Psychopathologie des Conduites D’endormissement et du Sommeil

4. Psychopathologie des Conduites D’endormissement et du Sommeil



GÉNÉRALITÉS


En outre, avec l’utilisation des enregistrements électroencéphalographiques nocturnes, l’étude des troubles du sommeil est en complet renouveau: elle représente un domaine privilégié de confrontation fructueuse entre chercheurs venus de disciplines différentes, voire traditionnellement divergentes.


LE SOMMEIL: ASPECT ÉLECTROPHYSIOLOGIQUE

L’enregistrement prolongé de l’EEG de nuit a mis en évidence à la fois la similarité morphologique des divers stades du sommeil repérés chez l’adulte ou chez l’enfant, mais aussi les différences dans la répartition quantitative de ces stades.


La phase de sommeil paradoxal (SP), paradoxal car l’EEG est proche d’un EEG de veille, tandis que le seuil de stimulation d’éveil est particulièrement élevé. Cette phase est encore appelée phase de mouvement oculaire (PMO, Rapid Eye Movement REM) ou encore phase de sommeil rapide. On constate alors:


– une activité électrique rapide, peu différente de celle qui existe à l’état de veille;


– l’existence de mouvements oculaires rapides;


– un relâchement du tonus musculaire chez l’adulte ou chez l’enfant à partir de 2 ans, tandis que chez le nouveau-né on note l’existence de petits mouvements des extrémités ou de la face, parfois de l’axe corporel, mais une inhibition de l’activité tonique mentonnière.

La phase de sommeil calme ou lente est dépourvue d’activité motrice, avec des ondes lentes à l’EEG. Cette phase est subdivisée elle-même en stades I, II, III et IV, selon le rythme et l’amplitude des ondes électriques, allant du sommeil léger (stade I) au sommeil profond (stade IV).



DISTINCTION ENTRE SOMMEIL DE L’ADULTE ET SOMMEIL DE L’ENFANT

Par rapport au sommeil de l’adulte, celui de l’enfant se distingue par quatre particularités.


Valeur quantitative

Un nouveau-né dort en moyenne 16 à 17 heures par jour par fraction de 3 heures, réparties sur l’ensemble du nycthémère. À l’âge de trois mois, il dort toujours 15 heures par jour, mais selon un rythme différent, avec des phases de sommeil plus longues pendant la nuit (jusqu’à 7 heures consécutives), des moments d’éveil prolongé le jour. Le sommeil de jour (la sieste) disparaît vers 4 ans; la quantité de sommeil totale diminue ensuite très progressivement: 13 heures vers 1 an, 12 h 30 entre 3 et 5 ans, 9 h 30 entre 6 et 12 ans, 8 h 30 entre 13 et 15 ans. Il existe toutefois de très grandes variations interindividuelles: ainsi Parmelee peut distinguer dès le premier jour de vie des nouveau-nés à sommeil court, et des nouveau-nés à sommeil long.



Période initiale du sommeil

Chez le nouveau-né et le jeune enfant (avant 2 ans) on observe une phase de SP précoce, 30 à 45 minutes après l’endormissement. En revanche, chez l’enfant plus grand le délai d’apparition du SP est particulièrement long (120 minutes environ), avec une première phase de sommeil paradoxal atypique et incomplète. Certains auteurs voient là une des sources de la fragilité du premier sommeil de l’enfant et des accidents paroxystiques qui surviennent alors tels que les terreurs nocturnes ou le somnambulisme.


La signification du sommeil évolue

Besoin purement physique (alternance de sommeil/réplétion et d’éveil/faim) chez le nouveau-né ou le nourrisson de moins de 3 mois, le sommeil sous l’action conjuguée de la rythmicité endogène et de la pression de l’environnement devient peu à peu une fonction relationnelle fondamentale. Nous reviendrons sur ce point.


SOMMEIL ET RÊVE


Corrélation électrophysiologique

Il ne fait plus de doute que le SP correspond à l’activité du rêve: les sujets (enfants ou adultes) réveillés au moment d’une phase de SP se souviennent toujours avec précision d’un rêve, ce qui n’est pas le cas quand on les réveille lors du sommeil profond. On a aussi observé une corrélation entre l’intensité dramatique du rêve et l’intensité des manifestations propres au SP (pauses respiratoires, accélération cardiaque). Enfin l’expérimentation animale montre que la phase de SP s’accompagne d’activités automatiques lorsqu’on lève l’inhibition motrice par destruction des centres inhibiteurs (Jouvet). On note une évolution des phases de SP au cours de la nuit qui sont plus importantes en fin de nuit, avec une activité onirique accrue, et semble-t-il moins anxiogène (Snyder).



Abord psychanalytique et psychogénétique

Depuis les travaux de Freud, sommeil et rêve occupent une place de choix dans la théorie psychanalytique. Sans avancer des équivalences simplistes et trop réductrices entre deux champs de recherche très hétérogènes, le domaine électroencéphalographique d’un côté, le domaine psychanalytique et psychogénétique de l’autre, on peut dire que certaines hypothèses émises dans ces domaines se chevauchent, tandis que d’autres paraissent incompatibles, comme nous le verrons.

Pour Freud, le rêve est un compromis entre la «réalisation d’un désir imaginaire inconscient» et l’effet de l’abaissement de la censure devenue plus tolérante grâce au sommeil, associé toutefois au maintien de l’activité préconsciente qui préserve le sommeil. Sans revenir ici sur le travail du rêve, c’est-à-dire les mécanismes mentaux qui préludent à l’élaboration onirique (figuration, condensation, déplacement), le rêve est considéré par Freud comme un phénomène passif de décharge des désirs inconscients et comme le «gardien du sommeil»: il permet la continuité de ce dernier en liant l’énergie instinctuelle qui menace le psychisme d’effraction traumatique. Ce rôle de liaison et de maintien de la continuité est repris par Fain et David dans une perspective légèrement différente de celle de Freud: le rêve serait un instrument au service des mécanismes d’intégration du Moi permettant de lier l’énergie instinctuelle du Ça à des représentations psychiques, donc de créer des schèmes d’interactions unissant un affect à une représentation psychique, schèmes à partir desquels l’activité psychique pourrait être progressivement liée (Houzel, Braconnier).


Chez l’enfant, outre l’évolution des besoins quantitatifs en sommeil, la distinction entre récit du rêve et expérience du rêve permet d’aborder le problème de l’apparition de la fonction onirique. L’imagerie du rêve est particulièrement riche, mais ce n’est pas avant 2 ans, 2 ans et 1/2 qu’on peut obtenir un récit de rêve. C’est la raison pour laquelle L.B. Ams considère que le rêve apparaît vers l’âge de 2 ans. En revanche, d’autres auteurs s’attachant non pas au récit, mais à ce qui serait une expérience préverbale, estiment que l’expérience onirique de satisfaction hallucinatoire d’un désir serait beaucoup plus précoce, les divers organisateurs de la vie psychique définis par Spitz servant à en repérer l’évolution (Faim, Kreisler). Il apparaît certain, tant à la lumière des recherches électroencéphalographiques, que de l’observation comportementale de bébés au cours du sommeil, et des acquis de la psychologie du développement, que les préformes du rêve apparaissent dès la première année. La nature des rêves varie: rêve-réalisation de désir, rêve–reviviscence d’événements passés agréables ou non, rêve de punition, rêve d’angoisse ou cauchemars. En fonction du degré de maturation de l’enfant, de ses capacités d’expression, de son vécu propre, le récit du rêve est extrêmement varié. La majorité des études (Foulkes, Zlotowicz, Braconnier) porte sur des enfants entre 6 et 12 ans: ils révèlent d’une part la très étroite relation entre la vie psychique à l’état de veille et l’activité onirique, d’autre part l’évolution de cette activité onirique au cours de la nuit. Les rêves de fin de nuit sont souvent plus agréables, plus riches, tant sur le plan du vocabulaire que sur celui des thèmes rapportés. Les rêves d’angoisse sont particulièrement fréquents, mais certains auteurs pensent que le «bon rêve» subit un refoulement tel qu’il est oublié lors du réveil; seul le cauchemar serait remémoré, d’où l’apparente fréquence de ceux-ci.


Ainsi, pour s’endormir, l’enfant doit pouvoir se reposer, s’étayer sur une bonne image fusionnelle mère-enfant protectrice, accepter cette régression et l’investir d’une charge libidinale non menaçante. Le rôle de l’entourage est précisément d’aménager l’aire transitionnelle de l’endormissement (Soulé) pour que la régression soit acceptée, voire espérée. La fréquence des perturbations ou des difficultés d’endormissement des enfants est l’illustration a contrario de la fragilité de cette aire intermédiaire d’endormissement.

La confrontation entre les théories psychogénétiques ou psychanalytiques et les données électroencéphalographiques est enrichissante, même s’il convient de se garder de toute équivalence simpliste (Braconnier). Certaines hypothèses émises par Freud paraissent peu compatibles avec les connaissances actuelles sur la physiologie du sommeil: ainsi la régulière récurrence du SP et de l’activité onirique, avec les divers systèmes neurorégulateurs de type inhibiteur qui l’accompagnent va à l’encontre d’un déclenchement passif du rêve. De même, le rôle de gardien du sommeil ne correspond pas aux résultats des expériences de privation de SP: il semble exister un lien étroit entre l’activité psychique vigile et l’activité psychique onirique. En revanche, le rôle de décharge des tensions instinctuelles et surtout la fonction de liaison entre un état affectif de base et une représentation psychique semblent se retrouver en concordance dans les deux champs de recherche.

Jun 8, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Psychopathologie des Conduites D’endormissement et du Sommeil

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