III. L’hérédité des Maladies Mentales

Depuis des siècles, le caractère héréditaire et familial des maladies mentales a frappé les observateurs. Il est vrai en effet que les « troubles mentaux » manifestent très souvent une prédisposition constitutionnelle en rapport avec le tempérament de l’individu, prédisposition qui paraît elle-même héritée de ses parents.


Ce mécanisme endogène des maladies mentales s’appuie donc sur un grand nombre d’observations où se révèlent la continuité des manifestations psychotiques ou névropathiques et le caractère, le biotype, les dispositions instinctivo-affectives, les aptitudes intellectuelles du patient, c’est-à-dire avec un certain nombre de caractères morphologiques fonctionnels, neuro-psychiques qui constituent la base constitutionnelle de sa personnalité, son patrimoine biologique.



Les maladies mentales sont souvent des maladies héréditaires constitutionnelles ou endogènes.

Dégénérescence. — Dans un premier temps, les doctrines sur l’hérédité des maladies mentales (cf. Genil-Perrin, 1913) ont mis l’accent sur le caractère « dégénératif » de cette prédisposition. Cette théorie de la dégénérescence (Marc, 1840 ; Lucas, 1847 ; Morel, 1857 ; Magnan et Legrain, 1895 ; Schüle, 1898 ; Krafft-Ebing, 1897 ; etc.) admettait une sorte de prédisposition héritée (stigmates dégénératifs des membres d’une famille tarée), une aptitude, plus générale que spéciale, aux troubles mentaux.



La vieille notion de Dégénérescence.

Psychoses endogènes. — Dans la suite, avec les progrès de la nosographie kraepelinienne, la physionomie particulière de chacune des grandes affections mentales s’étant érigée en entités (Psychose maniaco-dépressive, Démence précoce, etc.), à chacune de ces entités fut reconnue une constitution (Dupré, de Fleury, Delmas) ou un biotype (Kretschmer) spécifique. De telle sorte que le mécanisme de l’hérédité des maladies mentales ne fut plus envisagé comme la transmission d’une tare de prédisposition, mais comme la distribution plus particulière d’un gène pathologique.


Nous donnons ici une sorte de schéma composite des divers types morphologiques fondamentaux tels qu’ils sont généralement décrits avec leurs principales caractéristiques anatomiques et fonctionnelles par les diverses écoles.







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Fig. 24.
Types morphologiques.
Ces schémas sont ceux de Sigaud (1931). Ils représentent les quatre types hippocratiques sous la terminologie de l’école française de morphologie.


R = respiratoire = bilieux d’Hippocrate.


D = digestif = lymphatique d’Hippocrate.


M = musculaire = sanguin d’Hippocrate.


C = cérébral = nerveux d’Hippocrate.

Le schéma représente les proportions relatives des trois étages de la face (cf. Corman), du cou, du thorax, de l’abdomen et des membres.
Dans la terminologie de l’école italienne (Viola, Pende), les types R et D sont les brévi- lignes (sthénique et asthénique) ; les types M et C sont les longilignes (sthénique et asthénique).
Dans la terminologie de Sheldon, les types R et M représentent les mésomorphes, le type D l’endomorphe, le type C l’ectomorphe.
Dans la terminologie de Kretschmer, le type C est le leptosome, le type R serait l’athlétique, les types D et M se combinent chez le pycnique.

Génétique. — Au moment où les recherches biologiques sur les mécanismes de l’hérédité (Weismann, Mendel) ramenaient ceux-ci à une distribution de facteurs dans la composition génotypique de l’être, selon les hasards de la répartition des caractères dont les deux appareils chromosomiques parentaux sont les supports, la Psychiatrie était toute prête à appliquer les lois de la Génétique à l’étude de l’hérédité des maladies mentales (1920-1950).



L’application des lois de la génétique aux maladies mentales…

C’est dans cette voie que l’école allemande s’est engagée avec Rüdin et tous ses collaborateurs de l’Institut de recherches généalogiques de Munich de 1913 à 1940. Depuis lors, les Anglo-Saxons (Kallmann, Slater, etc.) et les Scandinaves (Essen Möller, Sjögren, Ströngren, etc.) ont travaillé dans la même direction.

Il y a certes beaucoup de vrai dans cette manière de concevoir le problème de l’hérédité des maladies mentales tenues pour des affections génotypiques. En effet ces études et ces statistiques ont pu, comme nous le verrons, nous apprendre beaucoup sur le risque héréditaire de tel ou tel individu relativement à sa parenté. Mais d’une part, la notion même de maladie mentale paraît de nos jours moins facilement réductible à celle d’entité factorielle. Et d’autre part, les progrès mêmes de la génétique (Guyénot, 1942) tendent à considérer le processus héréditaire hors du « circuit fermé » des gènes purs dans lequel Weismann et Mendel avaient enfermé le mécanisme interne des phénomènes héréditaires radicalement séparés du soma et de toute influence du milieu.



… de plus en plus contestée.





A. — ÉVOLUTION DE LA SCIENCE GÉNÉTIQUE


Le fait que les organismes se reproduisent, c’est-à-dire produisent des exemplaires semblables à eux-mêmes dans le cadre de leur espèce, constitue l’Hérédité en loi de la ressemblance et de la continuité. Le fait que les individus, produits d’une conjugaison sexuelle, reproduisent une ressemblance double qui constitue une individualité, instaure l’Hérédité comme facteur de variation, mais à l’intérieur du même cadre spécifique.

Dès que l’attention des biologistes s’est portée sur ce phénomène du patrimoine héréditaire dont chaque individu tire son image, à la fois spécifique et propre, pour ressembler en partie à celle de chacun de ses géniteurs, ils se sont figurés que les parties de l’organisme des parents étaient représentées comme des fragments de l’organisme reproducteur, et que les organes sexuels de la reproduction mélangeaient ces parties (pangenèse). Mais comme le fait juste ment remarquer F. Jacob (La logique du vivant, à qui nous nous référons spécialement ici), tant que la « reproduction » ne témoignait que de la « mémoire » de l’ensemble des organismes, elle demeurait inaccessible à l’exploration et vouée à une sorte d’éternité ou d’immuabilité qui ne rendait pas compte de la discontinuité à laquelle renvoie nécessairement la propriété de l’héritage biologique.


Une autre notion importante s’impose alors à propos de cette représentation symbolique, c’est-à-dire du code mathématique qui permet, comme on le dira plus tard, de tirer la biologie de l’hérédité du domaine de l’énergie et de la thermodynamique vers le domaine de l’information. En effet, la loi des combinaisons des nombres entiers qui permet de prévoir exactement la probabilité des répartitions des « facteurs » ou des « caractères » se trouve comporter une marge d’improbabilité. Autrement dit, le phénotype, ce qui apparaît, ne correspond pas exactement au génotype. Et les notions de pénétrance, d’expressivité, de facteurs favorisants ou déclenchants, les variations du cytoplasme sous l’influence du milieu extérieur, vont être introduites dans le système pour l’assouplir.

La théorie de la « pureté des gamètes » (Weismann) ne s’en impose pas moins, car elle exprime la « ségrégation » des facteurs qui ne se manifestent que par la combinatoire des éléments que le hasard (ou la probabilité) tire au sort de cette loterie, seulement possible par un jeu complet de jetons distincts. Cette séparation radicale de « germen » et de « soma » (ou selon les termes proposés par le contemporain de Mendel, Naegeli, le trophoplasme et l’idioplasme) garantit la perpétuité de l’espèce et écarte l’hypothèse de l’hérédité des caractères acquis. Dès lors, la loi de la génétique se confond avec celle de la fixité de l’espèce au travers de variations individuelles, et celles-ci ne sont que des variations for à l’intérieur du système factoriel de la répartition des caractères au moment de la fécondation de l’œuf.

Mais le problème des mutations de l’équipement génotypique ne pouvait manquer de se poser. C’est ainsi que de Vries opposa aux fluctuations statistiques les mutations brusques, celles-ci ne pouvant provenir que des changements internes des gènes ou de la recombinaison par leur assortissement.

Le traitement en quelque sorte mathématique des éléments génétiques (facteurs, caractères, gènes) ne pouvait pas se développer dans l’abstraction, étant lui-même le produit d’une induction empirique de la réalité des caractères héréditaires. Cette réalité trouvait, depuis Virchow, son substratum dans la cellule. Et c’est par la cytologie, et notamment les études sur le noyau (substance colorable donnant lieu aux nombreuses dénominations de chromatine, chromosome, chromatide, chromomère, etc.) qu’a commencé la génétique. Ce noyau, étudié chez les métazoaires (les protozoaires se reproduisant par scissiparité), devait fournir au processus de l’hérédité sa structure matérielle. Étudié par Boveri (œufs d’ascaris), puis par Hartwig (oursins) et enfin par Morgan (dro- sophiles), il apparut évident que quelque chose se passait dans les cellules qui permettent de différencier les « chromosomes » (46 dans l’espèce humaine) au cours de la division cellulaire (mitose) ou de la réduction propre aux gamètes des cellules séminales (méiose), ramenant chez l’homme à 23 le nombre des chromosomes (au lieu de 46 dans les cellules somatiques). Deux conséquences ont été rigoureusement induites de ces constatations expérimentales : 1° les chromosomes « somatiques » (diploïques) se distinguent des chromosomes des cellules germinales (aploïques) en ce qu’elles ont subi une réduction n/2 du nombre de chromosomes (méiose), de sorte que chaque cellule parentale fournit seulement, mais sûrement, le nombre de paires chromosomiques de la cellule fille de l’œuf fécondé (zygote) — 2° les chromosomes ont une forme et une structure chimique : ce sont des particules matérielles dont l’arrangement, les mouvements dans l’espace, sont en quelque sorte mécaniques. Ils sont le lieu (loci) où se localisent dans un ordre de superposition déterminé (statistiquement déterminable) les gènes. Et si ceux-ci sont statistiquement détermi- nables, c’est que leur « crossing-over »(1) (qui se produit non pas entre deux chromosomes simples constituant une paire mais quand ces chromosomes se sont déjà dédoublés) permet de calculer la probabilité de la place qu’ils occupent dans les filaments chromosomiques.



Les chromosomes.

Le code génétique et sa dynamique enzymatique.


La science génétique devait faire un pas de plus dans la connaissance — la découverte — de la mémoire de l’espèce lorsque s’est opérée une double et profonde transformation dans la biologie, par le passage de l’étude des protéines des macro-molécules régies par les lois de la thermodynamique à la considération (Schrödinger) de leur fonction d’information et de direction (message, rétroaction, code, etc.). Ainsi s’est ouverte l’ère des architectonies des nucléotides chromosomiques considérés comme l’espace où se fixe la continuité de l’espèce. Il est évident que ces nouvelles perspectives de la microbiologie génétique n’étaient possibles qu’à partir de la notion des micro-orga- nismes catalyseurs ou directeurs (Bücher), d’où l’importance de la cénétique enzymatique, des diastases comme agents régulateurs et catalytiques dévolus à des éléments protéiniques. On a pu calculer que deux mille protéines-enzymes catalysaient toutes les opérations des divers métabolismes cellulaires. Et c’est en effet, mais cette fois au niveau des micro-organismes (des colibacilles), que se développent les recherches génétiques. Comme ces protéines ne se reproduisent pas, elles sont organisées à partir d’une autre substance, l’acide déxoxyribonucléique (ADN) qui se reproduit conformément à sa propre structure (polymère formé par deux chaînes enroulées l’une autour de l’autre et constituées chacune alternativement par un sucre ou par un phosphate). Ces deux chaînes étant complémentaires, la séquence de l’une impose celle de l’autre (F. Jacob, p. 294-296). Ainsi le code génétique a pu être déchiffré. Ce code est transcrit par un messager (ARN, acide ribonucléique). Chaque unité pro- téique correspond à la combinaison particulière de trois unités nucléiques (à un « triplet »). Pour les 64 combinaisons de trois unités nucléiques choisies (parmi les quatre possibles), la cellule contient un dictionnaire de 64 termes génétiques.


Nous verrons plus loin comment le système automatique et élémentaire, cet « endon », nous paraîtra plutôt un « integron » portant en lui-même la possibilité de variations pathologiques (J. B. Haldane, 1956).


B. — APPLICATION DES LOIS DE MENDEL A LA PSYCHIATRIE


La régularité de la distribution d’une maladie (définie comme un caractère, un génotype) au travers des générations successives, a paru constituer la démonstration par excellence de la réalité des Psychoses « essentielles », « constitutionnelles » ou « endogènes ». Aussi, comme nous le rappelons plus haut, l’école allemande d’abord, puis Kallman, Slater et les Scandinaves, ont pendant la première moitié de ce siècle et à l’aide d’un énorme matériel statistique essayé de mettre en évidence la modalité spécifique des entités cliniques.

Pour bien comprendre ce travail il faut se représenter les deux types principaux de transmission héréditaire d’un couple allélomorphe (Ms) dont l’un, M, représente la maladie et l’autre, s, son absence.



II. — AFFECTION A GÈNE PATHOLOGIQUE RÉCESSIF


Dans le cas d’une affection récessive, le schéma de transmission est différent.

Soit m le géne récessif correspondant à la maladie.



Maladie à type héréditaire récessif.

Soit S le caractere sain dominant.

Le mariage d’un homozygote sain (SS) avec un homozygote malade (mm) donne des enfants hétérozygotes (Sm) dont le phénotype exprime le caractère dominant sain. Si un enfant Sm épouse un de ses cousins Sm, on voit reparaître les proportions mendéliennes habituelles. Les trois quarts des enfants ont le phénotype sain (un quart homozygotes (SS), un demi hétérozygotes (Sm”/>. Un quart seulement sont des malades (mm). En partant d’un enfant Sm, la tare (m) peut disparaître des phénotypes pendant de multiples générations, par des mariages avec les homozygotes sains SS.







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Fig. 27.



— Rappelons encore une autre forme d’hérédité, l’hérédité liée au sexe (sex linked) qui frappe de façon élective un seul des sexes dans les lignées. Le facteur pathogène se localise sur le chromosome sexuel : l’hétérochromosome X, double chez la femme (formule XX), simple chez l’homme (formule XY). On introduit ainsi des schémas algébriques supplémentaires dans les proportions mendéliennes.



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Suffit-il d’appliquer toutes ces formules pour calculer l’hérédité des caractères ? Les recherches génétiques les plus récentes montrent qu’il n’en est rien. La notion de « Dominance », une des plus essentielles dans le système, fait souvent défaut. Ou elle est « incomplète » et l’hybride porte en plus de la marque dominante la trace légère de son gène récessif. Ou elle est « inconstante » et supplantée de temps à autre par le caractère récessif. On observe également 1′ « absence » totale de dominance, qui donne un type hybride intermédiaire. De plus, il peut y avoir des variations de pénétrance et d’expressivité (Timofeeflf-Rossovsky). Le gène dominant peut ne pas s’exprimer dans le phénotype d’une descendance, pour reparaître dans celui de la deuxième génération : il y a eu variation dans la fréquence de manifestation du génotype, ou variation de « pénétrance ». Parfois le caractère se manifeste sous une forme très discrète, dans un aspect partiel. Le gène, dont 1′ « expressivité » s’est montrée moindre dans le phénotype d’une des générations de la lignée, n’en est pas moins transmis comme « dominant » ultérieurement. Il faut tenir compte, aussi, des dépendances entre couples de gènes. Un des facteurs du couple peut exercer une dominance (l’ « épistasie ») sur un facteur d’un autre couple dit alors en « hypotasie », lequel perdra ainsi sa dominance. A ces limitations du caractère de dominance qui rendront difficile l’appréciation d’un génotype par son aspect phénotypique et perturberont les statistiques, il faut ajouter en surplus toute la complexité des rapports factoriels à l’intérieur d’un génotype. Des facteurs, principaux, conditionnels et modificateurs, interviennent dans la création du caractère le plus élémentaire. Ceux que l’on nomme « dynamogènes » commandent le déclenchement et la vitesse des réactions. Pour un seul génotype, c’est tout le patrimoine héréditaire, avec son infinie complexité de rapports, d’actions, de réactions, qui entre en jeu. Il y a donc lieu de prévoir que les résultats des statistiques d’hérédité correspondent, assez mal aux chiffres que l’on attend de l’application rigoureuse des lois de Mendel.



Mais il existe des conditions particulières de « pénétrance » ou de manifestation des gènes qui empêchent une prévision mathématique des effets de l’hybridation.


On voit à quelles nombreuses difficultés d’interprétation on se heurte. Supposons par exemple que nous étudions le produit d’une première génération (Sm x mm ou Ms x ss). Comment distinguerons-nous l’homozygote malade mm et l’hétérozygote Ms, ou l’aspect sain de l’hétérozygote Sm et l’état sain de l’homozygote ss? Il faudrait étudier plusieurs générations et les croisements à l’intérieur de ces générations, pour pouvoir finalement cerner le gène dominant M, ou le gène récessif m, cause de la maladie. Or la difficulté d’application de la génétique à l’homme est de ne pouvoir diriger toutes ces reproductions. Le pourrait-on d’ailleurs que la durée de la vie humaine limiterait les observations quant à la descendance. De plus, celle-ci lorsqu’il s’agit d’un couple humain comporte une multitude de génotypes possibles et l’on n’observe guère même dans les plus grandes familles qu’un nombre restreint de génotypes réalisés. Si l’on tient compte par ailleurs de la répugnance des familles à dévoiler leurs tares, ou au contraire de leur désir d’en inventer lorsqu’elles y trouvent un avantage, si l’on pense que les filiations légales ne sont pas forcément des filiations réelles, on peut se poser le problème de la possibilité même et des limites d’une génétique humaine.



Difficultés spéciales de la pathologie humaine.

Malgré toutes ces difficultés, les études sur l’hérédité en psychiatrie envisagées dans la perspective génétique, si elles n’ont pas abouti à valider la théorie génétique nous ont permis, comme nous allons le voir, de recueillir de précieuses données statistiques.

Bien que les conceptions génétiques aient elles-mêmes varié et se soient heurtées aux difficultés conceptuelles et empiriques que nous venons d’exposer, l’école psychiatrique allemande (Institut de Munich) a cependant tenté de 1910 à 1940 d’appliquer les lois de Mendel aux maladies mentales. L’entreprise était d’autant plus tentante que, comme nous l’avons souligné plus haut, cette école, s’appuyant sur la nosographie de Kraepelin, concevait les principales psychoses endogènes (schizophrénie, psychose maniaco-dépressive) comme des entités relativement pures et autonomes qui se prêtaient par hypothèse à l’interprétation d’une transmission héréditaire de facteurs spécifiques.


La plupart de ces auteurs sont ainsi arrivés à l’idée que « la Schizophrénie » serait une affection héréditaire de type récessif tandis que « la Psychose maniaco-dépressive » serait une affection héréditaire de type dominant. C’est l’étude de la répartition de cas cliniques dans la lignée qui leur a permis de formuler cette hypothèse. Cependant, les taux de répartition sont eux-mêmes dissemblables et surtout les maladies mentales ne se transmettent pas comme des caractères purs et autonomes, d’où la nécessité de recourir à un grand nombre d’hypothèses auxiliaires qui ont beaucoup obscurci l’hypothèse primitive.

Quelle a été la méthode employée ? Toutes les publications ne portant pas sur un nombre important de cas sont inutilisables, car on ne saurait sans erreur monumentale additionner des faits partiels, recueillis dans des circonstances trop dissemblables, selon des modes d’appréciation variés. Il faut donc s’attaquer à un grand nombre de familles pour obtenir des résultats valables.



Nécessité de méthodes correctrices de calcul dans l’établissement des statistiques.

La première méthode employée consiste à comparer la fréquence d’une certaine psychose dans la parenté des malades et dans l’ensemble de la population. Même si les statistiques d’auteurs divers ne concordent pas, il est certain qu’on peut parler d’hérédité lorsqu’une psychose se manifeste par exemple avec une fréquence décuplée dans les familles de sujets atteints.

La seconde méthode consiste à rechercher la concordance des taux de maladie dans les paires de jumeaux identiques et à comparer le taux de concordance chez les paires de jumeaux non identiques.

Cependant, quelle que soit l’importance des enquêtes effectuées, dès qu’il s’agit d’êtres humains, le nombre de sujets mis à l’étude est limité. Aussi faut-il tenir compte dans l’analyse des chiffres bruts des causes d’erreur introduites par les caractéristiques particulièrement défavorables à une analyse statistique en génétique humaine : faible dimension des familles, âge d’apparition des troubles, etc.





C. — L’HÉRÉDO-PATHOLOGIE DES MALADIES MENTALES (LES FAITS PROPREMENT GÉNÉTIQUES)


Si une certaine déception a entraîné depuis 20 ans une certaine lassitude en raison de l’incertitude des calculs quelque peu acrobatiques exigés par la théorie mendélienne et weissmanienne de la pureté des gamètes et de leur répartition en type dominant ou récessif, il n’en reste pas moins que des faits incontestables démontrent à l’évidence le rôle (ni exclusif, ni fatal, mais réel) que joue l’équipement génotypique dans la constitution des troubles psychopathologiques.

1° Concordance psychopathologique des jumeaux monozygotes. — Il s’agit là d’un fait de première grandeur et parfois controversé. Nous n’exposerons ici que les principales statistiques portant sur les Schizophrénies.

Il est aisé de constater que le taux de concordance paraît plus faible depuis 20 ans, depuis les recherches de Rüdin en Allemagne, de Kallmann aux U. S. A. ou de Slater en Grande-Bretagne. Mais nous devons rappeler à ce sujet l’expérience acquise par Tienari (Finlande), qui n’ayant trouvé qu’un taux de concordance égal à zéro chez 16 monozygotes en 1963, a trouvé chez ces mêmes paires, 5 ans après, 36 % de concordance pour les monozygotes. Nous devons avoir aussi à l’esprit que la définition même du concept Schizophrénie est souvent trop élastique pour être la base d’un dénombrement précis. En dehors même de ce problème de définition, on ne doit pas perdre de vue que certains auteurs exonèrent le taux de concordance en rapportant à d’autres « entités » ce que la psychopathologie ne peut pas distinguer avec toute la précision souhaitable. A titre d’exemple, rappelons que Gottesman et Shields (1966) fixent le taux de concordance chez les jumeaux monozygotes à 41 %, et qu’il monte à 54% si on y ajoute les « cas marginaux » du « Spektrum Schizophrénie » (névroses, cas atypiques, etc.). En élargissant la notion de « concordance » on peut estimer avec Koch (in Handbuch von Genetik, de Becker, 1970, tome II, tableau, p. 10) que, en moyenne, la concordance est chez les monozygotes de 60 % et chez les dizygotes de 12% (ce dernier taux est à peu près celui des fratries de Schizophrènes en général). Ces chiffres rejoignent les corrections que Shields et coll. ont faites après réexamen des cas de Kallmann en 1967, soit 69 % pour les monozygotes et 11% pour les dizygotes. Même si l’on adopte les conclusions de M. G. Allen, S. Cohen et W. Pollin qui indiquent que parmi les 274 paires de jumeaux enregistrées à la Vétérans Administration, la concordance pour les monozygotes était de 27 %, et seulement de 5 % chez les dizygotes, il paraît impossible de nier l’importance considérable du facteur génétique que manifestent ces faits incontestables, puisqu’ils multiplient au moins par 5 (et dans certaines statistiques par 10) le taux de concordance chez les monozygotes.





















Tableau XIX.

Auteurs Année Nombre de paires Concordance psychopathologique
Monozygotes Dizygotes Monozygotes Dizygotes
Luxemburger
Rosanoff
Kallmann
Slater
Thonye
Harward et Hauge
Gottesman et Shields
Fischer
Pollin
1928
1934
1946
1953
1961
1965
1966
1969
1969
17
41
174
41
55
7
24
21
80
48
101
517
115
17
59
33
41
146
76%
61%
85%
68%
60%
28%
41%
47%
13%
2%
10%
15%
12%
12%
5%
9%
20%
4%



Ainsi retrouvons-nous cette marge de plasticité dans la discordance des jumeaux monozygotes comme dans les taux de morbidité réelle inférieurs aux taux théoriques de la génétique mendélienne.

Une série de travaux doivent être signalés sur l’influence familiale, laquelle M. Bleuler (1972) tient pour importante mais non exclusive. On admet généralement (cf. 5e Partie) que les relations intrafamiliales, et particulièrement à l’intérieur du triangle œdipien les distributions et identifications de rôle, ont une grande importance. Mais d’un point de vue plus morphologique que psychodynamique, certaines recherches — portant toujours sur des Schizophrènes décidément considérés comme les plus typiques des psychotiques — méritent d’être particulièrement signalées (enfants de schizophrènes élevés dans des familles adoptives ou dans leur propre famille).

Signalons l’étude de Karlsoms (Islande, 1966) qui montre que 29 % d’enfants de schizophrènes ne vivant pas dans la famille naturelle sont devenus schizophrènes. Celle de Haston (U. S. A., 1966) porte sur un nombre de cas plus élevé, et montre que 16% d’enfants de schizophrènes élevés hors du milieu familial sont devenus dans les trente ans après leur adoption (laquelle avait eu lieu dès les premiers temps de leur existence) eux-mêmes schizophrènes. D’après Rosenthal et coll., 1968), seulement 4 % (au lieu de 1 % dans la population générale et 9 à 16 % selon les statistiques classiques) des descendants de 76 schizophrènes, mais 32 % des enfants élevés par des parents adoptifs, entraient dans le « Schizophrénie Spektrum », c’est-à-dire dans la catégorie des schizophrènes au sens large du terme.

D’après Kety, Rosenthal et coll. (1968)étudiant les 34 enfants adoptés (sur 5 483) devenus schizophrènes (16 schizophrénies typiques, 7 schizophrénies aiguës et 11 cas marginaux), et les comparant à des enfants élevés dans la famille naturelle, la fréquence des cas de schizophrénie est de 8,7 % chez ces derniers et seulement de 2,7 % chez les adoptés. Dans le travail de Wender (1968) qui porte à vrai dire sur très peu de cas, sur 10 enfants adoptés par des parents schizophrènes, on note 2 normaux, 6 « légèrement atteints » et 2 à forme grave — sur 10 schizophrènes ayant vécu avec leurs parents naturels, 1 normal, 2 « légèrement atteints » et 7 formes graves — sur 10 enfants de parents adoptifs normaux, 4 normaux, 6 psychiatriquement « légèrement atteints » et aucune forme grave. Il semble donc que l’adoption, sans supprimer les facteurs génétiques (évalués à 18 % « en gros », par Wender et coll.) en atténue la pénétrance. M. Bleuler (1972) fait remarquer de son côté que 27 seulement de ses 208 malades avaient pratiquement vécu avec leurs parents schizophrènes avant leur vingtième année.

On peut donc tirer de ces « statistiques » des idées, sinon des conclusions, assez contradictoires. D’après E. Zerbin-Rüdin (1972) qui rappelle aussi le taux de 18 % de « généticité » calculé par Wender, il semble bien que le noyau génotypique transparaît assez clairement pour ne pas disparaître. Ces études sur l’adoption, en effet, montrent à la fois que le milieu « non biologique » peut être pathogène, ou, au contraire, aider l’enfant à se défendre contre sa « tare ». Et, effectivement, nous sommes aussi ramenés à la considération de la complémentarité des facteurs génotypiques pathogènes et des facteurs de milieu qui peuvent les aggraver (les déclencher) ou parfois en atténuer les effets.

3° Le risque héréditaire. — De toutes les études généalogiques et des analyses statistiques sur la pathologie mentale se dégage l’idée que les facteurs héréditaires jouent un rôle certain (mais, d’importance variable ou parfois discutable). Mais du point de vue pratique, des probabilités peuvent être établies quant au risque pour un individu d’avoir une (ou telle ou telle) maladie mentale, compte tenu du taux de morbidité dans la population moyenne et de sa situation dans la famille atteinte. Disons d’ailleurs tout de suite que ce taux de risque n’est qu’une probabilité qui n’équivaut jamais, ni à la fatalité, ni à l’incurabilité de l’affection mentale dont un individu est plus ou moins menacé du fait de son « génome ».

Taux de morbidité dans la population moyenne. — C’est un problème capital pour les fondements mêmes de la Psychiatrie. Mais les méthodes de recensement et les difficultés conceptuelles sont telles qu’il a fallu beaucoup de temps pour le fixer pour les deux grandes Psychoses endogènes (Schizophrénie, Psychoses maniaco-dépressives) et, jusqu’à un certain point, pour les arriérations. Quant à l’épilepsie et aux névroses, on comprend que l’étiologie multiple de l’une et les limites flottantes des autres rendent cette tâche ardue.

Rappelons d’abord qu’en ce qui concerne les méthodes (cf. D. D. Reid), elles doivent recenser le plus complètement possible un échantillon de population aussi constante et aussi longtemps suivie que possible (méthode de recensement de Brügger et de Strömgren — enquêtes longitudinales de Klemperer et Fremming). Cela explique que les « Massenstatistiken » nécessaires aient été établies en Allemagne à l’Institut de Münich (Zerbin-Rüdin), dans l’île danoise de Bornholm (Fremming), en Nouvelle-Écosse (Leighton), en Grande- Bretagne ((Shepherd, Stein et Kessel), en Norvège (Odegard).


Le taux de morbidité générale psychiatrique (de « disease expectancy ») serait de 10 à 15 % (12 % pour Fremming en 1947) selon que l’on y fait entrer ou non les oligophrènes légers, les réactions névrotiques, les alcooliques et toxicomanes ou les personnalités psychopathiques, qui constituent des « bor-derlines » flottants — et de 4 à 5 % si l’on n’envisage que les troubles mentaux graves (T. Holgason, 1964).


Ce sont là des taux que l’on peut considérer comme assez bien établis, pour les deux premiers seulement et pour l’ensemble de la morbidité psychopathologique moyenne. Notons que les taux des Psychoses sont généralement plus élevés dans les pays Scandinaves (à cause probablement des recensements plus complets) et dans les pays anglo-saxons (où certaines statistiques intègrent plus de « névroses » ou même d’affections psycho-somatiques).

Insistons, de par ailleurs, sur le fait que ces taux s’entendent non pas de la « prévalence » (c’est-à-dire relativement à l’ensemble de la population à un moment donné), mais du risque qu’a chaque individu de tomber malade en fonction de la période de vulnérabilité (des années d’âge auxquelles la maladie peut se manifester).

Enfin nous devons signaler, comme pour souligner davantage encore l’importance de ce problème, qu’au sujet de ces taux de morbidité se pose la question de savoir s’ils sont constants ou s’ils varient selon les milieux culturels, les groupes ethniques, etc. Si certains auteurs à tendance anthropologique, cultura-liste et psychanalytique (Kardiner, Ruth Benedikt, M. Mead) ont pu penser la notion insignifiante, il semble que la Psychiatrie transculturelle ait plutôt tendance à affirmer (cf. N. S. Kline, 1972) qu’en raison des diversités culturelles, les mêmes génotypes apparaissent au travers de phénotypes différents. Le mot W. M. Pfeiffer (Transkulturelle Aspekte der Schizophrénie, 5e Symposium à Bad Kreuznache, 1970, p. 80 des C. R.) nous paraît d’une importance considérable : « Il y a, a-t-il écrit, plus de ressemblances d’une société à l’autre entre les malades mentaux qu’entre les hommes sains ». Tels sont le fond et la solution du problème du normal et du pathologique posé par la « psychopathologie »…(1).

(1)Signalons que H. B. Murphy et A. C. Raman (Brit. J. of Psychiatry, 1971, p. 489) notent que dans les populations indigènes tribales les évolutions et la symptomatologie schizophréniques seraient plus bénignes.


I. — PROBLÈMES GÉNÉTIQUES ET RISQUE MORBIDE DES SCHIZOPHRÉNIES


Tout naturellement les généticiens parlent plutôt de la Schizophrénie comme s’il s’agissait d’un facteur (ou d’un couple, ou de plusieurs couples de facteurs) déterminant la maladie.

Ce que nous avons incontestablement gagné à leurs études statistiques (Luxemburger, Kallmann, Strômgren, etc.), c’est la connaissance d’une constante du taux de morbidité dans la population générale, 0,85 %, et les probabilités calculées pour chaque individu de la population selon qu’il est père, fils, neveu, etc. d’un schizophrène. Voici les taux de risque de maladie indiquée (d’après l’ensemble des statistiques) :


a) Pour ce qui est de la modalité mendélienne de la transmission génotypique de la Schizophrénie, l’hypothèse d’une récessivité monogénique (encore soutenue avec quelques ingénieux aménagements par E. Slater, Acta genetica, 1958) a été abandonnée au profit de théories polygéniques (Karlson, 1967 ; Gottesman et Shields, 1967) admettant une multiplicité de gènes dominants ou récessifs. Toutes ces combinaisons sont évidemment imposées par la complexité et la plasticité des « facteurs » (pénétration, influence du milieu intérieur, corrélations métaboliques, etc.) dont elles tentent de rendre compte en compliquant leurs modèles. Mais, comme nous l’avons souligné plus haut, la pathologie génétique de la Schizophrénie — comme des autres maladies mentales — a quelque peu changé de sens.





















Tableau XX.

Par E. Zerbin-Rübin (1972) Par V. Lange (1972)
Parenté Pourcentage Parenté Pourcentage
Parents
Enfants
Frères
Jumeaux dizygotes
Jumeaux monozygotes
Enfants
de 2 parents malades (1)
Demi-frères
Petit-fils
Cousins
Neveux
Oncles
Grands-Parents
6,3 ± 0,3
13 J + 1,0
10,4
5 à 16
20 à 75
40 à 68
3,5 ± 1,7
8,5 + 0,7
3,5 ± 0,4
2,6 ± 0,3
3,6 ± 0,3
1,6 ± 0,5
Parents
Enfants
Enfants
de 2 parents malades
Frères
(si les 2 parents sont sains)
Frères
(si 1 parent est malade)
Demi-frères
Grands-Parents
Petit-fils
Oncles
Cousins
Neveux
5,1 %
12,7%
60,5%
8,2%
13,8%
3,2%
0,7 %
2,8%
2 %
2,9%
2,2%
(1)Cf. l’étude très complète de G. Elsässer et coll. 1971— et M. Bleuler, 1972, p. 479, qui fait d’importantes réserves.

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May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on III. L’hérédité des Maladies Mentales

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