La Psychiatrie est une branche de la Médecine qui a pour objet la pathologie de la « vie de relation » au niveau de l’intégration qui assure l’autonomie et l’adaptation de l’homme dans les conditions de son existence.
Définition de la Psychiatrie
Il ne faut pas confondre la Psychiatrie, pathologie de la vie de relation, ni avec la Psychologie (qui a pour objet l’organisation et le système relationnel de l’individu normal avec son milieu), ni avec la Neurologie (qui a pour objet la pathologie de la vie de relation instrumentale, celle des voies et centres de la psycho-motricité constituant des sous-systèmes fonctionnels). On ne saurait non plus, bien sûr, confondre la Psychiatrie avec la Sociologie, car pour si vrais que soient les adages qui affirment que le propre de l’homme c’est d’être un animal social, voire politique, qui parle et dont la nature a besoin de sa culture, on ne saurait absorber la pathologie de la vie de relation dans le savoir ou la praxis qui ont pour objet l’institution sociale dans laquelle l’homme a normalement sa place, c’est-à-dire garde sa relative autonomie.
Ce qu’elle n’est pas… ni Psychologie, ni Neurologie,
ni Sociologie.
Il ne faut surtout pas manier le concept d’adaptation comme s’il visait une sorte de mécanisme cybernétique ou réflexe, qui, comme les engins dits auto-gouvernés, s’adapterait automatiquement et selon un conditionnement rigoureusement imposé par le milieu. Dans ce cas, comme l’a dit McCulloch, l’autorité serait l’information, et l’homme pourrait être considéré seulement comme un produit du milieu et de l’institution sociale ; de sorte que la loi de sa constitution normale serait le conformisme à la loi politique sociale de groupe culturel auquel il appartiendrait corps et âme.
La distinction du normal et du pathologique comme principe de la limitation du champ de la Psychiatrie.
Or, c’est précisément parce que la Psychiatrie postule une différence entre le normal et le pathologique chez l’homme envisagé, par le médecin, au niveau de son humanité et non pas seulement au niveau de sa vitalité (Boerhave), que la « norme » ne peut absolument pas être tenue pour une moyenne, une médiocrité ou un conformisme mécanique. Ce qui est « anormal » pour le psychiatre, ce n’est pas l’écart de la moyenne statistique (déviances ou exceptions quantitatives). Ce n’est pas parce qu’un homme est très violent dans la défense de ses idées, très exalté par sa foi, très génial dans ses œuvres ou ses productions fantastiques, très malfaisant par ses crimes ou très scandaleux par ses perversions, qu’il est « psychopathologique ». Cela revient à dire que, à l’idée de norme doit se substituer l’idée de normativité (cf. G. Canghilem (1) et F. Duy-ckaerts (2)). Cependant, on continue (A. Servantie et coll. (3)) à définir la norme par la moyenne proportionnelle aux facteurs culturels, ce qui fausse tout le problème : le critère sociologique ne suffit pas à définir la maladie.
Fondement théorique de l’idée de norme ou de normativité et de l’idée de psychopathologique.
C’est dire combien, dans la pratique, est difficile l’application de ce principe fondamental sur lequel repose la validité même du savoir et de la pratique vraiment psychiatriques. Ces difficultés sont particulièrement manifestes et embarrassantes à propos de ce que l’on appelle les cas-limites (4), et plus spécialement des « psychopathes ». Qu’il s’agisse de déterminer le caractère pathologique d’un criminel, d’un délinquant, d’un candidat à la vie religieuse ou à telle ou telle profession dont la vocation exige des responsabilités assez exceptionnelles pour poser une grave question (engagement militaire ou politique, choix d’une carrière, y compris, bien sûr, la carrière psychiatrique), on ne peut pas traiter le cas en se référant purement et simplement au caractère singulier, malfaisant, insolite ou révolutionnaire — ou simplement contestataire du choix ou des actes. Il importe donc de ne se prononcer que par une étude très minutieuse des motivations, pour identifier celles qui relèvent d’un déterminisme stéréotypé et incoercible, structuré comme une psychose ou une névrose, fut-ce « statu nascendi ».
I. — THEORIES ORGANO-MECANICISTE
Il s’agit de théories qui, par hypothèse, considèrent les maladies mentales comme ayant une étiologie organique. Mais il s’agit de théories organo-mécaniques, en ce sens que le schéma étiopathogénique qu’elles proposent ou postulent consiste à réduire les maladies mentales à des phénomènes élémentaires directement engendrés par des lésions cérébrales. L’exemple topique de cette interprétation théorique est fourni par les rapports du délire et de l’hallucination : le délire est basé sur l’hallucination causée par l’excitation mécanique d’un centre sensoriel.
Les maladies mentales considérées comme une mosaïque de symptômes mécaniquement produits dans les centres cérébraux :
Le propre de ces théories est donc de considérer que les symptômes forment une mosaïque fortuite, qu’ils sont des produits mécaniques de lésions des centres fonctionnels. Sur le plan clinique, elles analysent la manie, la mélancolie, la schizophrénie, les névroses obsessionnelles, l’hystérie, etc., de telle sorte que ces formes morbides de la vie psychique leur apparaissent être composées de symptômes (troubles psychomoteurs, sentiments, idées, humeur, illusions, troubles intellectuels, etc.) déterminés directement par des lésions de tel ou tel système fonctionnel cérébral.
Ces théories ont, avec la physiopathologie du xixe siècle et notamment la doctrine des localisations cérébrales, connu une si grande vogue (Wernicke, Meynert, Seglas, Magnan) qu’elles constituent le dogme de la psychiatrie classique. Depuis le début du siècle, elles ont renouvelé leur appareil théorique grâce aux progrès de la neurobiologie (neurochirurgie, électroencéphalographie, neurophysiologie), car elles ont trouvé dans ces progrès de nouveaux arguments ou de nouvelles démonstrations. Nous devons rappeler ici principalement les théories de Clérambault, de Kleist, de Guiraud et de l’école de Pavlov comme des modèles plus ou moins systématiques de cette application du concept d’organogenèse mécanique des maladies mentales.
— théories anciennes,
Kleist s’est fait le champion dans la neuropsychiatrie contemporaine d’une doctrine de localisations cérébrales qui considère les systèmes fonctionnels longitudinaux (méso-diencéphalo-frontaux) où s’élaborent les données perceptives, mnésiques et représentatives entéro-proprioceptives qui constituent les expériences fondamentales de la vie psychique : synthèse du Moi propre, du Moi social, du Moi corporel, etc. C’est l’atteinte dégénérative de ces systèmes qui se manifeste dans la psychopathologie sous forme de syndrome de dépersonnalisation, d’influence, de pensée compulsionnelle, d’état hallucinatoire, etc.
— K. Kleist,
Pavlov et l’école réflexologique ont réduit également des troubles comme les névroses, les idées fixes, les délires d’influence, les obsessions, non pas seulement à des réflexes conditionnés par des stimuli extérieurs, mais à des troubles du mécanisme cérébral de conditionnement.
— Pavlov.
P. Guiraud a soutenu il y a plus de 60ans une théorie « xénopathique » du délire dont il proposait une interprétation par la déconnexion neuronale (dystonie interneuronale) dans les relais sous-corticaux. Depuis lors il a donné conformément aux conceptions bioneurologiques de Monakow et Mourgue une importance plus grande aux poussées pathologiques des « tendances normo-thymo-ossitiques ». Ces tendances constituant pour lui, comme dans le système de Kleist, les diverses fonctions du Moi. Leur excitation anormale serait le primum movens du processus délirant (interprétations délirantes, hallucinations, idées de grandeur, etc.).
— P. Guiraud
Le « réductionnisme » des Psychoses et des Névroses à des mécanismes simples n’a pas seulement un intérêt historique. Il est actuellement et constamment appliqué par la réduction « atomique » ou « moléculaire » à des mécanismes élémentaires ; soit qu’il s’agisse de mécanismes neuro-chimiques, de mécanismes lésionnels localisés, ou de « centres » cérébraux, de gènes ou de génomes rappelant par leur « pureté » et leur « unité » les gamètes des premiers généticiens, tous ces recours à l’élémentarisme pathogénique (généralement réductible à la notion d’excitation des centres nerveux ou à la germination d’un facteur partiel) représentant une application très répandue, quoique le plus souvent implicite, de ce modèle.
et autres conceptions analogues.
Les avantages de cette conception sont doubles. Tout d’abord la maladie mentale y est conçue comme l’effet d’un processus cérébral, ce qui permet de la considérer d’accord avec l’observation clinique comme une maladie, un accident pathologique au sens vrai et médical du terme. Ensuite, cette conception répond à la nature intime du trouble mental qui se révèle à l’analyse comme une anomalie foncière et non point seulement comme une simple variation psychologique de la vie de relation.
Le danger de cette position est de « mécaniser » la maladie mentale et de la soustraire pratiquement à toute tentative de compréhension psychologique du clinicien, et à tout effort psychothérapique du thérapeute.
II. — THÉORIES PSYCHODYNAMIQUES DE L’INCONSCIENT PATHOGÈNE (1)
La pression que l’hypnose exerce sur la conduite et les tendances du sujet implique la libération de ses forces inconscientes. Ce fait (l’hypnose) a été génialement exploité (Breuer et Freud) pour proposer une théorie de l’inconscient pathogène en psychiatrie. Toute l’œuvre de Freud, tout le corps de doctrine qu’il édifié et que son école psychanalytique a développé (Abraham, Ferenczi, Jones, etc.), constituent une théorie psychogénique des névroses envisagées comme l’effet des forces inconscientes qui peu à peu s’est appliquée aux psychoses. Qu’il s’agisse des psychanalystes orthodoxes ou dissidents (Steckel, Jung, Alexander, Mélanie Klein, etc.), le modèle théorique qui définit ce mouvement doctrinal est toujours à peu près le même. Il tient en deux points essentiels : 1° l’inconscient représente un système de forces affectives refoulées qui ne se manifestent cliniquement que par une distorsion symbolique de leur sens (symptômes névrotiques, obsessions, idées fixes, délires, hallucinations, troubles de la conscience, etc.), De telle sorte que c est la formation symbolique de la pensée du rêve qui constitue le modèle des mécanismes psychopathologiques ; 2° l’inconscient est constitué par des forces instinctives (Ça) ou répressives (Sur-Moi) qui ont au cours du premier développement libidinal de l’enfant lors de ses premières relations objectales formé des systèmes affectifs (complexes de frustration, d’Œdipe, de castration, etc.). C’est le conflit de ces forces inconscientes avec le Moi et la réalité qui détermine les maladies mentales.
Les maladies mentales considérées comme les manifestations symboliques de l’inconscient pathogène:
— le refoulement des traumatismes psychiques infantiles et des pulsions libidinales
Tandis que lors des premiers temps du mouvement psychanalytique on mettait surtout au premier rang le rôle pathogène des événements de la vie infantile (traumatismes sexuels de l’enfance), depuis 50ans la psychanalyse a évolué en mettant l’accent sur les notions de fixation ou de régression aux stades archaïques des premières relations objectales. La Psychanalyse s’est de plus en plus intéressée, d’une part aux stades prégénitaux (sadique — anal, oral), fantasmes de morcellement du corps, d’introjection des « mauvais objets » (Mélanie Klein) — et d’autre part, aux fonctions du Moi (Egopsychology). De ce dernier point de vue, on a pu définir le Moi considéré, soit comme une pauvre petite chose (Freud) par son système de défenses (Anna Freud), soit comme ayant une certaine autonomie (Hartman, Federn, etc.).
Les avantages de cette position doctrinale consistent essentiellement (comme pour les tendances psychogéniques envisagées plus haut) dans sa perspective optimiste et thérapeutique (ce qui dépend des relations sociales, fussent-elles originelles, peut être modifié par la relation psychothérapique) et aussi en ce qu’elle saisit la maladie pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une production symbolique et imaginaire dont les symptômes ont un sens.
Les difficultés et les limites auxquelles se heurte cette conception tiennent au fait que la maladie mentale en général, ou si l’on veut tout le champ de la psychiatrie, ne peut pas être conçu hors de la pathologie organique (héréditaire ou acquise) qui en conditionne manifestement certaines formes typiques (psychoses aiguës et chroniques, anomalies congénitales du développement psychique).
Le danger impliqué dans la logique de la doctrine psychanalytique est de « niveler » par le bas (influence quasi exclusive de l’Inconscient) toutes les formes et variations de l’existence normale et pathologique sans se soucier de la « forme » structurale de la maladie mentale. Elle risque (elle aussi comme les théories psychogénétiques des facteurs de milieu auxquelles elle s’apparente) de nier la maladie comme telle.