Les neuroleptiques

6. Les neuroleptiques

Daniel Bailly



La découverte de la chlorpromazine, synthétisée en 1950, allait révolutionner le traitement des troubles mentaux et donner naissance à la psychopharmacologie. Les premiers essais dans le traitement des psychoses aiguës de l’adulte, réalisés par Delay et Deniker, datent de 1952. Quelques années plus tard paraissaient les premières publications sur l’utilisation de la chlorpromazine dans le traitement des enfants «sévèrement perturbés» [31, 34, 41]. Depuis, l’utilisation des neuroleptiques en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent n’a cessé de croître, pour des troubles multiples et variés [45, 75]. Toutefois, il faudra attendre les années quatre-vingt et les travaux de Campbell [16] pour que soient précisées les indications des neuroleptiques dans les troubles mentaux de l’enfant (troubles psychotiques, autisme, comportements agressifs) et que soient analysés leurs effets secondaires à court et long terme. Dans un article publié en 1998, Riddle et al. [65] notaient que parmi les neuroleptiques qui avaient le label FDA (Food and Drug Administration) chez l’enfant et l’adolescent, seul le pimozide avait fait l’objet d’études méthodologiquement acceptables prouvant son efficacité dans le syndrome de Gilles de la Tourette. Les autres (chlorpromazine, thioridazine, halopéridol) correspondaient à des molécules approuvées par un «processus d’ancienneté», sans avoir jamais démontré leur efficacité dans les indications proposées (psychoses, troubles du comportement, trouble hyperactivité avec déficit de l’attention). Récemment, d’autres molécules sont apparues, ayant l’avantage, par rapport aux neuroleptiques conventionnels, d’être moins sédatives et d’engendrer moins d’effets extrapyramidaux en raison de leurs propriétés pharmacologiques originales. Si ces molécules, dites «neuroleptiques atypiques», ouvrent de nouvelles perspectives dans le traitement des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent, elles n’ont fait l’objet, à l’heure actuelle, pour la plupart, que de très peu d’études contrôlées [8, 14, 29, 63].


PROPRIÉTÉS CHIMIQUES


MODE D’ACTION NEUROCHIMIQUE

Les neuroleptiques conventionnels bloquent les récepteurs centraux de la dopamine. L’activité sur les récepteurs dopaminergiques ne résume cependant pas tous les effets biochimiques des neuroleptiques conventionnels, et leurs interactions avec d’autres neuromédiateurs ne peuvent être négligées [22, 57]:


— action adrénolytique (antinoradrénergique, en particulier α1);


— action atropinique (anticholinergique, antimuscarinique M1 et M2);


— action antihistaminique (en particulier anti-H1);


— action antisérotoninergique (notamment 5-HT2).

De façon générale, si les neuroleptiques conventionnels forment un groupe qualitativement très homogène vis-à-vis de tests pharmacologiques bien codifiés, leurs effets cliniques varient cependant en fonction des doses administrées et de la prévalence de leur activité sur ces différents neuromédiateurs (tableau 6.1). Ainsi, si l’on considère l’activité antidopaminergique des neuroleptiques, il apparaît que certaines molécules auront une action différenciée, voire opposée, selon la posologie (désinhibitrice à faibles doses et réductrice à fortes doses) et selon le système dopaminergique considéré. De même, des corrélations pharmacocliniques, et donc un profil d’efficacité et de tolérance, peuvent être définies en fonction de leur activité sur les autres neuromédiateurs [22, 57]:


— les neuroleptiques les plus antinoradrénergiques et antihistaminiques (anti-H1) possèdent des propriétés sédatives puissantes, leur action atropinique contrebalançant par ailleurs l’émergence d’effets extrapyramidaux (phénothiazines);


— les neuroleptiques possédant une forte activité antidopaminergique (non compensée par leur très faible activité anticholinergique) et aux faibles propriétés antinoradrénergiques exercent des effets antipsychotiques réducteurs et neurologiques puissants (butyrophénones, phénothiazines pipérazinées);


— enfin, les neuroleptiques possédant une activité antidopaminergique peu intense exercent des effets antipsychotiques modérés (phénothiazines pipéridinées, à l’exception de la pipothiazine, benzamides, à l’exception de l’amisulpride).
























Tableau 6.1 — Classification pharmacologique des neuroleptiques conventionnels [22]
Mécanismes d’action pharmacologique prépondérant Effets cliniques Type de neuroleptiques
Adrénolytiques puissants Sédatifs puissants Phénothiazines aliphatiques
Antidopaminergiques puissants non discriminants D2-D4 Faible dose: effet antipsychotique désinhibiteur (autorécepteurs)
Forte dose: effet antipsychotique réducteur
Phénothiazines pipérazinées
Butyrophénones
Antidopaminergiques discriminants D2-D4 Faible dose: effet désinhibiteur (D4)
Forte dose: effet antipsychotique réducteur modéré (D2)
Benzamides
Atropiniques Peu d’effets extrapyramidaux Thioridazine

Les neuroleptiques atypiques se distinguent des neuroleptiques conventionnels par leur plus faible affinité pour les récepteurs dopaminergiques et une forte affinité pour les récepteurs 5-HT2A et α1 (tableau 6.2). Ce profil pharmacologique original a remis en cause l’hypothèse du rôle prépondérant des récepteurs dopaminergiques D2 dans la schizophrénie et les effets thérapeutiques des neuroleptiques. Deux facteurs ont été avancés pour rendre compte des effets thérapeutiques des neuroleptiques atypiques: un rapport liaison aux récepteurs D4/D2 plus élevé [71] et leur forte capacité de liaison aux récepteurs sérotoninergiques [53]. De même, l’avantage des neuroleptiques atypiques d’engendrer moins d’effets extrapyramidaux que les neuroleptiques conventionnels a été rapporté à leur faible action sur le système dopaminergique nigrostriatal [78] et à un rapport liaison aux récepteurs 5-HT2A/D2 élevé.























































































Tableau 6.2 — Profil pharmacologique des neuroleptiques atypiques comparés à l’halopéridol [63]
+: absence ou faible affinité (KD > 100 nM);
++: affinité moyenne (KD < 100 nM);
+++: forte affinité (KD < 10 nM).
Molécules D1 D2 D3 D4 5-HT1A 5-HT2A 5-HT2C α1 α 2 M H1
Clozapine ++ + (+) + (+) ++ + ++ (+) ++ (+) ++ (+) ++ (+) ++ (+) ++ (+)
Olanzapine ++ ++ ++ ++ + +++ ++ ++ + +++ +++
Rispéridone ++ +++ +++ +++ + +++ ++ +++ +++ + ++ (+)
Quétiapine + + (+) +
+ + (+)
++ (+) + (+) + +++
Halopéridol ++ +++ +++ +++ + ++ + ++ (+) + + +

Ces données pharmacologiques sont toutes issues d’études in vitro et in vivo chez l’adulte. Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de données chez l’enfant. Il a été montré cependant que la densité des récepteurs dopaminergiques D1 et D2 était plus importante chez l’enfant que chez l’adulte, suggérant une sensibilité plus grande chez l’enfant aux effets des neuroleptiques conventionnels [73].


DONNÉES PHARMACOCINÉTIQUES

Si les paramètres pharmacocinétiques des neuroleptiques conventionnels chez l’adolescent se rapprochent de ceux observés chez l’adulte, les études réalisées avec l’halopéridol et la chlorpromazine montrent que ce n’est pas le cas chez l’enfant (tableau 6.3) [55, 60]. À doses équivalentes (en mg/kg), les taux plasmatiques à l’équilibre de la chlorpromazine chez l’enfant apparaissent ainsi 2 à 3,5 fois inférieurs à ceux retrouvés chez l’adulte [66]. Les variations interindividuelles observées dans le métabolisme des neuroleptiques conventionnels chez l’enfant sont cependant considérables et masquent le plus souvent les variations développementales liées à l’âge [79]. Par ailleurs, il a été montré que certaines conditions communément rencontrées chez l’enfant, comme une infection intercurrente ou un stress physique, pouvaient augmenter la fixation de l’halopéridol aux protéines plasmatiques [12]. Enfin, il a été observé une diminution progressive des taux plasmatiques de la chlorpromazine avec le temps, rapportée à un possible phénomène d’auto-induction enzymatique [66]. Au total, pour une dose donnée (en mg/kg), de grandes variations des taux plasmatiques seront observées, non seulement d’un enfant à l’autre, mais aussi, chez un même enfant, en fonction de son état physiologique et avec le temps [79].










Tableau 6.3 — Particularités pharmacocinétiques de l’halopéridol et de la chlorpromazine chez l’enfant par rapport à l’adulte [55, 60]
Paramètres pharmacocinétiques Particularités chez l’enfant/adulte
Absorption
Pics plasmatiques
Volume de distribution
Demi-vie plasmatique
Fixation aux protéines plasmatiques
Fraction libre
Métabolisme hépatique
Élimination
Augmentée
Plus précoces
Corrélation inverse avec l’âge
Diminuée
Diminuée
Augmentée
Plus rapide
Plus rapide

Toutes les études s’accordent sur l’absence de corrélation entre les taux plasmatiques et l’efficacité clinique. Les fourchettes thérapeutiques observées dans ces études varient en fait selon les sujets, mais aussi en fonction des pathologies (tableau 6.4). Globalement, ces fourchettes thérapeutiques sont inférieures à celles préconisées chez l’adulte. En raison des particularités pharmacocinétiques observées chez l’enfant, il faudra cependant prescrire des doses proportionnellement supérieures à celles requises chez l’adulte (en mg/kg) pour les atteindre. En revanche, il existe une corrélation nette entre les taux plasmatiques et la fréquence de survenue des effets secondaires [55]. Aussi, si les taux plasmatiques apportent peu d’éléments significatifs quant à l’efficacité recherchée, la réalisation de dosages plasmatiques revêt chez l’enfant un intérêt certain pour surveiller les risques de survenue d’effets secondaires [79].
























Tableau 6.4 — Corrélations taux plasmatiques/efficacité clinique observées avec l’halopéridol et la chlorpromazine
Molécule [référence] Pathologies étudiées Fourchettes thérapeutiques (ng/ml)
Chlorpromazine [66] Troubles psychotiques, comportements agressifs (retard mental), troubles de l’humeur avec anxiété 40-80 (adulte: 50-300)
Halopéridol [17] Autisme 4-8
Halopéridol [55] Tics
Troubles psychotiques
1-4
Indéterminées
Halopéridol [74] Tics 2,3-6,3

Il n’existe que très peu de données publiées concernant les éventuelles particularités pharmacocinétiques des neuroleptiques atypiques chez l’enfant par rapport à l’adulte. Les pics plasmatiques des neuroleptiques atypiques sont atteints en quelques heures. Comme pour les neuroleptiques conventionnels [22, 57], la molécule mère est cependant, en grande partie, rapidement métabolisée et inactivée, principalement par les systèmes enzymatiques hépatiques (cytochrome P450) et/ou par sulfoxydation ou glycuroconjugaison, ces réactions conduisant à différents métabolites détectables dans le sang et les urines. Des données suggèrent qu’à doses équivalentes (en mg/kg par jour), les concentrations plasmatiques de rispéridone et de son métabolite actif, la 9-hydroxyrispéridone, seraient comparables chez l’enfant et l’adolescent et chez l’adulte, sans pouvoir toutefois éliminer de possibles variations liées à la puberté. Ces concentrations plasmatiques seraient par ailleurs stables dans le temps. En règle générale, comme pour les neuroleptiques conventionnels [22, 57], les taux plasmatiques des neuroleptiques atypiques et de leurs métabolites vont en fait dépendre de plusieurs paramètres tels que l’âge, le sexe, l’activité du système cytochrome P450, la nature des médicaments associés ou la consommation de tabac [63]. Une étude réalisée chez des adolescents schizophrènes retrouve une relation linéaire positive entre les taux plasmatiques de clozapine et l’amélioration clinique [58]. À l’inverse, une étude réalisée avec la rispéridone chez des enfants autistes montre qu’aucune corrélation n’est observée entre les taux plasmatiques de rispéridone et de 9-hydroxyrispéridone et l’efficacité clinique [33]. Aussi, comme pour les neuroleptiques conventionnels, il est recommandé de pratiquer régulièrement des dosages plasmatiques des neuroleptiques atypiques et de leurs principaux métabolites [63].


INDICATIONS


SCHIZOPHRÉNIE

Comme chez l’adulte, les neuroleptiques représentent le traitement médicamenteux de première intention dans les schizophrénies à début précoce.

S’il est habituellement admis que les neuroleptiques conventionnels sont moins efficaces et engendrent plus d’effets secondaires chez l’enfant que chez l’adulte, les données de la littérature montrent qu’en fait seules trois études contrôlées ont été réalisées dans cette indication chez l’enfant et l’adolescent [8, 14, 20, 76]. Pool et al. [59] ont comparé l’halopéridol (Haldol®) et la loxapine (Loxapac®) à un placebo durant 4 semaines chez 75 adolescents âgés de 13 à 18 ans présentant une «schizophrénie chronique avec exacerbation aiguë». Les résultats montrent que l’halopéridol (à la dose moyenne de 9,8mg par jour) et la loxapine (à la dose moyenne de 87,5mg par jour) sont significativement plus efficaces que le placebo sur les symptômes psychotiques (surtout dans les formes les plus graves), aucune différence n’étant retrouvée entre les deux molécules actives. Spencer et al. [77] ont comparé, sur 10 semaines, l’halopéridol (à la dose de 0,5 à 3,5mg par jour) à un placebo chez 16 enfants âgés de 5 à 12 ans présentant une schizophrénie selon les critères du DSM-III-R. Là encore, l’halopéridol s’est révélé significativement plus efficace que le placebo sur les symptômes positifs, 12 enfants étant jugés très significativement améliorés et les quatre autres modérément améliorés. Dans ces deux études, des effets secondaires, principalement à type de symptômes extrapyramidaux, étaient rapportés chez plus de 30% des enfants et des adolescents ayant reçu l’halopéridol. Enfin, Realmuto et al. [62] ont comparé le thiothixène (Navane®) à la thioridazine (Melleril®) chez 21 adolescents souffrant de schizophrénie selon les critères du DSM-III-R. Les deux molécules ont montré une efficacité similaire, les auteurs indiquant cependant que de nombreux patients ne toléraient pas les posologies les plus efficaces en raison de la sédation engendrée par le traitement.

La situation est comparable pour les neuroleptiques atypiques (clozapine, olanzapine, rispéridone, quétiapine). Si plusieurs études en ouvert retrouvent des taux d’amélioration variant de 35% (dans les schizophrénies résistantes) à 100% [8, 14, 20, 63], en fait, seule la clozapine (Leponex®) a fait l’objet, à ce jour, d’une étude contrôlée contre l’halopéridol chez 21 adolescents présentant une schizophrénie à début précoce réfractaire aux traitements antérieurement prescrits [46]. Dans cette étude, la clozapine (à la dose moyenne de 176 ± 149mg par jour) s’est révélée sur 6 semaines significativement plus efficace que l’halopéridol (à la dose moyenne de 16 ± 8mg par jour), aussi bien sur les symptômes positifs que sur les symptômes négatifs. Le traitement par clozapine a cependant dû être interrompu chez cinq patients en raison de la survenue d’effets indésirables sérieux (crises convulsives, anomalies hématologiques), trois patients supplémentaires ayant également présenté une neutropénie.

Au total, hormis pour la clozapine, qui apparaît potentiellement comme la molécule la plus efficace mais qui est aussi celle pour laquelle les effets secondaires sont les plus fréquents et les plus sévères, il n’existe, à l’heure actuelle, aucune étude ayant démontré la supériorité des neuroleptiques atypiques sur les neuroleptiques conventionnels dans les schizophrénies à début précoce. La réponse au traitement neuroleptique apparaissant éminemment variable d’un sujet à l’autre, pour la plupart des auteurs, le choix de la molécule doit être adapté à chaque sujet, en fonction du profil pharmacologique et des effets thérapeutiques attendus des différents agents, de leurs effets secondaires, et de la réponse éventuelle du sujet à un traitement antérieur. Le seul consensus concerne la clozapine, dont l’utilisation doit être réservée aux sujets présentant une schizophrénie résistante (c’est-à-dire n’ayant pas répondu à deux neuroleptiques différents au moins, dont au moins un neuroleptique atypique) et/ou ayant développé des effets secondaires graves (dyskinésies tardives) [6].


TROUBLES BIPOLAIRES

Dans une étude en ouvert, Kafantaris et al. [43] ont évalué l’efficacité d’une association lithium + neuroleptique sur 4 semaines chez 28 adolescents âgés de 12 à 18 ans présentant un épisode maniaque avec caractéristiques psychotiques. Divers neuroleptiques furent utilisés: halopéridol (16 cas), rispéridone (6 cas), olanzapine (3 cas), quétiapine, thiothixène et chlorpromazine (1 cas pour chaque). Une amélioration clinique significative a été notée chez 64% des patients, sans différence entre les neuroleptiques conventionnels et les neuroleptiques atypiques. À l’arrêt du traitement neuroleptique, peu de patients ont vu leur amélioration clinique se maintenir, les variables associées au maintien de l’amélioration clinique sous lithium seul étant: un premier épisode, une durée d’évolution courte, et la présence de troubles du cours de la pensée à l’inclusion. Les mêmes auteurs ont répliqué cette étude avec des résultats encore plus nets en utilisant seulement l’halopéridol [44].

Plusieurs études en ouvert suggèrent également que la rispéridone (Risperdal®) et l’olanzapine (Zyprexa®) pourraient avoir des effets antimaniaques et être utiles, seules ou en association avec un thymorégulateur, dans le traitement des troubles bipolaires chez l’enfant et l’adolescent [68]. Seule la quétiapine (Seroquel®) a fait l’objet, à l’heure actuelle, de deux études contrôlées chez des adolescents présentant un trouble bipolaire de type I, épisode maniaque ou mixte. Dans la première étude, portant sur 30 adolescents, l’association quétiapine/divalproate de sodium s’est révélée significativement plus efficace que le divalproate utilisé seul [24]. Dans la seconde étude, portant sur 50 adolescents âgés de 12 à 18 ans, la quétiapine utilisée seule s’est révélée aussi efficace, en moyenne, que le divalproate de sodium, l’amélioration de la symptomatologie apparaissant cependant plus rapidement avec la quétiapine. Par ailleurs, les taux de réponse et de rémission étaient aussi retrouvés significativement plus élevés avec la quétiapine qu’avec le divalproate. Aucune différence significative n’était observée entre les deux groupes dans la fréquence des effets secondaires [23].

Aucune donnée n’est à ce jour disponible concernant l’efficacité des neuroleptiques dans la prévention des récurrences du trouble bipolaire chez l’enfant et l’adolescent.


TROUBLES ENVAHISSANTS DU DÉVELOPPEMENT

Les troubles envahissants du développement constituent une pathologie rare mais spécifique de l’enfant dans laquelle les neuroleptiques sont habituellement largement utilisés [3].

Campbell et son équipe [7, 18, 19] ont réalisé plusieurs études contrôlées comparant l’halopéridol à un placebo chez des enfants autistes. Globalement, les résultats montrent que l’halopéridol s’avère significativement plus efficace que le placebo sur les manifestations comportementales (hyperactivité, stéréotypies motrices) et le retrait autistique, son effet apparaissant moins marqué sur les apprentissages. L’ensemble de ces données a été réanalysé par Locascio et al. [50]. Sur 125 sujets traités, les taux d’amélioration obtenus avec l’halopéridol varient de 28 à 84%, contre 15 à 34% pour le placebo, selon le critère considéré. L’hyperactivité apparaît comme la dimension symptomatique la plus significativement améliorée par l’halopéridol. Viennent ensuite les stéréotypies motrices, les interactions sociales et les apprentissages. L’âge et un niveau intellectuel plus élevés sont retrouvés comme des facteurs prédictifs d’une meilleure réponse au traitement par l’halopéridol.

Plusieurs études en ouvert, à court et à long terme [8, 20, 33, 51], ont évalué l’intérêt de la rispéridone chez des enfants présentant un trouble envahissant du développement. Les résultats retrouvent des taux de réponse inférieurs à 50%. Les symptômes cibles les plus souvent améliorés étaient les troubles du comportement (hyperactivité, agitation, rythmies) et ceux concernant la régulation des affects (labilité émotionnelle, colères), le traitement semblant avoir peu d’effets sur les interactions sociales.

Ces études posent en fait la question de l’homogénéité de la catégorie diagnostique «troubles envahissants du développement». Peut-on prescrire à partir de ce seul diagnostic, ou doit-on prescrire en fonction des dimensions symptomatiques repérées chez l’enfant? L’étude réalisée par Dollfus et al. [26] comparant deux molécules d’action opposée, l’amisulpride (Solian®), un antagoniste dopaminergique, à doses désinhibitrices, et la bromocriptine, un agoniste dopaminergique, également à faibles doses, à visée sédative, est à ce titre intéressante. Cette étude, randomisée en double insu et cross-over sur 14 semaines chez neuf enfants autistes âgés de 4 à 13 ans, retrouve une amélioration du retrait autistique avec l’amisulpride et une amélioration des troubles de l’attention et de l’hyperactivité avec la bromocriptine. Surtout, cette étude suggère que, suivant les dimensions symptomatiques considérées, les enfants autistes peuvent être soit améliorés, soit aggravés par les neuroleptiques. C’est dire que les recherches futures devront certainement s’attacher à mieux définir le profil symptomatique des enfants autistes susceptibles de bénéficier d’un traitement neuroleptique.


TICS ET SYNDROME DE GILLES DE LA TOURETTE

Si les tics peuvent être individualisés en différentes catégories diagnostiques, seul le syndrome de Gilles de la Tourette est officiellement reconnu comme une indication des neuroleptiques.

Plusieurs études contrôlées contre placebo ont démontré l’efficacité de l’halopéridol et du pimozide (Orap®) dans le syndrome de Gilles de la Tourette, avec des taux de réponse avoisinant les 80% [48]. Une analyse rétrospective de cohortes d’enfants et d’adolescents présentant un syndrome de Gilles de la Tourette traités par halopéridol ou pimozide sur des durées allant de 1 à 15 ans retrouve cependant une fréquence d’effets secondaires moindre et une meilleure observance du traitement avec le pimozide [70]. Ces résultats ont été par la suite confirmés dans une étude contrôlée comparant l’halopéridol et le pimozide à des doses équivalentes (respectivement, 3,5 ± 2,2mg par jour et 3,4 ± 1,6mg par jour) à un placebo chez 22 enfants et adolescents âgés de 7 à 16 ans présentant un syndrome de Gilles de la Tourette. Sur le critère principal de réponse au traitement, seul le pimozide s’est révélé significativement supérieur au placebo. Le taux moyen d’amélioration de la symptomatologie obtenu dans cette étude était de 44% avec le pimozide contre 31% avec l’halopéridol, la fréquence des effets secondaires de 14% avec le pimozide contre 41% avec l’halopéridol [69].

Plusieurs études en ouvert suggèrent l’intérêt potentiel de la rispéridone, de l’olanzapine et de la quétiapine dans le traitement du syndrome de Gilles de la Tourette, alors que la clozapine semble inefficace dans cette indication [8, 29]. En fait, seule la rispéridone a fait l’objet d’études contrôlées chez des enfants et des adolescents présentant des tics chroniques et/ou un syndrome de Gilles de la Tourette. Une première étude contrôlée contre placebo, incluant 26 enfants, retrouve des taux d’amélioration de la symptomatologie de 36% chez les enfants ayant reçu la rispéridone contre 11% dans le groupe placebo [72]. Deux autres études contrôlées, à court terme, comparant la rispéridone et le pimozide montrent que la rispéridone est au moins aussi efficace, sinon plus efficace, que le pimozide, avec cependant parfois une prise de poids importante [13, 35]. Constatant que la rispéridone est, parmi les neuroleptiques atypiques, celui dont l’action sur les récepteurs dopaminergiques se rapproche le plus des neuroleptiques conventionnels, certains auteurs ont émis l’hypothèse que l’effet anti-tics des neuroleptiques pourrait être lié au blocage des récepteurs D2 et à la capacité de la molécule à engendrer un syndrome parkinsonien.


TROUBLES DU COMPORTEMENT NON SPÉCIFIÉS

Les comportements autoagressifs observés dans différents troubles (retard mental, troubles envahissants du développement, syndrome de Lesch-Nyan et autres maladies génétiques) ont constitué l’une des premières indications des neuroleptiques chez l’enfant [27]. Depuis, les neuroleptiques sont très largement utilisés dans le traitement des troubles du comportement avec agressivité, le plus souvent au long cours, sans indication diagnostique claire, sans évaluation précise de leur efficacité et de leur tolérance. Cette situation, qui concernerait environ 20 à 55% des enfants placés en institution, est aujourd’hui considérée par de nombreux auteurs comme un véritable problème de santé publique [8, 32, 75].

Seules deux études contrôlées ont été réalisées dans le trouble des conduites avec les neuroleptiques conventionnels. Dans la première étude, Campbell et al. [21] ont comparé l’halopéridol et le lithium à un placebo sur 4 semaines chez 61 enfants âgés de 5 à 13 ans hospitalisés pour un trouble des conduites. Dans cette étude, l’halopéridol et le lithium se sont révélés significativement plus efficaces que le placebo sur les comportements d’agressivité, aucune différence n’étant retrouvée entre les deux molécules actives. Le lithium est apparu cependant mieux toléré que l’halopéridol (sédation, dystonies aiguës). La seconde étude, réalisée par Greenhill et al. [37], a comparé la thioridazine et la molindone. Les deux molécules se sont avérées efficaces sur les manifestations d’agressivité, avec cependant d’importants effets secondaires (dystonies pour la molindone, sédation pour la thioridazine). Chez les enfants retardés mentaux, les données concernant l’efficacité des neuroleptiques conventionnels sur les troubles du comportement sont le plus souvent issues d’études méthodologiquement peu rigoureuses. Si ces données suggèrent que l’halopéridol et la thioridazine peuvent revêtir un certain intérêt dans le traitement des troubles du comportement observés chez les enfants et les adolescents retardés mentaux (hyperactivité, stéréotypies, comportements d’automutilation, trouble des conduites), il n’en est pas de même pour la chlorpromazine (Largactil®) qui semble, au contraire, augmenter les comportements inappropriés chez les enfants et les adolescents retardés mentaux [5, 20, 39].

Parmi les neuroleptiques atypiques, c’est la rispéridone qui a fait l’objet, à l’heure actuelle, du plus grand nombre d’études. Findling et al. [30] ont comparé, en double insu sur 10 semaines, la rispéridone à un placebo chez 20 enfants âgés de 6 à 14 ans présentant un trouble des conduites. Les résultats montrent que la rispéridone s’avère significativement plus efficace que le placebo sur les comportements agressifs, avec une bonne tolérance (aucun effet secondaire neurologique rapporté). Plusieurs études en ouvert, à court et long terme, suggèrent également l’efficacité et la bonne tolérance de la rispéridone dans le traitement des troubles du comportement chez les enfants et les adolescents présentant un fonctionnement intellectuel limite ou un retard mental [8, 42]. Deux études contrôlées contre placebo ont confirmé l’efficacité de la rispéridone sur les comportements agressifs et/ou destructeurs dans cette population. La première étude, réalisée par Aman et al. [4], a porté sur 118 enfants âgés de 5 à 12 ans avec un quotient intellectuel (QI) compris entre 36 et 84. Les résultats montrent une amélioration significative des symptômes du trouble des conduites dès la 1re semaine avec la rispéridone (à la dose moyenne de 1,2mg par jour). La seconde étude, réalisée par Buitelaar et al. [15], a porté sur 38 adolescents présentant un QI bas ou subnormal hospitalisés pour des troubles psychiatriques avec agressivité marquée. Là encore, la rispéridone s’est avérée significativement plus efficace que le placebo sur l’agressivité et les comportements perturbateurs. Enfin, une étude contrôlée contre placebo, portant sur 101 enfants autistes âgés en moyenne de 8,8 ± 2,7 ans, montre également que la rispéridone (à la dose de 0,5 à 3,5mg par jour) est efficace et bien tolérée dans le traitement de l’agressivité, des crises de colère et des comportements d’automutilation observés chez ces enfants [64]. Parmi les autres neuroleptiques atypiques, seuls l’olanzapine et l’aripiprazole (Abilify®) ont fait l’objet d’essais en ouvert chez des enfants et des adolescents très agressifs et violents ou présentant un trouble des conduites sévère [42].

L’intérêt des neuroleptiques est aussi lié à leur rapidité d’action, qui peut s’avérer particulièrement utile dans les états d’agitation aigus avec agressivité et violence. Des études en ouvert et des rapports de cas montrent que le dropéridol (Droleptan®, neuroleptique conventionnel) et la ziprazidone (neuroleptique atypique) administrés par voie intramusculaire sont efficaces dans cette indication [42].


TROUBLE DÉFICIT DE L’ATTENTION AVEC HYPERACTIVITÉ

Si les neuroleptiques sont encore assez fréquemment employés dans le trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDA/H) et si le TDA/H est encore parfois mentionné comme une indication des neuroleptiques, il est reconnu depuis longtemps que l’utilisation éventuelle des neuroleptiques conventionnels dans le traitement du TDA/H ne peut être envisagée qu’après échec ou contre-indication de toutes les autres stratégies thérapeutiques habituelles (thérapie cognitivocomportementale, psychostimulants, antidépresseurs, clonidine) [20, 67].

Certes, plusieurs études contrôlées contre placebo ont montré que les neuroleptiques conventionnels (halopéridol, chlorpromazine, thioridazine), seuls ou associés aux psychostimulants, pouvaient s’avérer efficaces dans le TDA/H [8, 2067]. Werry et al. [81], en particulier, ont rapporté que l’halopéridol à faibles doses pouvait s’avérer aussi efficace que le méthylphénidate, à la fois sur l’hyperactivité et les troubles attentionnels, avec toutefois des effets secondaires plus fréquents et plus marqués. Ces données ont cependant fait l’objet de nombreuses critiques concernant notamment l’absence, la plupart du temps, dans les études positives, de mesure précise de l’attention, la fréquence élevée des effets secondaires rapportés, et surtout le fait que plusieurs études montraient que les neuroleptiques conventionnels entraînaient une altération des performances cognitives. Aussi, pour toutes ces raisons, il est reconnu aujourd’hui que le TDA/H ne constitue pas une indication des neuroleptiques conventionnels [8, 20, 38, 67].

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Jul 6, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Les neuroleptiques

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