9. Thérapie cognitivo-comportementale
C. Mirabel-Sarron
Introduction
Dans cette proposition théorique, les facteurs biologiquesFacteursbiologiques jouent un rôle d’interface entre les événements et le trouble thymique.Trouble(s) thymique(s) Des stresseurs environnementaux activeraient certains gènes induisant des changements neurobiologiques qui seraient responsables des épisodes thymiques (maniaques ou dépressifs). Ces facteurs de stress peuvent être divers : anomalie du rythme circadienRythme(s)circadien(s), perturbation du rythme socialRythme(s)social(aux), deuilDeuil, mésentente conjugale, conflitConflit au travail, etc. Quant aux facteurs émotionnels de personnalité, ils seraient intermédiaires entre les événements de vieÉvénements de vie et les épisodes thymiques, ce qui pourrait expliquer que, face à un même événement, les réactions soient différentes d’un individu à l’autre.
Si, pendant près de trente ans, le traitement pharmacologiqueTraitement(s)médicamenteux/pharmacologique(s) (voir aussi pharmacothérapie) a été pratiquement le seul préconisé, le modèle stress-vulnérabilité a introduit, au côté du traitement médicamenteux, des aides psychologiques. Parmi celles-ci, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC)Thérapie(s)cognitivo-comportementale(s) (TCC) ont montré leur efficacité dans l’amélioration des dimensions psychologiques (telles que l’estime de soiEstime de soi) et la réduction des rechutesRechute(s) dépressivesRechute(s)dépressive(s) ou maniaquesRechute(s)maniaque(s)/hypomaniaque(s) (Fava et coll., 2001 ; Lam et al., 2000 and Lam et al., 2003 ; Scott et coll., 2001). Les TCC sont proposées aujourd’hui aux patients bipolaires sous forme de programmes thérapeutiques spécifiques.
Nous allons, dans ce chapitre, définir les principes des thérapies cognitivo-comportementalesThérapie(s)cognitivo-comportementale(s) (TCC) avant d’aborder les grands modèles thérapeutiques existants pour les troubles bipolaires. Nous illustrerons cette prise en charge par la thérapie de Jacqueline. Enfin, nous présenterons les résultats principaux des études les plus récentes.
Contexte historique
Les thérapies cognitivo-comportementalesThérapie(s)cognitivo-comportementale(s) (TCC) se sont construites à partir de modèles expérimentaux expliquant les fléchissements de l’humeurHumeur de l’adulte.
Dans les années 1960, Seligman propose une compréhension comportementale de la dépressionDépression(s) qu’il appelle « impuissance apprise ». La dépression résulte de la perte du sentiment de contrôle d’un sujet sur son environnementEnvironnement. Les événements de vieÉvénements de vie sont alors perçus comme incontrôlables, et les renforcements positifsRenforcement positif comme indépendants des comportements du sujet, d’où l’apparition d’un apragmatisme, d’une résignation et d’une diminution des conduites adaptativesAdaptation (Mirabel-Sarron, 2008).
Dix années plus tard, les premières théories cognitives complètent cette conceptualisation. La cognition est définie comme une pensée consciente ou une image mentale qui accompagne le vécu émotionnel de l’individu et interagit avec lui. Si une action thérapeutique permet d’agir sur les cognitions dépressivesCognitionsdépressives, négativesCognitionsnégatives de l’individu, alors les émotionsÉmotion(s) de tristesse, de désespoir diminueront. De même, en agissant sur les cognitions maniaquesCognitionsmaniaques, grandiosesCognitionsgrandioses, l’humeur euphoriqueEuphorie et l’exaltation se réduiront.
Les premiers essais thérapeutiques chez des patients bipolaires utiliseront la TCC de Beck, la plus pratiquée dans les syndromes dépressifs résiduels, chroniques ou résistants (Mirabel-Sarron, 2007a and Mirabel-Sarron, 2007b). Ce modèle thérapeutique (Beck et coll., 1979) postule un dysfonctionnement du traitement de l’information dans les troubles émotionnelsTrouble(s) émotionnel(s), qui incrimine trois types de variables : les cognitions, les processusProcessus et les schémasCognitif(s)schéma(s) cognitifsSchémacognitif.
La pensée maniaque grandiose, ou la pensée dépressive pessimiste, est expliquée par une suite d’erreurs logiques initiées par des schémas qui filtrent toute information, sortes de « verres ou de miroirs déformants ».
Les cognitions ou autoverbalisations constituent un monologue intérieur qui vient consolider le vécu émotionnel. La thérapie souhaite, dans un premier temps, « ouvrir » cette spirale ascendante délétère de l’interaction successive entre cognitions et émotions.
Cependant, toutes ces perturbations cognitives proviendraient d’activation de schémas stockés dans la mémoire à long termeMémoireà long terme. Le schéma est une structure psychologique construite précocement et qui se façonne au gré de l’évolution affective, sociale et professionnelle. Chez certaines personnes, quelques schémas deviennent inadaptés à la vie de l’adulte en question, comme si les nouvelles informations de la vie d’adulte n’avaient pas pu s’y intégrer.
La seconde étape de la thérapie consiste en l’identification de ces schémas considérés comme une des vulnérabilités psychologiquesVulnérabilité(s)psychologique (s) à l’origine des rechutesRechute(s) émotionnelles.
Au début des années 1980, les thérapies psychoéducatives viennent intégrer les thérapies cognitivo-comportementalesThérapie(s)cognitivo-comportementale(s) (TCC) pour des maladies à évolution chronique comme la schizophrénie. Les programmes psychoéducatifs se développent, par la suite, pour les patients bipolaires (Colom et Vieta, 2004 ; Otto et coll., 2003) et influenceront les programmes TCC.
En 1996, Basco et Rush publient un manuelManuel(s) TCC pour aider les patients bipolaires (Basco et Rush, 1996, 2nd ed. 2005) ; ce seront ensuite les guides de Bauer et coll. (1996; 2003), de Lam et coll. (1999) et de Newman et coll. (2002a).
Certains proposent une approche individuelle, d’autres une thérapie de groupeThérapie(s)de groupe/groupale(s)/groupale(s) intégrée(s) ; le programme de Lam et coll. constitue, aujourd’hui, la référence internationale en ce qui concerne l’évaluation du processus thérapeutiqueProcessusthérapeutique et des changements cliniques et psychologiques opérés. Nous reprendrons plus loin chacun de ces modèles.
Qu’est-ce qu’une TCC ?
Il s’agit d’une thérapie psychologique brève qui comprend une vingtaine de séances environ. Le patient est en souffrance et le but est d’identifier ses difficultés, puis de lui apprendre des moyens psychologiques pour les dépasser.
La démarche TCC est très interactive et procède de la « découverte guidée ». Le thérapeute amène le patient à identifier ses comportementsThérapie(s)cognitivo-comportementale(s) (TCC) insatisfaisants et les réactions émotionnelles qu’il aimerait changer. Ainsi, chaque patient, même dans une thérapie de groupe, construit sa liste personnelle d’objectifsObjectif(s) à atteindre, constituant principal de son contrat thérapeutiqueContrat thérapeutique.
Le thérapeute apprend ensuite au patient différentes techniques comportementales et cognitives qui lui seront utiles. Le but est d’utiliser seul, rapidement, cette démarche et de la poursuivre bien après l’arrêt des entretiens.
Ce qui la différencie d’autres prises en charge psychologiques
En pratique, le thérapeute débute par une évaluation systématisée du vécu affectif du patient, de ses comportements, de ses cognitionsCognitions actuelles, afin d’établir une compréhension dynamique, comportementale et cognitive de sa souffrance émotionnelleÉmotion(s)souffrance émotionnelle ; cette phase est appelée l’analyse fonctionnelleAnalyse fonctionnelle : elle comprend au moins trois entretiens semi-directifs qui permettront de poser une indication ou non de TCC pour le patient.
Dès que l’indication est posée, le thérapeute reformule au patient sa compréhension de ses difficultés actuelles. Cette conceptualisation personnalisée est indispensable pour définir avec le patient les objectifs de la thérapie et les différents outils comportementaux et cognitifs qui seront utilisés.
Une évaluation quantitative de la souffrance émotionnelle est pratiquée dans le même temps. Elle prend la forme de passation d’autoquestionnaires pour le patient et d’échelles d’hétéro-évaluation remplies par un clinicien.
L’hétéro-évaluation consiste en une mesure de l’humeur maniaque, dépressive et de l’état anxieux. Ainsi l’évaluation préthérapeutique, l’analyse fonctionnelleAnalyse fonctionnelle et le contrat thérapeutiqueContrat thérapeutique sont des caractéristiques spécifiques de cette démarche psychothérapique, de même qu’un style relationnel « thérapeute-patient » particulier (Samuel-Lajeunesse et coll., 1998, 2e éd. 2004). C’est un style relationnel participatif et collaboratif visant à nouer une alliance thérapeutiqueAlliance thérapeutique forte.
L’intervenant utilise des techniques d’entretien spécifiques telles que :
• la formulation de questions ouvertes inductives ou déductives ;
• la pratique régulière de reformulations ;
• la prescription d’un travail personnelTâches à domicile/travail personnel (« tâches à domicile » dont les buts sont l’apprentissage de techniques thérapeutiques et une meilleure mémorisation des échanges de la séance).
Cette dynamique permet l’acquisition, par les patients, de stratégies comportementalesStratégiescomportementalesThérapie(s)cognitivo-comportementale(s) (TCC) et cognitivesStratégiescognitives pour mieux gérer les manifestations de la manie, de la dépression et leurs conséquences.
Indications et contre-indications
Quel type de patient bipolaire peut bénéficier d’une TCC ?
Tous les patients présentant un trouble bipolaire ITrouble(s) bipolaire(s)type I ou IITrouble(s) bipolaire(s)type II, voire même toutes les autres formes atténuées, peuvent prétendre bénéficier de cette approche psychologique.
Deux critères sont absolus : l’existence d’un trouble bipolaire documenté et confirmé par un clinicien averti et le suivi par le patient d’un traitement médicamenteux thymorégulateurThymorégulateurs depuis au moins six mois.
En effet, la TCC ne se prétend pas du tout une alternative au traitement pharmacologique thymorégulateur, mais est un plus, surtout pour les patients chez qui les régulateurs de l’humeur apportent un bénéfice partiel.
Le patient débute la thérapie en période intercritique, en dehors des phases maniaques, hypomaniaques ou dépressives. Si en cours de thérapie un accès aigu survient, il peut motiver l’arrêt temporaire de la prise en charge jusqu’à une meilleure stabilisation de l’humeur après adaptation du traitement biologique.Traitement(s)biologique(s) La thérapie sera poursuivie dès que l’humeur ne sera ni trop haute, ni trop basse.
L’association à un trouble pathologique de la personnalité (borderlineTrouble de la personnalitéborderline, par exemple, ou autres) n’est pas une contre-indication.
Quelles sont les contre-indications ?
Si les troubles addictifsAddiction(s) (alcool, substances illicites, trouble des conduites alimentairesTrouble des conduites alimentaires de type boulimique, etc.) prennent une première place, le patient est orienté tout d’abord en unité d’addictologie.
Sont exclus les sujets qui présentent une pathologie organique entraînant des troubles importants de la concentration ou de la mémoireMémoire, de même que les patients qui ne sont pas motivés par une démarche psychologique longue de six mois au moins, pour laquelle l’investissement est important au cours et en dehors des séances (par le travail personnel quotidien à réaliser).
De notre expérience de plus de dix années, ce défaut motivationnel à ce style de thérapie concerne un quart des patients orientés par leur psychiatre qui avaient tous les critères d’inclusion.
Le processus thérapeutique
Dans quel cadre évolue ce processus thérapeutique ?
Depuis 1996, cinq programmes TCC spécifiques aux patients bipolaires ont été publiés et comportent un grand nombre de points communs.
Tous les programmes sont structurés et s’organisent en trois temps :
1. une phase éducative ;
2. une phase de techniques particulières comportementalesThérapie(s)cognitivo-comportementale(s) (TCC) et cognitives ;
3. une phase de consolidation.
Leur but commun est d’augmenter l’observanceObservance/non-observance aux thymorégulateursThymorégulateurs de tous les patients en identifiant les obstacles à la prise médicamenteuse et en prévenant les problèmes qui mettraient en faillite l’observance du traitement pharmacologique.Traitement(s)médicamenteux/pharmacologique(s) (voir aussi pharmacothérapie)
Le thérapeute propose :
• une évaluation des représentations mentalesReprésentations mentales du patient concernant sa maladie et son traitement ;
• une régulation des comportements quotidiens tels que la durée du sommeil, le rythme des prises alimentaires, les activités personnelles nécessaires et celles plaisantes, ainsi que les relations avec les autres ;
• une identification précoce des prodromes dépressifsProdromesdépressifs ou maniaquesProdromesmaniaques, appelée pour certains « identification des signes précurseurs » ou « repérage des signes d’alerte », qui permettra au patient de réagir rapidement, de développer des actions réduisant les symptômes dépressifsSymptômesdépressifs ou maniaquesSymptômesmaniaques/hypomaniaques ;
• un apprentissage des techniques cognitivesCognitif(s)techniques cognitives : l’identification des pensées dépressives ou des pensées liées à la manie et qui amènent le patient à des comportements extrêmes.
Ensuite, seront apprises au patient les démarches traditionnelles de décentrationDécentration ou de questionnement de ses pensées émotionnelles l’amenant à produire d’autres points de vue possibles dans une situation donnée. Cet élargissement de la manière de penser une situation conduit le patient à définir les priorités, à hiérarchiser ses conduites, à prendre des décisions plus argumentées. Seuls Lam et coll. (1999) s’attachent à l’identification, puis à la reformulation des schémasCognitif(s)schéma(s) cognitifsSchémacognitif. La formulation rigide, extrême de certains de ces schémas ont conduit beaucoup d’auteurs à les considérer comme un des facteurs de vulnérabilité cognitive aux troubles émotionnelsTrouble(s) émotionnel(s) récurrents. Il a été montré que les patients bipolaires ont souvent des règles de pensée ou schémas cognitifs du type « je dois travailler dur et ne jamais perdre » ou « si je ne suis pas le meilleur, les autres ne me considéreront pas » ou « si je fais une erreur, les autres me mésestimeront » (Mirabel-Sarron, 2005b and Mirabel-Sarron, 2005c). De notre expérience concrète, de tels schémas sont activés ou mis à défaut avant des périodes de baisse de l’humeur, alors que d’autres schémas portant sur la reconnaissance affective, l’amour, etc. précéderaient des périodes maniaques.
Le thérapeute propose également une prise de conscience des différents facteurs qui influencent les rechutes dépressivesRechute(s)dépressive(s) ou maniaquesRechute(s)maniaque(s)/hypomaniaque(s) sur le plan de l’observanceObservance/non-observance médicamenteuse et des facteurs deStressfacteurs de stress, ainsi qu’une évaluation des « stigmasStigmatisation » ou conséquences psychosociales du trouble tant sur les plans affectif, professionnel et financier que relationnel. Dans tous les cas, la technique TCCThérapie(s)cognitivo-comportementale(s) (TCC) de résolution de problèmesRésolution de problèmes sera apprise (voir encadré 9.1).
Encadré 9.1
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Identification claire et concrète du problème :
• préciser la situation, le moment, les personnes impliquées, etc. ;
• faire la liste de toutes les solutions potentielles, même les plus invraisemblables.
Hiérarchiser les solutions en termes de préférence :
• établir pour chaque solution ses avantages et ses inconvénients ;
• choisir la solution la plus réalisable.