II est impossible que la psychiatrie soit « anencéphale » et sa science de base ne peut être que celle qui a pour objet l’organisation du système nerveux, comme le rappelait, il y a quelques années, Llavero dans son étude de la causalité en psychiatrie (1954). C’est l’organisation du système nerveux en effet qui règle, comme nous l’avons vu, le développement et la structure de la vie psychique, de la conscience et de la connaissance. Mais le système nerveux n’est pas un organe clos. Il débouche dans le « milieu » par les échanges de la « vie de relation », c’est-à-dire les relations de l’organisation de la personne avec son monde. La Neurobiologie contemporaine depuis Jackson et avec Sherrington, Head, Goldstein, Monakow, Pavlov, Lashley, Hebb, etc., n’a cessé de s’engager dans cette perspective dynamique.
Nécessité pour la Psychiatrie de se référer à la Pathologie cérébrale…
Ainsi tournant le dos à une « mythologie cérébrale » de l’ancien style basée sur les notions de centres d’images, de fonctions partielles et statiques (engrammes, associations, etc.), la neuro-physiopathologie du cerveau, après les justes critiques de Bergson, permet à la psychiatrie de s’enraciner dans la corporéité de l’organisation du système nerveux central sans, pour cela, rien abandonner de ses aspects cliniques et psychopathologiques, à leur tour considérés dans une perspective dynamique.
… telle qu’elle apparaît dans ses aspects bio-neurodynamiques.
Naturellement, ce que nous avons dit au chapitre consacré aux « Tendances doctrinales de la Psychiatrie » trouve ici son plein effet et chaque psychiatre, qu’il le veuille ou non, se situe relativement à ce problème central des rapports de la pensée et du cerveau. Pour les uns la maladie mentale n’a rien à tirer — ou seulement des conclusions dérisoires — de la référence aux études de la physiologie cérébrale. Pour d’autres, toute la symptomatologie de l’homme malade mental est contenue dans l’espace moléculaire de son cerveau. Mais pour la plupart, et toujours plus nombreux, de ceux qui ont suivi les progrès de la pensée contemporaine, les vieilles discussions sur les localisations cérébrales, sur les centres et les fonctions du cerveau — une fois acquises les connaissanees incontestables qu’elles nous ont apportées — sont dépassées par les nouvelles perspectives qui entendent saisir à la fois l’être psychique de la maladie mentale et les perturbations de l’activité du cerveau qui la conditionnent. Aussi devons-nous compléter ce qui a été dit dans le chapitre précédent sur la neurophysiologie cérébrale et sur ses modifications expérimentales par l’exposé des principales notions de neuropathologie qui concernent la psychiatrie.
Évolution des idées sur la neuro-pathologie
Tous les processus anatomiques qui altèrent l’état fonctionnel du cerveau sont susceptibles de retentir sur la vie psychique. Tel est le fondement des recherches anatomopathologiques en psychiatrie. Mais l’orientation des recherches a profondément évolué depuis la vieille école des psychiatres organicistes (Calmeil, Wernicke, Meynert, Magnan), et depuis l’ère des grands neuro-histopathologistes (Klippel, Marchand, J. Lhermitte, P. Guiraud, Alzheimer, Spielmeyer, O. et C. Vogt, etc.), qui ont su tirer des méthodes classiques tout ce qu’elles pouvaient donner. Actuellement ce sont les méthodes de la neurochimie et de la cytologie ultra-structurale (pathologie chromosomique entre autres) qui sont en train de renouveler nos connaissances. Nous y avons fait allusion pour la schizophrénie (p. 484 et sq.), pour les arriérations (p. 580 et 585), pour la génétique voir (
p. 664). Nous ne pouvons nous étendre ici sur ce qui est encore une perspective de recherches (Hassler, 1966 ; Mölbert, 1967 ; Ber- gouignan, 1969, etc.). Disons seulement que ces recherches ne contredisent pas les données anciennes de la neuropathologie cérébrale. Elles viennent au contraire les compléter en montrant, par des approches plus fines, comment des perturbations cellulaires ou moléculaires permettent et permettront de combler les lacunes de l’anatomo-pathologie classique. De l’énorme travail des anciens, il ne reste pas seulement une déception, car beaucoup de processus cérébraux ont pu être précisés. Nous allons en passer une rapide revue.
Les perspectives nouvelles de recherches…
…n’ont pas aboli les données acquises de l’anatomie pathologique du cerveau.
Les lésions connues du tissu cérébral répondent à des formules assez simples : les unes relèvent de perturbations hémodynamiques qui aboutissent à des lésions non spécifiques de l’encéphale dont le type est représenté par les encéphalites du type « délire aigu » ; d’autres sont inflammatoires et répondent aux encéphalites infectieuses à germes ou à virus et aux encéphalites « allergiques » péri-veineuses ; d’autres enfin sont dégénératives ; elles répondent au plus grand nombre des processus intéressant la psychiatrie, processus généralement lents dans leur évolution, constituant des affections chroniques, qu’elles soient d’origine vasculaire, abiotrophique, tumorale, etc. Nous distinguerons, pour la commodité de l’exposé, les processus aigus et les processus chroniques.
I. — PROCESSUS AIGUS
Il s’agit de réactions du cerveau en face de certaines agressions brutales ou massives de toute nature. On sait que Marchand a distingué les
encéphalites répondant à des agressions de nature infectieuse et à des lésions inflammatoires histologiques, des
encéphaloses répondant aux autres agressions et ne comportant pas de lésion du type inflammatoire. Nous emploierons indifféremment le terme d’encéphalite pour désigner l’ensemble de ces processus ainsi que cela est généralement admis.
Réactions à divers « stresses »
De ces syndromes encéphalitiques non inflammatoires, on doit rapprocher les états dits « de souffrance cérébrale » qui traduisent en effet la souffrance du cerveau devant une agression traumatique (cf.
p. 799), tumorale ou un accident vasculaire. Ces processus qui se développent localement peuvent altérer le fonctionnement cérébral par leur masse (hématome, tumeur) ou leur localisation, ou encore par la combinaison de ces deux facteurs. Ils aboutissent au fameux syndrome « psycho-organique » des auteurs de langue allemande et des transitions insensibles peuvent les relier (par l’intermédiaire de l’œdème cérébral) aux « encéphaloses » aiguës de Marchand.
2° Encéphalites inflammatoires (Encéphalites vraies). — Elles sont très différentes des précédentes et leurs lésions s’identifient immédiatement sur une coupe. Toutes les encéphalites infectieuses « primitives » (type : maladie de von Economo) ou « secondaires » (type : encéphalites de la syphilis) répondent à cette seconde formule. Des lésions histologiques inflammatoires et une tendance à la systématisation des lésions signalent ces processus. Ainsi l’encéphalite de von Economo (
p. 786) donne lieu à des foyers dégénératifs surtout dans le locus niger, la calotte ponto-pédonculaire, le bulbe et les noyaux gris centraux. L’encéphalite de Saint-Louis donne de graves atteintes de l’écorce. L’encéphalite australienne produit des lésions cérébelleuses inconnues dans les autres formes, etc.
Dans les encéphalites des maladies éruptives dont le type est l’encéphalite vaccinale, un type particulier de lésions a fait dénommer le processus :
encéphalite péri-veineuse ou leuco-encéphalite (
p. 786). Les lésions dans ces cas n’affectent que la substance blanche, très peu la substance grise où se trouvent les corps cellulaires des neurones. Des foyers de démyélinisation apparaissent autour des veines de petit et de moyen calibres de la substance blanche. Ce sont les mêmes lésions qui sont rencontrées au cours des encéphalites dites allergiques, si bien qu’une conception unitaire des encéphalites péri-veineuses est défendue par de nombreux auteurs (Glanzmann, Van Bogaert, F. Lhermitte). Par contre on discute la conception de Pette, selon laquelle on pourrait rassembler dans une même unité les encéphalites péri-veineuses et des syndromes comme la sclérose en plaques aiguës (
p. 793) ou l’encéphalomyélite aiguë disséminée.
Ce qui nous permet de rassembler ici tous ces processus aigus, c’est leur tendance à donner une symptomatologie psychiatrique commune : le tableau de la
confusion mentale. Dans les processus non inflammatoires (type délire aigu primitif ou encéphalite psychosique azotémique), des signes de souffrance végétative intense s’ajoutent à la profonde altération de la conscience. Ils signalent l’atteinte dégénérative secondaire de l’hypothalamus (Guiraud). Dans les formes subaiguës, la confusion mentale peut être légère, apparaissant sous la forme d’une obnubilation ou d’un sommeil plus ou moins coloré d’onirisme. Des
séquelles psychiatriques (Marchand) peuvent intervenir au même titre que des séquelles neurologiques, parfois très longtemps après la guérison de l’épisode aigu. Ce sont les foyers dégénératifs secondaires aux encéphalites qui ont fait l’objet de tant de travaux sur les
syndromes schizo-phréniformes (Langfeld) ou les
oneirophrénies (von Meduna), troubles qui font pour ainsi dire le pont entre la pathologie de la conscience des états aigus et la pathologie des maladies mentales chroniques.
Les réactions psychopathologiques habituelles.
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