Les agents adrénergiques

10. Les agents adrénergiques

Clonidine et bêtabloquants

Daniel Bailly




CLONIDINE

La clonidine (Catapressan®), un agoniste α-2 adrénergique, est un médicament largement utilisé pour son effet antihypertenseur. Si la clonidine n’a pas d’indication officielle en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, ses propriétés chimiques en font cependant un agent qui peut être particulièrement utile dans le traitement de certains troubles mentaux.


PROPRIÉTÉS CHIMIQUES

La clonidine est un agent stimulant α-adrénergique qui active préférentiellement les récepteurs α-2 présynaptiques, entraînant une inhibition de l’activité noradrénergique cérébrale.

Par voie orale, la clonidine est rapidement et quasiment complètement absorbée à travers le tractus gastro-intestinal. Chez l’adulte, les pics de concentration plasmatique sont atteints 1 à 3h environ après la prise. En raison de son caractère extrêmement lipophile, la clonidine passe aisément la barrière hématoencéphalique. Une fraction de la molécule (35 à 50%) est métabolisée par le foie, l’autre (50 à 65%) est éliminée sous forme inchangée dans les urines. Il n’y a pas de métabolites actifs. Sa demi-vie d’élimination est d’environ 8 à 12h chez l’enfant, avec des variations interindividuelles considérables. Contrastant avec ces données pharmacocinétiques, les effets comportementaux de la clonidine ne se maintiennent que durant 3 à 6h seulement environ, ses effets sédatifs étant le plus prononcés 30 à 90min après la dernière prise [21].

Dans certains pays, la clonidine est aussi disponible sous forme transdermale («patch»). L’absorption et la diffusion sont alors fonction de la surface du patch, tandis que les concentrations plasmatiques vont dépendre essentiellement de la fonction rénale du patient, et plus particulièrement de la clairance de la créatinine. L’administration de la clonidine sous forme transdermale permet d’obtenir un meilleur équilibre des taux plasmatiques, ce qui peut réduire la fréquence et l’intensité de ses effets secondaires (lesquels sont souvent liés aux pics de concentration plasmatique observés après administration orale). Chez l’enfant, les effets comportementaux de la clonidine administrée sous forme transdermale sont souvent observés durant au moins 2 à 3 j suivant l’application du patch [21].

Aucune corrélation n’a pu, à ce jour, être établie entre les doses de clonidine administrée sous forme orale ou transdermale et les taux de concentration plasmatique.


INDICATIONS


Trouble déficit de l’attention avec hyperactivité

Depuis les années quatre-vingt, de nombreuses publications font régulièrement état de l’efficacité de la clonidine dans le traitement du trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDA/H), associé ou non à d’autres troubles mentaux (syndrome de Gilles de la Tourette, trouble des conduites, troubles du sommeil, autisme, retard mental, syndrome de l’X fragile). La majorité de ces publications portent cependant sur des rapports de cas ou sur des études en ouvert [9, 11, 35]. Deux études contrôlées contre placebo montrent que la clonidine, administrée à la dose de 0,1 à 0,3mg par jour, est efficace sur les symptômes du TDA/H, évalués par les parents et les enseignants à l’aide d’instruments standardisés [19, 22]. Trois études contrôlées portant sur des enfants présentant un TDA/H associé à un syndrome de Gilles de la Tourette rapportent des résultats contradictoires [27, 34, 37]. Enfin, trois études contrôlées montrent que la clonidine est efficace dans le traitement du TDA/H chez des enfants autistes et/ou présentant un retard mental, avec cependant parfois de nombreux effets secondaires pouvant conduire à l’arrêt du traitement [1, 16, 23].

L’ensemble de ces données a été analysé par Connor et al. [9, 11]. La clonidine apparaît diminuer la fréquence, l’intensité et la sévérité des symptômes d’hyperactivité et d’impulsivité et améliorer la tolérance aux frustrations chez les enfants présentant un TDA/H de type mixte ou de type hyperactivité-impulsivité prédominante. Elle semble en revanche inefficace sur les symptômes d’inattention et, a fortiori, chez les enfants présentant un TDA/H de type inattention prédominante. Au total, les enfants qui répondent le mieux à la clonidine sont ceux qui présentent un TDA/H caractérisé cliniquement par des niveaux élevés d’hyperactivité motrice, d’excitation, d’impulsivité, d’agressivité explosive, et associé à un trouble des conduites. Ces données semblent également indiquer que la clonidine pourrait être utile pour réduire l’insomnie directement liée au TDA/H ou résultant de son traitement par psychostimulants. Chez les enfants présentant un retard mental ou un trouble envahissant du développement, la clonidine semble avoir aussi une certaine efficacité sur l’hyperactivité motrice, l’excitation, l’impulsivité, l’agressivité explosive et les crises de colère. En cas d’association TDA/H syndrome de Gilles de la Tourette, la clonidine pourrait permettre de réduire à la fois l’hyperactivité et l’impulsivité et la fréquence et la sévérité des tics moteurs et vocaux, mais ces données ne sont pas retrouvées dans toutes les études.

La guanfacine (Estulic®), un autre stimulant α-2 adrénergique, plus sélectif et possédant moins d’effets sédatifs et hypotenseurs que la clonidine, a également fait l’objet d’études en ouvert dans le TDA/H. Les résultats suggèrent que la guanfacine pourrait améliorer l’hyperactivité et l’impulsivité, plus encore peut-être que la clonidine, et qu’elle pourrait avoir aussi une certaine efficacité sur les symptômes d’inattention [9].

Enfin, la clonidine a été testée en combinaison avec les psychostimulants (méthylphénidate). Plusieurs études en ouvert [9, 10, 21] et une étude contrôlée [20] chez des enfants présentant un TDA/H associé à des comportements perturbateurs (trouble oppositionnel avec provocation ou des conduites) montrent que l’adjonction de la clonidine au traitement psychostimulant permettrait d’obtenir une meilleure efficacité, surtout sur les comportements agressifs. De même, chez des enfants présentant un TDA/H et des tics chroniques, une étude contrôlée suggère que l’association clonidine-méthylphénidate pourrait être plus efficace que la clonidine ou le méthylphénidate utilisé seul, en particulier sur l’hyperactivité, l’impulsivité et les tics [37]. Même si, dans ces études, aucun effet indésirable grave n’a été rapporté, en l’état actuel des connaissances, il est cependant recommandé d’utiliser la clonidine avec les psychostimulants de façon prudente et sous couvert d’une surveillance cardiovasculaire stricte, plusieurs cas de mort subite ayant été rapportés chez des enfants recevant une telle association [36].


Trouble des conduites

Si les résultats obtenus dans le TDA/H suggèrent son efficacité possible dans le trouble des conduites, la clonidine n’a en fait fait l’objet que d’une seule étude en ouvert dans cette indication. Dans cette étude, la clonidine, administrée à la dose de 0,15 à 0,4mg par jour, s’est révélée efficace sur les comportements agressifs [25].


Tics et syndrome de Gilles de la Tourette

Les résultats des études visant à évaluer l’efficacité de la clonidine dans les tics et le syndrome de Gilles de la Tourette apparaissent contradictoires [31]. Selon Chappell et al. [7] et Leckman et al. [26], seuls 25 à 50% environ des enfants et des adolescents présentant un syndrome de Gilles de la Tourette répondraient à la clonidine. Comparée aux neuroleptiques, l’absence d’effets secondaires neurologiques (symptômes extrapyramidaux, dyskinésies tardives) permettrait cependant de faciliter son utilisation de façon continue et prolongée, et justifierait sa prescription, en première intention, chez les jeunes enfants.

La guanfacine a également fait l’objet d’une étude en ouvert [6] et d’une étude contrôlée contre placebo [30] chez des enfants présentant des tics chroniques ou un syndrome de Gilles de la Tourette associé à un TDA/H, suggérant son efficacité à la fois sur les tics moteurs et vocaux, sur l’impulsivité et sur les troubles de l’attention.


Autres indications

Des rapports de cas suggèrent que la clonidine, seule ou associée aux antidépresseurs inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), pourrait s’avérer efficace dans le traitement de l’état de stress post-traumatique chez l’enfant et l’adolescent, en particulier lorsque prédominent les symptômes d’hypervigilance, d’impulsivité et d’agressivité[13].

De façon anecdotique, la clonidine s’est aussi révélée efficace dans le contrôle des comportements d’automutilation chez les enfants présentant un trouble envahissant du développement [3].

Enfin, une étude pharmacoépidémiologique récente montre que la clonidine est, après les antihistaminiques, la molécule la plus prescrite dans le traitement des troubles du sommeil chez l’enfant (insomnie d’endormissement, réveils nocturnes, réveil matinal précoce, troubles du rythme veille-sommeil, parasomnies), sans évaluation réelle de son efficacité et de sa tolérance [33].


EFFETS SECONDAIRES

En raison de ses effets cardiovasculaires, la clonidine est contre-indiquée chez les enfants et les adolescents présentant une affection cardiaque (troubles du rythme, syncopes) ou vasculaire (syndrome de Reynaud) ou ayant des parents du premier degré souffrant d’une maladie cardiaque à début précoce. De même, en raison de ses effets dépressogènes, il est recommandé de ne pas utiliser la clonidine chez les enfants et les adolescents présentant une histoire de trouble dépressif majeur ou ayant des antécédents familiaux de troubles de l’humeur 9, 21].

En dehors de ces contre-indications, la clonidine est, en règle générale, bien tolérée chez les enfants et les adolescents. Les effets secondaires rapportés (tableau 10.1) sont le plus souvent modérés et tendent à diminuer avec le temps. Les plus fréquents sont les sensations de vertige, la somnolence et la sédation. Ces effets secondaires peuvent être particulièrement gênants en tout début de traitement, dans les 4 à 6 premières semaines suivant sa mise en route, et ce d’autant qu’ils peuvent occasionnellement s’accompagner d’une augmentation de l’irritabilité. Une augmentation plus progressive des doses ou une réduction des doses permet en général de les contrôler. Des réveils précoces, peut-être dus à un sevrage nocturne, peuvent également être observés. Les enfants sont habituellement moins sensibles aux effets anticholinergiques de la clonidine (constipation, sécheresse de bouche) que les adultes. Enfin, une dermatite de contact est observée dans 15 à 20% des cas lors de l’utilisation de la forme transdermale. Dans ces cas, il est conseillé soit de changer la localisation du patch, soit de recourir à une crème dermocorticoïde, soit de passer à la forme orale [9, 21, 29].
























































Tableau 10.1 — Fréquence (%) des effets indésirables observés avec la clonidine et la guanfacine chez les enfants traités pour un TDA/H [9]
Effets indésirables Clonidine Guanfacine
Somnolence 33 13
Sensations de vertige 16 8
Sédation 10 8
Sensations de faiblesse 10 7
Troubles du sommeil 10 5
Dépression 5 < 1
Arythmie cardiaque 5 < 1
Nausées/vomissements 5 < 1
Irritabilité 3 < 1
Hypotension orthostatique 3 < 1
Prise de poids 1 < 1
Hallucinations 1 < 1

Deux types d’effets indésirables potentiellement sérieux ont cependant été rapportés avec la clonidine. Des doses élevées et/ou un traitement prolongé peuvent entraîner des effets secondaires cardiovasculaires associant bradycardie, hypotension, fatigue et léthargie. Aisément décelés par l’examen clinique et électrocardiographique (ECG), ces effets secondaires imposent la réduction des doses ou l’arrêt du traitement. Un arrêt brutal du traitement peut, par ailleurs, entraîner un syndrome de sevrage lié à un phénomène de rebond (hyperactivité adrénergique) et associant hypertension, agitation, fièvre, céphalées, douleurs thoraciques, troubles du sommeil, nausées et vomissements. Dans ce cas, il convient de réintroduire la clonidine [5, 9].

Enfin, une attention particulière doit être portée aux interactions possibles entre la clonidine et d’autres drogues (tableau 10.2).












Tableau 10.2 — Interactions clonidine/autres drogues [29]
La clonidine augmente les effets des drogues suivantes:


– antidépresseurs hétérocycliques


– antipsychotiques


– médications anticholinergiques


– dépresseurs du SNC (alcool)
La clonidine diminue les effets des drogues suivantes:


– bêtabloquants
Les effets de la clonidine sont augmentés par les drogues suivantes:


– fenfluramine


– diurétiques


– autres médications antihypertensives


– dépresseurs du SNC
Les effets de la clonidine sont diminués par les drogues suivantes:


– antidépresseurs hétérocycliques


– drogues sympathomimétiques


– analgésiques anti-inflammatoires non stéroïdiens


RÈGLES DE PRESCRIPTION

Avant d’initier un traitement par clonidine, un bilan clinique soigneux doit être réalisé, comprenant un examen physique, avec en particulier la mesure du pouls et de la tension artérielle (TA) au repos et lors du passage en orthostatisme, un ECG et un bilan biologique standard. Il est recommandé de démarrer la clonidine à la dose de 0,025mg chez les jeunes enfants ou de 0,05mg chez les enfants plus grands et les adolescents, donnée en une seule fois le soir au moment du coucher, en raison de ses effets sédatifs. Il convient ensuite d’augmenter progressivement les doses par paliers de 0,025 à 0,05mg tous les 3 à 7 j suivant l’efficacité et la tolérance. Les posologies totales moyennes préconisées sont de l’ordre de 3 à 6μg/kg par jour (soit 0,10 à 0,30mg par jour). Chez les enfants âgés de 6 à 13 ans, les doses doivent être fractionnées en trois à quatre prises par jour (après les repas et au moment du coucher) afin d’éviter les phénomènes de sevrage. Chez les adolescents, en raison d’un métabolisme plus lent, les doses peuvent être fractionnées en deux à trois prises par jour [9, 29].

Les effets thérapeutiques de la clonidine apparaissent généralement 2 à 4 semaines après l’instauration du traitement, pour des doses moyennes de l’ordre de 3 à 4μg/kg par jour (soit 0,15mg par jour). À partir du 3e mois environ, un plateau est généralement observé dans l’amélioration clinique. En raison d’un phénomène de tolérance lié à son effet auto-inducteur enzymatique, il est souvent nécessaire, après le 4e mois, d’augmenter les doses pour maintenir l’amélioration clinique, la posologie maximale recommandée étant de l’ordre de 4 à 6μg/kg par jour (soit 0,30mg par jour). Au-delà, même si des posologies de 0,5 à 0,8mg par jour ont parfois été rapportées dans la littérature, l’augmentation des doses s’accompagne généralement d’effets indésirables particulièrement gênants (sédation, léthargie) et/ou potentiellement graves [9, 18, 29].

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Jul 6, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Les agents adrénergiques

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