Quantification de la fonction pompe ventriculaire

6. Quantification de la fonction pompe ventriculaire

A. Vieillard-Baron and P. Vignon




Outre les causes classiques de choc cardiogénique qui sont rencontrées à la phase aiguë d’un infarctus du myocarde étendu ou lors de la prise en charge d’une cardiomyopathie sévèrement décompensée, de nombreuses autres pathologies sont responsables d’une défaillance de la pompe ventriculaire droite et ventriculaire gauche : le choc septique [1], l’embolie pulmonaire et le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) [2], certaines intoxications médicamenteuses [3]. La défaillance cardiaque doit y être connue et reconnue précocement, étant donné que la prise en charge thérapeutique en dépend. Pour cela, l’échocardiographie est incontournable car elle seule permet rapidement d’identifier le ventricule défaillant au lit du patient. L’évaluation par échocardiographie Doppler de la fonction pompe est très différente selon que l’on étudie l’un ou l’autre des ventricules. Cette différence d’approche est inhérente aux propriétés anatomiques et fonctionnelles de ces ventricules.


Débit cardiaque et volume d’éjection systolique


Le débit cardiaque est un indice de performance globale du système cardiocirculatoire qui dépend du retour veineux et de la performance de chaque pompe ventriculaire. Si la valeur absolue du débit elle-même n’a que peu d’intérêt en dehors des valeurs extrêmes qui ont une signification claire, ses variations sont le reflet fidèle du fonctionnement d’ensemble du système cardiocirculatoire. Contrairement à la pression artérielle qui est étroitement régulée par un ensemble de réflexes neurohumoraux, le débit cardiaque peut varier beaucoup plus « librement ». Le meilleur exemple en est le choc hémorragique chez le patient conscient, chez qui la pression artérielle peut être maintenue inchangée alors que le débit est déjà réduit de 20 % ! Monitorer le débit cardiaque ou le volume d’éjection systolique est donc le moyen le plus sensible dont nous disposons pour détecter une quelconque modification touchant le système cardiovasculaire. Cependant, le changement de débit seul ne renseigne pas sur sa cause : il peut s’agir d’une modification (isolée ou en association) touchant le retour veineux, l’impédance à l’éjection d’une des circulations artérielles (pulmonaire ou systémique), ou la force intrinsèque de l’une des deux pompes ventriculaires. L’intérêt de l’échocardiographie Doppler est de permettre non seulement de mesurer le débit cardiaque, mais surtout d’identifier la cause de sa baisse éventuelle, de manière beaucoup plus sûre et précise que les autres outils de monitorage cardiovasculaire. Une baisse du retour veineux s’accompagne de ventricules petits et hyperkinétiques quand elle est importante ou de signes de précharge-dépendance dans les situations moins caricaturales (voir chapitre 5). La défaillance ventriculaire droite ou gauche sera elle aussi reconnaissable grâce à l’échocardiographie, et même quantifiable en utilisant des indices de performance de chacune des pompes.


▪ Mesure du volume d’éjection systolique


Le volume d’éjection systolique (VES) peut être obtenu par la mesure des volumes télésystolique et télédiastolique du ventricule gauche (VG) en imagerie bidimensionnelle avec la méthode de Simpson modifiée (voir infra), ou par la méthode Doppler appliquée à l’anneau aortique [4, 5]. On privilégie cette dernière car l’échocardiographie sousestime les volumes VG, notamment par voie transœsophagienne [4]. En combinant la mesure de la surface d’un orifice par imagerie bidimensionnelle et celle de la distance parcourue par le sang au même site anatomique obtenue par le Doppler en mode pulsé, on obtient le VES, donc le débit cardiaque [6]. En l’absence de valvulopathie ou d’obstacle sous-aortique, la chambre de chasse du VG immédiatement sous l’anneau aortique est le site qui permet d’obtenir la meilleure faisabilité et reproductibilité de la mesure [7]. Les étapes de la mesure du VES du VG par méthode Doppler doivent être scrupuleusement respectées (tableau 6-1). Le VES est calculé ainsi (figure 6-1) :











































Tableau 6-1 Mesure du volume d’éjection systolique par la méthode Doppler appliquée à la chambre de chasse du ventricule gauche (voir figure 6-1)
ETO : échocardiographie transœsophagienne ; ETT : échocardiographie transthoracique ; ITV : intégrale temps-vitesse ; VES : volume d’éjection systolique ; VG : ventricule gauche.
Étape Description Pièges à éviter
1 Exclure une valvulopathie aortique ou une obstruction sous-aortique à l’aide du Doppler couleur (aliasing) et du Doppler continu Surestimation des vitesses Doppler, donc du VES, en raison d’une pathologie valvulaire ou sous-valvulaire non identifiée
2 Obtenir une vue parasternale grand axe (ETT) ou transœsophagienne (ETO) à 120° centrée sur la chambre de chasse du VG (utiliser le zoom) Ne pas être dans la vue strictement longitudinale de la valve aortique : les sinus de Valsalva doivent apparaître symétriques
3 Mesurer le diamètre maximal de la chambre de chasse du VG, en proto- ou mésosystole lorsque les cusps sont totalement ouvertes, précisément à leur insertion sur l’anneau Ne pas utiliser le « ciné-loop » pour sélectionner l’image adéquate (sousestimation)
Ne pas mesurer perpendiculairement aux parois de la chambre de chasse (surestimation)
4 Répéter la mesure sur des cycles non consécutifs et vérifier la cohérence Faire une mesure après une extrasystole
5 Obtenir une vue apicale 5 cavités (ETT), ou bien transgastrique au niveau des muscles papillaires mitraux à 120° ou transgastrique profonde à 0° (ETO) pour positionner la fenêtre Doppler pulsé juste sous l’anneau aortique Ne pas positionner la fenêtre Doppler pulsé au même endroit que la mesure du diamètre de la chambre de chasse
Ne pas être aligné avec le courant d’éjection avec un angle du tir Doppler > 20° (sousestimation)
6 Utiliser une vitesse de balayage élevée (100mm/s)
Utiliser un signal respiratoire Régler le filtre au minimum (200 à 600Hz)
Ne pas se repérer dans le cycle respiratoire (mesure de l’ITV aortique généralement en fin d’expiration)
Utiliser des vitesses de balayage trop faibles (imprécision dans les mesures)
7 Tracer manuellement l’ITV du profil Doppler aortique en utilisant le contour externe de l’enveloppe Doppler pour améliorer la reproductibilité Mal régler l’échelle de vitesses, ce qui peut conduire à une imprécision de la mesure
8 Répéter la mesure sur des cycles non consécutifs et vérifier la cohérence Faire une mesure après une extrasystole








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Figure 6-1
Mesure du débit cardiaque par méthode Doppler appliquée à la chambre de chasse sous-aortique du ventricule gauche. Le diamètre de la chambre de chasse du ventricule gauche est mesuré en imagerie bidimensionnelle dans la vue parasternale grand axe par voie transthoracique (A) ou en vue transœsophagienne basse à environ 120° centrée sur la racine de l’aorte (C). Cette mesure, ici à 2,14cm, permet de calculer la surface de la chambre de chasse du ventricule gauche, ici de 3,59 cm2 (B, double flèche). La fenêtre du Doppler pulsé (rond ouvert surimposé sur l’image bidimensionnelle) est placée au même site anatomique pour enregistrer les vitesses Doppler systoliques en vue apicale 5 cavités (D) ou en vue transgastrique au niveau des piliers mitraux à environ 120° (F) ou en vue transgastrique profonde à 0° (G). La mesure de l’intégrale tempsvitesse fournit la distance parcourue par le courant sanguin pendant la systole, ici diminuée à 11,9cm (E). Le volume d’éjection systolique est ensuite calculé en faisant le produit de la surface de la chambre de chasse du ventricule gauche par l’intégrale temps-vitesse sous-aortique (voir texte pour détails). Ao : aorte ascendante ; ITV : intégrale temps-vitesse ; Pva : courbe de pression des voies aériennes ; VG : ventricule gauche.

Modifié d’après [5] avec autorisation.





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où d est le diamètre de la chambre de chasse du VG mesuré à l’insertion des cusps aortiques (en cm) et ITV est l’intégrale temps-vitesse du profil Doppler mesuré au même endroit (en cm). La mesure du débit cardiaque par la méthode Doppler appliquée à la région sous-aortique a été largement validée [6, 7, 8 and 9]. Le VES et le débit cardiaque peuvent être indexés à la surface corporelle, bien que l’intérêt et la validité de cette normalisation soient discutables. Débit cardiaque et valeurs indexées sont calculés comme suit :

Index systolique (ml/m2) = VES/surface corporelle

Débit cardiaque (l/min) = VES . fréquence cardiaque

Index cardiaque (l/min/m2) = débit cardiaque/surface corporelle

Si la qualité d’image ne permet pas de mesurer de manière fiable le diamètre de la chambre de chasse du VG, on peut utiliser empiriquement la valeur de 2cm chez l’adulte. Cela est préférable à toute erreur de mesure qui est élevée au carré et invalide le calcul du VES. Pour la même raison, le diamètre ne sera pas remesuré lors de contrôles échographiques itératifs car sa taille ne varie pas à court terme et une erreur de mesure même minime pourrait alors conduire à mal évaluer les effets d’un test thérapeutique. Dans ce cas, seule l’ITV est remesurée et le VES recalculé après traitement (par exemple, épreuve de remplissage vasculaire, mise en route d’un traitement inotrope positif).


Une autre méthode de mesure du VES à l’anneau aortique a été décrite en échocardiographie transœsophagienne (ETO) [10]. Elle utilise le Doppler continu qui n’a pas de résolution spatiale et mesure les vitesses les plus élevées qui se situent au niveau de l’orifice valvulaire aortique. La surface valvulaire aortique est alors mesurée en mésosystole, en vue transversale et assimilée à un triangle équilatéral [6, 10].


▪ Limites


Le débit et l’index cardiaque sont largement influencés par la fréquence cardiaque qui est un facteur confondant majeur dans l’interprétation des valeurs mesurées. C’est pourquoi il semble plus pertinent d’utiliser le VES du VG, en l’indexant éventuellement à la surface corporelle. Surtout, c’est l’évolution de ces paramètres de débit au décours d’une intervention thérapeutique qui permet de juger au mieux de l’efficacité, ou de la tolérance de celle-ci (figure 6-2).








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Figure 6-2
Exemple de réponse à une épreuve de remplissage vasculaire quantifiée par méthode Doppler à l’anneau aortique en échocardiographie transœsophagienne chez un patient ventilé en choc septique. Après une expansion volémique de 500ml de macromolécules, le volume d’éjection systolique du ventricule gauche passe de 40 à 68ml, donc augmente de 70 % en réponse à l’accroissement de sa précharge. Noter que le diamètre de la chambre de chasse du ventricule gauche n’est mesuré qu’en situation basale (voir texte pour détails). Ao : aorte ascendante ; VES : volume d’éjection systolique ; VG : ventricule gauche.



Évaluation de la fonction pompe du ventricule droit


Le ventricule droit (VD) est un ventricule qui éjecte dans une circulation à basse pression (la circulation pulmonaire) et qui a une cavité de surface importante comparée à son petit axe (forme de soufflet). Cela explique qu’un faible raccourcissement systolique sur son petit axe est suffisant à l’éjection d’un volume sanguin normal. Ce raccourcissement dépend plus de la contraction de fibres myocardiques communes avec le ventricule gauche (VG) qui déplacent la paroi libre du VD vers le septum interventriculaire, que de l’épaississement de sa paroi libre (figure 6-3). Le raccourcissement le long du grand axe joue aussi un rôle important dans l’éjection du VD. L’élastance diastolique de ce ventricule est plus faible que celle du VG car il est moins muscularisé. Ainsi, dans la majorité des situations où la défaillance de la pompe ventriculaire droite est responsable d’un état de choc, le ventricule apparaît dilaté. Le VD est très sensible aux variations de sa postcharge [11]. Nombreuses sont les situations cliniques rencontrées en réanimation où la défaillance du VD est secondaire à une brusque augmentation de sa postcharge (embolie pulmonaire, SDRA, ventilation en pression positive), aboutissant au tableau de cœur pulmonaire aigu (CPA). La défaillance ventriculaire droite a été retrouvée par l’échocardiographie dans 61 % des embolies pulmonaires touchant plus de deux artères lobaires [12], dans 25 à 50 % des SDRA selon leur gravité [13, 14], et jusque dans 30 % des chocs septiques [15].








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Figure 6-3
Schéma indiquant les deux mécanismes participant à l’éjection du ventricule droit le long de son petit axe. L’attraction de la paroi libre du ventricule droit vers le septum interventriculaire par la contraction de fibres myocardiques communes avec le ventricule gauche (flèches blanches) prédomine nettement sur la contraction intrinsèque de cette paroi libre (flèches noires).


Contrairement au VG, la recherche d’une dilatation du VD ne passe pas habituellement par la mesure de son volume télédiastolique. Le VD a en effet une forme géométrique complexe rendant difficile sa modélisation. Il comporte une chambre de remplissage dont l’axe est postéroantérieur et une chambre de chasse dont l’axe est inférosupérieur (figure 6-4). Gibson et al. [16] ont proposé une méthode échographique qui repose sur la mesure de la surface (A) de la chambre de remplissage et du grand axe (L) de la chambre de chasse (figure 6-5). Le volume (V) est calculé selon la formule suivante [16] :








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Figure 6-4
Moule du ventricule droit permettant d’objectiver sa forme très particulière avec une chambre de remplissage dans un plan postéroantérieur (flèche) et une chambre de chasse dans un plan inférosupérieur (flèche). Pulm : plan de la valve pulmonaire ; Tric : plan de la valve tricuspide.









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Figure 6-5
Calcul des volumes ventriculaires droits selon la méthode de Gibson et al. [16]. La vue apicale des 4 cavités permet de mesurer la surface (A) de la chambre de remplissage du ventricule droit (A, pointillés). La vue sous-costale permet de mesurer le grand axe (L) de la chambre de chasse (B, double flèche). Le volume est calculé par la formule V = 2 . (A . L)/3. AP : artère pulmonaire ; OD : oreillette droite ; OG : oreillette gauche ; VD : ventricule droit ; VG : ventricule gauche.






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La méthode la plus simple et la plus sûre d’évaluation de la taille du VD consiste, à partir d’une coupe apicale des 4 cavités, à rapporter la surface télédiastolique (STD) du VD à celle du VG. La valeur de ce rapport STD VD/VG est normalement inférieure à 0,6 [17]. Le VD est modérément dilaté si le rapport est supérieur à 0,6, et très dilaté si le rapport est supérieur à 1, c’est-à-dire si la taille du VD excède celle du VG dans la vue apicale des 4 cavités [18].

L’aspect échocardiographique du CPA a été récemment redéfini par Jardin et al. [18]. Il associe la présence d’une dilatation du VD, traduction de la surcharge diastolique, à celle d’un mouvement paradoxal du septum interventriculaire, traduction de la surcharge systolique (figure 6-6). Le septum paradoxal survient lors de la phase de relaxation du VG, c’est-à-dire en fin de systole et en début de diastole. Il est secondaire à une inversion du gradient de pression entre les deux ventricules [11, 19]. Alors que la dilatation du VD s’apprécie sur une coupe apicale des 4 cavités, le septum paradoxal est au mieux visible sur une coupe petit axe du VG passant par la chambre de chasse du VD (figure 6-6). Il peut être objectivement évalué par le calcul de l’index d’excentricité systolique du VG, traduction de la déformation du VG induite par la surcharge systolique du VD (figure 6-6) [20]. À la dilatation du VD et au septum paradoxal, s’associe constamment un trouble de la relaxation du VG visualisée par l’inversion du rapport des vitesses maximales des ondes E et A lors d’un enregistrement Doppler du courant mitral antérograde.








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Figure 6-6
Échocardiographie transœsophagienne chez un patient intubé ventilé pour un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) sévère et qui présentait un aspect de cœur pulmonaire aigu. La coupe grand axe du ventricule gauche (VG) montre un ventricule droit (VD) dilaté avec un rapport des surfaces télédiastoliques VD/VG supérieur à 1 (A, pointillés). La coupe petit axe du VG, obtenue en poussant la sonde dans l’estomac, montre une inversion de courbure du septum interventriculaire en télésystole communément appelée « septum paradoxal » qui peut être quantifié par le calcul de l’index d’excentricité systolique (D2/D1), ici supérieur à sa valeur normale de 1 (B).


Même si en réanimation le message le plus simple est qu’un VD défaillant est un VD dilaté et que la présence d’un septum paradoxal relie cette défaillance à une surcharge systolique du ventricule, d’autres indices échographiques de fonction pompe peuvent être mesurés ou calculés. Pour les raisons évoquées plus haut, la fraction d’éjection du VD n’est pas utilisée puisqu’elle nécessite la mesure des volumes télédiastolique et télésystolique. À partir des surfaces mesurées sur une vue apicale des 4 cavités, on peut en revanche calculer la fraction de réduction de surface (FRS) du VD selon la formule :





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où STD représente la surface télédiastolique du VD et STS sa surface télésystolique. La valeur normale de la fraction de réduction de surface du VD est proche de celle de la fraction d’éjection du VD. Cependant, elle est finalement un reflet assez médiocre de la fonction pompe du VD. Elle oscille entre 38 et 74 % (52 % en moyenne) chez des sujets normaux (données personnelles). Dans une étude portant sur 75 patients ventilés pour un SDRA, 19 avec un CPA et 56 sans CPA [13], la fraction de réduction de surface du VD n’était pas significativement différente entre les deux groupes : 35 ± 11 % en moyenne (extrêmes : 13 à 56 %) en l’absence de CPA, et 30 ± 11 % (extrêmes : 14 à 52 %) en présence de CPA.

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May 6, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on Quantification de la fonction pompe ventriculaire

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