Biologie de la formation de la plaque d’athérome
L’athérosclérose est une maladie générale de l’arbre artériel, et la formation d’une plaque obéit à un mécanisme incluant des processus hémodynamiques et héréditaires aggravés par l’existence de facteurs de risque.
Développement de la plaque
Mécanismes initiaux du développement
Les lésions initiales d’athérosclérose apparaissent dans des aires prédisposées au niveau des bifurcations, puis s’étendent sur les parois sous-jacentes. Elles sont fréquemment plurifocales, siégeant au niveau de l’aorte abdominale, des carrefours iliaques et fémoraux plus ou moins étendues aux troncs adjacents.
Le facteur déclenchant la genèse de la plaque est l’anomalie du flux sanguin au niveau des zones d’élection. La colonne sanguine se déplace sous la forme de lames liquidiennes emboîtées (flux laminaire). La lame externe développe un frottement sur la paroi vasculaire, appelé cisaillement ou shear stress. C’est une pression tangentielle qui régule les fonctions endothéliales. Dans les artères, elle s’élève entre 10 et 40 dynes/cm2 et est très active. Ainsi agit-elle par mécanotransduction sur des sensors situés sur l’endothélium vasculaire : canaux ioniques, tyrosine kinases, protéines G, certains enfouis dans des replis membranaires, les caveoli, comme des isoformes de la synthétase de NO, l’oxyde nitrique (eNO synthase [eNOS]); des intégrines de la face pariétale de l’endothélium jouent également ce rôle. Ces nombreuses sollicitations entraînent la production de facteurs protecteurs dont le NO, la PGI2, des antioxydants. De plus, le flux laminaire inhibe l’expression des molécules d’adhésion des leucocytes, du PAI1 et de l’endothéline 1 vasoconstrictive.
Dans les zones où se développent les lésions, le flux laminaire est perturbé et le shear stress effondré au-dessous de 5 dynes/cm2. De plus, ces zones sont des vortex ou zones de recirculation où les courants sanguins sont très ralentis. Les conséquences sont les suivantes : diminution des fonctions protectrices du flux laminaire (moins de NO, plus de radicaux libres oxygénés), expression des molécules d’adhésion de type VCAM-1, ICAM-1, margination de leucocytes et en particulier de ceux de l’inflammation tels que les monocytes, les mastocytes et les lymphocytes. Ces zones sont aussi le siège de turbulences, en phase avec les oscillations du courant sanguin. Ces à-coups du courant sanguin provoquent en sens opposé et de manière transitoire des pressions élevées qui favorisent l’expression de la cytokine MCP-1 (monocyte chemofactor protein) attirant les monocytes et l’expression des récepteurs des LDL. C’est donc dans de telles localisations que l’endothélium activé favorise l’entrée de lipoprotéines et de cellules blanches vers l’intérieur de la paroi où la lésion va se développer (voir chapitre 5).
Croissance de la plaque : données de base
Dès l’enfance, la plaque va progressivement grossir, du fait de la pénétration dans la paroi artérielle, sous l’endothélium, de lipoprotéines LDL-cholestérol et de globules blancs (GB) (monocytes et macrophages) (fig. 7.1) :
– l’accumulation des LDL liées au cholestérol, contenant l’apolipoprotéine B (apo-B), est facilitée par le fait qu’elles se présentent dans le courant sanguin sous différentes formes, dont celle de particules denses. Ces LDL denses ont une haute affinité pour leur récepteur spécifique endothélial et transitent aisément dans les zones de recirculation définies plus haut, où leur récepteur est exprimé;
– le transit des GB est facilité par les conditions hémodynamiques décrites plus haut, le ralentissement du flux favorisant leur margination;
– l’oxydation des LDL est liée à la production de radicaux libres oxygénés par l’endothélium activé, mais surtout par les monocytes. Des aldéhydes formés se lient et modifient l’apo-B des LDL, les dotant de propriétés nouvelles. La présence des LDL oxydées va entraîner une forte accélération des phénomènes liés à la plaque. En effet ces produits exercent un chimiotactisme direct pour les monocytes en provoquant l’activation des cellules endothéliales et la sécrétion de la cytokine MCP-1. En fait, ils accélèrent une inflammation locale dans la région sous-intimale, favorisant l’afflux des cellules de la lignée blanche, y compris de nombreux lymphocytes;
– forte activité des monocytes-macrophages : le récepteur éboueur R-scav (scavenger) (voirfig. 7.1) des monocytes ne peut être saturé pour les LDL oxydées, d’où l’accumulation de ces produits dans les cellules qui prennent l’aspect de cellules spumeuses, gorgées de graisses au sein de la plaque, s’accumulant en stries lipidiques;
– extension de l’inflammation et participation de la media : sous l’influence des produits chimiotactiques et des cytokines d’origine endothéliale et macrophagique, en particulier le tumor growth factor (TGF-β1), les cellules musculaires lisses (CML) de la media se dédifférencient et migrent vers le sous-endothélium, où elles se comportent comme des macrophages et participent activement à l’épaississement de l’intima de l’artère;
– importance des métalloprotéinases : les CML, mais surtout les monocytesmacrophages produisent des enzymes, les métalloprotéinases matricielles (MMP), qui sont capables de dégrader les composantes de la matrice extracellulaire (fig. 7.2). Leur activité est provoquée par les cytokines endothéliales (interleukine 1 [IL1] et TNFα), l’interféron gamma (IFNγ) des lymphocytes thymocytes 1 et est inhibée par les inhibiteurs spécifiques TIMP (tissue inhibitor of metalloproteinases). Elles sont sous-régulées par l’IL10. Ce dernier produit semble jouer un rôle important de diminution de la progression de la plaque. En effet, régulé génétiquement, 20 % des sujets humains le sécrètent en quantité insuffisante.
![]() |
Fig. 7.2 La plaque athéromateuse (d’après JH. Chesebro, JS. Bardimon, V. Furster). |
![]() |
Fig. 7.1 Rôles des LDL et des monocytes-macrophages dans la croissance de la plaque athéromateuse. |
Croissance de la plaque : l’emballement pathologique dû aux facteurs de risque
Les mécanismes précédents sont paraphysiologiques, aboutissant à la présence de plaques chez tout individu âgé, l’athérosclérose étant la première cause de mortalité. De nombreux facteurs, états constitutionnels ou maladies associées accélèrent considérablement les divers processus et une plaque peut apparaître et grossir en quelques années :
– âge et sexe : 3 % des sujets de moins de 60 ans développent une artériopathie, 6 % après 65 ans. Le sex-ratio de 1,5 (hommes/femmes) tend à diminuer avec le vieillissement;
– lipoprotéines plasmatiques : le taux mais aussi la nature des lipides porteurs du cholestérol sont à considérer. Les plus actifs sont les particules petites et denses de LDL, riches en apo-B, pauvres en HDL et en apo-A1 et associées aux triglycérides et la résistance à l’insuline. Elles sont présentes chez 50 % des patients. Le taux des LDL est génétiquement régulé tant pour la structure des apo-B100 que pour leur récepteur. Ainsi l’hypercholestérolémie, avec élévation des LDL et abaissement des HDL, constitue un des risques majeurs dans ce domaine, comme le démontrent a contrario l’effet protecteur des régimes adaptés et des statines. L’apport excessif de graisses saturées est à la base du désordre lipidique. Néanmoins des données génétiques y participent également. Ainsi les taux élevés de LDL et bas de HDL sont plus fréquents dans les populations du nord de l’Europe que dans celles du sud. Autre exemple : deux enzymes président au métabolisme des lipoprotéines, la MTP (microsomial transfer protein) et la CETP (cholesterol ester transfer protein). Il apparaît que le polymorphisme fonctionnel G/T dans le promoteur du gène de la MTP augmente le taux des LDL. Le génotype B1-M1-R2 est également associé à une activité plus élevée de la CETP entraînant des taux bas de HDL. L’allèle E4 de l’apo-E est associé à des taux élevés de LDL. De telles anomalies trouvent un grand intérêt dans les artériopathies périphériques juvéniles;
– le tabagisme : l’usage du tabac, facteur indépendant et puissant, est pratiquement constant chez l’artériopathe (78 % dans l’étude Framingham), la dépendance étant liée à la nicotine. Les effets délétères biologiques de la nicotine sur les vaisseaux sont nombreux : libération de produits spastiques, de radicaux libres. De manière générale, la nicotine accentue le processus de base de l’athérogenèse, soit l’oxydation et le transit des LDL. Une enzyme, la CYP2A6 métabolise la nicotine en cotinine. Il est déficitaire chez certains sujets, ce qui peut être un facteur d’artériopathie précoce. Il favorise le développement proximal de l’artériopathie;
– l’hyperhomocystéinémie : l’élévation de l’homocystéine est un facteur de risque indépendant d’artériopathie, dont la fréquence (10 %) est bien reconnue aujourd’hui. Le métabolisme de l’homocystéine étant dépendant des vitamines B12, B6 et de l’acide folique, les carences en ces produits peuvent jouer un rôle. Sont aussi indispensables des enzymes tels que la MTHFR et la CBS. L’homozygotie pour le polymorphisme C677T de la MTHFR est accompagnée d’une élévation des concentrations d’homocystéine, associée à une baisse des folates, représentant un risque constitutionnel. Il en est de même pour certains polymorphismes de la CBS, qui peuvent s’associer à la précédente;
– les sélectines et la leucocytose : l’entrée des leucocytes dans la paroi est liée à leur recrutement par les sélectines P et E exprimées par l’endothélium activé. Certains polymorphismes de la sélectine E (Ser128Arg, Leu54Phe et la mutation de la guanine en thymine en position 98) sont associés au développement précoce, avant 50 ans, de l’artériopathie. Par ailleurs le taux des leucocytes circulants est un facteur de mauvais pronostic au-delà de 10 000/mm3, prédictif d’accidents coronariens. Habituellement, l’hyperleucocytose chronique est associée à un fort tabagisme;
– le diabète : il favorise la progression des plaques par de nombreux mécanismes, en particulier en accentuant l’oxydation des LDL, et en étant de plus fréquemment associé à l’hyperlipidémie et l’hypertriglycéridémie. Les radicaux libres sont favorisés par l’hyperglycémie. Le diabète constitue une maladie inflammatoire majeure, libérant de nombreux produits, des cytokines au fibrinogène;
– inflammation et infection : l’athérosclérose s’apparente étroitement à un syndrome inflammatoire dont l’intensité est corrélée à la survenue de complications. Ainsi le taux élevé de la protéine C réactive (CRP) est un indicateur de gravité. Dans ces états, la présence de cytokines, chémokines et facteurs de croissance est augmentée, ce qui favorise l’évolution de la plaque. L’IL6 est ainsi élevée, souvent en corrélation avec un de ses polymorphismes. Certains déficits de systèmes de défense tels que les thymocytes régulateurs (Thr) ou surtout l’IL10 sont des facteurs aggravants. Enfin, le core de la plaque peut héberger des bactéries de type Chlamydia, réalisant une infection chronique de la plaque et activant son évolution et sa fragilité. Il est même admis que des antécédents d’infections virales ou microbiennes agissent sur l’évolution des lésions artérielles.
La plaque constituée
L’aspect typique de la plaque est une voussure liée à l’épaississement sousendothélial formée essentiellement de CML sécrétoires, de macrophages et de lymphocytes (voirfig. 7.2). Un core central s’est formé, fait essentiellement de monocytes lésés et donc riches en lipides et en un facteur de l’hémostase très thrombogène, le FT, que ces cellules produisent en abondance. Ce core est surmonté par une chape fibreuse tapissée de cellules endothéliales. Ces aspects, récemment précisés, mettent en place le décor du drame possible de la rupture. En amont et en aval de la plaque, la chape se lie au vaisseau par deux épaules. Ces points d’insertion sont des zones d’adhésion leucocytaire, infiltrées de monocytes sécrétant des MMP et de polynucléaires sécrétant aussi de l’élastase, ce qui les fragilise : ce seront là les points de rupture. Deux possibilités coexistent : ou bien l’activité des facteurs de croissance, surtout le TGFβ1, favorise l’action de fibroblastes et une fibrose de la plaque va tendre à limiter sa taille, tout au moins à stopper sa croissance. Ou bien l’ingestion de lipides par les CML et les monocytes-macrophages continue à se développer et des plaques molles à large core sont édifiées, pourvues d’une riche néovascularisation favorisant des hémorragies au sein même du core. Ce type de plaque va s’avérer thrombogène car riche en FT. En ce qui concerne les membres inférieurs, les artères, dans la continuité des artères iliaques, sont élastiques donc plus sujettes à la formation de plaques à gros cores lipidiques. Les artères plus distales sont musculoélastiques, contenant de nombreuses CML dans la media et auront davantage tendance à avoir une évolution fibrosante.
Environnement vasculaire de la plaque
Deux phénomènes accompagnent la plaque (fig. 7.3) :
– la présence d’une plaque en développement induit le remodelage (remodeling), soit le développement harmonieux, local, de l’artère aboutissant à un élargissement de la lumière compensant ainsi la réduction due à la plaque. Ce phénomène est indépendant des facteurs de risque, du taux de cholestérol en particulier, mais est corrélé à la taille de la plaque. Il est limité, voire absent, au niveau d’artères les plus musculaires, donc plus rapidement sténosantes;
– développement de la circulation collatérale : ce phénomène est primordial dans les artériopathies des membres inférieurs et conditionne le pronostic. Le mécanisme est lié avant tout à la pression du flux sanguin dévié vers des artères collatérales de petit calibre (1 à 2mm) et la stimulation endothéliale par mécanotransduction sous la forme de turbulences et d’à-coups de pression qui favorisent la production endothéliale de facteurs de croissance PDGF et surtout VEGF. L’apparition de nouveaux vaisseaux se fait à l’initiative de cellules endothéliales qui, ainsi stimulées, reprennent une activité «souche».
![]() |
Fig. 7.3 Algorithme des événements artériels au cours de l’artériopathie des membres inférieurs. |
Le concept de plaque vulnérable apparaît aujourd’hui important : plaque molle, à chape amincie, aux épaules fragiles. Le mouvement des artères au moment de l’effort, le stress (adrénaline), les sécrétions plaquettaires de produits vasoconstricteurs (thromboxane A2 [TxA2], sérotonine), tout cela peut provoquer de manière inopinée au minimum une hémorragie dans le core et parfois la rupture et un thrombus occlusif. La figure 7.3 schématise l’algorithme des événements évolutifs ou aigus pouvant survenir au niveau des zones où se développent les plaques athéromateuses.
Complications liées à la plaque
Il faut considérer les complications liées à l’ouverture de la chape fibreuse et celles liées à la sténose du conduit vasculaire (voirfig. 7.3).
Fissure puis rupture de la plaque
L’étude anatomique a montré que la plupart des plaques fissurées ou fracturées étaient peu fibreuses, chargées de lipides au niveau de leur core et souvent peu sténosantes. Il y a donc dissociation entre la taille, le degré de rétrécissement du vaisseau artériel et le danger de rupture. La fissure active les plaquettes et permet à du sang de pénétrer dans la plaque (hémorragie d’origine externe). Ces deux événements accroissent la plaque. Enfin, la fracture induit la formation de thrombus dont l’extension peut conduire à l’ischémie. Au total la formation de thrombus de petite taille sur fissure est fréquente au niveau des plaques, augmentant leur croissance et participant par à-coups à l’ischémie. En revanche l’ouverture du core d’une plaque lipidique, même de petite taille, crée l’occlusion aiguë sur fracture.

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Full access? Get Clinical Tree

