1: Prise en charge d’un patient atteint de cancer

Chapitre 1


Prise en charge d’un patient atteint de cancer








Diagnostic: Peu de diagnostics autres que celui de cancer ou de leucémie déclenchent autant de réactions émotionnelles ; dès que ces mots sont prononcés, le patient passe en général par une tempête de sentiments qui rendent l’entretien difficile. Cependant, lorsque le moment est venu, les deux interlocuteurs doivent parler de la maladie, de ses conséquences et des options thérapeutiques. La présence d’un membre de la famille ou d’un ami proche dans le cabinet médical est utile non seulement pour soutenir le patient, mais aussi afin que les instructions fournies par le médecin soient bien comprises. Il est souvent utile de poser la question : « Avez-vous bien compris la signification de ce diagnostic ? »


Si le médecin n’est pas familier avec les traitements récents, une consultation préalable, par exemple des bases de données de l’Institut national du cancer des États-Unis ou de l’Organisation européenne pour la recherche et le traitement du cancer (EORTC), rendra l’entretien plus utile. Il importe aussi d’adresser le patient dès que possible à un oncologue, qu’il soit chirurgien, radiologue ou interniste. Le généraliste doit éviter d’afficher un éventuel scepticisme thérapeutique, à moins qu’il ne soit très impliqué dans le domaine et soit au courant de tous les traitements actuels et des résultats des plus récents essais cliniques.


L’oncologue consulté peut généralement s’appuyer sur un comité local de cancérologie comprenant des oncologues médicaux, chirurgicaux et radiologues. Habituellement, ceux-ci émettent un pronostic et proposent diverses orientations : appliquer un traitement bien établi, participer à un éventuel essai clinique, rechercher des avis supplémentaires ou renoncer à tout traitement. De nombreux oncologues participent à des essais cliniques et peuvent disposer de médicaments expérimentaux. Le cas échéant, ils devront orienter le patient vers un centre plus spécialisé.



Démarche diagnostique: Dans la plupart des cas, c’est l’examen physique, un test de laboratoire anormal ou l’imagerie médicale qui révèle la lésion, une biopsie venant confirmer le diagnostic. Il est essentiel que celle-ci soit représentative de la totalité de la tumeur et que des investigations appropriées (par exemple des colorations spéciales, la cytométrie en flux, la cytogénétique, des dosages hormonaux) aient été réalisées avant le début du traitement. Si la malignité ou la classification est douteuse, il faut recourir à des biopsies supplémentaires, et la consultation d’un pathologiste spécialisé peut être indiquée. Il est rarement nécessaire de lancer le traitement avant que les évaluations préalables nécessaires n’aient été effectuées. Pour de nombreux sites tumoraux, comme le côlon (chapitre 18), l’histologie suffit ; dans d’autres, comme le poumon (chapitre 16), la distinction entre cancers à petites cellules et non à petites cellules est essentielle pour le choix du traitement. Pour le cancer du sein (chapitre 23), le médecin concerné s’intéresse non seulement à l’histologie, mais aussi au stade de la tumeur, à la présence ou l’absence de récepteurs d’estrogène et de progestérone ainsi qu’à la surexpression éventuelle de ERBB2 (HER2/neu).



Stadification et mise au point: Une fois le diagnostic établi, il faut évaluer le stade de la tumeur. Le système de stadification de l’American Joint Committee on Cancer est considéré comme la référence aux États-Unis (en Europe, l’EORTC émet également des recommandations pour certains types de tumeur [NdT]). La classification dite TNM tient compte du volume de la tumeur primitive, de la présence de ganglions (nodes, ou nœuds) et de métastases. La démarche dépend du type de cancer, mais elle comprend en général des radiographies, par exemple thoraciques, une tomodensitométrie (TDM), une IRM (imagerie par résonance magnétique), une scintigraphie et, de plus en plus souvent, une tomographie par émission de positons (TEP). Ces examens sont généralement complétés par des analyses de routine, comme un hémogramme, un profil biochimique et le dosage de marqueurs tumoraux ; dans certains cas, un examen de moelle osseuse ou une biopsie est nécessaire.


La suite de la mise au point comprendra alors la détection des métastases et le repérage d’une lésion qui pourra servir au suivi des effets du traitement. Ainsi, pour la plupart des tumeurs solides, une TDM et peut-être une scintigraphie osseuse pourront atteindre ces deux objectifs. La TDM, ou l’IRM, cérébrale sera réservée aux cas pouvant se compliquer de métastases dans le système nerveux central (par exemple le cancer du poumon à petites cellules). La TEP peut compléter la TDM en montrant qu’une lésion est susceptible d’être maligne et en écartant ce diagnostic dans d’autres sites. Ces examens sont rarement nécessaires lorsqu’il est établi que le stade de la maladie est avancé.



Traitement



Plan thérapeutique


Pour les cancers qui se prêtent à une intervention chirurgicale, la résection est habituellement la meilleure option, si le patient paraît capable de supporter l’anesthésie et si par ailleurs une maladie concomitante ou comorbide ne complique pas la situation. À ce propos, une concertation entre interniste, oncologue, chirurgien et anesthésiste s’avère souvent très utile. Le score de performance (tableau 1-1) est un reflet fiable de l’état fonctionnel du patient. Si l’espérance de vie est limitée ou si la chirurgie est contre-indiquée, l’irradiation est généralement considérée comme le deuxième meilleur traitement « local », la chimiothérapie étant réservée aux patients dont la maladie est étendue ou métastatique. L’efficacité croissante de la chimiothérapie a entraîné son incorporation plus précoce dans les soins, souvent dans le cadre d’une résection limitée pour épargner l’organe touché. Idéalement, la programmation thérapeutique avec le patient devrait être multidisciplinaire ; elle tiendra compte du diagnostic, du pronostic, des objectifs, des solutions de rechange, des effets secondaires et de l’évaluation des risques et avantages.




Chirurgie


L’intervention peut servir à prélever une biopsie dans la lésion suspecte, à réséquer la tumeur primitive, à contourner un obstacle ou à soulager de manière palliative. Afin d’éviter une seconde anesthésie, il faut prévoir, avant l’opération, l’éventuelle mise en place d’un cathéter veineux.


La chirurgie reste la méthode la plus commune pour traiter les cancers localisés, comme les cancers du sein (chapitre 23), du côlon (chapitre 18) ou du poumon (chapitre 16), mais elle peut être empêchée par la localisation ou l’extension de la tumeur et des métastases à distance. Même si une tumeur ne peut pas être réséquée, une biopsie permet de confirmer le diagnostic. Parfois, dans un but palliatif, le chirurgien établira un contournement d’une lésion obstructive.


La chirurgie peut également contribuer à la stadification de la maladie. Pour le cancer ovarien (chapitre 24), l’objectif est l’élimination de la plus grande quantité de tissu tumoral afin d’amplifier l’efficacité de la chimiothérapie.


Dans de rares circonstances, lorsque la tumeur primitive est sous contrôle, l’enlèvement d’une métastase unique (métastasectomie) peut assurer une survie à long terme ; un exemple est la résection d’une métastase hépatique unique trouvée au cours de la colectomie pour cancer colorectal. Diverses techniques chirurgicales, comme l’ablation par radiofréquence ou la cryoablation, peuvent servir au traitement des métastases hépatiques chez des patients soigneusement sélectionnés. Pour ces cas, une chimiothérapie adjuvante est souvent administrée après l’intervention pour éliminer les métastases microscopiques.


En cas de défiguration, une reconstruction est essentielle pour assurer à long terme un bon fonctionnement des organes, mais aussi pour éviter les perturbations psychologiques. Citons par exemple la reconstruction mammaire après mastectomie (chapitre 23) et la chirurgie plastique servant à corriger les déformations après résection d’une tumeur de la tête ou du cou (chapitre 15).



Radiothérapie


La téléthérapie recourt à un accélérateur linéaire qui émet un rayonnement ionisant de haute énergie. La curiethérapie consiste en l’insertion d’implants radioactifs sous forme de granules, de filaments ou de plaques, mais aussi en l’administration intraveineuse de radio-isotopes. Le rayon interagit avec l’oxygène moléculaire, produisant du superoxyde, du peroxyde d’hydrogène ou des radicaux hydroxyles qui endommagent l’ADN et entraînent ainsi la mort cellulaire. Comme la chimiothérapie, la radiothérapie est plus efficace contre les cellules à division rapide.


Les effets de la chirurgie et la radiothérapie étant locaux, l’efficacité de ces traitements peut être limitée par une extension possible et inapparente de la maladie, par la situation de la tumeur à proximité de structures normales qui doivent être préservées et par la présence de métastases à distance. Les tissus et organes sains diffèrent dans leur tolérance aux rayonnements, ce qui empêche alors l’utilisation de doses qui pourraient éradiquer tout cancer. L’hypoxie tumorale peut également limiter les résultats de la radiothérapie ; les tumeurs volumineuses sont souvent relativement radiorésistantes, alors que celles qui sont bien oxygénées peuvent être traitées efficacement par des doses inférieures.


Dans le cadre d’une thérapie multimodale, d’un traitement adjuvant ou de soins palliatifs, la radiothérapie peut servir de traitement de première intention. Utilisée seule, la radiothérapie peut être curative à un stade précoce de néoplasies telles que le cancer du larynx (chapitre 15), le cancer du col utérin (chapitre 24) et le cancer de la prostate (chapitre 26). La chirurgie mammaire conservatrice (chapitre 23) nécessite le recours à l’irradiation pour traiter le tissu mammaire restant. Des techniques d’irradiation partielle comme la radiothérapie conformationnelle tridimensionnelle ou le cathéter à ballonnet ont récemment été développées et utilisées chez des patients sélectionnés atteints d’un cancer du sein bien situé et de taille appropriée. Pour un cancer de la prostate localisé (chapitre 26), l’implantation de grains radioactifs d’or ou de palladium offre une alternative à la chirurgie ou la radiothérapie externe, à nouveau chez des patients soigneusement sélectionnés.


Il est important de noter que la combinaison de la chimiothérapie et de la radiothérapie peut avoir des effets toxiques synergiques, comme une œsophagite en cas de traitement d’un cancer pulmonaire (chapitre 16) ou une mucite dans le traitement de la tête et du cou (chapitre 15).


De nouvelles techniques, comme la radiothérapie avec modulation d’intensité, permettent d’adapter plus exactement la dose à la cible, réduisant ainsi les dommages aux tissus sains environnants. La radiothérapie stéréotaxique ou couteau gamma sert au traitement de tumeurs cérébrales primitives ou métastatiques (chapitre 14) mesurant jusqu’à 3 cm ; son extrême précision minimise les dommages au reste du cerveau. Actuellement, la protonthérapie est d’application limitée et n’est utilisée que pour certains mélanomes de l’uvée, des tumeurs de la base du crâne et quelques rares néoplasies pédiatriques.


Lorsque l’objectif n’est plus la guérison, une irradiation palliative à dose faible ou modérée est appliquée pour soulager les symptômes. Par exemple, la radiothérapie peut réduire le volume de métastases cérébrales (chapitre 14), soulager la douleur de lésions osseuses (chapitre 27), lever certaines obstructions et parfois arrêter une hémoptysie causée par un cancer pulmonaire (chapitre 16) ou le saignement d’un cancer gynécologique (chapitre 24). Des radio-isotopes ostéotropes, tels que le samarium et le strontium, peuvent atténuer la douleur liée aux métastases osseuses d’un cancer prostatique (chapitre 26) ou mammaire (chapitre 23).



Thérapies systémiques



Chimiothérapie


La pharmacogénomique est l’étude des différences génétiques entre individus dans l’absorption, la distribution, le métabolisme et l’élimination d’un médicament ainsi que dans ses effets bénéfiques ou toxiques. Elle acquiert une importance croissante dans le traitement du cancer car les polymorphismes génétiques des enzymes métabolisant les médicaments sont souvent responsables de variations de l’efficacité et de la toxicité de nombreux agents chimiothérapeutiques. À ce jour, on sait que les suites d’une chimiothérapie aux thiopurines, au 5-fluorouracile, à l’irinotécan et aux agents à base de platine peuvent dépendre de polymorphismes génétiques. Chez des patients qui sont hétérozygotes ou homozygotes pour un déficit en une enzyme métabolisant le médicament, la toxicité peut être considérablement amplifiée.


Les tests actuellement disponibles ne sont pas capables d’évaluer de façon fiable la probabilité de réponse au traitement ; aussi, le traitement est largement empirique et fondé sur des facteurs prédictifs propres à la tumeur. À l’avenir, les puces d’expression génique en cours de développement pourront probablement prédire de manière fidèle les réponses au traitement. Les profils géniques sont de plus en plus utilisés pour déterminer la nécessité d’une thérapie, par exemple un agent adjuvant en cas de cancer mammaire ou pulmonaire.



Évaluer les effets du traitement


L’évaluation de la réponse au traitement dépend en grande partie de la taille de la tumeur, déterminée par mesure directe ou imagerie diagnostique. La réponse peut être soit complète avec disparition totale de la tumeur et correction des altérations associées, soit partielle, définie comme une réduction de taille de la tumeur dépassant 50 %. Si cette diminution est supérieure à 25 % mais inférieure à 50 %, la maladie sera dite stable ; si la tumeur continue à croître ou si de nouvelles tumeurs apparaissent, elle sera qualifiée de progressive. Les leucémies peuvent être suivies par des ponctions de moelle osseuse. Le myélome multiple est généralement évalué par dosage des protéines monoclonales, l’hémogramme et la proportion de plasmocytes malins dans la moelle, ainsi que par des radiographies des lésions osseuses.


Actuellement, la chimiothérapie est appliquée selon diverses modalités : soit avec ou sans chirurgie et radiothérapie, soit avant, pendant ou après ces traitements (tableau 1-2). De nombreuses données expérimentales indiquent que les cancers sont plus sensibles à la chimiothérapie au cours des premiers stades de croissance, en raison de la prolifération rapide et de la durée plus courte du cycle cellulaire. Ainsi, une tumeur à développement accéléré est plus facilement maîtrisée par une dose donnée de médicament qu’un néoplasme de plus grande taille mais quiescent.




Chimiothérapie néoadjuvante


Un traitement néoadjuvant, également appelé chimiothérapie primaire ou d’induction, est administré avant la chirurgie ou la radiothérapie pour diminuer la taille des cancers localement avancés, ce qui permet une résection chirurgicale plus efficace et l’éradication de métastases indétectables. Il offre également l’occasion d’évaluer l’efficacité du traitement par analyse histologique du tissu réséqué. Cette stratégie est plus souvent appliquée en cas de cancer du sein localement avancé (chapitre 23), bien que d’autres tumeurs primitives puissent être visées. Les inconvénients comprennent le caractère incomplet de la stadification pathologique de départ et un délai possible et regrettable de la résection si la chimiothérapie s’avère inefficace.


La thérapie épargnant l’organe est l’utilisation de la chimiothérapie, de la radiothérapie ou des deux pour sauver un organe qui aurait été enlevé chirurgicalement si la guérison était l’objectif. Cette combinaison est souvent efficace chez les patients atteints de cancer du larynx (chapitre 15), de l’œsophage (chapitre 17), de la vessie (chapitre 22) et de l’anus (chapitre 18).

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May 6, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on 1: Prise en charge d’un patient atteint de cancer

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