Premier. Psycho-Neuro-Biologie et Psychiatrie

Nemo physiologus nisi psychologus.


Inversant ainsi le célèbre précepte de Johann Müller, la Psycho-physiologie contemporaine « ne se contente plus d’étudier des « mécanismes nerveux » mais plutôt des « événements » que dirigent les motivations du Sujet. On est en train de passer d’une Neuro-physiologie réflexe et proprement cybernétique à une Neuro-biologie où l’intentionnalité inconsciente et consciente de l’individu ordonne ses moyens, ses fonctions nerveuses, à ses fins de relation avec le milieu extérieur et d’équilibre avec son propre milieu intérieur (1).



Les tendances actuelles de la Psychophysiologie l’éloignent autant du parallélisme psycho-physiologique que du réductionnisme mécaniste des associations réflexes.


Nous exposerons ce bref aperçu de « Psycho-physiologie » en nous souciant de marquer cette tendance et en essayant de tirer, de la myriade des faits d’observation et d’hypothèses qui ne sont pas exempts de complications hasardeuses sinon de contradictions, une certaine image de l’organisation du Système nerveux central ; puis nous exposerons ensuite les conditions expérimentales qui, par leur application à la Psychiatrie, peuvent éclairer certains de ses aspects cliniques et pathogéniques.


I. — LES STRUCTURES NERVEUSES





a) Monoamines. Amines biogènes. Les acides aminés (dont la fonction amine est portée en diverses positions du carbone, du carboxyle) forment les proteines qui ont une fonction régulatrice stimulante ou inhibante sur toutes les fonctions nerveuses et selon des modalités correspondant à leur transformation sous l’effet des enzymes. Celles-ci, dans le groupe des monoamines, synthétisent la Sérotonine ou la Tryptamine à partir du tryptophane (hydroxylase) et les catécholamines (décarboxylase) à partir de la tyrosine. On distingue, en effet, deux grands groupes de monoamines : la Sérotonine (5 HT) et la Tryptamine d’une part — et les Catécholamines d’autre part.



Le conflit des systèmes neurochimiques.











Tableau XVIII. Les deux groupes de monoamines (Tableau simplifié de leur synthèse enzymatique).

Tryptophane (Hydroxylase) Tyrosine (Hydroxylase)
5 Hydrotryptophane (5 HT) (Décarboxylase) Tryptamines (Monoaminoxydase) Acide indolacétique
Synthèse de la Sérotonine et de la Tryptamine.
DOPA (Déhydroxyphénylalamine) (O. méthyl transférase COMT-Monoamine oxydase)
Noradrénaline (COMT-MAO)
Synthèse des Catécholamines.

1° Catécholamines. — Le schéma classique d’Iverson (1967) indique comment dans les nerfs sympathiques postganglionnaires (et probablement pour tous les neurones noradrénergiques cérébraux), à partir de la tyrosine sanguine, s’effectue (via DOPA) une accumulation de Noradrénaline dans les vésicules du bouton axonique, la catabolisation s’effectuant parla M. A. O. intramitochondriale. Les catécholamines sont donc constamment accumulées (uptake) ou mobilisées (release) par l’action réciproque de deux « pools » de type réserpino-sensible inactif et de type réserpino-résistant actif.





Les Amines activatrices (Catécholamines.


2° Sétoronine et 5 HT. — Leur catabolisme reste sous la dépendance de la M. A. O. Elles semblent plus abondantes dans le système limbique (méthode de visualisation par fluorescence, technique d’autoradiographie, microscopie électronique, traceurs radioactifs du « turnover » des différents « pools » du métabolisme cellulaire). Mais les neurones (péricaryon) à 5 HT sont plus nettement situés dans le raphé médian du mésencéphale.



Sérotonine et 5 HT modératrices.

Leur action est généralement dépressive (tendance à la synchronisation à l’E. E. G.). Mais à doses plus fortes, les effets produits ressemblent à ceux du L. S. D. car le recyclage présynaptique équivaut par son intensité à une « occupation » constante des récepteurs, équivalents à un blocage. On voit à quels équilibres précaires et réversibles correspondent les actions et interactions facilitantes ou inhibantes des monoamines.







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Fig. 25.
Activation cortico-hypothalamique de la sécrétion d’ACTH et de Cortisol avec feed-back.

3° Équilibre des effets activateurs et modérateurs des acides aminés. — D’après M. Monnier, il y a lieu de distinguer les acides aminés modulateurs des neurones et des cellules effectrices indépendantes d’une excitation axonique (présynaptique), les acides aminés médiateurs qui ont vraiment une action spécifique de libération ou de blocage (1). Il convient, là encore, de remarquer que le processus métabolique (décarboxylation) transforme le sens de l’action modératrice ou activante des acides aminés. Il en est ainsi de l’acide aspartique, de l’acide glutamique (qui se transforme en GABA), etc. — La propriété inhibitrice de la glycine (glycocolle) s’exerce surtout au niveau de la moelle et des neurones bulbaires réticulés. — L’histamine est une aminé biogène activatrice. — Quant à l’acétylcholine, elle emprunte les voies cholinergiques du tegmentum du tronc cérébral (projections actives diffuses du système réticulaire sur le néocortex).






Les modulations autorégulées.









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Fig. 24
Contrôle (régulation) des sécrétions du lobe antérieur de l’hypophyse par les « releasing factors » hypothalamiques.

(D’après M. Monnier, Confrontations psychiatriques, 1972, n° 9, p. 69).

b) Métabolisme des glucides phosphatés. —L’activité nerveuse exige une alimentation d’énergie qui, comme pour tout tissu animal, est assurée par l’oxygénation de ses composés carbonés, processus auquel le phosphore participe activement. C’est ainsi que l’on connaît déjà depuis longtemps (A-Szent-Gyorgyi) l’importance de l’Adénosine triphosphatée (ATP) comprenant l’Adénine (sur 5 C), le Ribose et 3 groupements phosphoriques dont l’hydrolyse libère 12 000 calories pour chaque radical séparé sous l’influence d’une enzyme, l’hexokinase (Dawson et Richter, 1950).



Cycles métaboliques.

On distingue (selon H. Laborit, 1964) trois voies métaboliques partant du glucose 6-phosphate : une, anaérobie (voie d’Embden-Meyerhofî) et extra-mitochondriale qui aboutit à l’acide pyruvique — une autre qui aboutit à la production de CO et de H2O par oxydation complète de l’acide pyruvique (voie intramitochondriale, dite cycle de Krebs) par les phosphorylisations et oxydations de l’acide citrique — une troisième enfin dite « voie des pentoses » où le glucose est oxydé par voie oxydative directe en produisant notamment le ribose nécessaire à la synthèse des acides nucléiques. Ce dernier mérite d’être plus particulièrement signalé, car il permet à H. Laborit d’opposer deux grands cycles métaboliques de l’énergie du S. N. C. : celui des astrocytes névrogliques empruntant surtout la voie des pentoses, et celui des neurones orientant leur activité vers le fonctionnement du cycle tricarboxylique et les oxydations phosphorylantes dont ils tirent l’ATP.

De telle sorte que nous voyons se dessiner deux grands systèmes : celui autonome de la régulation du milieu intérieur, et celui de la régulation des échanges avec le milieu extérieur — le premier codé par la motivation interne ; le second programmé par le plan des réactions au milieu extérieur. C’est, au fond, retrouver au niveau des inductions enzymatiques la vieille distinction de Bichat : les processus vitaux de la combustion des « fonctions végétatives » (système ergotrope et trophotrope), et les processus propres aux régulations par l’information codée dans le système nerveux cérébro-spinal.


Une première découverte (Cajal) ayant permis d’envisager le système nerveux comme constitué d’éléments discontinus (les quelque 15 milliards de neurones), une seconde découverte devait dévoiler la fonction de conduction de la fibre nerveuse (Hodgkin) attribuée à sa membrane (théorie ionique du potentiel d’action lié à sa perméabilité). Pendant l’activité de la fibre nerveuse, on constate une dépolarisation, et Hodgkin proposa l’hypothèse selon laquelle la membrane excitée deviendrait hautement perméable au seul ion Na+ (pile dont le sens est inverse de celui du repos). Le potentiel d’action qui parcourt dans le temps l’espace d’un neurone, depuis son péricaryone (dendrites et soma) jusqu’à l’extrémité de son axone, se propage successivement à ses parties en répondant coup par coup à son signal et en le transmettant fidèlement. C’est-à-dire que lorsqu’un potentiel en pointe se propage le long de la fibre nerveuse, la succession des « événements » est la suivante : Dépolarisation → Augmentation rapide de la conduction par le Na → Augmentation lente de la conduction par le K → Repolarisation.







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Fig. 26.
Potentiel de repos et potentiel d’action d’une fibre géante de loligo.
a : animal entier ;
b : fibre isolée.
Loligo forbesi. a) exp. 1952. Électrode, pointe 0,5 μ. 70mV à l’entrée dans fibre géante pas de secousse musculaire à ce moment. Excitation par un choc unique dans la partie centrale de l’axone géant.
b) Axone symétrique du même animal, isolé, dans l’eau de mer. Potentiel de repos (5 exp.), 63 à 72mV, moyenne 68mV ; potentiel d’action, 99 à 115mV, moyenne 107. Hyperpolarisation après le potentiel de pointe ou le spike, 1 à 7mV, moyenne 4mV. Concentration K 17,7 à 25,8mM/Kg H2O (moyenne 19,6mM).








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Fig. 27.
Action d’une solution isotonique de dextrose.
Tracé 1 : obtenu dans l’eau de mer juste avant l’emploi de la solution de dextrose. Tracés 2 à 8 : tracés obtenus : 2 = 30s, 3 = 46s, 4 = 62s, 5 = 86s, 6 = 102s, 7 = 107s, 8 = 118s après l’application de la solution sucrée isotonique. Tracé 9 : 30s après retour à l’eau de mer. Tracé 10 : 90 et 500s après retour à l’eau de mer.



De toutes ces minutieuses expériences sur la dépolarisation et la surpolarisation de la membrane et de leur régulation « binaire » (tout ou rien) par le passage (oui ou non) des voies Na ou K (pompe à sodium), résulte le principe que le signal que propage le neurone reste identique à lui-même.







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Fig. 28.
Schéma de l’échange ionique de K et Na à la membrane.
Le gradient électrochimique de concentration apparaît par les hauteurs dessinées. La « pompe » déplace les ions contre un gradient. La diffusion de Na de l’intérieur vers l’extérieur est si faible qu’elle n’a pas été représentée. On a représenté dans des canaux différents le transport actif et le transport par diffusion.


Tout d’abord étudié au niveau de la synapse neuro-musculaire, ce mécanisme de la transmission et de la traduction du message a mis en évidence le rôle de l’acétylcholine (produite par la choline-acétylase et détruite par les cholinestérases) dont les effets de facilitation ou de dépression dépendent d’un paramètre de temps, de réfractarité et de modulations qui assouplissent (c’est-à-dire introduisent un certain degré d’improbabilité) la transmission ou la transcription synaptique.


On comprend, à cet égard, que les Neuro-physiologistes soient divisés par les interprétations de faits expérimentaux qu’ils ont méthodiquement mis en évidence (1).



Deux modèles : Cybernétique et Finalité.


Les uns — citons par exemple Mme Albe-Fessard et Ch. Marx lui-même — recourent à une finalité cybernétique d’auto-régulation et considèrent que l’ensemble des événements est « finalisé » par le champ total de l’activité qui entretient son équilibre adaptatif et, somme toute, le message n’est qu’un signal plus complexe, plus improbable et plus chargé d’information. Dans une telle perspective l’intégration s’exerce par des boucles de réverbération, des « montages » qui répartissent les afférences et les efférences réglant l’économie du système de transmission des trains d’influx.

Les autres — citons par exemple Richard Jung (2), ou plus anciennement V. Von Weizsäcker — sont plus sensibles au choix et à la décision qui cherchent leur voie et leur sens au travers de l’infinité des moyens que leur offrent les infinités des modulations possibles du passage (frayage ou occlusion) d’un influx nerveux porteur de sens. Ce sont évidemment ceux-là qui ne se contentent pas de mettre, comme la plupart des autres, le « sujet » et son « choix » entre guillemets.


3° Névroglie. —Nous avons fait allusion plus haut à la fonction de barrière hêmato-encéphalique qu’Edström (1958), Tschirgi (1962), H. Laborit (1966) attribuent aux astrocytes (macroglie). Leur métabolisme serait beaucoup plus actif dans la voie de l’hexose monophosphaté que dans le cycle tricarboxy-lique, ce qui en clair voudrait dire que les cellules gliales joueraient un rôle important dans l’alimentation des neurones et ajouteraient leur influence enzymatique à celle qui est propre aux neurones. Si nous insistons ici sur ce point, c’est pour réintégrer par là (comme au niveau de l’hypothalamus, c’està-dire à un niveau proprement autonome ou végétatif) les processus d’intégrations neuronales dans le métabolisme général de l’organisme. Car nous allons le voir plus clairement maintenant, le système nerveux central est le système de la vie de relation, mais de la relation avec deux milieux : le milieu intérieur et le milieu extérieur. Ou plus exactement, il les lie l’un à l’autre.



Névroglie et alimentation des neurones.


II. — MOTIVATION (INSTINCT) ET CONDITIONNEMENT (LEARNING)


L’activité relationnelle du S. N. C. s’exerce évidemment sur deux milieux :le milieu intérieur (celui des organes, cycles métaboliques de la vitalité de l’organisme) — et le milieu extérieur (celui dont les organes des sens lui fournissent les informations). Plus exactement l’activité nerveuse s’exerce dans deux sens : celui de la motivation (besoins, instincts, tendances, affects) et celui de l’adaptation à l’environnement). Nous allons donc exposer sommairement ces deux grands axes fonctionnels de l’activité cérébrale, les deux grandes directions qu’assume et concilie le S. N. C.



Les deux grands axes fonctionnels : Instinct et Réalité.



a) Motivation. — Sous ce terme on peut englober toute la sphère dite « hormique » ou « ossitique » (P. Guiraud) qui comprend les besoins, les appétits, les pulsions, les désirs, qui portent l’individu à rechercher le plaisir et à éviter la douleur. Il suffit d’ailleurs d’énoncer ces tendances pour s’apercevoir que leur force, leur efficacité ou leurs conflits, se manifestent à divers niveaux des mobiles, des désirs ou des sentiments, qui les représentent. On comprend que, d’une part leurs caractères spécifiques et automatiques s’imposent à l’esprit ; et que d’autre part, la motivation affective plus complexe mette en jeu le programme vital propre à chaque individu. C’est à cause de ce second et important aspect chez l’homme tout spécialement, qu’à la base de l’activité nerveuse la neuro-physiologie a placé l’activité réflexe.



L’exigence des motifs comme base de la vie de relation.

L’activité nerveuse intègre les réflexes et les circuits autorégulés dans la motivation instinctivo-affective.


b) Instinct et réflexe(1)— Depuis Descartes et Th. Willis (cf. l’ouvrage de G. Canguilhem, 1955, et les premiers travaux de Marshall Hall, 1933), la notion de réflexe s’est imposée : le mouvement réfléchit la sensation, comme l’afférence se réfléchit sur l’efférence. L’arc réflexe est donc constitué par une liaison spécifique (au sens le plus fort du terme) qui associe à un stimulus une réponse. D’où les caractères d’innéité, d’automatisme, de fixité, généralement reconnus à ces systèmes fonctionnels plus ou moins simples qui forment des montages sensori-moteurs autonomes. La coordination, les effets de facilitation ou d’inhibition réciproque des diverses parties de ces circuits, les conditions d’émancipation ou d’intégration à ces ressorts, ont été admirablement décrits notamment par Sherrington, et nous n’avons pas besoin d’insister sur les lois de l’activité réflexe (préformation, coordination, irradiation latérale ou contro-latérale, etc.) que l’on trouve dans tous les Traités de Physiologie, depuis les travaux classiques de Pflüger, de Magendie, etc. Il convient cependant de souligner que c’est précisément Sherrington qui, dans son fameux ouvrage (lre édition, 1906), a écrit que « le pur réflexe est une abstraction ». C’est qu’étudiant précisément l’intégration du système nerveux, il remarquait que les « mouvements ne sont pas dépourvus de sens » (meaningless). Autrement dit, ces mécanismes ne sont pas machinaux, et ce que le physiologiste étudie (la patte de grenouille dont les muscles extérieurs ou fléchisseurs sont fonctionnellement liés) ce sont des fragments de comportement.



On ne peut donc réduire les instincts à des réflexes que pour autant que le réflexe n’apparaît que comme le fragment préformé et fixe de l’instinct. Par contre, on peut intégrer le réflexe à l’instinct en retrouvant sa finalité, c’est-à-dire sa motivation, par le programme vital spécifique qui ne peut d’ailleurs se réaliser (nous allons y insister dans le prochain paragraphe) que sous l’influence ou l’effet du milieu — ou dans la direction du programme personnel de l’individu.

Ainsi la plasticité (imprinting, adaptation, learning) complétant sa prédétermination interne, la nécessité des signaux externes pour déclencher les besoins et leurs actes consommatoires constituent plus et mieux que le réflexe l’activité de base du système nerveux central. Par la motivation, les mécanismes neuro-chimiques, neuro-hormonaux, les propagations et codifications des messages trouvent leur sens en s’enracinant dans la sphère des motivations.





I. — SYSTÈME CÉRÉBRAL DE LA MOTIVATION



Longtemps on s’est contenté de parler du rôle du système autonome ou des centres neuro-végétatifs (Hess), de leurs fonctions ergotropes ou trophotropes dans la régulation des besoins vitaux des fonctions nutritives ou sexuelles, ou encore des centres de l’expression émotionnelle (la fameuse sham-rage qui, du point de vue behavioriste, fait du chat en colère une apparence de chat en colère…). Par les travaux mêmes de l’école behavioriste (Skinner), la notion de « conditionnement opérant » a habitué à considérer « tout bêtement » que l’animal affamé a faim, que l’animal déshydraté a soif, etc., etc., car c’est la faim et la soif qui le poussent à appuyer sur le levier de la nourriture ou de l’eau. Dès lors, comme pour K. Lorenz ou N. Tinbergen, l’objectivité de l’observation n’exclut pas l’expérience vécue. Et c’est au cœur de cette expérience vécue sur le registre du besoin (réglé par l’homéostasie des métabolismes), des instincts (réglés par les inclinations spécifiques), des pulsions (réglées par l’intrication des impulsions biologiques et de leurs représentants inconscients), que la motivation instinctivo-affective s’installe à la base ou au centre du cerveau, comme le rêve au creux du sommeil (nous le verrons plus loin).



Réactions émotionnelles (le « cerveau affectif » [Pappez] au « cerveau libidinal » [Walker]).

A un niveau « végétatif », ou plus exactement de métabolisme animal, on a beaucoup étudié, depuis W. B. Cannon, l’homéostasie hydrominérale de la soif (S. Nicolaïdis), ou plus généralement, les déséquilibres nutritionnels de la faim, les poussées hormonales de l’œstrus et des comportements de copulation, les besoins d’alerte qui règlent l’envie de la défécation ou de la miction, etc. (A. Soulairac). Et toujours, nous le verrons plus loin, c’est à l’hypothalamus ou au système limbique (plutôt qu’à l’infundibulum ou à l’hypophyse, comme on le pensait il y a quelques années) que nous renvoient les études.

Mais ce sont les expériences d’auto-stimulations cérébrales qui ont consacré de la façon la plus éclatante l’importance fondamentale des expériences psychologiques affectives de la motivation des comportements dans le sens même indiqué par Freud dès 1895 (Projet de psychologie scientifique) : le Système nerveux central fonctionne incontestablement dans le sens du principe du plaisir.



Les « expériences » de recherche du plaisir.



D’autres implantations d’électrodes procurent, au contraire, un effet désagréable et engendrent des réactions d’évitement (réponses aversives). Olds (1963) avait trouvé trois zones (mésencéphale, diencéphale et rhinencéphale) à renforcement négatif (comportements d’évitement accrus).



et du « déplaisir ».

Sans doute les auteurs se sont-ils ingéniés à mettre en évidence des localisations précises pour les structures spécifiques (alimentaires, sexuelles, des « reward-specifiques »), ou encore à déterminer les points où l’auto-stimulation est un plaisir et ceux où elle est, au contraire, une douleur ou un désagrément. Cette psychophysiologie localisatrice et ponctuelle a donné des résultats assez remarquables entre les mains de certains expérimentateurs (Hoechel, 1969 ; Robinson et Mishkin, 1968), mais — comme le montre l’intégration du « rewardsystem » dans le faisceau médian du diencéphale (schéma de D. MacLean, p. 683) — il est bien difficile d’admettre des centres ou des points de plaisir-récompense et de douleur-évitement. Il est beaucoup plus simple, semble-t-il, de faire l’hypothèse que les perturbations apportées par l’excitation électrique des structures limbiques et hypothalamiques intimement connectées produisent des émotions, c’est-à-dire des affects dont le pôle positif ou négatif dépend peut-être moins de la polarisation des électrodes que des dispositions propres à la motivation actuelle (individuelle ou spécifique) du sujet de l’expérience.

Si nous nous sommes un peu longuement étendus sur ce point de psychophysiologie de grande actualité, c’est pour insister encore sur les nouvelles tendances de la neuro-biologie, et tout particulièrement sur le sens de la finalité affective qui dirige l’activité nerveuse en général.


II. — ACQUISITION, LEARNING, ADAPTATION (1)




Remarquons tout d’abord que ce versant opérationnel de l’activité cumulative de l’expérience n’est pas sans rapport avec la sphère de la motivation. Cela est parfaitement évident si l’on veut bien considérer qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre les « réflexes conditionnés classiques » et le conditionnement dit encore « opérant » ou « instrumental », car dans les deux cas le mécanisme de la liaison temporelle ou opératoire normale se greffe et ne peut se greffer que sur le dynamisme instinctivo-affectif : le réflexe conditionné ne s’établit qu’à partir d’un réflexe inconditionné (la faim, la soif, le plaisir ou la douleur), tout comme le conditionnement instrumental n’est déclenché que par un appétit, un besoin ou une motivation psychobiologique (innate releasing mechanisms de K. Lorenz et N. Tinbergen).

Le conditionnement classique (type I de Pavlov), chacun sait qu’il est essentiellement réalisé par l’association, puis la substitution de la perception d’un metronome a la vue d un morceau de viande qui provoque la faim et, par voie de conséquence, des gouttes de salive chez le chien. Les divers paramètres temporels et spatiaux d’associations sensorielles diverses de l’excitant conditionnel (artificiel) et de la consommation (gouttes de salive) de l’activité réflexe conditionnée ont fait l’objet d’une infinité d’études expérimentales dans le laboratoire de Pavlov. Ainsi a-t-il pu avec une précision remarquable établir les lois de l’excitation et de l’inhibition auxquelles se conforme l’établissement de ces liaisons dynamiques. L’irradiation (l’extension du facteur conditionnant), le frayage (la facilitation d’associations inter-neuronales) et surtout l’inhibition (externe par signal limitant le champ d’extension — interne, soit par extinction ou défaut de renforcement — soit par inhibition supra-maximale ou saturation égalisant dans cette phase paradoxale l’effet de toutes les stimulations). Les processus d’induction positive et d’induction négative s’équilibrent ainsi pour former le « stéréotype » de ce conditionnement. On voit que celui-ci consiste essentiellement à utiliser la plasticité, la capacité combinatoire des neurones (corticaux) pour établir entre l’organisme et son milieu des relations plus souples et plus symboliques. Car c’est l’usage du signe qui est ainsi codifié par les signaux, d’où l’importance toute naturelle accordée par les physiologistes pavloviens au système culturel par excellence, le langage considéré comme un second système de signalisation (Leontiev, A. Ivanov-Smolenski).


On appelle en effet « apprentissage » (learning) ce que l’on appelait au début du siècle « mémoire associative », « expérience acquise » ou « acquisition intellectuelle ». Il est bien vrai d’ailleurs que sans la possibilité de lier les comportements aux Stimuli extérieurs et de retenir l’expérience acquise et stockée dans des schèmes signifiants (concepts), il n’y a pas d’intelligence possible. Mais il y a belle lurette que les analyses de l’intelligence (de Leibniz à Piaget pour simplifier à l’extrême) ont montré qu’elles ne pouvaient se réduire à des enchaînements habituels de comportements, de sensations ou de souvenirs. Nous savons bien (Köhler) que l’insight est un acte créateur dont l’apprentissage est une condition nécessaire mais insuffisante (cf. la critique de Henri Ey, Évol. Psychiat., 1947, n° 1, 197-218). Cela dit, il faut reconnaître que la capacité de « discernement » qu’Henri Fabre accordait aux insectes comme un supplément indispensable à leur intelligence innée, a fait l’objet d’études du comportement (behaviorisme) et d’éthologie (K. Lorenz et N. Tinbergen) du plus haut intérêt. Mais, doit-on ajouter, en ne négligeant pas l’ontologie (terme qui revient souvent dans les travaux de physiologie des réflexes conditionnés) de l’inconditionné, c’est-à-dire, au fond, de la motivation.



Apprentissage.

Le conditionnement instrumental ou « opérant » (type II de Skinner) est, en effet, une modalité non seulement complémentaire, mais, peut-être aussi, originaire du conditionnement classique. Il consiste à conditionner en récompensant (reward) les actes à effets utiles, ou à apprendre à éviter (avoïdance) les actes à effets nociceptifs. L’âne de Buridan est depuis longtemps placé dans cette alternative et ce conditionnement contraignant de choix qui est l’exigence même de la réalité. Mais pour forts que soient les motifs qui de part et d’autre balancent sa décision, c’est en dernière analyse, plus que le hasard, l’expérience des essais et des erreurs qui détermine son choix. Autrement dit, si le conditionnement de Pavlov requiert la motivation, la recherche de la satisfaction, le conditionnement de Skinner est subordonné à l’expérience acquise.



Conditionnement « opérant » ou instrumental.



III. — L’ORGANISATION CÉRÉBRALE


(Bref exposé de la morphologie et de la physiologie régionales du Cerveau).

Depuis Bichat, rappelons-le encore, on s’est habitué à l’idée que l’organisation du Système nerveux articulait deux systèmes complémentaires : le Système nerveux autonome et le Système nerveux cérébro-spinal.



Système nerveux autonome et Système nerveux relationnel.



Il nous paraît possible de présenter dans une figuration plus conforme à nos connaissances actuelles les deux grands Systèmes cérébraux qui assurent, l’un l’activation (l’animation) du comportement dans le sens de ses motivations endogènes (besoin), l’autre la préparation (la construction) des relations adaptatives avec le monde extérieur (et ses nécessités).




I. — LE SYSTÈME SOUS-CORTICAL OU CENTRENCÉPHALE


Il suffit de se rapporter (p. 10) au fameux schéma de His pour comprendre que le rhombencéphale (cerveau postérieur — bulbe — protubérance — pédoncules cérébraux) constitue au cours du développement ontogénique et phylogénique la portion sous-hémisphérique (la plus importante) du développement cérébral. Cette tige du cerveau, ce tronc cérébral constitue en quelque sorte la sphère vitale du Système nerveux central. Elle est au niveau du diencéphale une première organisation hémisphérique que l’on a longtemps appelé le rhinencéphale.



Le « vieux cerveau ».








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Fig. 9.
Le système limbique.
1. — Gyrus cingulaire. — 2. — Corps calleux. — 3. — Septum lucidum. — 4. — Trigone. — 5. — Bulbe olfactif. — 6. — Cortex entorhinal. — 7. — Aire septale. — 8. — Noyau accumbens. — 9. — Pilier antérieur du trigone. — 10. — Commissure blanche antérieure. — 11. — Lame terminale. — 12. — Noyau de Meynert. — 13. — Chiasma optique. — 14. — Hypothalamus. — 15. — Hypophyse. — 16. — Tubercule mamillaire. 17. — Uncus. — 18. — Hippocampe. — 19. — Amygdale. — 20. — Habénula. — 21. — Epiphyse. — 22. — Gyrus dentelé. — 23. — Fimbria. — 24. — Thalamus. — 25. — Zona incerta. — 26. — Striatum (27. — noyau caudé + 28. — putamen). — 29. — Pallidum. — 30. — Locus niger. — 31. — Tubercules quadrijumeaux. — 32. — Substance réticulée. — 33. — Noyaux ventraux, aire de Tsai. — 34. — Noyaux du raphé. — 35. — Trigone (pilier postérieur). — 36. — Locus cœruleus. — 37-37. — Coupe horizontale du mésencéphale (fig. 10).— 38. —Lobe frontal. — 39. — Lobe occipital. —.40. — Lobe temporal (T5), cortex para-hippocampique.


Il n’est pas possible de figurer ici les voies de connections anatomiques des faisceaux de neurones, ni celles chimiques des neurotransmetteurs qui unissent les différentes pièces du système limbique : zone limbique proprement dite, hypothalamus, noyaux striés, thalamus, mésencéphale. Ces différentes parties du système se relient évidemment avec l’ensemble du système nerveux central, notamment le cortex, pour des fonctions de modulations, d’inhibitions, de stimulation.


Le système limbique ne se réduit plus au lobe limbique de Broca qui comprenait un anneau entourant les commissures interhémisphériques. Il se compose du gyrus cingulaire prolongé en avant par le bulbe olfactif, les aires septale et entorhinale et en arrière par le gyrus hippocampique à la face interne du lobe temporal, refoulé par le sillon de l’hippocampe faisant saillie dans le ventricule latéral (corne d’Ammon) bordée en dedans et en haut par la mince lame du gyrus dentelé (corps godronné) qui prolonge l’hippocampe autour du corps calleux. Cet anneau de formation rudimentaire : archi-cortex et paléo-cortex, est richement relié non seulement à l’hippocampe et aux noyaux striés mais aussi aux formations du mésencéphale dites aire limbique du mésencéphale comprenant la réticulée et ses nombreux noyaux dont le n. centro-dorsal (neurones riches en cellules sérotoninergiques), le locus niger (neurones dopaminergiques), le locus cœruleus (neurones sérotoninergiques). De ces sites naissent des faisceaux transmettant dans les deux sens les neurotransmetteurs par des circuits très complexes à la région hippocampique, aux corps striés, au thalamus et au cortex. Citons les principales voies de connexion et neurotransmetteurs du mésencéphale : le faisceau médian du télencéphale, le plus important associant le cortex préfrontal, le septum, l’hypothalamus, les noyaux limbiques du mésencéphale et la formation réticulée du tronc cérébral, les voies nigro-thalamiques, nigro-striatales (dopaminergiques), réticulothalamiques (acétylcholine, substance P.) les noyaux du raphé sont à l’origine d’une voie sérotonique aboutissant au thalamus.



II. — L’ÉCORCE ET LES CENTRES CORTICAUX


Comme l’hypothalamus constitue le carrefour des impulsions (besoins) et des fonctions végétatives (activités vitales, cycles métaboliques, neuro-hormonaux), le thalamus ou « couche optique » est le carrefour des afférences spécifiques, tout au moins pour ce qui concerne les relais sensitivo-sensoriels (noyau ventral postéro-latéral avec son satellite, le noyau arqué ou semi-lunaire, les corps genouillés externe et interne) qui projettent ensuite du noyau dorso-médian vers la région préfrontale ou des noyaux dorso-latéral et postéro-latéral dans la région pariétale. Généralement les projections thalamiques diffuses ont, au niveau cortical, des connexions surtout axo-dendritiques, alors que les systèmes de projections spécifiques dont nous venons de parler s’articulent au niveau des corps cellulaires (Système thalamo-cortical).



Écorce et centres corticaux.








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Fig. 11.
Le thalamus et le système de projection diffus thalamique.
A : noyau antérieur ; VA : noyau ventral antérieur ; DL : noyau dorso-latéral ; DM : noyau dorso-médian ; PL : noyau postéro-latéral ; VL : noyau ventrolatéral ; VPL : noyau postéro-latéral ; Pul : pulvinar ; GE : corps genouillé externe. Gi : corps genouillé interne ; en noir : la substance réticulée intralaminaire et les noyaux de la ligne médiane (N. L. M.).


L’écorce cérébrale (le télencéphale, l’isocortex) constitue le manteau cérébral où confluent et s’élaborent les messages du milieu intérieur (motivation) et du milieu extérieur (information spécifique ou sensorielle). C’est le lieu où s’organisent et s’intègrent tous les moyens dont dispose le sujet pour s’adapter aux situations ou, mieux, pour conformer ses moyens à ses fins. Nous reviendrons plus loin sur le rôle que joue le cortex cérébral dans la différenciation opératoire des activités propres du sujet. Pour le moment, nous nous contenterons de rappeler quelques notions essentielles sur sa structure cyto-architectonique ou myélo-architectonique.







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Fig. 12.
Les six couches du cortex (Isocortex homotypique).
I : couche plexiforme. — II : couche des petites pyramidales. — III : couche des supérieures pyramidales. — IV : couche des grains et des pyramidales étoilées. — V : couche des grandes pyramidales. — VI : couche des cellules fusiformes. Depuis les travaux de Lorente de No, on admet — comme l’indique le schéma — (dont certains éléments corps cellulaires, dendrites et axones sont grossis pour en faire comprendre les trajets et articulations synapsiques), qu’il existe un système afférent dont les fibres venant du thalamus se projettent dans les couches supérieures, un système efférent (E) formé par les axones des cellules pyramidales et un système de circuits intracorticaux (IC) extrêmement complexe d’interneurones. Les excitations cellulipétales des dendrites qui forment ce « neuropil » (vaste accumulation neuronale en réseau) est très simplifiée dans ce dessin qui vise surtout à donner une impression des connexions latérales et longitudinales des neurones corticaux.








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Fig. 13.
Les principales aires cyto-architectoniques de Brodman.
Cette figure représente la convexité de l’hémisphère gauche. La scissure de Sylvius est largement écartée pour permettre de voir l’insula. On reconnaît la scissure de Rolando qui partage les aires paracentrales en frontale ascendante (4) et en pariétale ascendante (1, 2, 3).
Aires frontales (4, 6, 8, 9, 10, 44, 45, 46, 47). Aires pariétales (1, 2, 3, 5, 7a et 7b), 39 (pli courbe ou gyrus angularis), 40 (gyrus supramarginalis). Aires occipitales (17, 18, 19). Aires temporales (20, 21, 22, 38). Circonvolution de l’insula ou gyri de Heschl (41, 42, 52).

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May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Premier. Psycho-Neuro-Biologie et Psychiatrie

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