12. Traumatismes graves du cœur
S. Duperret and P. Vignon
Les lésions cardiaques graves responsables d’insuffisance circulatoire sont le plus souvent secondaires à un traumatisme pénétrant qui pose le problème d’une plaie du cœur. Les lésions cardiaques secondaires à un traumatisme thoracique fermé sont le plus souvent des contusions myocardiques bien tolérées au plan hémodynamique [1]. Néanmoins, les formes les plus sévères peuvent être responsables de troubles du rythme sévère voire de choc cardiogénique [2]. Quelle que soit la nature du traumatisme, toutes les structures anatomiques du cœur peuvent être concernées : péricarde, myocarde, appareils valvulaire et sous-valvulaire, abouchement des gros vaisseaux, artères coronaires, etc.
Les traumatismes ouverts et fermés du cœur posent des problèmes diagnostiques et pronostiques différents. Dans tous les cas, l’échocardiographie Doppler joue un rôle clé car elle permet rapidement d’identifier le mécanisme de la défaillance circulatoire : tamponnade ou plus rarement choc cardiogénique lorsque l’état de choc est lié au traumatisme cardiaque, ou choc hémorragique bien souvent dans le cadre d’un polytraumatisme. L’échocardiographie transthoracique (ETT) est l’examen de première intention chez le blessé stable mais à haut risque de plaie cardiaque. L’échocardiographie transœsophagienne (ETO) devient incontournable lorsqu’un traumatisme cardiaque fermé est suspecté en raison de sa meilleure précision diagnostique [3]. Elle permet alors d’éliminer une lésion traumatique associée de l’aorte (voir chapitre 19). L’ETO est réalisée d’autant plus facilement que le patient choqué est sous ventilation mécanique, parfois en complément de l’ETT ou au bloc opératoire en cas d’intervention chirurgicale réalisée en urgence.
Physiopathologie et description des lésions traumatiques graves du cœur
▪ Traumatismes fermés du cœur
Les lésions cardiaques secondaires à un traumatisme thoracique fermé ont plusieurs mécanismes : transmission directe de l’énergie cinétique au moment de l’impact sur le thorax, décélération brutale du massif cardiaque dans le médiastin, et compression du cœur entre le sternum et le rachis [2].
– Le premier mécanisme est prédominant lorsque le thorax est souple et déformable, permettant ainsi la transmission d’une majeure partie de l’énergie cinétique liée à l’impact thoracique aux organes profonds. Il concerne plutôt les sujets jeunes et doit être suspecté lorsque la cage thoracique est intègre. En effet, un fracas costal témoigne de l’absorption d’une grande partie de l’énergie cinétique par la cage thoracique dont une des fonctions est de protéger la double pompe vitale (cœur et poumons).
– Le deuxième mécanisme a un rôle majeur dans les accidents de la voie publique qui impliquent une violente décélération frontale (collision entre deux véhicules ou contre un mur), mais aussi dans certains chocs latéraux ou en cas de chute d’une hauteur importante [1]. C’est aussi le mécanisme à l’origine des lésions traumatiques de l’isthme aortique [4]. Celles-ci peuvent donc être associées à des lésions cardiaques (voir chapitre 19).
– Enfin, le traumatisme du cœur peut être direct : écrasement entre la paroi antérieure de la cage thoracique et le rachis qui agit comme un billot postérieur, embrochement par une fracture déplacée du sternum, traction ou torsion au niveau des sites d’attache du cœur (jonction entre les veines caves et pulmonaires et le massif auriculaire, anneau aortique) [4].
La contusion myocardique est le résultat d’un impact de forte énergie sur le thorax [2]. Elle est caractérisée histologiquement par des zones disséminées de nécrose myocardique et d’infiltrats hémorragiques, et peut cliniquement entraîner une dysfonction ventriculaire ou des troubles du rythme graves [4]. En dehors de l’aspect macroscopique peropératoire ou d’un examen anatomopathologique, le diagnostic est difficile (Figure 12-1). Cela explique la difficulté d’évaluer précisément sa fréquence au cours des traumatismes thoraciques fermés sévères [1]. Elle peut être associée à un hémopéricarde, voire à une rupture de paroi myocardique (Figure 12-2).
Figure 12-2 |
On doit distinguer contusion et commotion myocardique. La commotion myocardique ou commotio cordis est une lésion cardiaque secondaire à un impact précordial de faible énergie [2]. Elle touche les jeunes sportifs ou athlètes de certains sports en les exposant à la mort subite par fibrillation ventriculaire [5, 6]. Ces lésions n’ont pas de traduction paraclinique et ne seront pas abordées ici.
▪ Traumatismes ouverts du cœur
Les plaies du cœur sont des urgences vitales. Le décès peut être lié à la tamponnade par hémopéricarde (plaie d’une paroi libre du cœur saignant dans un sac péricardique relativement étanche) ou être lié à une exsanguination (plaie d’une paroi libre alimentant un hémothorax par une large brèche péricardopleurale). Cela explique la mortalité très élevée des plaies cardiaques qui peut atteindre plus de 80 % [7, 8]. De plus, les plaies par arme à feu ont un pronostic encore plus sombre que les plaies par arme blanche [8].
Néanmoins, la présentation d’une plaie cardiaque peut être faussement rassurante, le patient étant initialement stable au plan hémodynamique. Le premier risque est donc de méconnaître un hémopéricarde minime secondaire à une plaie cardiaque qui peut à nouveau saigner et conduire rapidement à une tamponnade mortelle, notamment après plaie thoracique par arme blanche [9]. C’est pourquoi tout patient stable qui se présente avec un orifice d’entrée situé dans l’aire précordiale (ou cardiac box) [10, 11] doit systématiquement être considéré comme ayant potentiellement une plaie cardiaque qui peut se révéler secondairement (Figure 12-3). Le second risque est de sous-estimer la gravité d’une plaie thoracique par arme à feu dont le trajet dans l’organisme peut être difficile à reconstruire et les effets à distance (blast, cavitation, etc.) impossibles à prédire [1]. En effet, une plaie thoracique par arme à feu dont la porte d’entrée est située à distance de l’aire précordiale peut néanmoins avoir entraîné une lésion du cœur.
Figure 12-3 Modifié d’après [10] avec autorisation. |
Les plaies du cœur intéressent surtout les ventricules [12], et notamment le ventricule droit en raison de sa position antérieure dans le thorax. Outre la plaie d’une paroi libre du cœur qui rend compte du risque vital immédiat, des lésions intracardiaques parfois occultes peuvent être observées. Toutes les structures anatomiques peuvent être atteintes, avec des associations lésionnelles parfois complexes [12]. Les plaies cardiaques qui permettent au blessé d’atteindre l’hôpital vivant sont généralement de petite taille, de l’ordre du centimètre (Figure 12-4). En cas de plaie par arme à feu, des corps étrangers peuvent être enchâssés dans le massif cardiaque ou peuvent emboliser dans la circulation (Figure 12-5).
Figure 12-4 |
Figure 12-5 |
Échocardiographie et traumatismes fermés du cœur
L’ETT ne permet pas d’obtenir une qualité d’image suffisante chez tous les traumatisés thoraciques, notamment sous ventilation mécanique, puisqu’elle n’est réalisable que dans 38 % des cas dans ce contexte [3]. De plus, l’ETT est peu performante pour le diagnostic de traumatismes fermés du cœur, hormis pour identifier un hémopéricarde (Tableau 12-1). L’ETO est réalisable chez virtuellement tous les patients ventilés lorsque les contre-indications sont respectées [3]. Cet examen a une performance diagnostique supérieure à celle de l’ETT pour le diagnostic des lésions traumatiques du cœur [3, 13, 14 and 15] et de l’aorte thoracique [3]. Ces atouts rendent l’ETO incontournable dans la prise en charge des traumatisés thoraciques ventilés [14, 16, 17, 18 and 19].
Lésions cardiaques | Échocardiographie transthoracique | Échocardiographie transœsophagienne |
---|---|---|
Contusion myocardique | 15 (21,5 %) | 45 (34 %) |
Hémopéricarde | 28 (55 %) | 40 (31 %) |
Lésions valvulaires | 0 | 2 (1,5 %) |
▪ Contusion myocardique
La contusion myocardique est de loin la lésion traumatique fermée du cœur la plus fréquente. Le siège de la zone contuse dépend de la localisation de l’impact thoracique : ventricule droit et septum interventriculaire lors d’impacts thoraciques droits, ventricule gauche lors d’impacts gauches [20]. La traduction échocardiographique est une anomalie de contraction segmentaire dans le territoire contus, le plus souvent de la paroi libre du ventricule droit, mais parfois du septum interventriculaire ou de la paroi libre du ventricule gauche [20]. Cette hypokinésie segmentaire peut être associée à d’autres signes témoignant de lésions variables de la paroi myocardique (Tableau 12-2). Aucun de ces signes n’est spécifique de contusion myocardique.
*Témoigne d’une contusion de l’épicarde ; | |
**comparables à celles de l’amylose cardiaque. | |
(d’après [20]) | |
Signes échocardiographiques | Lésions traumatiques |
---|---|
Anomalie de contraction (hypokinésie) segmentaire | Nécrose en foyers sans défaut de perfusion coronaire |
Épanchement péricardique | Hémopéricarde* |
Signes plus rares : | Œdème interstitiel Interface nécrose tissulaire/foyers d’hémorragie Hématomes intrapariétaux localisés |
En cas de défaillance circulatoire imputable à une contusion du ventricule droit, celleci s’accompagne d’une dilatation cavitaire et d’une hypokinésie sévère de sa paroi libre (Figure 12-6). Ces signes sont également décrits dans le cœur pulmonaire aigu (voir chapitre 9). Relier cette sémiologie à la seule contusion du ventricule droit est donc une erreur lorsque le blessé a une hypertension artérielle pulmonaire, par exemple d’origine hypoxique en rapport avec une contusion pulmonaire étendue. En revanche, une contusion même peu sévère du ventricule droit peut avoir une traduction hémodynamique si elle s’accompagne d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë qui augmente les résistances artérielles pulmonaires.
Figure 12-6 |
Le choc cardiogénique lié à une contusion sévère du ventricule gauche est rare [21]. Dans ce cas, l’échocardiographie montre une hypokinésie diffuse sévère non spécifique. Celle-ci peut en effet être aussi le résultat d’un choc hémorragique nécessitant la perfusion de catécholamines [22], d’une hypoxie sévère [23], ou de lésions traumatiques intracrâniennes associées. En somme, il est très rare de rattacher une défaillance circulatoire à une contusion myocardique isolée, mais dans ces cas exceptionnels, une assistance circulatoire peut être nécessaire [24].
▪ Rupture de paroi
Les ruptures pariétales du cœur sont rarement compatibles avec la survie du blessé [1]. Elles représentent la forme la plus grave de contusion myocardique. Les études cliniques rapportent plus souvent des cas de ruptures de septa [25, 26], de paroi auriculaire droite [27], ou de l’auricule droit [28]. Ces lésions traumatiques sont en effet plus compatibles avec la survie que les ruptures de la paroi libre des ventricules [29, 30]. Elles sont généralement découvertes lors de l’exploration chirurgicale d’un hémopéricarde secondaire à un traumatisme thoracique fermé sévère [31, 32].
Le signe échocardiographique essentiel est la présence d’un hémopéricarde, car la rupture pariétale est exceptionnellement visualisée [32]. C’est donc devant un hémopéricarde chez un traumatisé thoracique sans autre cause d’état de choc qu’il faut évoquer ce diagnostic. Les ruptures de paroi ventriculaire peuvent être associées à des lésions de l’appareil valvulaire ou sous-valvulaire [30]. L’évolution vers le faux anévrisme du ventricule gauche est exceptionnelle [33]. De même, le Doppler couleur permet rarement d’identifier un shunt intracardiaque gauche-droit secondaire à une rupture du septum interauriculaire ou interventriculaire (Figure 12-7).
Figure 12-7 |
▪ Hémopéricarde et hématome extrapéricardique
L’hémopéricarde peut être associé à une contusion myocardique, et est alors rarement responsable de tamponnade [2]. Mais il peut être compressif, notamment lorsqu’il est secondaire à la rupture d’un gros vaisseau au niveau de son trajet intrapéricardique [34]. En imagerie bidimensionnelle, l’hémopéricarde apparaît comme un épanchement péricardique hyperéchogène lorsque le saignement est récent ou actif, ou que le sac péricardique contient un thrombus (figure 12-6B). Cet aspect distingue donc l’hémopéricarde des épanchements péricardiques d’origine inflammatoire qui peuvent se développer à distance de la contusion myocardique et sont volontiers anéchogènes. En outre, l’échocardiographie permet immédiatement de distinguer un état de choc cardiogénique lié à une contusion ventriculaire droite sévère d’un choc obstructif secondaire à un hémopéricarde compressif [35]. L’ETT est performante pour le diagnostic d’hémopéricarde [3] (Tableau 12-1). Elle a de plus l’avantage d’être réalisable en préhospitalier [36].
En revanche, l’ETO est indispensable pour le diagnostic des hématomes extrapéricardiques, le plus souvent situés dans le médiastin postérieur (Figure 12-8). La sémiologie échocardiographique est celle décrite pour les hématomes rétro-auriculaires postopératoires (voir chapitre 13) et pour les hémomédiastins qui accompagnent les ruptures traumatiques de l’isthme aortique (voir chapitre 19). Parfois, l’hématome peut être situé dans le médiastin antérieur (hématome rétrosternal) suite à une fracture du sternum simple ou compliquée d’une lésion de l’artère mammaire interne (Figure 12-9). Il peut induire une tamponnade [37]. Dans tous les cas, l’hypovolémie et la ventilation mécanique aggravent le retentissement hémodynamique de l’hémopéricarde ou de l’hématome extrapéricardique, même localisé.