1: Données historiques de l’organisation des soins et de la législation en psychiatrie


Données historiques de l’organisation des soins et de la législation en psychiatrie



De l’hôpital général à l’asile, de l’asile départemental à l’hôpital psychiatrique, puis de l’hôpital psychiatrique au secteur, l’histoire de l’organisation des soins en psychiatrie publique est fortement liée à l’histoire des idées, tant celles des théories sur la folie que celles du traitement politique de l’altérité. Après avoir situé la naissance de la discipline, nous évoquerons les antécédents que l’on peut considérer comme structurants de la politique de secteur, puis l’histoire même de l’invention du secteur. Le rappel des principaux textes législatifs et réglementaires concernant l’organisation de la psychiatrie et les soins sans consentement fera mentionner le rôle et le positionnement de l’État dans le traitement des questions.



Émergence de la psychiatrie en France


L’hôpital général en France date du milieu du XVIIe siècle. On y place les indésirables, asociaux, vagabonds, infirmes, insensés, prostituées… à qui l’on offre la charité, au prix de l’enfermement (Foucault, 1972). À la fin du XVIIIe, tandis que l’hôpital évolue vers la « machine à guérir », la distinction des maladies mentales au sein de la médecine fait surgir le champ de la psychiatrie, terme qui naîtra en 1842 (Bloch, Von Wartburg, 1978). La dénonciation des conditions faites aux insensés aboutit à une circulaire (1875) définissant une double vocation de ségrégation et d’assistance aux « asiles qui leur sont destinés ». L’asile constitue un creuset pour l’observation des malades : c’est là la naissance de la clinique et la possibilité du changement de paradigme qui fera passer au milieu du XIXe siècle de l’aliénation mentale unique aux diverses maladies mentales (Lanteri-Laura, 1998). Outre du mouvement philanthropique, le domaine épistémologique de la psychiatrie émerge de sa nosographie et de son organisation à partir de la loi du 30 juin 1838.


Les fondateurs classiquement reconnus sont Pinel (1745–1826) et Esquirol (1772–1840). À Pinel et son surveillant Pussin, on associe la libération des aliénés de leurs chaînes. Pinel pense que l’asile doit protéger l’aliéné, et devenir instrument de soin, grâce à l’isolement conçu comme thérapeutique, et à son cadre – sain, humain, et réglé. Il théorise le traitement moral (Pinel, 1996), critiqué par Foucault comme l’exercice d’un pouvoir, vu par d’autres comme un précurseur de la psychothérapie. Esquirol enrichit la sémiologie et la nosographie psychiatriques, mais c’est peut-être surtout sa contribution à la loi de 1838 que l’histoire retient.


La loi du 30 juin 1838 succède à la retentissante affaire du parricide de Pierre Rivière (1835) (Rivière, 1973). Cette loi fonde pour plus d’un siècle l’organisation de la psychiatrie en France. Il y a lieu de souligner la richesse des débats des députés et des pairs, la modernité des réflexions, et le temps qui y a été consacré (ministère de l’Intérieur et des cultes, 1989). La loi dispose que chaque département doit se doter d’un asile pour accueillir les aliénés. Elle prévoit les conditions d’internement selon deux modes de placements et aménage l’incapacité civile de l’interné dont les biens sont gérés durant son séjour tandis que lui-même est représenté. Cette loi d’assistance et de protection de l’aliéné répond également aux questions de sécurité pour la société. Cette double valence de la psychiatrie la caractérise depuis l’origine, avec des déplacements du curseur accentuant plus ou moins son aspect sécuritaire ou sa dimension de soins.


La réflexion sur les conditions asilaires se poursuit et certains établissements se dotent de fermes où travaillent les hospitalisés. Déjà en Royaume-Uni, Tuke et Conolly avaient prôné « l’open door », et le « no restraint ». Vers la fin du XIXe siècle, la théorie de la dégénérescence relance la question. Pour certains, il faut réserver l’asile, espace médical que l’on veut rendre plus efficace, aux « curables ». Des accueils en colonies familiales (Dun-sur-Auron 1892, Ainay-le-Château 1900) feront une alternative pour des « chroniques incurables ». La première formule d’assistance hors asile, fondant un modèle d’institution ouverte, se voit ainsi proposée aux plus lourdement malades (Pascal, Simonnot, Faucher, Garret-Gloannec, 2003).



Préhistoire du secteur


Le premier service libre, connu sous le nom d’hôpital Henri-Rousselle, est créé à Sainte-Anne en 1922 par Édouard Toulouse, psychiatre hygiéniste, alors que la loi de 1838 ne prévoit que l’admission par internement. La structure s’adjoint un dispensaire, un service social, des visites à domicile, et un centre de recherche et d’enseignement. Voilà le germe organisationnel d’une psychiatrie qui peut quitter les murs, même si l’optique de Toulouse est de réserver les soins aux curables seuls.


La circulaire Rucart en 1937, inspirée de la médecine sociale naissante, du courant hygiéniste et de l’expérience de la lutte contre la tuberculose, incite dans chaque département à l’installation d’un dispensaire d’hygiène mentale et d’un service social, à l’organisation d’un service libre d’observation et de soins précoces, ainsi qu’au développement et la modernisation des services fermés. Il s’agit de sortir pour prévenir, participer à soigner en ambulatoire ce qui peut l’être, surtout d’ouvrir la psychiatrie à la communauté et de placer des psychiatres là où la décompensation peut survenir. De fait, la circulaire que nombre de promoteurs du secteur reconnaissent comme son vrai précurseur (Fourquet, Murard, 1975) n’a guère le temps d’être appliquée avant que n’éclate la guerre.


À noter que la même année l’asile change de dénomination et devient « hôpital psychiatrique ».



La marche vers la politique de secteur


L’après-guerre fait le début de l’histoire du secteur. Le constat de la surmortalité de 40 000 malades (von Bueltzingsloewen, 2009) de froid et de dénutrition dans les asiles durant la guerre, la découverte de l’extermination des malades mentaux en Allemagne, l’horreur déshumanisante des camps dont quelques témoignages arrivent, s’associent au constat de l’échec de l’asile comme thérapeutique par l’isolement. Ils font réinterroger en profondeur les fonctionnements asilaires dans le climat de réaffirmation des droits humains. L’intérêt suscité par les retours d’expérience de quelques pionniers, par la perspective d’un sens possible à trouver à la maladie – grâce en particulier à la psychanalyse, et encore par l’arrivée de premières thérapeutiques efficaces (Fourquet et al., 1975) convergent pour inciter à réformer méthodes et structures, dans un « plus jamais ça » généralisé.


Les journées de mars 1945 aboutissent à la première formalisation de l’intense travail de questionnement et de créativité qui va déterminer durant ces années d’après-guerre la « révolution psychiatrique ». Leurs conclusions affirment en premier lieu le principe de l’unité et de l’indivisibilité de la prévention, de la prophylaxie, de la cure et de la postcure en psychiatrie. Parmi les innovations, il faut faire toute leur place aux CTRS1, et citer les stages des CEMEA2 en direction des infirmiers psychiatriques.


Plusieurs initiatives stimulent les réflexions : Saint-Alban, Fleury-les-Aubray, Ville-Evrard, L’Élan Retrouvé, le 13e… Dès 1936, Balvet s’attache à humaniser l’asile de Saint-Alban où pendant la guerre on accueille maquisards, clandestins, et où l’on croise des intellectuels (Éluard, Tzara, Canguilhem…). Réfugié du franquisme, Tosquelles, qui marquera la psychiatrie française de son enthousiasme militant, juge qu’il faut soigner l’hôpital avant de soigner les gens. Une exceptionnelle solidarité mêlant médecins, malades, et population s’organise à Saint-Alban face aux restrictions alimentaires. Les relations entre malades, soignants et monde extérieur se redéfinissent dans le sens d’une psychiatrie communautaire. La création d’ateliers coopératifs permet au malade d’exercer une « activité laborieuse et lucrative réelle » (Ey, 1952) et le travail, plus qu’occupationnel, redonne une place et une fonction dans le groupe social. Parallèlement, Tosquelles déploie la théorisation : il fera traduire H. Simon, l’un des fondateurs de la sociothérapie et s’appuiera aussi sur la psychanalyse. La « société du Gévaudan » sera un haut lieu d’élaboration de la « psychothérapie institutionnelle » qui rénove profondément la conception de l’accueil et de l’abord des malades au sein du groupe soignant. Daumezon, Le Guillant, Bonnafé, Oury… sont quelques grands noms de ce courant. Les discussions se poursuivent dans le groupe dit Batia, puis dans le groupe de Sèvres avec des figures aussi diverses qu’Ajuriaguerra, Ey, Lacan, Follin, Duchêne… et forgent le renouveau souvent remuant de la pensée.


En 1952, Daumézon, chef du service des admissions de Sainte-Anne, invente avec Le Guillant et Sivadon de nouvelles pratiques de redistribution des malades. La répartition s’organisera selon des « aires de recrutement » associées aux services, modèle qui anticipe le secteur dans son acception géodémographique. La même année, malgré la parution de la circulaire 148 d’août relative aux hôpitaux psychiatriques en vue de les moderniser et de les humaniser, plusieurs psychiatres choisissent de dénoncer crûment les réalités de l’hospitalisation dans la revue « Esprit » (« Misère de la psychiatrie »). Enfin, toujours en 1952, une place décisive doit être accordée à la découverte française du premier neuroleptique. Si le démarrage du mouvement de modernisation vers la sociothérapie, la psychothérapie, et les prises en charges groupales s’était certes déjà produit, appuyé seulement sur des thérapeutiques moins maniables (Ayme, 1995; Fourquet et al., 1975), la sortie de la chlorpromazine représente clairement une avancée capitale : les effets sur la restauration d’un dialogue, et la possibilité d’écourter ou d’interrompre les hospitalisations sont déterminants.


Le « 13e », fondé en 1954 sous la houlette de Paumelle, Lebovici et Diatkine, représente clairement une préfiguration concrète du secteur. Paumelle, plus encore que de soigner l’institution, veille aux conditions de possibilité de la relation thérapeutique, et en construit l’ouverture vers la cité (Fourquet et al., 1975, Pascal, et al., 2003). Il installe une consultation, des visites à domicile, un service social. Il s’agit d’entrer en contact avec les patients le plus tôt possible, avant l’aggravation ou même l’installation des troubles, dans un environnement ordinaire. L’importance donnée à l’orientation psychodynamique marque jusqu’à aujourd’hui cette création.


Ainsi dans les 10–15 ans de l’après-guerre, la réflexion psychiatrique vit une effervescence productive. C’est sur ce fonds tonique que la politique de sectorisation psychiatrique se constituera, faite de la volonté de transformation de l’institution psychiatrique chez des psychiatres convaincus et convaincants, et de l’intérêt courageux et déterminé de quelques hauts fonctionnaires du ministère de la Santé, parmi lesquels Aujaleu, Jean, Mme Mamelet. L’implication de plusieurs psychiatres militants dans des fonctions de conseillers techniques sera souvent un élément facilitateur.

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May 10, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 1: Données historiques de l’organisation des soins et de la législation en psychiatrie

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