Pied plat valgus idiopathique
Introduction
Le pied plat valgus est caractérisé par un effondrement de l’arche médiale du pied, un valgus sous-talien, une supination de l’avant-pied et, de façon inconstante, une abduction de l’avant-pied. Le pied plat valgus idiopathique (PPVI) est une déformation acquise, souvent appelée pied plat statique chez l’enfant car la déformation se révèle lorsque le pied est en charge et disparaît complètement lorsque le pied est en décharge. Le caractère idiopathique exclut toutes les affections neurologiques, dystrophiques et les malformations congénitales [1].
- • La composante « plat » du PPVI « vrai » correspond à un effondrement de l’arche médiale défini par une altération de l’angle de Méary sur la radiographie de profil en charge. Dans d’autres cas, l’empreinte du pied est bien plate, mais sans effondrement de l’arche médiale et avec conservation d’un angle de Méary normal. Il s’agit alors d’un morphotype avec un bloc calcanéopédieux (BCP) plat du fait d’un angle d’incidence du calcaneus faible (voir les chapitres « Morphotypes », page 57 et « Analyse segmentaire des déformations », page 75).
- • Le valgus est articulaire essentiellement dans le complexe articulaire sous-talien. Il est également osseux talien [2] et/ou calcanéen, mais aussi tibial. L’examen clinique ne donne que très peu d’éléments quant à la topographie du valgus.
- • Il existe parfois un équin. Il doit être recherché après avoir positionné le pied en inversion, car l’examinateur peut être trompé par une abduction/flexion dorsale siégeant dans les articulations sous-talienne et transverse du tarse. Inversement, il existe parfois une dorsiflexion très importante de la cheville en rapport avec une hyperlaxité articulaire et une hyperextensibilité du triceps.
Le pied plat valgus dans sa forme modérée peut être considéré comme une variante de la normale. Cependant, certaines formes caractérisées par une déformation plus importante entraînent des signes fonctionnels. Ainsi, il n’existe pas un PPVI mais des PPVI, avec une association de défauts d’intensité variable et des combinaisons multiples. Sachant qu’il existe des pieds plats sans valgus excessif et des pieds valgus non plats, il est utile de différencier les pieds plats valgus, pour lesquels l’aplatissement est plus sévère que le valgus, et les pieds valgus plats, pour lesquels le valgus est plus important que l’aplatissement (voir le chapitre « Analyse segmentaire des déformations », page 75).
Physiopathologie
Sur le plan fonctionnel, le pied plat se caractérise par un défaut de verrouillage du pied au cours du déroulement du pas par déficit d’inversion, bien analysé en baropodométrie dynamique [3], ou lors du test d’appui sur la pointe des pieds, surtout en monopodal.
Histoire naturelle
Elle se fait souvent vers la correction partielle ou complète de la déformation entre les âges de 7 et 13 ans [4,5]. Les études des empreintes plantaires et des radiographies révèlent une modification de l’arche médiale au cours de la première décennie de la vie [6]. Ainsi apparaît une diminution de l’angle de Méary se poursuivant jusqu’à l’âge de 8 ans. Cette observation remet en cause l’intérêt des traitements orthopédiques de type orthèses plantaires ou chaussures orthopédiques. D’ailleurs, le développement de l’arche médiale est indépendant de l’utilisation d’orthèse plantaire ou de chaussures correctrices, puisque des études réalisées dans des pays où les enfants ne sont pas chaussés révèlent la même évolution [7]. Il a même été suggéré que les chaussures altèrent la qualité du développement de l’arche médiale. Ainsi, il n’y a aucune indication dans le PPVI à prescrire des chaussures particulières ou une orthèse.
Le pied plat valgus fréquent chez l’enfant se retrouve avec une fréquence de 23 % chez l’adulte pour Harris et Beath [8]. La déformation est plus fréquente dans certaines ethnies, sans être toutefois pathologique. Selon Méary [9], 65 % des pieds plats se corrigent spontanément, tandis que 30 % restent plats asymptomatiques et 5 % seulement deviennent pathologiques. Harris et Beath [8] suggèrent que c’est la brièveté du triceps qui serait responsable de l’apparition des troubles fonctionnels et de la décompensation des pieds plats à l’âge adulte.
Signes fonctionnels
Chez le grand enfant ou l’adulte, la douleur siège le plus souvent sur le bord médial de l’arrière-pied ou de la cheville par tendinopathie du tendon tibial postérieur, arthrose talonaviculaire ou lésion ligamentaire du ligament collatéral médial de la cheville. Un œdème est souvent associé en pré- et sous-malléolaire médial. Il s’y associe parfois, du côté latéral, des douleurs du fait d’un conflit calcanéocuboïdien en cas d’abduction ou calcanéofibulaire pouvant aller jusqu’à la fracture de fatigue de la malléole latérale en cas de valgus majeur. On peut aussi rencontrer des douleurs du sinus du tarse avec contracture des tendons fibulaires. Le score VTT (vitesse tout-terrain), qui est un indice fonctionnel de performance du pied [10], prend en compte le périmètre de marche, la vitesse et la possibilité de marche en terrain instable.
Examen clinique
Examen dynamique
L’analyse de la marche peut se faire soit avec une analyse vidéo au ralenti, soit avec la baropodométrie dynamique. L’analyse vidéo dans le plan frontal peut montrer une boiterie en cas de douleur ou de pied plat unilatéral du fait du raccourcissement dû à l’affaissement du pied. L’analyse du mouvement des épaules et du bassin permet de comprendre les conséquences sur la statique globale. L’analyse centrée sur le pied permet de différencier le valgus précoce de l’appui talonnier du valgus plus tardif, n’apparaissant qu’à l’appui plantigrade lié à une supination de l’avant-pied. L’analyse sagittale s’attache à visualiser la flexion dorsale de la cheville, souvent limitée, et la mobilité du genou. L’analyse baropodométrique dynamique distingue deux grands types de pied plat selon la prédominance de l’abduction ou du valgus avec de nombreux intermédiaires [11]. L’étude de la courbe d’index latéromédial montre un appui prédominant sur le bord médial du pied qui apparaît soit durant tout le pas, soit sur une partie : phase initiale si valgus, phase finale si supination ou hypermobilité du 1er rayon [3].
Examen statique debout
La déformation clinique est caractérisée par trois composantes :
- • l’effondrement constant, plus ou moins marqué, de la colonne médiale qui est au contact du sol avec disparition de la cambrure médiale. Un appui excessif sur la peau médioplantaire peut entraîner une rougeur et parfois une callosité. L’examen de la colonne latérale est important, et révèle le plus souvent un affaissement. Cependant, il peut exister un creux du bord latéral du pied qui ne repose pas au sol : il s’agit du pied « plat-creux » ;
- • le valgus de l’arrière-pied est plus ou moins marqué, pouvant aller jusqu’à une translation latérale du pied ;
- • l’abductus est secondaire à la rotation médiale de l’UTTF au-dessus du BCP (le bord latéral est rectiligne). Il peut aussi s’agir d’une abduction de l’articulation transverse du tarse caractérisée par une concavité du bord latéral du pied. L’abductus est souvent mixte.
- • le valgus de l’arrière-pied est plus ou moins marqué, pouvant aller jusqu’à une translation latérale du pied ;
Inspection (figure 1)
De face, elle cherche à visualiser l’abduction de l’avant-pied et un hallux valgus souvent associé.
Il est important de mesurer les axes des membres inférieurs, une désaxation du genou pouvant modifier les conséquences du valgus de l’arrière-pied. L’évaluation clinique (voir le chapitre « Examen clinique », page 31) de la torsion fémorale mais surtout des deux os de la jambe complète l’analyse de l’abductus du pied.
Tests cliniques de réductibilité
Plusieurs tests permettent d’évaluer la réductibilité d’un pied plat valgus en charge.
- • La manœuvre de rotation latérale de la jambe applique à l’UTTF une abduction et une flexion dorsale au-dessus du BCP, induisant une disparition du valgus talonnier et de l’abductus ainsi que la réapparition d’une cambrure médiale.
- • Ce test peut être réalisé en passif ou en actif.
- • Le test d’élévation du 1er métatarsien (test d’Hinterman) consiste à corriger le valgus de l’arrière-pied au sol et à analyser la réductibilité ou non de la supination de l’avant-pied. Si la tête du 1er métatarsien ne touche pas le sol, la supination de l’avant-pied est fixée.
- • L’hyperextension passive du gros orteil (test de Jack) entraîne les mêmes phénomènes de correction du valgus de l’arrière-pied par augmentation de la cambrure de l’arche médiale (enroulement de l’aponévrose plantaire sous les têtes métatarsiennes). Il nécessite une bonne mobilité de la 1re articulation métatarsophalangienne.
- • Le test de mise sur la pointe des pieds (figure 2) évalue la possibilité d’inversion active du pied qui fait intervenir la possibilité de verrouillage du BCP et la fonction du tendon tibial postérieur. Si le pied reste en éversion en pointe des pieds bipodale, il existe soit une raideur de l’articulation sous-talienne avec arthrose, synostose ou déficit neurologique, soit une hypermobilité sous-talienne avec ou sans déficit du tendon tibial postérieur. Si l’appui sur la pointe bipodal est normal en inversion mais en éversion en appui monopodal, il s’agit d’un déficit du tendon tibial postérieur sur pied plat réductible ou d’une lésion du ligament calcanéonaviculaire plantaire [12]. Une douleur sur l’insertion du tendon tibial postérieur à la manœuvre de pointe des pieds monopodale répétée 8 fois traduit une tendinite du tendon tibial postérieur.
- • Ce test peut être réalisé en passif ou en actif.
Examen en décubitus dorsal
- • En premier lieu, il importe de visualiser la plante du pied après correction du valgus de l’arrière-pied :
- – s’il existe une supination de l’avant-pied, il est nécessaire de juger de la réductibilité en pronation du médio-pied par une pression dorsale sur le 1er rayon ;
- – s’il existe une abduction de l’avant-pied, la réductibilité sera jugée en adduction passive de l’articulation de Chopart ;
- – s’il existe une hypermobilité du 1er rayon, on note parfois un durillon sous la tête du 2e métatarsien et sous la 1re phalange de l’hallux par le metatarsus elevatus.
- – s’il existe une abduction de l’avant-pied, la réductibilité sera jugée en adduction passive de l’articulation de Chopart ;
- – s’il existe une supination de l’avant-pied, il est nécessaire de juger de la réductibilité en pronation du médio-pied par une pression dorsale sur le 1er rayon ;
- • L’examen articulaire recherche soit une laxité, soit une hypermobilité au niveau de l’articulation tibiotarsienne en valgus passif, de l’articulation talonaviculaire en abduction passive ou de l’arche médiale en flexion plantaire et dorsale du 1er rayon. Il faut tenir compte de la brièveté tendinomusculaire du soléaire et/ou des gastrocnémiens ou des tendons fibulaires, qui peut limiter la mobilisation articulaire à ces différents niveaux lorsque la cheville est en flexion dorsale ; en revanche, la flexion plantaire de la cheville permet de constater la récupération de la mobilité articulaire, ce qui permet de différencier une brièveté tendinomusculaire d’une raideur articulaire (arthrose ou synostose).
- • La flexion dorsale de cheville s’évalue en correction passive du valgus de l’arrière-pied et genou en extension, puis en flexion à la recherche d’une rétraction des gastrocnémiens.
- • Le testing musculaire (voir le chapitre « Testing moteur », page 41) cherche soit un déficit par distension ou rupture tendineuse, soit un déficit neurologique, soit une douleur contre résistance évoquant une tendinite. Le tendon tibial postérieur se teste en inversion contre résistance à partir d’une position en éversion et flexion plantaire. Il ne faut pas oublier de tester les tendons fléchisseurs des orteils, les fibulaires et le tibial antérieur.
- • La flexion dorsale de cheville s’évalue en correction passive du valgus de l’arrière-pied et genou en extension, puis en flexion à la recherche d’une rétraction des gastrocnémiens.
Examens complémentaires
Le PPVI se définit par un affaissement de l’arche médiale en charge : il est donc essentiel de le définir par une imagerie en charge. Aujourd’hui, seule la radiographie permet de préciser la morphologie à l’appui, mais il faut être vigilant sur la position du pied en charge : un profil jambe en rotation latérale donne une image instantanée d’un pied corrigé. Il est indispensable de bien poser le pied sur l’arche médiale pour connaître la réalité de l’affaissement. Les radiographies font donc l’objet d’une analyse critique et la corrélation à l’examen clinique est fondamentale (voir le chapitre « Radiologie et imagerie », page 47).
Radiographies standard
Trois incidences en charge (figure 3) permettent une analyse tridimensionnelle de la déformation (voir le chapitre « Radiologie et imagerie », page 47 et suivantes). Une arthrose du médio-pied, de l’arrière-pied ou de la cheville peut être visualisée.
Incidence de profil
- • l’horizontalisation du 1er métatarsien avec talus oblique descendant, définissant un angle de Méary obtus vers la plante ;
- • le siège de la déformation (apex du plat) qui, dans ce plan, peut être articulaire (talonaviculaire et/ou cunéonaviculaire), avec ou sans déformation structurale en coin à base plantaire du naviculaire et/ou des os cunéiformes ;
- • l’angle entre le calcaneus et le 5e métatarsien caractérisant la colonne latérale qui, nous le verrons, est un élément clé des indications chirurgicales ;
- • l’incidence du calcaneus par rapport au sol ou pente calcanéenne (dont la diminution peut être due soit à un équin tibiotarsien, soit à un effondrement de l’arche latérale, soit à un morphotype) ;
- • l’apex de la déformation, qui peut être articulaire (talonaviculaire, cunéonaviculaire ou cunéométatarsien) ou osseux (naviculaire ou cunéiforme). Chez l’adulte, une laxité articulaire se traduit par un bâillement plantaire ou un pincement dorsal en cas d’évolution arthrosique.
- • le siège de la déformation (apex du plat) qui, dans ce plan, peut être articulaire (talonaviculaire et/ou cunéonaviculaire), avec ou sans déformation structurale en coin à base plantaire du naviculaire et/ou des os cunéiformes ;