4. Les enjeux du travail entre associations d’usagers et institutions psychiatriques
J. Favrod and C. Bonsack
Contexte historique
La discriminationDiscrimination sociale, la solitude, les difficultés sur les plans familial, interpersonnel, professionnel et/ou économique sont des conséquences fréquentes des troubles bipolaires (Bowden, 2005 ; Elgie et Morselli, 2007 ; Judd et coll., 2008 ; McIntyre et coll., 2008 ; Morselli et Elgie, 2003 ; Morselli et coll., 2004). Les patients peuvent manquer d’information au sujet de leur maladie, être mal diagnostiqués ou rencontrer des problèmes dans la relation avec leur médecin (Lewis, 2001 ; Morselli et Elgie, 2003). Ces différentes questions ont conduit à la création d’associations de patientsAssociations de patients/d’usagers (Morselli, 2000). Les buts de ces associations sont de défendre les droits des patientsDroits des personnes/patients, de fournir des lieux de socialisation et de lutter contre la discrimination sociale qui accompagne la maladie. Dans ce chapitre, nous allons nous concentrer sur ce type d’associations spécifiques, tout en passant brièvement en revue d’autres types d’associations qui ne servent pas directement les intérêts des personnes atteintes de troubles bipolaires.
La première association de patients souffrant spécifiquement de troubles psychiatriques, Fountain House, a été fondée en 1948 à New York. Les membres de l’association étaient des patients et d’anciens patients du Centre psychiatrique de Rockland, ainsi que leurs proches. Entre les années 1960 et 1980, plusieurs autres associations se sont créées, notamment la National Alliance for the Mentally Ill (NAMI) et la National Depression and Manic-Depression Association (NDMDA) aux États-Unis. En Europe, plusieurs associations se sont développées à partir des années 1970, dans le but de modifier l’opinion publique, d’améliorer le statut des patients, de promouvoir la recherche et de lutter contre des traitementsTraitement(s) abusifs. Le mouvement de désinstitutionalisation, depuis les années 1960, a renforcé la place des personnes souffrant de troubles psychiatriques comme citoyens à part entière. Le déplacement de la psychiatrie, de l’hôpital vers la communauté, a conduit les patients et leurs familles à s’associer pour défendre leurs intérêts et participer aux développements de structures alternatives à l’hôpital. Le retour des patients dans la communauté a permis la prise de conscience de la nécessité de développer des groupes de pression organisés. Le succès des groupes de patients dans d’autres domaines de la médecine, par exemple dans le domaine du cancer ou du diabète, a probablement aussi été un appui pour convaincre les patients et les familles de s’unir pour défendre leurs droits et plaider pour leurs besoins (Morselli, 2000). Une minorité d’associations s’est développée dans le cadre du mouvement de l’antipsychiatrie, en opposition aux traitements hospitaliers et pharmacologiquesTraitement(s)médicamenteux/pharmacologique(s) (voir aussi pharmacothérapie), souvent en refusant tout dialogue avec les structures officielles de la psychiatrie. Mais la majorité s’est développée dans le but d’établir des liens étroits et constructifs avec des professionnels ouverts au changement, ou des structures de soins psychiatriques intéressées à soutenir l’autonomisationAutonomie des patients. Ces associations jouent un rôle de plus en plus important dans la planification et l’orientation des soins psychiatriques. Même s’il reste un chemin important à accomplir dans le domaine de la destigmatisationDestigmatisation et de la défense des droits des personnesDroits des personnes/patients souffrant de troubles mentaux, les efforts conjugués des différents acteurs sont porteurs d’un espoir d’amélioration des conditions de rétablissementRétablissement pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques.
Ce travail associatif a permis d’obtenir des résultats probants, parmi lesquels :
• améliorer la conscience publique envers les problèmes engendrés par les troubles bipolaires ;
• instaurer ou améliorer les droits des patients ;
• stimuler l’utilisation de nouveaux médicaments ;
• favoriser le développement d’une relation soignant-soigné basée sur le partenariatPartenariat plutôt que sur un rapport hiérarchique ;
• proposer des groupes d’échange et de soutien.
Processus thérapeutique
Dans l’idéal, les associations représentent un large groupe d’usagersAssociations de patients/d’usagers au sein d’une structure participative et permettent l’expression de divers besoins à un niveau de santé publique, institutionnel ou individuel. Nous plaçons les usagers sur un continuum entre deux extrêmes, de façon à montrer leurs différentes positions, plus ou moins représentées au sein des associations. Nous avons retenu quatre positions d’usagers directs de la psychiatrie (voir figure 4.1) : le patient, le client, le pair aidant et le militant (Pilgrim et Rogers, 2001).
Figure 4.1 |
L’usager-patient
L’usager-client
L’usager-client n’est plus l’objet des soins, mais consommateur des services dont il a le choix. Cette position met l’accent sur l’échange commercial entre un prestataire de soins et son client. Dans ce contexte, les associations d’usagers peuvent ainsi jouer le rôle d’associations de consommateurs et agir sur le choix, la qualité et le prix des produits. De ce fait, l’usager-client est dans une relation de pouvoir plus équilibrée avec le prestataire des soins. Les limites de cette position sont néanmoins nombreuses. Les aspects éthiques sont mis de côté au profit de la « loi du marché » : le pouvoir se déplace vers les acteurs de l’économie, tels que les assurances ou les gestionnaires, alors que le pouvoir économique des usagers de la psychiatrie reste objectivement faible. Les choix thérapeutiques demeurent aussi fréquemment limités, en particulier pour les soins aigus ou sous contrainte et pour les personnes dont le revenu est faible. Néanmoins, la notion d’usager-client place clairement l’usager comme acteur de la société de consommation, disposant des mêmes droits que les autres individus. Dans une société qui stigmatise globalement les troubles mentaux, il s’agit d’une avancée considérable dans la conquête du pouvoir.
L’usager-pair aidant
L’usager-pair aidant se place dans une relation d’entraide avec les autres usagers, augmentant leur choix dans les services et favorisant l’appropriation de l’autonomieAutonomie. Au contraire de la position d’usager-client qui remplace les valeurs éthiquesÉthique(s) par la « loi du marché », la notion d’usager-pair aidant introduit les valeurs éthiques d’entraide et de réciprocité. L’usager-pair aidant utilise son expérience personnelle pour contribuer au rétablissementRétablissement d’autres personnes. Les associations d’usagersAssociations de patients/d’usagers promeuvent largement ce rôle. Elles stimulent et encadrent le partage des expériences personnelles. Ces échanges valorisent la maturité et la connaissance acquises par les individus et donnent également la cohésion et la force au contre-pouvoir que les associations d’usagers représentent.