Conduites Pratiques

Hémorragies et Thromboses en Anesthésiologie

Marc Samama





ÉVALUATION PRÉOPÉRATOIRE


Le bilan biologique ne doit plus être systématique. Le temps est révolu où le patient venait à la consultation d’anesthésie avec des résultats d’examens systématiques, demandés par le chirurgien. L’accent doit donc être mis prioritairement sur l’interrogatoire. Celui-ci doit s’efforcer d’être le plus détaillé possible :


– antécédents hémorragiques personnels et familiaux du patient;


– notion de saignements spontanés ou provoqués;


– hospitalisation ou transfusion antérieure;


– traitement par anticoagulants oraux (antivitamines K [AVK]), héparine, aspirine, ticlopidine, clopidogrel, AINS.

Les questions doivent être répétées sous différentes formes, en tentant d’éliminer des interrogations passe-partout qui ne sont pas informatives. Les questions inutiles si elles sont isolées (réponses généralement affirmatives, et inutilisables) sont les suivantes :


– «Avez-vous déjà saigné après une avulsion dentaire?»;


– «Saignez-vous en vous brossant les dents?»;


– «Développez-vous facilement des bleus après un choc?»;


– «Votre accouchement s’est-il compliqué d’un saignement?»;


– «Prenez-vous de l’aspirine, des anti-inflammatoires?».


Seuls l’interrogatoire et l’examen clinique possèdent une valeur médicolégale. Il est préférable d’éviter, quand c’est possible, l’addition d’un facteur de risque hémorragique supplémentaire à une hémostase perturbée par l’acte chirurgical. Les données de la littérature sont unanimes. L’interrogatoire et l’examen clinique orientent le choix des examens préopératoires dont le nombre doit être le plus restreint possible.

En dehors de quelques cas très particuliers, le bilan systématique n’a donc plus de raison d’être. La prescription d’examens complémentaires prenant malheureusement moins de temps qu’un interrogatoire détaillé, un protocole de prescription sélective pour chaque pathologie peut être proposé afin de faciliter la démarche des équipes soignantes. Dans le cas d’une pathologie constitutionnelle ou acquise de l’hémostase, la prise en charge du patient doit être conjointe avec les spécialistes du laboratoire d’hémostase ou du centre local de traitement de l’hémophilie. Si l’accord parfait s’est fait chez l’adulte, la prudence devait exclure jusqu’à présent de cette démarche le nourrisson avant l’âge de la marche. En effet, plusieurs facteurs pouvaient être considérés comme limitant :


– l’absence dans la majorité des cas d’antécédents chirurgicaux permettant d’évaluer le risque hémorragique;


– l’impossibilité d’interroger directement les enfants, privant parfois le clinicien de renseignements précieux. On remarquera toutefois que les circoncisions rituelles pratiquées à domicile sur des nouveau-nés ou de jeunes enfants ne sont jamais précédées d’un bilan d’hémostase. Ce bilan va devenir indispensable en cas de réalisation du même geste par des chirurgiens à l’hôpital…

Enfin, il est admis que le type d’anesthésie prévu (locorégionale ou générale) n’influence pas le choix des examens. En revanche le type d’intervention et la possible survenue de troubles de l’hémostase per ou postopératoires peuvent conduire à alourdir un tant soit peu la demande de tests préopératoires.


TRAITEMENTS ANTIAGRÉGANTS ET ANTICOAGULANTS



Patients traités par antiagrégants plaquettaires



Chez un patient non porteur d’un stent, il est possible d’interrompre le traitement antiplaquettaire réglé et de le remplacer par un AINS qui bloque la cyclooxygénase de manière réversible. La disparition de la molécule du plasma permet, contrairement à l’aspirine (blocage irréversible de la cylooxygénase), une récupération ad integrum des plaquettes. Le flurbiprofène (Cébutid) est alors administré en deux prises de 50mg et arrêté 24h avant l’intervention. Enfin, compte tenu de la durée de vie de 10 jours des plaquettes, on peut considérer qu’1/10 du pool plaquettaire est renouvelé chaque jour. Après 5 jours, près de 50 % des plaquettes neuves n’ont pas été au contact d’aspirine ou d’une thiénopyridine (clopidogrel, ticlopidine). Cette proportion est généralement suffisante pour assurer une hémostase chirurgicale. Elle répond à la notion de compétence hémostatique.

Dans le cas d’une intervention en urgence, la question de l’interruption du traitement ne se pose pas.

Le risque doit être considéré différemment selon le contexte chirurgical : une augmentation modérée du saignement en chirurgie cardiaque n’entame ni le pronostic fonctionnel ni le pronostic vital. Le seul risque, très faible, est lié à celui de la transfusion sanguine. À l’opposé, en neurochirurgie, en chirurgie urologique, ophtalmologique (chambre postérieure) ou ORL, quand l’hémostase peropératoire est difficile à contrôler, l’hémorragie peut mettre en jeu le pronostic fonctionnel de l’intervention.

Le contrôle de l’hémorragie peropératoire si elle peut être assurée par la desmopressine (dDAVP) (Minirin : 0,3μg/kg en 20min) si le patient n’est pas vasculaire (ce qui est rare chez un patient traité par antiagrégants). Cette thérapeutique ne doit pas être prophylactique. Au maximum, en présence d’un saignement mettant en jeu le pronostic vital ou fonctionnel de l’intervention, la transfusion de plaquettes est efficace (1 unité pour 7kg de poids).

Les anti-GPIIb/IIIa utilisés en cardiologie (abciximab [Réopro], eptifibatide [Integrelin], tirofiban [Agrastat]) doivent faire l’objet d’une attention particulière. Le risque hémorragique de ces thérapeutiques est mal quantifié, d’autant qu’elles comportent un risque propre de thrombopénie majeure. Là aussi, la transfusion de plaquettes semble efficace.


L’ALR demeure contre-indiquée chez le patient traité par ticlopidine, clopidogrel ou abciximab, à plus forte raison en présence d’une association d’un de ces produits avec l’aspirine.

En définitive, un patient peut être opéré sous l’influence de thérapeutiques antiplaquettaires, moyennant un certain nombre de restrictions et de précautions. Ces traitements, s’ils sont arrêtés, seront immédiatement reconduits en postopératoire immédiat.

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Jun 5, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Conduites Pratiques

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