V. Psychoses Délirantes Aiguës

(Bouffées Délirantes. Psychoses Hallucinatoires Aiguës. etats Oniroïdes)





HISTORIQUE


La place nosographique de ces épisodes délirants a été très discutée. Leur importance, leur existence même ont été souvent niées surtout à l’étranger par des auteurs qui les ont assimilées soit à des schizophrénies aiguës (Bleu1er), soit à des crises maniaco-dépressives atypiques (Bumke), soit encore purement et simplement aux psychoses confuso-oniriques (Régis). Nous les situerons, quant à nous, à un niveau de déstructuration de la conscience intermédiaire entre les crises maniaco-dépressives que nous venons d’étudier et les états plus profonds confuso-oniriques que nous exposerons ensuite.



Leur place nosographique est souvent discutée et leur existence parfois même méconnue.

Magnan (1886) avait décrit ces psychoses sous le nom de bouffées délirantes des dégénérés. Pour lui, en effet, l’éclosion soudaine de ces délires d’emblée était le « privilège » ou le « stigmate » d’un terrain fragile (notion de dégénérescence). Depuis lors, ces épisodes délirants et hallucinatoires aigus ont fait l’objet dans des perspectives différentes d’analyses cliniques nombreuses qui en ont montré la réalité clinique et l’importance pratique.



Magnan.

Elles constituent notamment les formes délirantes aiguës que l’on peut opposer aux délires chroniques et elles ont été décrites en Allemagne sous le nom de paranoïas aiguës (Westphal, 1878) ou d’états crépusculaires épisodiques (Kleist) ou oniroïdes (Mayer-Gross) et dans les pays anglo-saxons sous celui de paranoid reaction. En France, leur étude a été reprise par Paule Petit, élève de Guiraud, dans sa thèse sur les Délires de persécution curables (1937).



Kleist.

Mayer-Gross.


Le DSM III ne fait pas place à cette entité clinique, qui se trouve située comme « trouble schizophréniforme » ou comme « psychose réactionnelle brève ». On consultera, sur la discussion de ce point de vue, l’article de L. Barrelet, de Genève (Informat, psychiatr., 62, 3, 1986, 351–361.

C’est en tenant compte de toutes ces analyses cliniques, mais en nous référant surtout aux descriptions « princeps » de Magnan, que nous allons entreprendre l’étude des psychoses délirantes aiguës.


I. — ÉTUDE CLINIQUE



A. — L’EXPÉRIENCE DÉLIRANTE


Chez un sujet jeune, souvent une femme à hérédité psychopathique chargée, plus ou moins déséquilibré(1) ou à caractère psychopathique, parfois à la suite d’une émotion, d’un surmenage, etc. mais aussi le plus souvent sans cause apparente, le délire éclate avec une brusquerie étonnante : « il jaillit violemment avec l’instantanéité d’une inspiration », dit Magnan. « Dès son apparition, ajoute-t-il, le délire est constitué, armé de toutes pièces, de pied en cap, enveloppé dès sa naissance de son cortège de troubles sensoriels, c’est un délire d’emblée. »


Le délire est polymorphe, c’est-à-dire que ses thèmes sont multiples et variables : de persécution, de grandeur, de transformation sexuelle, de possession, d’empoisonnements, d’influence, de richesse ou de fabuleuse puissance, etc. Ils sont généralement intriqués, se mélangent et se métamorphosent comme dans la succession kaléidoscopique des images oniriques que nous étudierons plus loin. Les malades se sentent subitement ensorcelés, épiés, empoisonnés, en communication avec des forces surnaturelles, martyrisés par des fluides, hypnotisés, transportés au Jugement dernier, etc.



Caractères cliniques de cette expérience délirante polymorphe.


Les variations du tableau clinique sont caractéristiques de cette riche diversité d’épisodes qui s’enchevêtrent et se succèdent. Le malade subit de forts changements d’humeur et de violentes oscillations, des « vagues » de délire. Les thèmes extravagants, absurdes, parfois puérils, d’autres fois poétiques et lyriques, sont généralement mal enchaînés et sans systématisation. Même quand le délire se concentre sur un thème il le déborde ou se métamorphose en thèmes dérivés ou substitués et il est susceptible de changements soudains.

Le délire est vécu dans le champ de la conscience comme une expérience irrécusable, d’où l’intensité des réactions affectives, et parfois médico-légales. Elles s’imposent au sujet comme des événements du monde extérieur, des révélations inouïes qui commandent une immédiate conviction. C’est ce caractère d’adhésion absolue au délire surgi de toutes pièces qui paraissait à Magnan propre au « délire d’emblée des dégénérés », mais il est plus probable qu’il soit lié à la constitution même de l’expérience délirante qui s’impose comme le rêve au rêveur. Ainsi les croyances délirantes si intenses soient-elles, sont aussi, variables et oscillantes.


B. — L’ALTÉRATION DE LA CONSCIENCE


Certes la lucidité est (tout au moins apparemment) intacte et le malade reste en communication avec autrui, suffisamment orienté, assez bien adapté à l’ambiance et ses propos restent clairs. Pourtant il existe déjà une déstructuration de la conscience que l’analyse clinique met en évidence sous forme d’une sorte d’hypnose ou de fascination par l’imaginaire, de dédoublement de l’expérience actuelle comme divisée entre le pôle prédominant du délire et celui de la réalité d’où le double caractère artificiel et hallucinatoire du vécu. Cliniquement, cet état d’hypnose délirante se reconnaît par la distraction, l’air absent, le détachement et les attitudes méditatives ou d’écoute par quoi le délirant traduit qu’il est rivé aux péripéties du délire qu’il vit comme le déroulement d’une expérience dont il est le jouet, le spectateur et l’auteur et dont il sortira, à la guérison, comme d’un cauchemar ou d’une incompréhensible fascination.



Atmosphère hypnoïde.


C. — LE DÉSORDRE THYMIQUE



Les classiques insistaient sur l’absence de troubles somatiques dans les bouffées délirantes polymorphes. Ceux-ci sont en effet discrets ou absents, ni plus ni moins que dans les crises de manie ou de mélancolie auxquels ils s’apparentent. Il faut cependant noter l’insomnie et aussi l’aggravation du syndrome mental au cours des phases parahypniques (qui précèdent ou suivent le sommeil) particulièrement longues. Les troubles digestifs sont presque constants, inappétence pouvant aller jusqu’au refus d’aliments, langue saburrale, constipation. Les urines sont rares, la tension est abaissée. Chez la femme, il existe souvent une suspension des règles.


D. — ÉVOLUTION ET PRONOSTIC


La fin de l’accès est quelquefois brusque, au bout de quelques jours, plus fréquemment de quelques semaines (exceptionnellement de plusieurs mois). Mais le plus souvent, il se produit une « phase de réveil » assez semblable à celle que Régis a décrite dans les psychoses oniriques. La bouffée délirante, disait Magnan, est sans conséquence, sinon sans lendemain. Il entendait par là que le délire épisodique ne laissait pas après lui de séquelles ou de complications mentales. C’est une règle qui admet toutefois de nombreuses exceptions.



Pronostic favorable.

La menace de récidive pèse lourdement sur l’avenir du malade. Elle témoigne de ses prédispositions, de son aptitude constitutionnelle à délirer. Ce délire est marqué, écrivait Legrain, du sceau de l’intermittence et comme d’un caractère de faiblesse congénitale. Ce sont des délires à éclipses, disait encore Legrain (1910) qui notait que les idées délirantes s’écroulent comme des rêves pour être refoulées dans le subconscient au cours de chaque rémission et reparaître lors d’une récidive.



Le problème des relations de ces psychoses délirantes aiguës (appelées souvent à l’étranger « schizophrénies aiguës ») avec les vraies psychoses schizophréniques chroniques.

Le pronostic d’une psychose délirante aiguë est commandé par le risque d’une évolution schizophrénique ou d’un délire chronique. Comme nous le verrons plus loin, les psychoses schizophréniques (poussées schizophréniques) et les psychoses délirantes chroniques (moments féconds ou poussées évolutives) évoluent souvent en effet après un ou plusieurs épisodes délirants, si bien qu’en présence d’une psychose délirante ou hallucinatoire aiguë le clinicien peut toujours redouter cette éventualité. C’est pourquoi beaucoup d’écoles étrangères appellent, comme nous l’avons vu, ces « bouffées délirantes », des « schizophrénies aiguës ». Mais qu’il s’agisse de savoir si une psychose délirante aiguë risque de mal tourner, c’est-à-dire d’évoluer vers une schizophrénie ou de se demander s’il s’agit d’une schizophrénie aiguë ou d’une schizophrénie chronique, le problème du pronostic reste le même. L’importance de l’automatisme mental, la systématisation des idées délirantes, la longueur de la crise, sa résistance aux thérapeutiques sont des éléments de mauvais pronostic. Par contre, la soudaineté du délire et sa richesse imaginative, l’importance des troubles de la conscience, les antécédents névropathiques (surtout hystériques), la dramatisation théâtrale du vécu délirant, l’efficacité d’une psychothérapie sous narcose, la brièveté de la crise (quelques jours ou quelques semaines) sont des éléments de bon pronostic.

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May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on V. Psychoses Délirantes Aiguës

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