13. Tumeurs cutanées
TUMEURS BÉNIGNES
Tumeurs épithéliales bénignes
Verrues
Elles s’observent essentiellement chez les enfants et sur certains terrains (immunodéprimés, surtout transplantés d’organe). Les verrues sont dues à un groupe de virus (Human Papilloma Viruses), dont il existe plus de 150 sous-types. Les types 1 et 2 sont les principaux HPV impliqués dans les lésions virales. D’autres types de HPV sont impliqués dans d’autres pathologies cutanéomuqueuses (HPV6 et 11 pour les condylomes ; HPV16, 18, 31, 33 et 35 pour les cancers du col utérins). Les verrues sont toujours bénignes, et modérément contagieuses.
Verrues vulgaires
Elles siègent le plus souvent sur les mains et les pieds.
Ce sont des élevures cornées de 1 à 5mm de diamètre, à surface grisâtre, dure, irrégulière. Elles s’observent surtout chez les enfants, sur les mains et notamment les doigts (figure 13-1).
Figure 13-1 |
Verrues plantaires
Il en existe deux variétés :
• profondes (myrmécies), en « clous » cornés douloureux à la pression. Leur surface est composée de petites excroissances filiformes, entourées d’un bourrelet dur, kératosique. Ceci permet de les différencier des durillons et des cals, hyperkératoses dues à un appui défectueux, qui sont uniformément lisses, et indolores à la pression ;
• superficielles, en mosaïque.
Les verrues vulgaires, incluant les verrues plantaires, peuvent disparaître spontanément ou sous l’influence de pratiques atypiques.
Le traitement de première ligne est l’application d’azote liquide, à bien doser pour être efficace, sans provoquer de douleur excessive, ni de cicatrice. L’application d’acide salicylique concentré (préparation magistrale, Duofilm, Kerafilm), à condition d’être patiente et d’être précédée d’un curetage manuel, obtient également de bons résultats. Ces deux techniques peuvent être alternées. Les traitements de seconde ligne comprennent l’exérèse chirurgicale, le laser CO2, la bléomycine intralésionnelle, la podophylline, l’imiquimod. Il n’existe pas de preuve scientifique permettant de recommander une hiérarchie thérapeutique.
Verrues planes
Ce sont de petites papules épidermiques à peine saillantes, bien limitées, beige clair, siégeant surtout sur le visage et le dos des mains (figure 13-2). On les traite par application d’azote liquide ou d’acide rétinoïque.
Figure 13-2 |
Verrues anogénitales (condylomes)
Encore appelées condylomes acuminés, ce sont des excroissances charnues roses ou brunes siégeant dans la région des organes génitaux (verge, vulve, vagin) et de l’anus (figure 13-3). Les condylomes sont liés aux HPV6 et 11.
Figure 13-3 |
Ces lésions sont contagieuses et doivent être traitées afin qu’elles ne prennent pas une extension trop importante. Il convient également d’examiner et éventuellement de traiter le(s) partenaire(s) sexuel(s), et de dépister d’éventuelles autres MST (sérologies VIH et hépatite B, TPHA VDRL).
Chez les enfants, les verrues anogénitales ne sont pas exceptionnelles et posent un problème supplémentaire : en effet, elles peuvent témoigner de sévices sexuels ; mais elles peuvent avoir été acquises de façon banale, au contact d’adultes ayant des verrues des mains, au contact de linge souillé, voire même au moment de l’accouchement au contact de verrues maternelles. On abordera donc ce problème avec circonspection ; l’identification, qui est encore du domaine de la recherche, des HPV en cause, pourrait s’avérer utile.
Plusieurs techniques thérapeutiques sont disponibles : pommades à la podophylline, azote liquide, électrocoagulation, laser CO2. L’imiquimod (Aldara) est un immunostimulant local qui a une bonne efficacité dans le traitement des verrues anogénitales.
Certains HPV (16, 18, 31, 33, 35) sont impliqués dans les dysplasies cervicales, les néoplasies intra-épithéliales et les cancers utérins, ce qui indique la nécessité d’une surveillance gynécologique attentive (frottis, colposcopie, biopsie). Un vaccin antipapillomavirus, destiné à la prévention des dysplasies du col utérin, a été mis sur le marché fin 2006 (Gardasil). Il s’administre en trois injections : J0, M2, M6.
Molluscum contagiosum
Très fréquents chez les enfants d’âge préscolaire, les molluscums contagiosum sont dus à des pox-virus. Ce sont de petites élevures hémisphériques et ombiliquées, de couleur peu différente de la peau normale, et dont la taille va de la limite de la visibilité jusqu’à 2-3mm de diamètre, parfois plus (figure 13-4). On peut les enlever à la curette, (prudemment afin de ne pas créer de cicatrice) ou en appliquant un peu d’azote liquide. Comme pour toutes les manœuvres un peu douloureuses, souvent très mal vécues par les enfants, l’application préalable de crème anesthésique lidocaïne-prilocaïne (Anesderm 5 % Gé, EMLA 5 %) est indiquée.
Figure 13-4 |
Kératoses séborrhéiques
On évite actuellement l’ancien terme de « verrues séborrhéiques », qui pouvait faire croire à tort à des verrues virales. Très banales à partir de l’âge de 50 ans, les kératoses séborrhéiques siègent essentiellement sur le haut du tronc, le visage et le cuir chevelu. Ce sont des excroissances épidermiques de 5 à 20mm de diamètre, voire plus. Plates et jaunâtres au début, elles s’épaississent et deviennent progressivement plus foncées, de brun à noir (figure 13-5). Chaque lésion est nettement délimitée, comme « posée sur la peau » ; la surface en est irrégulière, avec un enduit séborrhéique peu squameux, plus ou moins épais et papillomateux. Les kératoses séborrhéiques peuvent facilement être traitées sans cicatrice, par une application d’azote liquide. On peut aussi les enlever à la curette, ou par électrocoagulation superficielle.
Figure 13-5 |
Le problème essentiel posé par les kératoses séborrhéiques est leur possible ressemblance avec des nævus pigmentaires ou des mélanomes. La diversité des aspects cliniques réalisés par ces tumeurs est telle que la certitude diagnostique clinique dans 100 % des cas n’existe pas, même si les spécialistes les plus expérimentés ont un taux d’erreurs faible. L’usage du dermatoscope trouve là une de ses meilleures indications, car l’aspect des lésions mélanocytaires est très différent de celui des kératoses séborrhéiques. Si le doute persiste, il convient d’enlever la lésion comme on le ferait de toute lésion suspecte de mélanome, c’est-à-dire en totalité, et l’anatomopathologiste indiquera le bon diagnostic.
La survenue rapide de nombreuses kératoses séborrhéiques, événement exceptionnel appelé signe de Leser-Trelat, peut être indicatrice d’un cancer profond.
Kystes épidermiques et kystes sébacés
Les minuscules grains de milium de la région des paupières sont des kystes superficiels que l’on retire facilement à l’aide d’une aiguille ou d’un vaccinostyle. Les kystes épidermiques du cuir chevelu (loupes) ou du visage ou du tronc sont des nodules arrondis soulevant une peau normale (figure 13-6). La palpation indique la mobilité, la bonne limitation et le contenu liquidien. Lorsqu’ils sont surmontés d’un comédon (au niveau du thorax), il s’agit de kystes sébacés.
Figure 13-6 |
Ces kystes sont parfois sujets à des poussées inflammatoires, inconstamment infectieuses. S’ils sont gênants, on les enlèvera chirurgicalement, en totalité, à distance d’une poussée.
Hamartomes épidermiques (nævus épidermiques)
Le terme d’hamartome est la dénomination actuellement recommandée pour les lésions malformatives non pigmentaires. L’ancien terme de nævus prêtait à confusion avec les nævus mélanocytaires.
Les hamartomes épidermiques sont des lésions congénitales, linéaires selon les lignes de Blaschko (correspondant aux migrations embryonnaires), planes puis verruqueuses ou papillomateuses (figure 13-7).
Figure 13-7 |
Les formes étendues doivent faire rechercher des malformations associées (syndrome de Solomon, qui est rare). Les hamartomes sébacés du cuir chevelu, zones d’alopécie jaune et papuleuse, doivent être enlevés au début de l’âge adulte car ils peuvent se transformer en carcinomes basocellulaires.
Pour des raisons esthétiques, on retirera, autant que possible, les lésions disgracieuses (hamartomes du visage).
Kérato-acanthomes
Ce sont des tumeurs nodulaires à centre kératosique, cratériforme, survenant chez les sujets âgés (figure 13-8). Ils régressent spontanément en quelques mois mais sont en général retirés avant, du fait de la difficulté à les distinguer cliniquement (et parfois même histologiquement) des carcinomes épidermoïdes.
Figure 13-8 |
Tumeurs conjonctives bénignes
Histiocytofibromes
Les histiocytofibromes sont fréquents, surtout au niveau des membres inférieurs. Il s’agit de petites formations dures, bien limitées, d’environ 5mm de diamètre, formant comme une « pastille » sous un épiderme en général hyperpigmenté et un peu épaissi. Il n’est pas utile de les enlever.
Léiomyomes
Ce sont des nodules dermiques de petite taille, ovalaires, souvent groupés, et qui ont la particularité très évocatrice d’être douloureux à la pression et au froid. L’histologie confirme le diagnostic.
Botriomycomes
Ce sont des bourgeons charnus, développés sur une petite plaie, et souvent épidermisés secondairement (figure 13-9). Leur forte tendance à saigner est évocatrice. Ils sont facilement enlevés, et on en fait l’analyse histologique, afin de ne pas méconnaître une tumeur maligne à l’aspect trompeur de botriomycome (mélanome acral notamment).
Figure 13-9 |
Lipomes
Ce sont des tuméfactions sous-cutanées molles, parfois polylobées, mobiles, de taille variable. Ils se distinguent facilement des kystes épidermiques par l’absence d’orifice folliculaire sus-jacent, par leur consistance et leur mobilité par rapport à la peau sus-jacente. On les enlève, par exérèse classique ou par liposuccion, pour des raisons esthétiques, surtout s’ils prennent un volume important (lipomatoses diffuses, souvent familiales) (figure 13-10). Ils sont parfois douloureux, notamment en cas de composante vasculaire (angiolipomes des membres).
Figure 13-10 |
Neurinomes et neurofibromes
Leur aspect clinique est variable : les plus fréquents réalisent des petites tumeurs sessiles de couleur de la peau normale. Ils s’observent soit isolément, soit dans le cadre de la neurofibromatose de type I (maladie de Recklinghausen) où ils sont associés aux autres signes, dont les taches café-au-lait, les éphélides axillaires et des signes neurologiques, oculaires (nodules de Lisch), osseux (dysplasie du sphénoïde, tibia arqué congénital, petite taille) (figure 13-11).
Figure 13-11 |
Rappel : toute tumeur cutanée doit être correctement diagnostiquée
Le volume et le but de ce guide pratique rendraient déraisonnable un exposé exhaustif de toutes les variétés de tumeurs cutanées. Mais il convient de rappeler que toutes les tumeurs, même bénignes, doivent recevoir un diagnostic correct. En effet, si nombre d’entre elles n’ont pas de signification pathologique, il arrive qu’une tumeur cutanée permette de diagnostiquer une maladie systémique (comme la neurofibromatose de type I) ou soit le marqueur d’un risque de cancer, notamment digestif, parfois familial : tumeurs sébacées et carcinomes coliques pour le syndrome de Torre-Muir (figure 13-12), kystes cutanés et polypes digestifs pour le syndrome de Gardner, lentigines péri-orificielles, polypes digestifs et autres tumeurs pour le syndrome de Peutz-Jeghers, par exemple.
Figure 13-12 |
Aspects cliniques
Les nævus sont des tumeurs bénignes très banales. La plupart des individus à peau blanche en portent un certain nombre. Ils apparaissent progressivement dans l’enfance, et leur nombre semble corrélé avec l’intensité des expositions solaires excessives. Les nævus augmentent en nombre et en taille autour de la puberté, puis pendant les grossesses. Ils disparaissent progressivement dans le grand âge. Les aspects réalisés sont variables :
• tache plane ou à peine en relief de quelques millimètres de diamètre, de coloration brun clair à noir en général assez homogène, à limites nettes (figure 13-13). Les striations normales de la peau restent visibles à la surface du nævus ;
Figure 13-13 |
• tumeur en relief, plus ou moins foncée, à surface régulière ou polypoïde (framboisiforme) (figure 13-14) ;
Figure 13-14 |
• tuméfaction rosée hémisphérique, éventuellement pileuse, siégeant souvent sur le visage (figure 13-15).
Figure 13-15 |
Conduite à tenir
Les nævus sont donc bénins et leur dégénérescence, qui se manifesterait avant tout par une augmentation de taille, est un événement exceptionnel. Il n’y a donc pas lieu, comme le dit justement la RMO sur ce sujet (Thème 28), d’enlever systématiquement les nævus, ce ne sont pas des lésions précancéreuses.
L’exérèse d’un nævus (au bistouri à lame, en enlevant la lésion en totalité, avec une marge de 2mm, et un examen histologique systématique), est indiquée dans les cas suivants :
• doute diagnostique avec un mélanome (asymétrie, irrégularité des bords, de la surface, de la couleur, modification récente, diamètre > 5mm). La dermatoscopie, à laquelle nombre de spécialistes sont actuellement entraînés, pourrait apporter une aide dans les cas difficiles ;
• traumatisme ou zone traumatisable ;
• souci esthétique ;
• inquiétude excessive du patient.
Il faut ajouter que, contrairement à une ancienne croyance, l’exérèse des nævus ne comporte en elle-même aucun risque de dégénérescence.
Cas particuliers
Nævus congénitaux
Les nævus présents à la naissance, surtout s’ils sont de grande taille (figure 13-16), comportent, contrairement aux nævus acquis, un risque de dégénérescence relativement élevé. Ce risque, ainsi que le souci esthétique, justifient des exérèses précoces, dès les premiers mois de vie, en milieu chirurgical pédiatrique spécialisé. Les stratégies diffèrent selon la taille et la localisation de la tumeur ; pour les nævus de très grande taille, plusieurs interventions sont nécessaires.
Figure 13-16 |
Nævus de Spitz
C’est une petite lésion en dôme, rouge ou rouge brun, surtout fréquente chez l’enfant. Il s’agit de nævus bénins mais leur aspect histologique particulier (cellules fusiformes) a pu entraîner il y a quelques années un certain nombre de confusions.
Nævus atypiques (anciennement appelés dysplasiques)
Ce sont des nævus de taille supérieure à 5mm, clairs, rosés, mal limités, habituellement très nombreux (figure 13-17). Leur analyse histologique recherche des critères précis (encore que discutés) d’« atypie » : hyperchromatisme nucléaire, pléiomorphisme cellulaire, architecture générale irrégulière.
Figure 13-17 |
Les formes familiales comportent un risque élevé de mélanome. Ce risque est plus modéré, et même discuté dans les formes sporadiques.
De toute façon, le nombre des lésions interdit des « exérèses préventives ». La conduite à tenir est donc, avec plus de rigueur encore, celle que l’on peut recommander à tous les patients présentant de nombreux nævus :
• protection solaire (voir p. 228) ;
• consultation en cas de modification d’une lésion cutanée ou d’apparition d’une nouvelle lésion ;
• consultations systématiques de surveillance, tous les ans. De nouvelles techniques de photographie et de traitement informatique des images sont développées pour permettre une meilleure surveillance clinique de ces patients. Elles ne sont pas encore de pratique courante, car coûteuses.
Histologie
Lorsqu’on est amené à enlever un nævus, il faut l’enlever en totalité et envoyer au dermatopathologiste toute la pièce d’exérèse.
Les nævus sont constitués de thèques (amas) de cellules mélanocytaires, situées dans le derme, ou à la jonction dermo-épidermique, ou dans ces deux localisations.
TUMEURS ÉPITHÉLIALES MALIGNES
Fréquentes à partir de l’âge moyen de la vie, les tumeurs épithéliales malignes, carcinomes basocellulaires et épidermoïdes (anciennement appelés épithéliomas basocellulaires et spinocellulaires) sont des tumeurs à extension toujours (basocellulaires) ou presque toujours (épidermoïdes) uniquement locale qui posent deux problèmes :
• leur prévention par la photoprotection, car elles ont, surtout les épidermoïdes, le soleil comme facteur de risque majeur ;