3. Place et enjeux du conseil génétique
A. Malafosse
Contexte historique
Génétique épidémiologique des troubles psychiatriques
Le conseilGénétique(s)conseil génétique constitue probablement une importante activité d’avenir pour la psychiatrie en général, mais surtout pour les principaux troubles tels que les TB. Il est en effet important de rappeler qu’il doit y avoir conseil génétique en psychiatrie, parce qu’il y a de la génétique en psychiatrie. Les premières recherches génétiques en psychiatrie sont anciennes. Elles ont notablement contribué à l’élaboration des premières classificationsClassification psychiatriques. Ainsi, Ernst Rüdin, psychiatre suisse, qui a succédé à Emil Kraepelin à la direction de l’Institut allemand de recherche psychiatrique à Munich, a grandement contribué au développement des premières connaissances génétiques dans le domaine de la psychose maniaco-dépressivePsychose(s)maniaco-dépressive(s) et de la schizophrénie. Reconnu comme l’un des meilleurs scientifiques de son époque, ses conceptions eugénistes l’ont malheureusement conduit à devenir, dans les années 1940, un collaborateur zélé du régime nazi. Ce passé malheureux doit nous conduire à rester attentifs aux aspects éthiques de la recherche et de l’utilisation des connaissances génétiques concernant les maladies psychiatriques.
Les études familiales
Leurs résultats constituent la base du conseilGénétique(s)conseil génétique et des estimations de risque de récurrenceRécurrence des TB. Le risque de récurrence est le rapport entre les taux de prévalencePrévalence de la maladie chez les apparentés et celui dans la population générale. La première question à laquelle répondent ces études est de savoir si les TB présentent une concentration familiale ; secondairement, elles peuvent permettre de déterminer si d’autres troubles sont plus souvent observés chez les apparentés de malades, et ainsi constituer le spectreSpectre bipolaire des TB. Les meilleures études donnent les taux en distinguant les apparentés de premier degré (parents, frères, sœurs et enfants) et de second degré (grands-parents, oncles, tantes et petits-enfants). Le plus souvent, ces taux sont comparés à ceux estimés en population générale. Dix-huit études familiales ont été publiées depuis la distinction troubles bipolaires/troubles unipolairesTrouble(s) unipolaire(s) (TU) après 1960 (Smoller et Finn, 2003). L’ensemble de ces études permet d’estimer des risques de récurrence moyens de 12,4 pour le TB chez les apparentés de malades bipolaires (8,7 % versus 0,7 % chez les apparentés de témoins) et de 3,1 chez ceux de malades unipolaires (2,2 % versus 0,7 %). Pour le TU, les risques de récurrence moyens sont de 3,4 chez les apparentés de malades unipolaires (17,9 % versus 5,2 %) et de 2,7 chez les apparentés de bipolaires (14,1 % versus 5,2 %). Ces études indiquent, de plus, que les risques sont comparables pour les TB ITrouble(s) bipolaire(s)type I et IITrouble(s) bipolaire(s)type II chez les apparentés de malades bipolaires. Peu d’études stratifient ces risques par degré de parenté et prennent en compte le phénotypePhénotype élargi aux conduites suicidairesSuicide(s)conduite(s) suicidaire(s). Cependant ces études apportent des résultats intéressants.
Premièrement, il paraît exister une décroissance exponentielle des taux de prévalence lorsque l’on passe des apparentés de premier degré à ceux de second degré (voir figure 3.1) (MacKinnon et coll., 1997). Cette décroissance est différente de celle, plus linéaire, que l’on peut observer dans des maladies héréditaires mendéliennes. Ces observations suggéraient déjà une étiologieÉtiologie plus complexe, faisant intervenir probablement plusieurs gènes et des facteurs environnementauxFacteursenvironnementaux.
Figure 3.1 |
Ensuite, la prise en compte d’un spectre élargi, comprenant TB, TU et suicide, montre que ces différents traits partagent une base familiale commune. Ces observations sont capitales dans l’établissement de l’arbre généalogique (voir p. 44 « L’histoire familiale »).
Les études de jumeaux
Les études de jumeaux ont été développées beaucoup plus tardivement au cours du XXe siècle afin de pouvoir estimer, dans une pathologie, la composante génétique et la différencier de la composante environnementale. Le principe est de comparer des paires de jumeaux monozygotes (MZ), partageant un patrimoine génétique identique, à des paires de jumeaux dizygotes (DZ), ayant en moyenne 50 % de leur patrimoine génétique en commun. Dans une approximation acceptable, il est considéré que l’environnementEnvironnement est globalement le même chez les jumeaux MZ et DZ. C’est donc la composante génétique qui différencie jumeaux MZ et jumeaux DZ. Pour une affection à hérédité mendélienne, les taux de concordance attendus sont donc de 100 % pour les MZ, 50 % pour les DZ si le trait est transmis en dominance et 25 % de manière récessive.
Les trois principales études de jumeaux des TB (Farmer et coll., 2007) montrent que tel n’est pas le cas, si l’on considère le phénotypePhénotype restreint seulement (voir figure 3.1). La prise en compte du phénotype élargi serait davantage en faveur d’une composante génétique à effet majeur.
L’interprétation de ces données en termes moléculaires est complexe et reste encore débattue. L’hypothèse qui a longtemps prévalu était que l’absence de taux de concordance attendus, selon un modèle mendélien, était due à l’existence de plusieurs variants de vulnérabilitéGénétique(s)vulnérabilité génétiqueVulnérabilité(s)génétique(s), de facteursGénétique(s)facteurs environnementauxFacteursenvironnementaux et à l’interaction entre les gènes et entre gènes et facteurs environnementaux. Nous verrons plus loin que cette hypothèse reste valable, mais qu’elle n’est plus exclusive.
Les études de jumeauxGénétique(s)études de jumeaux peuvent être encore plus informatives. Le meilleur exemple ne vient pas des études du TB, mais de celles de la schizophrénie (SZP). Aussi, du fait de sa valeur démonstrative, nous allons décrire l’une de celles-ci. Cette étude (Gottesman et Bertelsen, 1989) a porté sur les enfants de jumeaux MZ et DZ discordant pour la SZP. Comme pour les TB, le taux de concordance chez les MZ est incomplet (environ 50 %). Chez les DZ, il est de 20 %. Les enfants des MZ présentent un taux de concordance comparable de 16-17 %, qu’ils descendent du cojumeau malade ou du cojumeau sain. En d’autres termes, le risque de développer une SZP lorsque l’on naît d’un parent sain, mais jumeau d’un patient schizophrène, est identique au risque de développer une SZP lorsque l’on naît d’un patient schizophrène. Le fait que les cojumeaux MZ sains n’aient pas exprimé la maladie n’a pas empêché la transmission des mêmes facteurs de vulnérabilité génétique que ceux de leurs cojumeaux malades. Chez les jumeaux DZ, à l’inverse, le taux de prévalence de la SZP chez les enfants des cojumeaux sains est à peine supérieur à celui observé en population générale, à savoir de 2 %. En revanche, le risque de développer une SZP pour l’enfant du cojumeau DZ malade est ici encore proche de 17 %. Aucune étude semblable n’a pu être réalisée dans les TB, mais il est probable que des résultats comparables seraient obtenus : la vulnérabilité génétique est présente, mais s’exprime ou pas selon l’existence de facteurs non génétiques protecteursFacteursprotecteurs (cojumeaux MZ sains) ou de vulnérabilité (cojumeaux MZ malades).
Les études d’adoption
Les études d’adoption sont particulièrement utiles à la compréhension des facteurs génétiquesVulnérabilité(s)génétique(s)Facteursgénétiques dans le développement des TB. La plus classique est celle de Mendlewicz et Rainer (1977). Dans cette étude sont comparés les taux de TB chez les parents biologiques et adoptifs de 29 malades bipolaires adoptés et de 22 adoptés sains. Deux témoins étaient constitués par les parents de 31 malades bipolaires et de 20 sujets poliomyélitiques non adoptés. La fréquence d’un spectreSpectre bipolaire très élargi (TB, TU, trouble schizoaffectif et trouble cyclothymique) était significativement plus élevée chez les parents biologiques (31 %) que chez les parents adoptifs des malades bipolaires (12 %). Un taux similaire (30 %) était observé chez les parents des malades bipolaires non adoptés. Des taux significativement plus bas étaient observés dans les autres groupes de parents.
Décomposition de la variance
Les deux composantes principales, génétique et environnementale, qui influencent le risque de TB sont elles-mêmes décomposées en sous-facteurs.
Une composante environnementale partagée ou non
La composante environnementale peut, en effet, être divisée en une composante partagée, c’est-à-dire l’ensemble des événements et contextes partagés par des frères et sœurs, et une composante non partagée, c’est-à-dire tout ce qui est différent dans leurs environnementsEnvironnement. Les données des études familialesGénétique(s)études familiales de jumeaux et d’adoption peuvent être analysées de manière intégrée pour estimer ce qui revient aux composantes partagées et non partagées respectivement. Toutes les études dans ce domaine indiquent que c’est la composante environnementale non partagée qui contribue principalement aux différences de vulnérabilitéVulnérabilité(s) au regard des TB. En d’autres termes, le milieu familial ne joue aucun rôle significatif.