Psychopathologie des Conduites Motrices

5. Psychopathologie des Conduites Motrices



Au niveau de la motricité même, on distingue d’abord le tonus de fond dont l’évolution lors des premiers mois est fondamentale, puis la mélodie kinétique qui permet l’enchaînement dans le temps et l’espace de chaque moment gestuel, enfin l’automatisme du geste. Mais, fait essentiel, il existe constamment une correspondance entre le tonus musculaire et la motilité elle-même qui préside à l’harmonie du geste, ainsi qu’une correspondance entre le tonus de la mère et celui de l’enfant, véritable «dialogue tonique».

Freinée au départ par l’hypertonie physiologique, la motilité évolue au rythme de la maturation physiologique (disparition des réflexes primitifs, acquisition de l’opposition du pouce, etc.), mais aussi au rythme des interactions possibles avec l’entourage qui aménage, oriente le champ évolutif de l’enfant, et lui donne sa cohérence. L’acquisition de nouvelles capacités motrices est indissociable à la fois de la manière dont l’enfant se représente et se sent agir (intégration d’un schéma corporel statique et dynamique) et d’autre part de la manière dont l’environnement de l’enfant accueille cette motilité et accepte les modifications qui peuvent en résulter. C’est ainsi que la motricité pourra passer d’une gestualité d’imitation à une activité opératrice où la praxie devient le support d’une activité symbolique.

L’intégrité des diverses voies motrices (voies pyramidales, extrapyramidales et cérébelleuses) constitue à l’évidence un préalable à une réalisation gestuelle satisfaisante, mais l’intégration du schéma corporel statique et dynamique et de sa relation à l’environnement avec la dimension affective que cela suppose, sont tout aussi fondamentales. Dans le domaine que nous allons considérer ici, ce second versant est souvent à l’origine des difficultés motrices rencontrées.



TROUBLES DE LA LATÉRALISATION

Fréquent motif d’inquiétude des parents, surtout lorsque la latéralisation semble se faire à gauche, ces difficultés doivent être bien explorées avant de favoriser chez l’enfant l’utilisation préférentielle de l’une ou de l’autre main. L’approche de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture est souvent le motif apparent à la consultation, et c’est entre 5 et 6 ans qu’un avis est sollicité.

Rappelons qu’à partir de 3-4 ans environ, une préférence latérale commence à apparaître, qu’à 4-5 ans, et par la suite, en dehors des droitiers et gauchers homogènes, il restera toujours un certain nombre d’enfants mal latéralisés, sans que ceux-ci aient nécessairement des difficultés. Dans la population adulte les pourcentages s’établissent de la façon suivante: gauchers purs: 4%, droitiers purs: 64%, ambimanes: 32% (Tzavaras).

L’étude de la latéralité se fait au niveau de l’oeil, de la main et du pied. Par latéralité homogène, nous entendons une latéralité dominante identique aux trois niveaux:


l’œil dominant est celui qui reste ouvert quand on demande de fermer un oeil, ou celui avec lequel l’enfant regarde à travers une longue vue (rouleau de papier) en occultant l’autre de sa main;


la main dominante passe au-dessus de l’autre lorsqu’on demande de croiser les bras ou de mettre les poings fermés l’un au-dessus de l’autre;


le pied dominantshoote le plus souvent dans le ballon, ou est choisi pour le «cloche-pied».

Il importe de ne pas montrer à l’enfant le geste à faire, car une imitation est alors possible.

Lorsque la latéralité est homogène (droite ou gauche), le problème ne se pose pas, même si «être gaucher» peut compliquer certains gestes quotidiens (écriture, utilisation de ciseaux, casserole à bec, etc.). Il ne semble pas que le taux de morbidité des divers troubles du développement soit significativement différent entre une population de gauchers et une de droitiers.

Lorsque la latéralisation n’est pas homogène, il importe de laisser l’enfant totalement libre de son choix pour les activités usuelles jusqu’à l’entrée en dernière année de maternelle (5 ans). Au cours de celle-ci où un préapprentissage de l’écriture est possible, il vaut mieux ne pas intervenir trop tôt mais, vers la fin de l’année scolaire, commencer à favoriser l’utilisation de la main droite, sauf s’il existe une différence patente dans l’adresse gestuelle en faveur de la main gauche. Dans la majorité des cas l’utilisation de la main droite ne pose aucun problème. Il faut rappeler en effet que l’apprentissage et l’entraînement interviennent de façon décisive jusqu’à l’âge adulte pour influencer, voire modifier une asymétrie manuelle.


Rappelons qu’en cas de lésions organiques (hémiplégie infantile par exemple), il est toujours préférable de favoriser l’utilisation du côté non lésé.

Signalons enfin un cas particulier et paradoxal: l’existence de ce qu’on pourrait appeler des «faux gauchers». Il s’agit d’enfants latéralisés à droite, mais qui utilisent la main gauche pour les activités les plus valorisées (en particulier l’écriture). Cette utilisation se fait soit dans un contexte d’opposition à l’entourage, soit comme identification à un membre de la famille (parent, grand-parent, oncle, tante, etc.) gaucher. La crainte de la fameuse «gaucherie contrariée» aboutit parfois à laisser ces enfants s’enfermer dans un choix névrotique aberrant, source de difficultés ultérieures. On conçoit que dans un tel contexte, la rééducation psychomotrice ou la psychothérapie consiste avant tout à faire prendre conscience à l’enfant de sa meilleure aisance à droite et à lui permettre de se dégager de son choix pathologique.


LA DYSGRAPHIE

Un enfant dysgraphique est un enfant dont la qualité de l’écriture est déficiente en dehors de tout déficit neurologique ou intellectuel pouvant expliquer cette déficience.

Il est difficile de trouver une place satisfaisante à ce problème de la dysgraphie étant donné les multiples interférences avec la motricité en tant que telle, mais aussi le rapport de l’enfant à son enseignant, la place que l’apprentissage scolaire occupe dans la dynamique familiale, la valeur symbolique de l’écrit, de la tenue en main du stylo, etc. L’écriture, moment significatif et transcription graphique du langage, dépend d’une part d’un apprentissage scolaire hiérarchisé, d’autre part de facteurs maturatifs individuels, enfin de facteurs linguistiques, praxiques, psychosociaux, qui tous ensemble président à sa réalisation fonctionnelle. Nous n’aborderons pas ici la pédagogie de l’écriture, soulignant simplement l’importance qu’il faut accorder au problème de la liaison entre lecture-écriture, à la valeur expressive de l’écriture, enfin à la motricité graphique propre à l’enfant. Sur ce dernier point, il semble que l’effet de la maturation fonctionnelle soit plus important que celui de l’apprentissage, du moins pour la copie d’écriture, et ce, jusqu’à l’âge de 5 ans 9 mois — 6 ans environ (Auzias): avant cet âge, les enfants sont, dans leur majorité, incapables d’exécuter des copies lisibles et de déchiffrer ce qu’ils ont copié. En revanche, une fois la maturité motrice et manuelle atteinte, la qualité de l’apprentissage devient alors une variable essentielle.

L’étude clinique de la dysgraphie montre qu’elle s’associe souvent à d’autres séries de difficultés. On retrouve les associations suivantes:


désordre de l’organisation motrice: débilité motrice, perturbations légères de l’organisation cinétique et tonique (dyspraxie mineure), instabilité;


désordre spatio-temporel marqué en particulier par des désordres dans l’organisation séquentielle du geste et de l’espace et par des troubles de la connaissance, de la représentation et de l’utilisation du corps, surtout dans son orientation spatiale;



troubles affectifs enfin: anxiété, fébrilité, inhibition, pouvant aller jusqu’à la constitution d’un véritable symptôme névrotique où la signification symbolique de l’écrit et du crayon pris en main deviennent prévalents. De réelles conduites phobiques ou obsessionnelles face à l’écriture peuvent se manifester par une dysgraphie dont la caractéristique est souvent alors d’être isolée, variable selon la nature de l’écrit ou la personne à qui s’adresse l’écrit, et de contraster avec une habileté gestuelle et manuelle par ailleurs conservée (dessin).

Ces diverses origines peuvent être regroupées réalisant au maximum «l’ébauche de crampe infantile», comparable à la crampe de l’écrivain chez l’adulte. On retrouve alors diversement associées: une maladresse, une paratonie, des réactions de catastrophe devant l’activité scripturale, des difficultés de latéralisation ou de lecture, des attitudes conflictuelles de type névrotique.

L’examen au moment de l’écriture met en évidence une crispation très importante de tout le bras, des arrêts forcés au cours de l’écriture, des phénomènes douloureux dans la main et le bras, une sudation importante. L’ensemble entraîne bien sûr un déplaisir extrême à écrire.

L’approche thérapeutique est fonction du registre de difficultés associées à la dysgraphie et de la signification de celle-ci dans l’organisation psychique de l’enfant: rééducation graphomotrice et psychomotrice quand dominent les perturbations spatio-temporelles et les troubles moteurs, relaxation quand la dystonie semble prévalente et que s’organise une «crampe de l’écriture», contournement du symptôme et abord psychothérapique quand les conditions affectives sont au premier plan et que le symptôme semble s’intégrer dans une structure névrotique.


DÉBILITÉ MOTRICE

En 1911, Dupré isole une entité particulière qu’il nomme: «débilité motrice», faite de l’association:


d’une maladresse de la motilité volontaire: les gestes sont patauds, pesants, comme encombrés, la démarche est peu gracieuse. Face à une tâche ou une gestualité précise, l’enfant ne s’installe pas bien (tordu sur sa chaise, en déséquilibre, etc.);


de syncinésies, c’est-à-dire de mouvements diffusant à des groupes musculaires normalement non concernés par un geste précis. On doit distinguer ici les syncinésies d’imitation, diffusant souvent horizontalement (les mouvements de prono-supination de la marionnette d’une main diffusant vers l’autre) assez fréquentes et disparaissant peu à peu au cours de l’évolution, et les syncinésies toniques, diffusant souvent selon l’axe vertical (mouvement bucco-faciaux importants lors des mouvements des mains, mouvements des bras lors des gestes aux membres inférieurs) n’existant que chez certains enfants et persistant avec l’âge. Ces dernières paraissent beaucoup plus pathologiques;


d’une paratonie enfin qui se caractérise par l’impossibilité ou l’extrême difficulté à obtenir un relâchement musculaire actif. Ainsi l’enfant, face à l’examinateur qui soutient ses mains ou avant-bras, maintient ceux-ci dans la même position en l’absence du soutien, même si on lui demande d’être décontracté. Cette paratonie, sorte de contracture cireuse qui pour certains peut aller jusqu’à la catalepsie, représente une entrave majeure pour une motilité souple et harmonieuse.


Après sa description initiale, cette «débilité motrice» a connu une extension notable et excessive, puisque certains auteurs n’hésitaient pas à ranger sous ce vocable des perturbations allant de la chorée au bégaiement, en passant par les tics, l’instabilité, la psychopathie, etc. Ainsi se trouvaient réunies sous un vocable unique des manifestations de nature et d’origine pathogénique forts diverses. On conçoit les risques d’une telle extension.

À notre époque, ce concept doit être délimité avec plus de rigueur. Il faut en exclure les syndromes neurologiques traduisant une lésion en foyer, et réserver ce terme aux difficultés motrices liées aux affects qui expriment chez l’enfant tant le malaise à «être dans son corps» qu’à occuper l’espace et à s’y mouvoir dans une motilité intentionnelle et symbolisée suffisamment fluide. La «débilité motrice» en tant que symptôme se rencontre ainsi chez des enfants à l’émotivité envahissante, avec de fréquentes mais discrètes perturbations du schéma corporel, et une vie fantasmatique parfois dominée par une médiocre distinction entre le soi et l’environnement. Toutefois elle peut, chez d’autres, se réduire à une maladresse gestuelle dont la signification névrotique est évidente, lorsque cette maladresse est liée à une personne ou à un environnement particulier.


DYSPRAXIES DE L’ENFANT


Au plan clinique il s’agit d’enfants qui sont incapables d’accomplir certaines séquences de gestes ou qui le font avec une extrême maladresse: s’habiller, lacer ses chaussures, boutonner sa chemise, faire du vélo sans petites roues, après 6-7 ans. Leurs difficultés sont encore plus grandes au niveau de la réalisation de séquences rythmiques (par exemple taper alternativement dans les mains puis sur les genoux), dans les activités graphiques (dysgraphie majeure, médiocrité du dessin du bonhomme). L’échec est massif dans les opérations spatiales et les opérations logicomathématiques. Les épreuves telles que celles de Bender ou de la figure de Rey objectivent bien ces difficultés. Tout ceci aboutit évidemment à un échec scolaire massif en grande partie réactionnel aux troubles initiaux.

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Jun 8, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Psychopathologie des Conduites Motrices

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