PATHOLOGIE RARE AUX FACTEURS DE RISQUE MIEUX CONNUS AUJOURD’HUI
L’incidence exacte des embolies pulmonaires (EP) au cours de la grossesse et plus encore des TVP était considérée comme difficile à formuler car le diagnostic de ces accidents était loin d’être toujours porté avec certitude. Dans des études récentes, l’incidence des TVP et des EP pendant la grossesse et le post-partum se situe entre 0,06 % et 0,85 %. Les accidents veineux surviennent plus fréquemment dans le post-partum (surtout les 6 premières semaines après l’accouchement) que pendant la grossesse, et il a été souligné que 40 % des thromboses sont observées après la sortie de l’hôpital.
Indépendamment des facteurs de risque qui ne sont pas propres à la grossesse, mais favorisent néanmoins la survenue de TVP (alitement prolongé, obésité, anomalies constitutionnelles ou acquises de l’hémostase), la grossesse est en soi considérée comme un facteur de risque de TVP. Le ralentissement de la circulation et la diminution du tonus veineux, la gêne au retour veineux due à l’utérus gravide et les modifications de l’hémostase sont les causes présumées de ce risque accru. Ces dernières vont dans le sens d’une hypercoagulabilité.
Les TVP, survenant pendant la grossesse, sont localisées plus de 9 fois sur 10 au niveau du membre inférieur gauche. Cette topographie souligne l’importance des facteurs mécaniques par le biais de la décompensation d’un syndrome de Cockett préexistant (compression de la veine iliaque primitive gauche par la bifurcation artérielle).
Le risque d’accident thromboembolique paraît environ 5 fois plus élevé au cours de la grossesse que chez la femme du même âge n’utilisant pas de pilule œstroprogestative. Le risque d’EP mortelle augmente avec l’âge de la patiente et la multiparité. Le recours à une césarienne, surtout si elle est réalisée en urgence, multiplie environ par 20l’incidence des accidents veineux thromboemboliques et élève le risque d’EP mortelle. Le risque de TVP ou d’EP au cours de la grossesse est chiffré entre 5 % et 13 % chez une patiente ayant déjà souffert d’un épisode analogue et ce indépendamment des circonstances de survenue de ce dernier. Enfin, les méthodes de fécondation in vitro augmentent également l’incidence des thromboses vasculaires, TVP mais également thromboses artérielles, avec une localisation particulière au niveau des vaisseaux de la tête et du cou (thrombose de la veine jugulaire par exemple). Il a été suggéré que la localisation particulière de ces thromboses était liée au taux élevé des œstrogènes dans le liquide péritonéal et à leur passage dans le système lymphatique (voirchapitre 18).
DIAGNOSTIC DOCUMENTÉ DE TVP OU EP
Le diagnostic de TVP est déjà cliniquement difficile en dehors de la grossesse. Il rencontre théoriquement chez la femme enceinte un maximum d’obstacles car œdème, crampes, dilatation des veines superficielles et douleurs des mollets peuvent n’être que l’expression d’une stase veineuse isolée sans thrombose. Par ailleurs, les fréquents syndromes de compression de la veine iliaque gauche par la bifurcation artérielle (syndrome de Cockett) et les rares malformations congénitales de la veine cave inférieure (diaphragme, synéchies), peuvent se décompenser au cours de la grossesse, notamment sous l’effet de la compression exercée par le fœtus et faire évoquer à tort une TVP iliaque. En réalité, le diagnostic de TVP iliofémorale gauche (l’une des topographies les plus fréquentes de TVP au cours de la grossesse) est aisément évoqué devant l’apparition brutale d’une symptomatologie strictement unilatérale : sensation de lourdeur, douleur évoquant une cruralgie ou une lombosciatalgie, œdème de la jambe et de la cuisse, érythrocyanose de déclivité remarquée dès le lever. Le recours aux examens complémentaires est dans tous les cas indispensable. Le Doppler couplé à l’échographie, dans le diagnostic des TVP de la grossesse, a une fiabilité qui atteint 100 % dans les localisations jambières, poplitées et fémorales entre les mains d’un observateur expérimenté et il est exceptionnel de devoir recourir à des explorations invasives. Le dosage des D-dimères (D-Di) n’est généralement pas utile pour exclure un diagnostic de TVP, car le taux augmente pendant la grossesse, mais un taux normal garde son intérêt.
En cas de suspicion clinique d’EP en raison d’une dyspnée, dans un premier temps, l’échographie-Doppler est conseillée avant de recourir à la scintigraphie pulmonaire ou au scanner. Bien que le risque que présente l’injection d’iode pour la thyroïde fœtale soit plus théorique que réel, il est préférable, en cas d’injection, de prévenir le pédiatre.
TRAITEMENT CURATIF FONDÉ SUR L’ASSOCIATION HÉPARINE-COMPRESSION ÉLASTIQUE
Les TVP et EP, survenant au cours de la grossesse sont l’indication d’un traitement anticoagulant, hormis les rares cas où une EP grave n’évoluant pas favorablement sous traitement médical fait discuter une embolectomie chirurgicale.
L’héparine non fractionnée (HNF) a été considérée comme le traitement de choix des thromboses de la grossesse. Elle ne franchit pas la barrière placentaire. Elle est administrée initialement par voie IV à la seringue électrique ou par voie sous-cutanée à raison de deux injections par jour (tableau 17.I). Elle nécessite une surveillance biologique par le temps de céphaline avec activateur (TCA) (allongement recherché varie avec le réactif utilisé) ou le dosage de l’activité anti-Xa qui doit se situer entre 0,2 et 0,5 UI/ml. La femme enceinte peut opposer une résistance relative à l’action de l’HNF et requérir une dose plus élevée qu’en dehors de la grossesse. Lorsque le risque thromboembolique paraît très élevé, il a été proposé de remplacer en fin de grossesse l’héparine sous-cutanée par l’héparine IV et d’interrompre cette dernière 6h avant l’accouchement. L’analgésie péridurale est contre-indiquée si le traitement n’a pas été arrêté depuis 24h. Après l’accouchement, le traitement anticoagulant est poursuivi par l’héparine pour une durée qui ne doit pas être < 6 semaines (tableau 17.I), ou jusqu’au relais par les AVK, une fois réduits les risques d’hémorragie du post-partum, c’est-à-dire 1 semaine après l’accouchement. Outre les inconvénients locaux (douleurs, hématomes) des injections répétées et les risques hémorragiques inhérents à tout traitement anticoagulant, l’HNF administrée au cours de la grossesse peut avoir d’autres inconvénients. Elle peut être cause d’ostéoporose qui n’a été rapportée comme cliniquement symptomatique que chez les patientes traitées par une dose d’au moins 20 000 U/j pendant plus de 6 mois. Elle pourrait également être à l’origine de thrombopénies immunoallergiques détectables par la surveillance hebdomadaire de la numération des plaquettes.
AT : antithrombine, HBPM : héparines de bas poids moléculaire, PS : protéine S, SAPL : syndrome des antiphospholipides |
Pendant la grossesse : – suspicion clinique de TVP ou EP : administration d’HBPM dans l’attente de la confirmation du diagnostic. – diagnostic : documenté par un moyen objectif : échographie-Doppler, scintigraphie par exemple. – dosage des D-Di généralement non informatif (taux augmente pendant la grossesse) – recherche de SAPL et de thrombophilie constitutionnelle : taux de PS souvent abaissé pendant la grossesse, à contrôler à distance de l’accouchement – port d’une compression élastique; – EP ou TV proximale : – HNF par voie intraveineuse pendant 5 jours avec TCA deux à trois fois le temps du témoin; – puis HBPM par voie sous-cutanée : énoxaparine ou daltéparine à dose curative 100 UI/kg deux fois par jour avec contrôle de l’activité anti-Xa : 0,5 à 1,0 UI/ml, 3 à 4h après l’injection, ou tinzaparine une injection par jour de 175 UI/kg; – en cas de déficit en AT, l’administration de concentrés en AT peut être utile à la phase aiguë en association avec l’héparine. – poursuite du traitement par HBPM jusqu’à l’accouchement. – TV surale : – HBPM d’emblée, à dose curative pendant au moins 3 mois. Considérer ensuite une éventuelle réduction des doses jusqu’à l’accouchement selon l’évolution clinique et échographique. – Contrôle de l’activité anti-Xa une fois par mois comme ci-dessus. – Numération plaquettaire les quatre 1res semaines puis une fois par mois. Accouchement : – Analgésie péridurale possible si délai de plus de 24h depuis la dernière injection d’HBPM à dose curative. – En cas de déficit en AT : injections de concentrés d’AT le jour et le lendemain de l’accouchement (40 à 60 U/kg) à considérer. – Reprise de la compression élastique et des injections d’HBPM environ 8h après l’accouchement, ou davantage s’il existe un risque de saignement. Post-partum : – Poursuite de l’HBPM ou passage aux AVK. Durée : au minimum 6 semaines (durée totale du traitement d’au moins 6 mois). – Allaitement possible sous HBPM ou warfarine (Coumadine). |

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