Psychopathologie du Langage

6. Psychopathologie du Langage



GÉNÉRALITÉS


Un retentissement sur l’ensemble des interactions entre l’enfant et son environnement (famille, école, camarades) peut survenir si les troubles sont importants et aboutir à des difficultés psychoaffectives diverses. Il devient alors très difficile de faire la part des troubles réactionnels secondaires et des difficultés initiales.

L’étude des troubles du langage suppose une bonne connaissance du développement normal du langage, tant dans sa dimension neurophysiologique (organe phonatoire, intégrité cérébrale, audition normale) que dans sa dimension psychoaffective. Nous n’étudierons pas ici les troubles du langage qu’on rencontre en cas de surdité ou d’encéphalopathie grave renvoyant le lecteur à ces titres. Toutefois il faut toujours rechercher un déficit auditif car, même minime (entre 20 et 40 décibels), quand il se situe dans la zone conversationnelle, il peut altérer profondément les capacités de discrimination phonétique du langage humain, et entraîner de ce fait des perturbations.



LE LANGAGE NORMAL CHEZ L’ENFANT



Prélangage

À partir des cris du nourrisson qui au début n’ont d’autres significations que d’exprimer un malaise physiologique, peu à peu se constituent les préformes d’une communication entre l’enfant et son entourage; en effet les cris en fonction des réponses que donne la mère expriment bientôt toute une gamme de sensations (colère, impatience, douleur, satisfaction, plaisir même). En outre pour certains auteurs (Vigotsky, Bruner) il existe un rapport étroit entre certains aspects de la motricité, de l’émission artrophonématique et les préformes du langage d’où le concept «d’actes de langage».

À partir de 1 mois, à mesure que le bébé acquiert une meilleure coordination de la respiration, apparaît le babillage ou les lallations: le gazouillis du nourrisson est constitué au début de sons non spécifiques en réponse à des stimuli non spécifiques. Le babillage s’enrichit rapidement sur le plan qualitatif si bien que l’enfant semble capable de produire, de manière purement aléatoire, tous les sons imaginables. Le rôle de cette activité pour la formation des coordinations neuromotrices articulatoires est certainement essentiel.

À partir de 6-8 mois, apparaît la période de l’«écholalie»: une sorte de «dialogue» s’instaure entre le petit enfant et sa mère ou son père: il répond à la parole de l’adulte par une sorte de mélopée relativement homogène, continue. Peu à peu, la richesse des émissions sonores initiales se réduit pour ne laisser la place qu’à quelques émissions vocaliques et consonantiques fondamentales. En même temps l’adulte semble ajuster son discours à la capacité de réception de l’enfant: construction de phrase simple, son aigu de la voix là où l’oreille de l’enfant discrimine le mieux.

Parfois ce babil régresse peu à peu pour laisser la place à une période de silence, parfois au contraire au babil succède directement le petit langage.


Petit langage

Les premiers mots apparaissent souvent en situation d’écholalie, en même temps que les premières suites dotées de sens se différencient par des traits oppositionnels d’un rendement pauvre du fait de leur nombre limité, mais facile à exploiter: papa, maman, encore, tiens, donne…


À la période du «mot-phrase», l’enfant utilise un mot dont la signification dépend du contexte gestuel, mimique ou situationnel, signification qui d’ailleurs est en grande partie celle que donne l’adulte. Ainsi «toto» peut signifier: «je vois une auto», «j’entends une auto», «c’est l’auto de papa», etc. Le langage accompagne toujours l’action, la renforce, mais ne s’y substitue pas encore.


Peu à peu, la manipulation du mot devient de plus en plus indépendante des énoncés stéréotypés, l’organisation linguistique se structure avec l’apparition successive des énoncés d’affirmation, de constatation, d’ordre, de négation, d’interrogation… Cependant le «parler bébé» persiste quelques mois, marqué par les simplifications à la fois articulatoires, phonématiques et syntaxiques. Le «parler-bébé» est structuralement identique à ce qu’on appelle le «retard de parole» quand il persiste au-delà de 3-4 ans.

À l’évidence, le rôle de la famille est à cette époque considérable grâce au «bain de langage» dans lequel l’enfant se trouve plongé. En l’absence de stimulation langagière, un appauvrissement ou un retard d’acquisition du stock verbal est constant (cf. Les familles-problèmes chap. 20, Carence affective et le cas du bilinguisme chap. 22).


Langage

C’est la période la plus longue et la plus complexe de l’acquisition du langage qui se marque par un enrichissement à la fois quantitatif (entre 3 ans 1/2 et 5 ans un enfant peut maîtriser jusqu’à 1 500 mots, sans toujours en saisir très exactement le sens) et qualitatif. «L’accès au langage proprement dit se caractérise par un abandon progressif des structures élémentaires du langage enfantin et du vocabulaire qui lui est spécifique auxquels se substituent des constructions de plus en plus conformes au langage de l’adulte» (C. P. Bouton). En même temps le langage devient peu à peu un moyen de connaissance, un substitut de l’expérience directe. La redondance avec l’action et/ou le geste disparaît progressivement.


L’enrichissement quantitatif et qualitatif semble se faire à partir de deux types d’activité langagière (Bouton) :


– une activité verbale «libre», où l’enfant continue d’utiliser une «grammaire » autonome, établie à partir du petit langage;


– une activité verbale «mimétique» où l’enfant répète à sa façon le modèle de l’adulte, acquérant progressivement des mots nouveaux et des constructions nouvelles qui sont ensuite réinvestis dans son activité verbale «libre».

Ceci montre bien la constante interaction entre les acquisitions langagières de l’enfant et les stimulations provenant de son entourage.

Entre 4 et 5 ans, l’organisation syntaxique du langage devient de plus en plus complexe, de telle sorte que l’enfant peut se passer de tout support concret pour communiquer. Il en arrive à l’utilisation des subordinations (qui, parce que), du conditionnel, des alternances, etc. Il passe ainsi du langage implicite (quand la compréhension du message verbal nécessite des informations extralinguistiques supplémentaires) au langage explicite qui se suffit à lui-même.


LE LANGAGE DANS L’INTERACTION

La description ci-dessus ne doit pas faire oublier que «parler» c’est avant tout communiquer aussi bien avec autrui qu’avec soi-même; «parler» s’inscrit dans une relation faite d’échange informatif ou affectif.



Quoi qu’il en soit l’apparition du langage, même s’il ne surgit pas «ex nihilo», réalise une profonde mutation (Diatkine) dans le fonctionnement psychique et dans la compétence relationnelle. Le langage permet en particulier de passer de l’indication à l’évocation ou en d’autres termes de passer de la gestion de la distance, à la tolérance de l’absence: la communication mimique, gestuelle reste inscrite dans le registre de la dénomination et de l’indication tandis que l’utilisation du langage permet l’évocation de l’absent. M. Klein d’abord, H. Segal ensuite avaient insisté sur le fait que le développement de la fonction symbolique impliquait une perte préalable et la tolérance à cette perte. Il n’y a pas de développement du langage sans expérience préalable d’absence et/ou de perte: le gain qui en est retiré par l’enfant réside dans la découverte des multiples jeux symboliques et dans la possibilité d’organiser des scénarios imaginaires (cf. le compagnon imaginaire ou le roman familial) donnant à l’enfant un degré d’indépendance nouvelle; la perte qui est subie est celle de l’adéquation absolue entre l’objet et son représentant avec la nécessité d’accepter l’écart entre le mot et la chose dont la trace linguistique en est l’ambiguïté inhérente au langage.


LES TROUBLES DU DÉVELOPPEMENT DU LANGAGE


TROUBLES DE L’ARTICULATION

Ils se caractérisent par l’existence isolée de déformations phonétiques portant plus souvent sur les consonnes que sur les voyelles. Chez le même enfant, c’est habituellement le même phonème qui est toujours déformé. On distingue :


– le zozotement (ou zézaiement ou sigmatisme interdental): l’extrémité de la langue reste trop près des incisives ou entre les dents;


– le schlintement (ou sigmatisme latéral) caractérisé par un écoulement d’air uni ou bilatéral. Ce dernier trouble articulatoire peut s’associer à une malformation de la voûte palatine de type ogival, sans que cette association soit obligatoire.

Les troubles articulatoires sont fréquents et banals jusqu’à 5 ans. Passé cet âge, s’ils persistent, une rééducation s’impose. Leur signification psychoaffective est parfois facile à saisir lorsqu’ils s’intègrent dans un contexte oppositionnel ou régressif (naissance d’un puîné), avec même un «parler bébé», nécessitant alors un abord psychothérapique. Souvent ils sont isolés, sans retentissement notable sur les autres lignes du développement.



RETARD SIMPLE DE LANGAGE

Le retard simple de langage se caractérise par l’existence de perturbations du langage chez un enfant qui ne présente ni arriération intellectuelle, ni surdité profonde, ni organisation psychotique.

La construction de la phrase, son organisation syntaxique sont perturbées. Sur le plan clinique, l’élément essentiel est le retard à l’apparition de la première phrase (après 3 ans), suivi d’un «parler bébé» prolongé. Les anomalies constatées sont très variables: trouble dans l’ordination des mots de la phrase, erreur de construction grammaticale (agrammatisme), verbe employé à l’infinitif, mauvaise utilisation du pronom personnel. On note aussi des omissions de mots, fausses liaisons, barbarismes, etc. (ature papa pati → la voiture de papa est partie). La compréhension est en principe bonne mais son évaluation chez l’enfant jeune est parfois difficile. Lorsque les troubles de compréhension sont manifestes, le pronostic est plus réservé.


Le niveau intellectuel apprécié par les tests de performance, où le langage n’intervient pas, ne présente pas de caractéristiques différentes de la population témoin. Toutefois, lorsque le retard de langage est important, réalisant au maximum un tableau de dysphasie, certaines difficultés intellectuelles ont été décrites: perturbation dans l’espace et le temps avec une mauvaise organisation du schéma corporel, nécessité d’apports extraverbaux pour une compréhension satisfaisante, intelligence portant sur une saisie concrète des problèmes.

La personnalité des enfants dépend de la profondeur du trouble, des interactions familiales et environnementales. Outre des enfants dont la personnalité semble normale, on a aussi décrit des «dysphasiques prolixes peu contrôlés» expansifs et des «dysphasiques économes», enfin des enfants dont les troubles de personnalité peuvent être plus importants, de type prépsychotique.

Au niveau étiologique, l’accent est mis, selon les auteurs, soit sur l’immaturité cérébrale (par exemple antécédent de prématurité), soit sur la carence quantitative et/ou qualitative de stimulation langagière due à un environnement socio-économique défavorable, soit sur l’équilibre psychoaffectif et l’absence d’«appétence» langagière (Pichon). La qualité des relations affectives familiales joue alors un rôle important (carence affective, absence d’interaction langagière mère-enfant, soit parce que la mère parle peu, soit parce qu’elle est dépressive, etc.). En clinique, il n’est pas rare que ces divers facteurs coexistent.

Dans tous les cas la période de 3 à 5 ans représente un seuil critique avec risque de fixation des troubles. C’est pourquoi il importe qu’une aide thérapeutique soit très rapidement instaurée. Le plus souvent il s’agira d’une rééducation orthophonique, parfois d’une rééducation psychomotrice portant avant tout son effort sur les composantes spatio-temporelles (rythme, mélodie, etc.) et l’intégration du schéma corporel. Dans certains cas une psychothérapie couplée mère-enfant s’avère nécessaire lorsque leurs relations paraissent s’organiser de façon pathologique, et que les désordres psychoaffectifs primitifs ou secondaires sont importants.


LES DYSPHASIES GRAVES


Si 3 à 8% des enfants de 3 ans (2/3 de garçons, 1/3 de filles) présentent des troubles du langage, 1 à 2% des enfants de plus de 6 ans ont un trouble spécifique du langage oral (Rutter).

Jun 8, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Psychopathologie du Langage

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