps été l’une des préoccupations majeures du champ psychiatrique. Cette affinité sélective est un fait connu et ancien. Toutefois, nous nous trouvons actuellement au cœur d’une évolution significative de cette dialectique psychiatrie/violence. La problématique violente est en effet de plus en plus mise en avant dans les préoccupations des professionnels du champ psychologique et dans leurs réflexions sur la mutation de leur métier. Cette large mobilisation naît de facteurs convergents dont les effets se font douloureusement ressentir. D’un côté, nous observons l’augmentation quasi exponentielle du nombre des sujets s’exprimant préférentiellement sur un registre agi. De l’autre, nous constatons la progressive altération des capacités contenantes d’un bon nombre d’institutions soignantes, pour des raisons complexes qui tiennent parfois à l’évolution cognitivo-comportementale ou biologisante trop exclusive de la psychiatrie moderne. Et au milieu se trouvent tous ces soignants placés chaque jour au plus près de la violence et de l’agressivité de patients qu’ils ne comprennent parfois plus.


L’un d’entre nous a synthétisé dans un autre ouvrage récent les outils de compréhension clinique des situations violentes en psychiatrie (Comprendre la violence en psychiatrie, L. Morasz, Dunod, 2002). À partir de ses rencontres avec de nombreuses équipes, dans le cadre de ses activités de formation continue sur ce thème, il a dressé les bases d’une appréhension différente de la dynamique interactionnelle violente et de sa prise en charge soignante. Car le défi à relever par la psychiatrie face aux processus violents et à l’agressivité est double. Il s’agit :



C’est au prix de ce double effort clinique que nous tracerons les lignes directrices qui nous permettront de faire face à l’enjeu majeur que représente pour nous la prise en charge satisfaisante de l’agir, de la violence et de l’agressivité dans notre quotidien.


Nous allons présenter les grandes lignes de ce travail et renvoyons les lecteurs intéressés plus avant par cette question de la violence en psychiatrie à l’ouvrage pratique cité plus haut.



La violence : un processus complexe


La violence est un processus complexe et multiforme. En effet, même si la première chose qu’évoque le mot violence est sa traduction réelle au travers des coups et des hématomes, n’oublions pas que cette dernière ne s’exprime que parfois de cette manière. En effet, la violence naît d’un noyau psychique universel qui peut prendre toutes les formes, des plus concrètes aux plus abstraites ou symboliques. C’est pourquoi toute approche de cette problématique se doit de considérer conjointement les composantes réelles, fantasmatiques et symboliques de la violence qui sont autant de facettes indissociables du même objet : la pulsionnalité violente.


Ainsi, nous pouvons considérer que la violence est un fait (concret, psychique, imaginaire, moral…) né d’une interaction reposant sur une base pulsionnelle particulière qui lui donne son sens et qui génère chez la victime un vécu douloureux d’effraction (physique ou psychique).


La violence est un fait (concret, psychique, imaginaire, moral…) :


La violence peut prendre de nombreuses formes. Elle peut être physique (coups), psychique (harcèlement), verbale (insultes), matérielle (dégradation), sexuelle (attouchements) ou institutionnelle (positions paradoxales imposées). Sa force naît pour une part de sa forme mais aussi de son effet. Est violent ce qui fait violence.


Le soin en psychiatrie nous expose ainsi, à des degrés différents, à ces multiples formes de violence qui se trouvent d’ailleurs souvent intriquées les unes aux autres.


La violence naît d’une interaction :


La violence est une interaction complexe qui est déterminée par de nombreux facteurs (fig. 10-1). Sa prise en charge et sa compréhension requièrent donc une interrogation des différents niveaux interactionnels impliqués dans la situation que l’on met en travail. La complexité de cette interaction a amené Laurent Morasz à proposer dans son ouvrage l’utilisation d’une grille d’analyse des comportements violents (la grille en 9 points) destinée à guider et à systématiser la pensée des équipes lors de la survenue d’un événement violent.



Cette interaction repose sur une base pulsionnelle particulière :


Un des facteurs déterminants de la fréquence des mouvements violents en psychiatrie est l’implication des carences préconscientes dans la tendance à l’agir (c’est ce que nous avons décrit dans la première partie de ce livre). Mais au-delà de cette « sensibilité » à l’acting liée à un fonctionnement psychique de type limite ou psychotique, il est important de distinguer chez nos patients deux mouvements pulsionnels différents : la violence fondamentale et l’agressivité.


La violence fondamentale (décrite par J. Bergeret) est une pulsion primaire purement défensive. Elle ne vise pas un objet au sens propre (tel que l’autre) mais est avant tout destinée à protéger l’individu qui l’éprouve. Dans ce cas les passages à l’acte ne visent pas une victime pour ce qu’elle est, mais pour éloigner le danger qu’elle incarne.


L’agressivité est une pulsion plus secondarisée. Elle naît de l’intrication pulsionnelle entre le courant libidinal et la violence fondamentale pour aboutir à une pulsionnalité différenciée caractérisée par un plaisir ou un désir d’attaquer ou de nuire. Dans cette dynamique l’autre est attaqué pour ce qu’il est et ce qu’il représente pour le sujet.


Cette distinction est indispensable dans l’approche clinique des comportements violents. En la comprenant, nous pouvons en effet spécifier nos réponses, nuancer nos vécus et adapter nos positionnements.


La violence a un sens à chaque fois original :


À côté de cette distinction pulsionnelle, il est également indispensable de distinguer les différentes dynamiques violentes. En effet, à chaque structure psychopathologique correspond un profil prévalent de passages à l’acte. Ainsi il n’y a rien de commun entre le passage à l’acte d’un patient limite, exprimant une rage narcissique liée au vécu d’effondrement dépressif que lui renvoie toute référence à des limites et celui d’un patient schizophrène qui attaque un soignant, à l’issue d’une construction délirante évoluant depuis plusieurs jours. La connaissance du lien entre psychopathologie et acting permet de mieux les prévenir et de mieux les traiter. Elle soutient également la compréhension individuelle, base du travail d’infirmier en psychiatrie que nous pouvons avoir de ces patients et de la souffrance qui les étreint.


Elle génère chez la victime un vécu d’effraction :


L’infirmier en psychiatrie est donc placé à la croisée de différentes dynamiques violentes. À la violence agie (ou criée…) se mêle en effet une violence plus insidieuse : celle du côtoiement quotidien de la souffrance que nous avons décrit dans le chapitre 4.


Le professionnel du soin psychique est en effet confronté à deux risques violents distincts :


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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 10: La violence et le soin en psychiatrie

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