10. Thérapie interpersonnelle et du rythme social
F. Ferrero and T. Hovaguimian
Contexte historique
La thérapie interpersonnelle et du rythme social (Interpersonal and Social Rhythm Therapy : IPSRT) a deux sources principales : la psychothérapie interpersonnelle (Klerman et coll., 1984) et l’étude des rythmes biologiquesRythme(s)biologique(s) (Ehlers et al., 1988 and Ehlers et al., 1993). Alors que la thérapie interpersonnelleThérapie(s)interpersonnelle(s) était destinée, à l’origine, à traiter les états dépressifs, Frank et coll. (1994) ont développé l’IPSRT pour offrir aux patients bipolaires un traitement mieux adapté.
Cette approche, proposée comme complément prophylactique à un traitementTraitement(s) pharmacothérapiquePharmacothérapie, inclut l’apprentissage de stratégies comportementalesStratégiescomportementales visant à stabiliser la « routine » quotidienne, ainsi que de la psychoéducationPsychoéducation. L’IPSRT procède également du « modèle d’instabilité » des troubles bipolaires, proposé par Goodwin and Jamison, 1990 and Goodwin and Jamison, 2007a qui postulent que la vulnérabilitéGénétique(s)vulnérabilité des patients bipolaires est, sans doute, largement génétique.Vulnérabilité(s)génétique(s) Les patients avec un trouble de l’humeurTrouble(s) de l’humeur ont une sensibilité biologique qui les rend particulièrement vulnérables à la dérégulation de leurs rythmes circadiensRythme(s)circadien(s). Ces rythmes biologiques permettent aux animaux et aux humains de s’adapter efficacement à leur environnementEnvironnement en synchronisant certaines fonctions essentielles à la vie (s’alimenter, se reproduire, dormir) avec des paramètres ambiants tels que la lumière et la température. Mais chez l’humain, l’horloge interneHorloge biologique est également sensible à d’autres paramètres environnementauxFacteursenvironnementaux que les éléments physiques : les rapports interpersonnels peuvent agir comme régulateurs ou renforçateurs sociaux des « donneurs de tempsDonneurs de temps (Zeitgebers) » (Ehlers et coll., 1988). Ainsi par exemple, le cadre du travail nécessitant de se lever, s’activer, rencontrer les autres, avoir des pauses, des repas avec eux, sert de gardien du temps. Ces constats ont leur importance dans la compréhension de la maladie dépressive ou maniaco-dépressive, car il est établi que, chez l’homme, les rythmes biologiquesRythme(s)biologique(s) n’influencent pas que le niveau de vigilance et d’énergie mais, à des degrés variables selon la constitution, également l’humeur (McClung, 2007). En effet, lorsqu’un individu ne souffrant pas d’un trouble de l’humeurTrouble(s) de l’humeur (dépressionDépression(s) ou trouble bipolaire) traverse une perturbation de son rythme circadienRythme(s)circadien(s) (par exemple une nuit blanche pour rattraper un retard de travail), il n’en ressent qu’une perturbation passagère de son bien-être, dont il pourra rapidement récupérer après une ou deux nuits de sommeilSommeil. L’individu vulnérable, en revanche, ne va récupérer que plus lentement et il lui en coûtera plus d’efforts. Une dérégulation plus importante des rythmes peut faire basculer cet individu de l’euthymie vers la maladie à laquelle il est prédisposé. Cette dérégulation est précipitée par des changements physiques (travail de nuit, décalage de fuseaux horaires) ou sociaux (retrait social ou dysfonction du rôle interpersonnel). À l’inverse des « ZeitgebersZeitgebers » ou « donneurs de temps », on a désigné comme « Zeitstörers » ou « perturbateurs de temps » ce type de changements dérégulant l’humeurHumeur.
Wehr et coll. (1987 ; 1989), qui avaient mis en évidence le rôle joué par le style de vie et par la régularité des horaires de sommeil chez les patients bipolaires, ont formulé l’hypothèse que nombre de facteurs susceptibles de déclencher un épisode maniaqueManie(s), aussi bien psychologiques, interpersonnels, environnementauxFacteursenvironnementaux que pharmacologiques, le feraient au travers de leur capacité à perturber le sommeil. En rapprochant cette hypothèse du modèle théorique développé par Ehlers et al., 1988 and Ehlers et al., 1993 d’une horloge biologiqueHorloge biologique influencée par des donneurs de temps sociaux (sozial Zeitgebers), cela donne une nouvelle dimension au concept introduit par Aschoff (1954).
L’IPSRT combine différentes techniques susceptibles de diminuer les vulnérabilités interpersonnellesVulnérabilité(s)interpersonnelle(s) et biologiquesVulnérabilité(s)biologique(s) des personnes souffrant de troubles bipolaires. Elle les aide à reconnaître le rôle joué par les facteurs deStressfacteurs de stress sur l’organisation quotidienne et les rythmes circadiens et les amène à introduire plus de régularité dans leurs activités quotidiennes.
Malgré la complexité de cette approche, Frank et coll. (1997) se sont demandé si l’IPSRT ne consistait pas simplement à mettre en forme ce que beaucoup de cliniciens font depuis toujours avec des patients souffrant d’un trouble bipolaire. En effet, chacun cherche à réduire, autant que possible, les stress vécus dans les relations interpersonnelles, tout en prônant une vie régulière, concernant en particulier le sommeil, l’alimentation, les efforts physiques et les interactions sociales, afin de protéger les rythmes circadiens et de diminuer les risques de surstimulation.
Charles, un homme âgé de 32 ans, fils unique, célibataire, travaille dans une banque privée comme trader. Il a vécu plusieurs épisodes d’instabilité de l’humeur qui ont nécessité une seule hospitalisation pour un épisode d’allure maniaque, au retour d’un séminaire de perfectionnement aux États-Unis. Au cours des huit dernières années, il s’est adressé à plusieurs reprises à un ami médecin qui lui a prescrit des somnifères. Comme son entourage, il attribue ses difficultés à sa personnalité, qu’il dit semblable à celle de son père, décédé dans un accident de la route alors qu’il était encore adolescent.
Bien qu’il n’ait jamais fait de rapprochement auparavant, il réalise qu’au moins quatre épisodes de manie ou d’hypomanie ont coïncidé avec des périodes d’activité professionnelle particulièrement intense ayant entraîné une perte de sommeil. Son métier lui impose, en effet, de travailler dans un climat de stress important, souvent tard le soir, ce qui perturbe son rythme veille-sommeil.
Il prend également conscience que ces épisodes maniaques ont eu une influence néfaste sur sa carrière, ainsi que sur ses relations sociales et sentimentales. Dans ces moments-là en effet, il peut réagir avec beaucoup d’irritabilité, ne supportant pas la moindre contrariété. Tout récemment, il lui a été reproché un comportement agressif et intrusif, et il a reçu un avertissement.
La consultation est demandée par son médecin qui a réussi à le convaincre de rencontrer un psychiatre à l’occasion d’un nouvel épisode maniaque, dont l’une des conséquences pourrait être la perte de son emploi. Cet entretien permet d’identifier un trouble bipolaire jusqu’alors non reconnu, caractérisé par des périodes d’hyperactivité considérées comme normales dans son milieu professionnel, associées à une perte de sommeil. Ces épisodes sont le plus souvent suivis par des périodes marquées par un manque d’énergie et de repli qu’il est parvenu à gérer assez bien jusque-là.
Déroulement d’une thérapie
L’approche comporte trois composantes théoriquement distinctes mais entremêlées dans le déroulement pratique du traitement : la psychothérapie interpersonnelle, la psychoéducation et la thérapie du rythme socialRythme(s)social(aux).
Phase initiale
La thérapie comporte quatre étapes dont la première consiste à recueillir l’anamnèseAnamnèse du patient, à établir un inventaire interpersonnelInventaire interpersonnel, à identifier un problème interpersonnel, à poser les bases d’une mesure du rythme social et à donner des informations concernant les troubles bipolaires. Cette phase peut durer plusieurs mois, selon l’état du patient, le cadre thérapeutique incluant des séances hebdomadaires d’environ 45 minutes.
Le traitementTraitement(s) commence par le recueil d’une anamnèseAnamnèse psychiatrique et médicale dans laquelle le thérapeute cherche, en particulier, quels événements ont pu contribuer à l’apparition de l’épisode actuel, en insistant sur d’éventuelles perturbations ou modifications dans la routine quotidienne ou dans les interactions interpersonnelles qui ont précédé l’épisode. On sait en effet que les épisodes maniaquesManie(s) sont souvent précédés par des événements de vieÉvénements de vie qui viennent perturber le rythme socialRythme(s)social(aux) (Malkoff-Schwartz et al., 1998 and Malkoff-Schwartz et al., 2000). Ces éléments anamnestiques permettent au thérapeute de mieux comprendre les caractéristiques de la maladie et d’identifier des déclencheursDéclencheurs potentiels. En parallèle, le thérapeute cherche à clarifier les relations pouvant exister entre ces événements et la survenue des symptômesSymptômes. Comme dans la thérapie interpersonnelleThérapie(s)interpersonnelle(s), il recherche également quelles sont les personnes importantes dans l’entourage du patient en établissant ce que l’on nomme un « inventaire interpersonnelInventaire interpersonnel ». L’attention est portée plus particulièrement aux personnes qui peuvent jouer un rôle dans l’épisode. Le thérapeute évalue la qualité de ces différentes relations en demandant au patient de les évaluer en termes d’attente satisfaite ou non et cherche à savoir de quelle manière le patient souhaiterait pouvoir les modifier (pour une description des quatre domaines de problèmes interpersonnels, voir plus loin « Stratégies interpersonnelles »).
Au cours de cette première phase, le thérapeute commence à donner des informations au patient concernant les troubles bipolaires. Cet enseignement, comme dans tout programme de psychoéducationPsychoéducation, concerne les symptômes, les médicaments et les effets secondaires.
Le thérapeute cherche à aider le patient à mieux comprendre le rôle joué par les ruptures du rythme circadien et du rythme social dans la survenue de l’épisode. Enfin, le thérapeute met en place la « métrique du rythme socialInstrument(s) d’auto-apprentissagemétrique du rythme social », à partir d’un autoquestionnaire de 17 questions, qui permet au patient de recueillir, chaque jour, les événements et activités considérés comme indicateurs caractéristiques de sa vie quotidienne (Monk et al., 1990 and Monk et al., 1994). Quinze de ces activités, telles que se lever ou prendre le repas du soir, sont prédéfinies, alors que deux sont choisies par le patient parmi les activités qui l’occupent chaque jour. Elles peuvent concerner notamment la prière, la lecture ou la méditation, la plupart des activités retenues l’étant en raison de leur possible influence sur les rythmes circadiens. Le questionnaire doit être rempli en fin de journée, en précisant l’heure à laquelle chacune des activités a été effectuée et avec qui elle l’a été (Frank, 2007 ; Frank et coll., 2008).
Une version plus récente du questionnaire permet d’obtenir, en un seul coup d’œil, une vision synthétique de douze activités clés sur une semaine.
Plus récemment encore, une version abrégée a été proposée, permettant de surveiller cinq moments clés de la journée, avec leur degré d’implication interpersonnelle, en les mettant en relation avec l’humeurHumeur du patient et son niveau d’énergie (dans le trouble bipolaire, la fluctuation de l’énergie peut être un marqueur plus sensible que l’humeur ou en être dissociée, par exemple dysphorie et activation).
L’analyse des autoquestionnaires permet d’obtenir un score métrique du rythme socialInstrument(s) d’auto-apprentissagemétrique du rythme social, caractéristique de la régularité de la routine sociale d’une personne pendant une semaine. On obtient ce score à partir de certains événements quotidiens (les « hits »), qui sont caractérisés par un décalage d’au moins 45 minutes par rapport à l’horaire habituel.
Phase intermédiaire
Cette phase qui peut s’étendre sur plusieurs mois comporte également des séances hebdomadaires et consiste à chercher une solution aux problèmes interpersonnels identifiés. Elle s’accompagne de la mise en place d’un projet de gestion des symptômesSymptômes, de l’identification de facteurs susceptibles de perturber le rythmeRythme(s) et de la promotion d’un équilibre entre activité et stimulation, tout en améliorant les capacités d’adaptationAdaptation au changement.
Le thérapeute propose également au patient un « forum », dans lequel il peut approfondir ses sentiments liés à la maladie, sa tristesse devant la perte de sa santé, afin de l’aider à prendre conscience de la manière dont le trouble perturbe sa vie.
Tout au long des séances, patient et thérapeute passent en revue les succès et les éventuels premiers signes de rechuteRechute(s) et développent une stratégieStratégies pour l’avenir.
L’IPSRT accorde une grande attention aux aspects de régularité des routines quotidiennes, ainsi qu’à l’influence que les événements de vieÉvénements de vie, positifs ou négatifs, peuvent avoir sur les rythmes sociaux. Le patient est vivement encouragé à maintenir un rythme de vieRythme(s)de vie régulier tout au long du traitement.Traitement(s)