9. Les anxiolytiques
Corinne Martin-Guehl
Nous nous trouvons dans la situation paradoxale où plusieurs anxiolytiques présentent des autorisations de mise sur le marché (AMM) chez l’enfant et l’adolescent mais où peu ont des indications psychiatriques établies. Ces AMM sont pour la plupart anciennes et en partie basées sur l’usage. En effet, dans la pratique, l’utilisation d’anxiolytiques chez l’enfant et l’adolescent est assez répandue mais stable, contrairement à celle d’autres classes thérapeutiques dont les prescriptions augmentent [20].
Les quelques études dont nous disposons et qui seront revues dans ce chapitre sont pour la plupart anciennes et imparfaites sur un plan méthodologique, ne permettant pas, d’une façon générale, à l’heure actuelle de recommander cette classe thérapeutique.
PROPRIÉTÉS CHIMIQUES ET CLASSIFICATION DES SUBSTANCES ANXIOLYTIQUES (d’après Senon et al. [21])
On divise habituellement les substances anxiolytiques en deux sous-groupes: les benzodiazépines, qui quantitativement représentent la majeure partie des anxiolytiques, et les anxiolytiques non benzodiazépiniques (antihistaminiques, carbamates, buspirone, azapirones, imidazopiridines et cyclopyrrolones). Il est également habituel de distinguer au sein des benzodiazépines celles à demi-vie longue, intermédiaire ou courte et ultracourte. Le tableau 9.1 présente les principales molécules anxiolytiques et hypnotiques et leur demi-vie d’élimination.
DCI | Spécialité | Demi-vie d’élimination Produit/métabolites actifs (chez l’adulte) |
---|---|---|
Benzodiazépines à demi-vie longue | ||
Chlordiazépoxyde Clobazépam Clonazépam Clorazépate Diazépam Prazépam | Librium® Urbanyl® Rivotril® Tranxène® Valium® Lysanxia® | 6-28/30-200 18-20/35-40 32-38 40-80/30-200 20-100/30-200 40-80/30-200 |
Benzodiazépines à demi-vie intermédiaire ou courte | ||
Alprazolam Bromazépam Lorazépam Oxazépam | Xanax® Lexomil® Temesta® Seresta® | 10-15/10-15 10-20/rapide 10-20/pas de métabolite actif 4-15/pas de métabolite actif |
Benzodiazépines à demi-vie ultracourte | ||
Triazolam | Halcion® | 3-4/3-10 |
Anxiolytiques et hypnotiques non benzodiazépiniques | ||
Hydroxyzine Méprobamate Buspirone Zolpidem Zopiclone | Atarax® Equanil® Buspar® Stilnox® Imovane® | –/20 6–16/pas de métabolite actif 2-11 2-10/pas de métabolite actif 5-8/4-5 |
BENZODIAZÉPINES
Les benzodiazépines ont une action sur la médiation GABAergique en se fixant principalement sur le complexe récepteur GABA-A qui augmente la réponse au GABA (acide γ-aminobutyrique). Elles ont donc des effets anxiolytiques, sédatifs, amnésiants, anticonvulsivants, hypnotiques et orexigènes.
Les benzodiazépines agiraient également de façon indirecte sur le système sérotoninergique, ce qui expliquerait l’intérêt de certaines d’entre elles (alprazolam) dans le trouble panique.
Administrées per os, leur résorption dans les zones hautes du tractus gastro-intestinal est presque totale, mais sa rapidité varie en fonction des produits. Le diazépam peut être administré par voie rectale avec une action rapide, en particulier dans le traitement des convulsions du nourrisson. L’administration par voie intramusculaire ne garantit pas une résorption régulière du produit du fait de sa fixation partielle sur les protéines musculaires, et cette voie n’apporte pas d’avantage en termes de cinétique en regard de la voie orale. Chez l’enfant, la vitesse de résorption après injection intramusculaire est vraisemblablement augmentée.
L’administration intraveineuse, d’action très rapide, est réservée à l’anesthésiologie.
Les benzodiazépines sont lipophiles, et leur liaison aux protéines plasmatiques est élevée (supérieure à 90%).
Leur catabolisme est hépatique et complexe. Il s’organise en général en deux phases: la phase I d’élimination des constituants du cycle diazépine et d’hydroxylation en C3 et la phase II de conjugaison des catabolites hydroxylés dans le foie et d’autres tissus, qui accroît l’hydrosolubilité et l’élimination urinaire.
La plupart des benzodiazépines produisent le même catabolite final, ce qui argumente l’inutilité de leur association. Les benzodiazépines sont faiblement inductrices enzymatiques.
Particularités de la cinétique liées à l’âge
La résorption orale des benzodiazépines est inchangée quel que soit l’âge. Comme signalé plus haut, cela est différent pour la voie intramusculaire, dont la vitesse de résorption est augmentée chez l’enfant et le nourrisson du fait des variations du débit sanguin irriguant les muscles. La fixation protéique est moindre chez le nourrisson.
L’immaturité des systèmes enzymatiques chez le nourrisson retarde le catabolisme et peut entraîner des phénomènes d’accumulation des produits. Par la suite, à mesure du développement de l’enfant, on observe un rapide développement des capacités de transformation conduisant à une diminution des demi-vies par rapport à celles de l’adulte. Vers 10 ans, l’activité enzymatique est maximale (il est alors important de fractionner les prises), elle régresse peu à peu avec l’avancée en âge.
ANTIHISTAMINIQUES
L’hydroxyzine est un antihistaminique de type H1 actif sur les récepteurs histaminiques centraux et périphériques. Elle possède également des propriétés anticholinergiques qui expliquent certains de ses effets latéraux. L’hydroxyzine est presque entièrement métabolisée dans le foie. Les catabolites sont éliminés par voie urinaire.
CARBAMATES
Le mode d’action des carbamates au niveau cellulaire est mal connu. On sait cependant qu’ils interagissent avec des complexes GABAergiques, ce qui explique leur communauté d’action avec les benzodiazépines. Le méprobamate subit un catabolisme hépatique. L’hydroxyméprobamate est éliminé par voie urinaire.
BUSPIRONE
La buspirone est un puissant antagoniste 5-HT1A, notamment au niveau du noyau raphé et de l’hippocampe. La buspirone est intensivement catabolisée par le foie. De nombreux métabolites sont produits, dont un actif sur les récepteurs 5-HT2c. La buspirone est éliminée pour 60 à 70% dans les urines, et pour le reste dans les selles.
IMIDAZOPYRIDINES ET CYCLOPYRROLONES
Il s’agit de produits à médiation GABAergique mais qui agissent de façon plus spécifiques que les benzodiazépines, car leur affinité est très sélective (zolpidem et zopiclone). Cela explique la moindre incidence de leurs effets latéraux. Ils subissent une oxydation, une desméthylation et une hydroxylation au niveau hépatique. Leur métabolisation est importante.
INDICATIONS
DANS LES TROUBLES ANXIEUX
Benzodiazépines
Il existe peu de publications concernant les benzodiazépines utilisées dans cette indication. Les résultats des études ouvertes sont en contradiction avec ceux des essais contrôlés. D’Amato [6] a rapporté une amélioration chez neuf sujets présentant une phobie scolaire et traités par chlordiazepoxide. Dans une publication de 1965, Kraft et al. [15] rapportent près de 77% d’amélioration chez 18 sujets avec une phobie scolaire traités avec la même molécule. Kutcher et al. [17] ont traité 18 enfants avec un trouble anxiété de séparation par de l’alprazolam, et ont constaté une amélioration de leur symptomatologie.
Les essais contrôlés vont plutôt dans le sens inverse. Simeon et al. [23] et Graae et al. [10] ont conduit des essais négatifs (alprazolam dans l’hyperanxiété et le trouble évitement, 30 sujets, et clonazépam dans les troubles anxieux, 12 sujets). Seul un essai de Kutcher et al. (cité par Green [11]) est en faveur d’une efficacité du clonazépam dans le trouble panique (tableau 9.2).
Molécules | Études ouvertes | Essais contrôlés |
---|---|---|
Benzodiazépines | Deux études ouvertes positives phobie scolaire Une étude ouverte positive anxiété de séparation | Deux essais négatifs (troubles anxieux) Un essai positif dans le trouble panique |
La prescription des benzodiazépines dans les troubles anxieux de l’enfant et de l’adolescent est déconseillée, car il existe trop peu de travaux pour argumenter leur efficacité. Les risques liés à leur prescription, en particulier de développement d’une tolérance et de dépendance, paraissent trop élevés en regard du bénéfice qu’elles sont susceptibles d’apporter dans cette indication [2, 25, 11].
Les benzodiazépines peuvent s’avérer intéressantes dans le traitement ponctuel de symptômes anxieux, en particulier ceux liés à des soins ou des actes médicaux plus ou moins invasifs. Des publications suédoises font état de leur utilité et de leur sécurité d’emploi dans la gestion de l’anxiété générée par les soins dentaires [7]. En Suède, l’administration de midazolam avant un traitement dentaire per os ou par voie rectale semble une pratique largement répandue, et qui satisfait ses utilisateurs [12].
Buspirone
Il n’existe aucun essai contrôlé concernant la buspirone, mais plusieurs études ouvertes suggèrent une efficacité de ce produit (tableau 9.3). Kranzler [16] et Simeon et al. [23] rapportent des résultats intéressants dans le trouble anxiété généralisée (TAG) et l’hyperanxiété chez des adolescents. Kutcher et al. [17] ont obtenu une amélioration de la symptomatologie dans une population de 13 sujets, enfants et adolescents, présentant divers troubles anxieux.
Molécule | Études ouvertes/rapports de cas | Essais contrôlés |
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Buspirone | Deux études ouvertes positives TAG/hyperanxiété Une étude ouverte troubles anxieux Une étude ouverte TOC Rapports de cas | Aucun |
Antihistaminiques
Carbamates
Il s’agit de molécules très peu employées chez l’enfant et l’adolescent, car assez mal tolérées. Nous n’avons pas retrouvé de données concernant l’utilisation du mébrobamate dans l’anxiété.
DANS LES TROUBLES DU SOMMEIL
Benzodiazépines
Dans une étude ouverte, Glick et al. [9] ont traité trois enfants présentant un somnambulisme et des terreurs nocturnes et quatre enfants présentant une insomnie avec 2 à 5mg de diazépam administrés au moment du coucher. Tous les sept ont favorablement répondu.