1 Sensibilité et douleur
Organisation de la sensibilité du corps, ou somesthésie
La sensibilité a pour l’organisme deux significations correspondant sensiblement aux concepts définis par H. Head sous les noms de « sensibilité protopathique » et de « sensibilité épicritique ». Les modalités protopathiques de la sensibilité apportent à l’organisme des informations « brutes ». Elles ont une fonction d’alarme. Les modalités épicritiques de la sensibilité ont une finalité cognitive. Elles fournissent les informations précises indispensables à l’analyse des caractères physiques des objets, à leur identification et à l’adaptation des gestes propositionnels.
Ces deux fonctions reposent sur deux dispositifs séparés et complémentaires. Le système lemniscal – ainsi désigné parce qu’il emprunte le ruban de Reil, ou lemnisque médian – est une voie directe, rapide, pauci-synaptique, dont les relais sont construits pour accentuer les caractères discriminatifs spatiaux et temporels de l’information. Le système extralemniscal utilise des voies de conduction plus lente, multisynaptiques, avec survenue à chaque niveau de phénomènes de sommation spatiale et temporelle.
Détection du message sensitif
Toutes les afférences sensitives gagnent la moelle par les racines postérieures. Chaque racine postérieure correspond à une région déterminée des téguments (dermatome) et à un secteur des structures profondes. Le ganglion rachidien, situé sur la racine postérieure, renferme le corps cellulaire du premier neurone pour toutes les afférences du segment correspondant.
Système lemniscal
Les fibres afférentes sont des fibres myélinisées de diamètre moyen (Aβ), de conduction relativement rapide (30-70 m/s). Le prolongement central des neurones monte dans le cordon postérieur homolatéral. Le premier relais sur cette voie se situe au niveau bulbaire dans les noyaux gracile et cunéiforme. Le deuxième neurone, après décussation, constitue le ruban de Reil ou lemnisque médian, qui gagne le noyau ventro-postéro-latéral du thalamus. De là, un troisième neurone assure la projection aux aires corticales somesthésiques (fig. 1.1). L’aire somesthésique I (SI) est constituée par la circonvolution pariétale ascendante sur laquelle la sensibilité de l’hémicorps controlatéral dessine l’homonculus inversé avec la tête à la partie basse de la circonvolution et le membre inférieur à la face interne de l’hémisphère. L’aire somesthésique II (SII) est située au niveau du versant supérieur de la scissure du Sylvius.
Système extralemniscal (ou spino-thalamique)
La détection de ces sensations est assurée par des terminaisons libres et par des récepteurs électivement sensibles au chaud ou au froid (corpuscules de Krause et Ruffini). Leur transmission se fait par des fibres fines, peu myélinisées (fibres Aδ : 5-30 m/s), ou par des fibres non myélinisées (fibres C : 0,5-2 m/s). Ces fibres se terminent dans la corne postérieure de la moelle de façon variable (fig. 1.2). Certaines atteignent directement le deuxième neurone sensitif situé dans les couches IV, V et VI. D’autres font relais sur les interneurones de la substance gélatineuse de Rolando (couches II) qui est une zone de convergence et d’intégration de nombreux influx.
Quelles que soient les modalités de relais dans la corne postérieure, le deuxième neurone sensitif croise la ligne médiane et gagne le cordon antéro-latéral du côté opposé. Deux composantes peuvent être distinguées au sein de ce système :
Examen de la sensibilité
Troubles sensitifs subjectifs
Il peut s’agir de douleurs (douleurs neuropathiques), de dysesthésies ou de paresthésies :
Troubles sensitifs objectifs
Examen des capacités de discrimination sensitive
Ce temps de l’examen s’adresse à des modalités plus fines de la sensibilité qui mettent en jeu principalement le système lemniscal : notion de position des articulations, discrimination de sensations itératives ou simultanées.
L’ataxie sensitive résulte d’un déficit du contrôle sensitif du mouvement. C’est un trouble qui est aggravé par la fermeture des yeux. Les mouvements sont dysmétriques. La marche est instable et table et talonnante. Le patient est incapable de tenir debout les pieds joints et les yeux fermés (signe de Romberg). Le signe de la main instable ataxique consiste en des mouvements pseudo-athétosiques des doigts quand le patient maintient ses membres supérieurs étendus devant lui sans le contrôle visuel.
La sensibilité vibratoire (pallesthésie) est explorée à l’aide du diapason appliqué sur une surface osseuse. Pour déceler une simple diminution de la pallesthésie, on maintient le diapason en regard de la région explorée jusqu’à ce que le sujet cesse de percevoir la vibration, puis on s’assure que la vibration est encore perceptible par l’observateur. La conservation de la pallesthésie dépend de la capacité des fibres myélinisées à conduction rapide de transmettre de façon distincte des stimulations très brèves et rapprochées. La sensibilité vibratoire distale est souvent altérée chez les sujets âgés.
La discrimination de deux points est étudiée au moyen d’un compas calibré. La distance minimale entre deux stimulations tactiles pour qu’elles soient perçues comme étant distinctes est de quelques millimètres à la pulpe des doigts, de plusieurs centimètres sur la cuisse. D’autres capacités discriminatives comprennent la localisation précise d’un stimulus (topoesthésie), l’évaluation du poids (baresthésie), la reconnaissance d’une forme géométrique, d’une lettre ou d’un nombre tracés sur la peau (graphesthésie).
La stéréognosie est la faculté d’identifier des objets par la palpation. Plusieurs étapes peuvent apparaître dans le processus de reconnaissance concernant la taille, la forme et la texture de l’objet. Des perturbations élémentaires de la sensibilité, un trouble de la palpation peuvent perturber la stéréognosie. Cependant, la reconnaissance d’un objet résulte habituellement plus de l’identification d’un détail prégnant que d’une analyse systématique. Une discordance entre des troubles discrets des sensibilités élémentaires et une astéréognosie marquée est en faveur d’une lésion du lobe pariétal.
Potentiels évoqués somesthésiques
La stimulation d’un nerf périphérique génère des potentiels qui peuvent être recueillis sur le rachis et le scalp. Ces potentiels permettent d’évaluer la vitesse de conduction des fibres myélinisées de gros calibre. Ils peuvent donc être normaux alors même qu’une atteinte des petites fibres est responsable de troubles de la sensibilité. Ils sont utiles pour déceler et localiser des lésions cliniquement occultes siégeant dans la moelle ou le tronc cérébral, notamment dans des affections démyélinisantes comme la sclérose en plaques. Ils sont utiles aussi pour déceler une souffrance médullaire lors de la chirurgie rachidienne.
Syndromes sensitifs topographiques
Lésions du système nerveux périphérique
Dans les polyneuropathies, le déficit sensitif intéresse de façon habituellement symétrique la partie distale des membres inférieurs, indiquant une atteinte longueur-dépendante des fibres. Le déficit porte sur la sensibilité proprioceptive dans les neuropathies des grosses fibres. Elle prédomine sur la sensibilité thermique et douloureuse dans les neuropathies des petites fibres, dans lesquelles peuvent être associés des troubles trophiques (maux perforants plantaires, arthropathies nerveuses).
Lésions de la moelle
Syndrome cordonal postérieur
Du syndrome cordonal postérieur pur diffère notablement le syndrome radiculo-cordonal postérieur résultant de lésions des racines postérieures ou des ganglions rachidiens postérieurs (ganglionopathies). Dans de tels cas, l’atteinte porte non seulement sur les fibres longues qui s’engagent dans les cordons postérieurs, mais aussi sur les autres afférences sensitives faisant relais dans la corne postérieure de la moelle. Le déficit sensitif intéresse toutes les modalités de la sensibilité, de façon distale et proximale ; il est associé à une aréflexie.