Le terme de stomatites regroupe toutes les lésions muqueuses non tumorales plus ou moins étendues, qu’il s’agisse d’affections isolées, propres à cette muqueuse, ou de localisations buccales au cours d’une maladie comportant d’autres atteintes, en particulier cutanées.
Les aspects de ces lésions sont divers. Le diagnostic est guidé par :
▪ les caractères des lésions élémentaires ;
▪ l’aspect généralisé ou localisé de la lésion (à la gencive : Gingivitegingivite, à la langue : Glossiteglossite, à la muqueuse palatine : Ouraniteouranite, à la lèvre : chéiliteChéilite) ;
▪ les signes extrabuccaux recueillis par un examen complet.
De nombreux facteurs locaux et généraux interviennent dans l’apparition et l’évolution des stomatites : une mauvaise Hygiène bucco-dentairehygiène bucco-dentaire, une denture défectueuse, des troubles salivaires, une infection, une affection dermatologique, un Processustoxiqueprocessus toxique ou Processusallergiqueallergique (médicament), un Troublehormonaltrouble hormonal, une hémopathieHémopathie.
L’examen histologique est souvent déterminant dans le diagnostic de ces affections.
Stomatites virales
La stomatite est assez souvent l’une des manifestations de la maladie générale. Elle peut être érythémateuse comme dans la rougeole ou vésiculeuse comme dans l’herpès.
Infection herpétique (HSV 1 et 2)
La Primo-infectionprimo-infection herpétique est le plus souvent latente. Dans ses formes patentes, elle se manifeste par une Gingivostomatiteaiguë vésiculeusegingivostomatite aiguë vésiculeuse, avec Adénopathiecervicaleadénopathies cervicales et Fièvrefièvre, survenant 3 à 4 jours après le contact infectant. L’atteinte buccale peut s’accompagner d’une localisation génitale ou cutanée (panaris herpétique).
Les récurrences se traduisent le plus fréquemment par un Herpèslabialherpès labial ou Herpèspéribuccalpéribuccal (bouton de fièvre). Des localisations endobuccales sont possibles (palais) ; les vésicules et érosions post-vésiculeuses sont alors groupées « en bouquet ». Des formes atypiques peuvent être observées chez l’immunodéprimé (infection par le VIH).
Varicelle–zona (VZV)
L’énanthème de la varicelle est latent, formé de quelques éléments vésiculeux siégeant sur la face dorsale de la langue, le voile et la voûte du palais.
Dans le zona, les lésions endobuccales vésiculeuses ont une topographie radiculaire strictement unilatérale correspondant à la zone innervée par un nerf (deuxième et/ou troisième branches du trijumeau, par exemple).
Herpangine (virus Coxsackie A4)
Il s’agit d’une infection saisonnière atteignant surtout l’enfant de moins de 4 ans. Après un stade érythémateux, des vésicules douloureuses apparaissent sur les piliers antérieurs du voile du palais et la luette, respectant la langue et les tonsilles palatines.
Syndrome main–pied–bouche (virus Coxsackie A16)
Il atteint l’enfant de 1 à 5 ans, avec Gingivostomatitevésiculeusegingivostomatite vésiculeuse, puis érosive diffuseGingivostomatiteérosive diffuse, associée à une éruption cutanée des mains et des pieds.
Le Cytomégalovirus (CMV)cytomégalovirus (CMV) est parfois une cause d’ulcérations buccales chez les Sujet immunodéprimésujets immunodéprimés.
Le Parvovirus B19parvovirus B19 donne des Lésionaphtoïde miliairelésions aphtoïdes miliaires, associées à un érythème des extrémités.
Stomatites bactériennes
Les stomatites bactériennes non spécifiques ont fortement régressé du fait des progrès de l’Hygiène bucco-dentairehygiène bucco-dentaire et de la large utilisation des antibiotiques. L’origine est le plus souvent dentaire ou parodontale. Elles peuvent être favorisées par l’immunodépression. Le tableau classique est celui de la gingivite ulcéronécrotique : décapitation des papilles interdentaires souvent recouvertes d’un enduit fibrineux. Les douleurs sont aiguës, accompagnées de saignements (gingivorragies), d’une forte halitose et d’adénopathies sous-angulomaxillaires douloureuses.
Les infections bactériennes spécifiques (dont les principales sont la Tuberculosetuberculose et la Syphilissyphilis), sont étudiées au chapitre 14.
Candidoses (figure 4.1, voir cahier couleur)
La grande majorité des mycoses sont dûes au Candida albicansCandida albicans, saprophyte du tube digestif et des muqueuses génitales. L’infection candidosique est opportuniste, résultant du passage du saprophytisme au parasitisme, à la faveur d’une modification du terrain par différents facteurs locaux et généraux (antibiothérapie, corticothérapie, hyposialie, diabète, dénutrition, déficit immunitaire, port de prothèses).
La forme aiguë est le Muguetmuguet : stomatite érythémateuse rapidement associée à la présence de granulations blanchâtres détachables (pseudo-membranes). Les formes chroniques les plus communes sont la perlèche (commissures labiales) et la glossite losangique médiane.
Le diagnostic positif est apporté par l’examen mycologique (prélèvement à l’écouvillon, examen direct et culture sur milieu de Sabouraud). Il n’est pas toujours pratiqué en routine, en raison d’une présentation clinique souvent évidente et de l’efficacité du traitement d’épreuve antifongique local. Il devient souhaitable lorsque l’aspect clinique est atypique, que les lésions récidivent ou résistent à un traitement adapté. L’examen histologique peut être utile dans les formes chroniques.
Dans les cas sévères, une mycose viscérale doit être recherchée.
Le traitement curatif des candidoses muqueuses est en règle local (Fungizone, Mycostatine, Daktarin, Triflucan, Sporanox). Les candidoses muqueuses, étendues, inaccessibles à un traitement local simple ou survenant dans un contexte de déficit immunitaire génétique ou acquis, justifient le recours à un traitement antifongique systémique oral (Triflucan, Nizoral).
Aphtes et aphtoses (figure 4.2, voir cahier couleur)
Il s’agit d’une pathologie buccale fréquente, banale si le nombre de lésions est faible (deux à trois éléments), la taille petite (< 1 cm) et si les récurrences sont inférieures à 3–5/an. On distingue :
▪ aphtes banals : ils réalisent des ulcérations de 2 à 6 mm de diamètre, de forme ovalaire, au fond jaunâtre, entourées par un halo érythémateux. Les lésions guérissent en 5 à 6 jours spontanément sans laisser de cicatrice. Ils évoluent par poussées récidivantes et siègent plus volontiers au niveau des muqueuses non kératinisées (mobiles) ;
▪ aphtes miliaires : ce sont des ulcérations punctiformes de 1 à 2 mm de diamètre. Le cytodiagnostic permet d’éliminer un herpès ;
▪ aphtes géants (ancienne péri-adénite de Sutton) : il s’agit d’ulcérations au nombre d’un à cinq, d’un à plusieurs centimètres de diamètre très douloureuses. Les localisations les plus fréquentes sont les lèvres, la muqueuse jugale, la langue et le palais mou. Elles peuvent persister 3 à 6 semaines et laisser une cicatrice si l’ulcère est profond. Les récidives peuvent se faire à intervalles réguliers de 1 à 3 mois ;
▪ maladie de Behçet : elle comporte une aphtose bipolaire, une atteinte oculaire et des lésions cutanées à type de pseudo-folliculite. Des signes mineurs s’y associent souvent (arthrite, thrombophlébite, atteinte du système nerveux central, etc.). Elle touche des populations du bassin méditerranéen.
Il faut également citer les aphtes géants des sujets VIH, d’aspect clinique et d’évolution identiques à ceux des aphtes géants.
Le traitement local suffit en cas d’aphte sporadique, ou d’aphtose buccale à poussées espacées et éléments peu nombreux : suppression des Aliment déclenchantaliments déclenchants (noix, fromage de gruyère), applications locales répétées de Xylocaïnexylocaïne pour atténuer les douleurs. La corticothérapie locale peut être utile.
Un traitement général (colchicine, 1 à 2 mg/j) peut s’avérer nécessaire en cas d’aphtose récidivante et de poussées durables. Le thalidomide, de prescription réglementée, est très efficace sur les aphtes géants mais présente des inconvénients majeurs : tératogénicité et toxicité pour le système nerveux périphérique.
« Stomatites » bulleuses
Elles sont caractérisées par des Bulleintra-épithéliale éphémèrebulles intra- ou Bullesous-épithéliale éphémèresous-épithéliales éphémères, rapidement remplacées par des Érosion post-bulleuseérosions post-bulleuses. Elles peuvent s’observer isolément ou s’associer à une éruption cutanée.
Stomatite bulleuse aiguë
Bulles par agent externe
Elles peuvent être causées par un traumatisme, des brûlures thermiques (liquide chaud ou brûlure électrique), un agent caustique. Il faut citer également les radiomucites où les bulles succèdent à une stomatite érythémateuse.
Érythème polymorphe, ectodermose pluri-orificielle et syndrome de Lyell
L’érythème polymorphe, de pronostic habituellement bénin, se rencontre volontiers chez l’adulte jeune, évoluant par poussées (figure 4.3, voir cahier couleur).
Les bulles, rapidement remplacées par des érosions, siègent plus volontiers sur les lèvres et dans la partie antérieure de la cavité buccale, à distance des commissures et s’accompagnent de phénomènes douloureux. Il coexiste souvent des lésions cutanées érythématobulleuses siégeant notamment sur les coudes, la face dorsale des mains, la face latérale du cou et la face antérieure des genoux (image en cocarde).
La biopsie objective la nécrose épithéliale.
L’étiologie des érythèmes polymorphes peut être microbienne, virale ou médicamenteuse. Il faut toutefois signaler la fréquence des récidives.
L’ectodermose pluri-orificielle comporte des lésions muqueuses (buccale, oculaire et génitale), cutanées et une atteinte profonde de l’état général.
Le syndrome de Lyell réalise un décollement massif de l’épiderme, associé à des érosions de la muqueuse buccale. On retrouve dans 84 % des cas un médicament à son origine (sulfamides retard, antibiotiques).
Érythème pigmenté fixe
Il est toujours d’origine médicamenteuse et donne un tableau équivalent à l’érythème polymorphe.
Angine bulleuse hémorragique
Elle donne des décollements et des bulles à contenu hématique. La guérison se fait en quelques jours mais les récidives sont fréquentes. L’étiologie est inconnue.
Stomatite bulleuse chronique et acquise
Ce sont principalement les dermatoses bulleuses auto-immunes (DBAI) et le lichen plan. Le lichen plan bulleux peut témoigner d’un lichen plan aigu ou apparaître au cours d’un lichen plan érythémateux et atrophique. La présence de lésions blanches en réseau ou en plaques oriente le diagnostic.
Pemphigoïde cicatricielle
C’est une affection fréquente chez la femme après la quarantaine, pouvant aussi être observée chez l’homme. Elle atteint toujours et principalement les gencives, mais peut s’étendre au palais dur et à la muqueuse mobile (joues, plancher buccal, voile), respectant habituellement la langue. D’autres muqueuses, et même la peau, peuvent être intéressées. Au niveau de l’œil, la gravité tient à l’atteinte de la conjonctive, où la tendance à la fibrose cicatricielle provoque des « Synéchiesynéchies » unissant le globe oculaire à la face interne de la paupière, risquant d’entraîner des altérations cornéennes et la cécitéCécité.
Pemphigus
Les pemphigus sont des maladies bulleuses auto-immunes chroniques atteignant la peau et les muqueuses. Le décollement y est intra-épithélial.
Il en existe quatre variétés : vulgaire, végétant, foliacé et érythémateux. Seules deux d’entre elles comportent des manifestations buccales.
Pemphigus vulgaire
Il comporte des bulles souvent peu nombreuses, siégeant d’abord sur une commissure et s’étendant progressivement avec des localisations préférentielles à la muqueuse palatine et au voile. Les bulles se rompent rapidement et l’on retrouve souvent des franges d’épithélium à la périphérie de l’érosion. Celle-ci est de siège plus volontiers postérieur, de taille moyenne et présente un fond rouge soutenu. La pression de la muqueuse détermine le clivage de l’épithélium (signe de Nikolsky).
Les signes fonctionnels sont souvent très importants avec altération de l’état général.
Le diagnostic peut être effectué à l’aide d’un cytodiagnostic mettant en évidence des amas de cellules dystrophiques au noyau boursouflé témoignant de l’acantholyse.
La biopsie montre une bulle intra-épithéliale acantholytique avec des dépôts d’immunoglobulines et de complément dans les zones intercellulaires (IF directe).
Le traitement repose essentiellement sur la corticothérapie générale.
Pemphigus végétant ou paranéoplasique
Il peut accompagner certains Lymphomelymphomes ou Syndromelymphoprolifératifsyndromes lymphoprolifératifs, et se traduit par une éruption bulleuse atypique, intéressant très souvent la muqueuse buccale et la conjonctive, empruntant des caractères à la fois au pemphigus, aux pemphigoïdes et à l’Érythèmepolymorpheérythème polymorphe.
Pemphigoïde bulleuse
C’est une maladie surtout cutanée survenant à l’âge de 80 ans. Le début est conjonctival dans la moitié des cas, buccal dans un quart des cas : érythème et bulles prédominant sur les gencives et le palais. Les poussées successives aboutissent à un état cicatriciel scléro-atrophique avec formation de synéchies.
Dermatite herpétiforme
C’est une affection rare observée chez l’enfant et l’adulte jeune, associée à une Intolérance au glutenintolérance au gluten avec atrophie villositaire de l’intestin grêle. Les manifestations cutanées sont dans près de la moitié des cas associées à une atteinte buccale.
Dermatose bulleuse à IgA linéaire
C’est une affection rare touchant essentiellement la femme (40–50 ans) avec une atteinte buccale dans 30 % des cas. L’éruption bulleuse laisse rapidement la place à des ulcérations superficielles.
Stomatitebulleuse héréditaire
L’épidermolyse bulleuse congénitaleÉpidermolyse bulleuse congénitale appartient à une famille de maladies héréditaires, caractérisées par une fragilité particulière de la zone de la membrane basale épidermique, entraînant l’apparition de bulles sous-épithéliales lors de traumatismes minimes. On distingue trois groupes : simple, jonctionnel et dystrophique.
Lésions blanches, « kératoses » et « lésions blanches potentiellement malignes » (précancéreuses) (figure 4.4, voir cahier couleur)
Un aspect blanchâtre de la muqueuse buccale n’est pas toujours du à une kératinisation anormale. Il peut correspondre à un œdème intra-épithélial (leucœdème, linea alba), à des dépôts fibrineux (ulcérations post-traumatiques, iatrogènes, etc.) ou aux pseudo-membranes d’une infection candidosique aiguë.
Dans les kératoses vraies, l’examen histologique d’une biopsie ou de la pièce d’exérèse est souvent indispensable pour ne pas méconnaître des anomalies à type de dysplasie, rencontrées dans les lésions potentiellement malignes.
De nombreuses affections peuvent se traduire par une kératose.
Kératose réactionnelle
Il s’agit de kératoses réactionnelles à divers facteurs irritatifs externes physiques ou chimiques.
Les kératoses d’origine mécanique sont secondaires à des traumastismes essentiellement d’origine dentaire, en rapport avec une prothèse mal adaptée ou un tic de mordillement des joues chez des sujets volontiers névrotiques. Il est indispensable de supprimer la cause afin d’obtenir une régression spontanée en 3 semaines ou 1 mois.
Les chéilites actiniques, localisées le plus souvent sur la lèvre inférieure, sont dues à l’action directe des rayons ultraviolets chez des patients exposés à l’irradiation solaire du fait de leur profession ou de leurs loisirs. Le risque de transformation maligne est élevé surtout en cas d’intoxication tabagique associée.
Les kératoses d’origine thermique sont observées chez les souffleurs de verre.
Les kératoses liées au tabac ou leucoplasies sont les plus fréquentes en rapport avec l’action combinée de la chaleur et des goudrons du tabac. En Asie, interviennent également la chique du tabac, du bétel ou d’épices. Elles peuvent présenter deux aspects selon l’OMS. On distingue les leucoplasies homogènes de celles inhomogènes, plus propices à la transformation maligne.
Kératose d’origine infectieuse
Les candidoses chroniques associent volontiers une perlèche bilatérale, une glossite losangique médiane avec présence d’une muqueuse rouge vif sèche recouverte d’une couche kératosique, et des lésions en miroir au niveau du palais. Pour certains auteurs, ces lésions peuvent subir une transformation maligne.
La leucoplasie chevelue des sujets VIH ou immunodéprimés siège sur le bord de la langue, réalisant une kératose blanchâtre en stries verticales asymptomatique. Elle a surtout un intérêt diagnostique.
La syphilis tertiaire, aujourd’hui exceptionnelle, peut être à l’origine d’une glossite atrophique, traduite par une kératinisation en surface de la langue associée à une atrophie des papilles. Les syphilides secondaires peuvent se présenter sous forme de plages opalines ou de petites zones kératosiques. La confirmation bactériologique ou sérologique est indispensable avant tout traitement.
Kératose d’origine médicamenteuse ou toxique
Il s’agit le plus souvent de Lichenplan induitlichen plan induit ou de lésions lichénoïdes (voir chapitre 5). Les Kératosearsenicalekératoses arsenicales sont devenues exceptionnelles.
Kératose des dermatoses acquises
Le lichen plan buccal est le plus souvent isolé, sans atteinte dermatologique. La forme hyperkératosique et verruqueuse se manifeste par des petites saillies disséminées sur une plage de lichen plan, ou par des nappes kératosiques irrégulières. Les lésions peuvent siéger sur n’importe quelle zone de la muqueuse, avec une prédilection pour la langue et la partie postéro-inférieure des joues. D’autres formes cliniques peuvent être observées : érythémateuse, érosive, bulleuse, pigmentaire, atrophique, etc.
L’examen histologique permet le diagnostic en mettant en évidence l’infiltrat lymphocytaire du chorion et les nécroses épithéliales. Il faut surveiller particulièrement les formes érosives et atrophiques qui ont, dans certains cas, un potentiel de cancérisation.